Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Ruffin et Lordon, une Nuit à dormir Debout
Article mis en ligne le 7 mai 2016

par siksatnam

Nuit Debout nous donne l’occasion de publier, en partenariat avec plusieurs autres groupes et sites antifascistes, un dossier qui se veut aussi exhaustif que possible sur la galaxie citoyenniste, ses réseaux et ses errements idéologiques. Vous trouverez ci-dessous son sommaire avec des liens cliquables afin de naviguer à l’intérieur aussi aisément que possible. Fruit d’un travail intense qui nous a occupés depuis un mois, nous tenons à remercier tous les camarades qui nous ont aidé à réunir la documentation nécessaire. Bonne lecture !

Introduction

Qu’est-ce que Nuit Debout ? C’est une question qui ne pouvait recevoir de réponse tranchée et qui réclamait à ce titre, un dossier complet. Ce pudding politique, vous le verrez, sorte de vortex citoyenniste directement issu du télescopage entre une campagne promotionnelle commerciale, celle de François Ruffin pour son film « Merci Patron ! » et une nouvelle attaque sans précédent du droit du travail, celle du PS pour les patrons, a beaucoup à nous apprendre. Nous espérons, c’est vrai, grâce à vos partages, qu’il puisse permettre d’aider à démasquer et à désarmer durablement ce nuage qui joue clairement, quoiqu’il puisse prétendre du contraire, dans le camp d’un ordre vertical, du Capital, des partis et de l’Etat.

Nous pourrions ajouter que la Révolution s’éloigne à chaque fois que des Lordon et des Ruffin la convoquent, la surjouent pour mieux la conjurer. Car ce » mouvement « , tranchant avec la vivacité et la rage du mouvement social, le vrai, provient en réalité d’un nuage idéologique à la fois vaste et très cohérent, porté par un ensemble social, somme toute, plutôt homogène, nous le verrons en détail plus bas.

Qui sont ses promoteurs les plus actifs ? Le plus souvent des gens qui se situent avant tout en défense de quelque chose, des nationalistes de gauche et de droite, des professionnels du militantisme, des champions de la récupération, des moines de la confusion et des fascistes.

Une poignée qui finalement, tente d’entrevoir une passivité chez quelques uns pour mieux la justifier chez eux en se jetant à corps perdu dans une mystique constitutionnaliste qui, non contente de ne rien solutionner, n’est en aucun cas à l’ordre du jour, même si l’idée n’est pas nouvelle…

Pour ces participants aux milieux sociaux clonés, un mantra revient sans cesse, une forme d’obsession proche de la quête métaphysique, celui d’aller « à la rencontre des milieux populaires : « Il faut trouver le moyen de toucher des milieux populaires. » François Ruffin, Télérama

Et comment s’y prend-on ? Très simple, une petite amicale d’intelligents se met dans le crâne d’aller « convaincre » au plus large du bien fondé de la démarche. Comme s’il était nécessaire de « convaincre » les galériens de leur propre ras-le-bol ! Comme si un simple ravalement de Constitution pouvait nous extirper de notre condition d’esclaves du Capital, sans repenser quoique ce soit, sans remettre en question quoique ce soit et ce au beau milieu de l’une des sinon de la plus grave crise systémique de l’histoire du capitalisme, bonjour l’illumination !

Leurs buts réels ? Si l’on en croit les slogans, une authentique « révolution ». Dans les faits, des grand-messes joyeusement ineptes. Une forme de delirium collectif tentant de sublimer un désir de conservation en se raccordant à une mystique constitutionnelle. Dans l’intention première, un groupe social bien défini qui entend prendre les devants en sapant l’autonomie du mouvement ouvrier.

Ce sont des populations politiquement électrisées par la période et qui pour la plupart, entendent garder la maîtrise sur le ras-le-bol de la classe majoritaire, de celle sans qui rien ne se fait, de l’ensemble des employés, ouvriers, chômeurs, précaires, saisonniers, intérimaires, stagiaires, auto-exploités, sans papiers !

En réalité, c’est ici que se situe la ligne de classe, la ligne de front révolutionnaire, les fans de Lordon, nationaliste de gauche dans les petits papiers d’une certaine gauche étatiste et revancharde, ayant fait le choix et quoiqu’elle puisse en dire, de l’ordre, malgré les simagrées pseudo-radicales de ces shoots collectifs hippisants dont la limite est immédiatement contenue dans la niaiserie narcissique de la démarche.

Pour l’État, offrir à ces doux imposteurs en proie à une crise mystique carabinée les ambitions de leur enfumage, en les distinguant par la grâce d’une répression compatissante et mise en scène censée les crédibiliser, c’est tout simplement l’opportunité de se choisir ses ennemis intimes, un peu comme il le fit avec Coupat et tant d’autres auparavant.

Que vient faire ce champignon citoyenniste ici ? Comment s’est-il constitué ? Existe-t-il réellement ? Quelle est sa capacité à parasiter et à affaiblir la forte mobilisation actuelle ? Y’a-t-il quelque chose à en récupérer dans la période ? Qui sont les protagonistes réels ? A quels nuages idéologiques peut-on les relier ?

C’est à toutes ces questions et à bien d’autres encore, que nous tenterons de répondre avec ce dossier, que nous avons voulu le plus complet possible en l’enrichissant d’une banque de liens conséquente.

On le reconnaît volontiers : le mouvement « Nuit Debout » nous laisse plus que sceptiques. Non que nous désapprouvions l’idée que les gens se rencontrent pour échanger sur des questions politiques ou même autour de questionnements plus larges, mais les bases idéologiques sous-tendant cette série d’événements, ainsi que l’identité des initiateurs et les objectifs qu’ils poursuivent posent question.
historienne

En l’état, ce « mouvement » nous semble relever d’une opération de récupération à son profit de la mobilisation contre la loi Travail par des éléments de la petite bourgeoisie intellectuelle se faisant farouchement concurrence entre eux dans une forme de baroud d’honneur opportuniste du citoyennisme et de l’altermondialisme, largement accompagné dans son entreprise par l’ensemble des dominants.


La Genèse : une opération d’auto-promotion initiée par François Ruffin et Frédéric Lordon

Opération promotionnelle pour le film Merci patron !, la Nuit Debout, qui est présentée comme un mouvement spontané, a en fait été organisée par une une poignée de militants réformistes après un meeting de Fakir le 23 février à la Bourse du Travail de Paris. Le journal Le Monde raconte : « Après les débats, une quinzaine de personnes se retrouvent au bar d’à côté. Chacun arrive avec son savoir, son expérience ou simplement son envie de faire. Des jeunes et des moins jeunes, qui ont souvent un engagement et acceptent ou non d’apparaître publiquement. Il y a là Johanna, salariée chez Fakir, Loïc, un intermittent membre de la compagnie Jolie Môme, Leïla Chaïbi, militante à Jeudi noir et membre du Parti de Gauche (PG), Karine Monségu, syndicaliste chez Air France, également au PG, Camille, du collectif citoyen Les Engraineurs, ou encore Arthur, étudiant à Sciences Po », auxquels il faudrait rajouter Jean-Baptiste Eyraud du Dal, qui ce soir-là participait lui aussi à meeting au même endroit et a rejoint à cette occasion le projet fakirien, proposant de mettre le savoir-faire du Dal à son service. De fait, c’est le Dal qui a déposé les premières

De fait, si des hommes politiques tels que Jean-Luc Mélenchon sont restés en retrait de ces rassemblements, ils n’ont pas vraiment besoin d’être présents puisque le PG, Europe Ecologie et le PCF, ou des organisations proches (la compagnie Jolie Môme, qui comptait au plus haut de sa période, un effectif d’une trentaine de militants ou même Fakir) sont au cœur du dispositif. D’où l’hypocrisie qu’il y a à refuser que les organisations s’affichent, alors que de fait, elles sont bien présentes place de la République.

Mélenchon insiste beaucoup dans son livre » Le hareng de Bismarck » sur une « domination allemande » sur l’Europe, dont pâtirait à ses yeux l’économie française. Or, souligne l’ICO, « s’il est vrai que l’Union Européenne est tout sauf égalitaire, la France est, avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne, une des principales puissances impérialistes dans cette union. La France qui dispose d’un des plus puissants complexe militaro-industriel, qui envoie ses troupes au Mali et ailleurs, dont les multinationales comme Bolloré, Total ou Areva contrôlent des pays entiers, serait donc « un pays dominé » ? » A contrario de l’union internationale des prolétaires prônée par Marx, « Toute une partie de la thèse de Mélenchon revient à opposer non pas les prolétaires et les bourgeois, les ouvriers et les patrons, mais les « Français » aux retraités allemands. […] faut-il rappeler qu’en Allemagne comme en France ou ailleurs, la grande majorité des retraités sont des ouvriers et employés en retraite ? L’ouvrier en retraite de Volkswagen est-il l’ennemi de l’ouvrier de PSA ? » Dans une interview à Politis, le leader du Parti de gauche a même été jusqu’à envisager de remplacer « l’Europe allemande » par une « Europe française ». Impérialisme, quand tu nous tiens…
Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, qui a été accueilli assez froidement, peut se permettre de ne pas être sur le terrain, puisque ses troupes y sont.

Quant à la volonté largement exprimée par nombre de participants de couper ce « mouvement » de toute implantation syndicaliste affichée, quoique l’on puisse penser des trahisons institutionnalisées des directions des centrales syndicales et de leurs stratégies de démobilisation, elle a de quoi interroger sur sa volonté réelle à se situer dans le mouvement ouvrier – au grand dam de Ruffin ou de Lordon qui aimeraient bien être suivis par les grévistes -, même si par ci par là des syndicalistes et des travailleurs en lutte acceptent d’aller parler en AG.

Fakir ou le journal de bord d’un réac

Le journal de François Ruffin méritera un dossier en lui-même, tant il est à lui seul le symbole de cette Réaction de gauche dont nous tentons ici de cerner les contours. Productiviste, nationaliste et étatiste, ce journal regorge également de contenus sexistes, entre autres, ou de dessins douteux en référence au nazisme, qui est lui aussi un sujet de plaisanterie.

Vive les matons, vive les douaniers (et vive les missiles) !

Dans un article de 2003, alors que Fakir n’était encore qu’un petit canard local amiénois, Ruffin soutenait qu’au fond matons et prisonniers partageaient des intérêts de classe communs. Introduisant le portrait d’un gardien de prison, il décrivait son métier comme étant une « profession [qui] n’évoquait que modérément, pour moi, l’humanisme. C’est une fraternité qu’on ressent, pourtant, chez Luc Rody, maton à la maison d’arrêt d’Amiens et délégué CGT (syndicat majoritaire). Dans son regard amer sur la détention. Dans sa volonté de défendre les détenus autant que ses collègues. Dans sa manière de les appeler « les gars », comme s’il n’existait pas de barreaux entre eux et lui, et encore moins de barrière sociale. Dans son désir, en bref, de témoigner en conscience et sans concession, de l’intérieur, sur la misère carcérale. »

Obsédé par le « produisons français », Fakir évoquait en 2007 cette merveilleuse création de l’industrie nationale qu’a été le missile exocet, dans un article se désolant de la casse de l’Aérospatiale : « C’est donc à force de patience, de volonté politique, d’investissements publics que s’est construit Airbus, mais aussi la fusée Ariane, ou le missile Exocet – tous issus d’Aérospatiale. En un quart ou un demi-siècle, cet outil est devenu plus que rentable : juteux. Et en un sens, voilà le problème… »

Parmi des dizaines de propos ruffinesques permettant de cerner sa ligne éditoriale et politique, ne citons que cet extrait d’une interview récente de François Ruffin à la revue anarcho-nationaliste Ballast, qui donne le ton : « Il faut une fierté de soi, une fierté de la communauté pour qu’on ait envie de faire quelque chose ensemble. […] Le drapeau français et La Marseillaise sont liés à notre Histoire ; ce sont deux symboles liés à des moments pour lesquels on doit éprouver une certaine fierté. Je n’ai pas envie, et je l’ai toujours dit, qu’ils passent sous la mainmise du Front national. »

Fakir, journal sexiste et anti-féministe

Et s’agissant de l’égalité hommes-femmes, Ruffin a fait cette réponse hallucinante : « J’en parle peu car il me semble que cette égalité va de soi. Fakir est un journal assez féministe, mais pas sur le plan théorique. Beaucoup de femmes y sont mises en valeur. Ceux qui écrivent sont surtout des hommes, c’est vrai. » Aux hommes l’intellect, aux femmes les apparences… Circulez, y a rien à voir !

De fait, pour Ruffin, on dirait que les femmes sont avant tout des ventres destinés à produire de la chair à patron (à défaut de chair à canon). Elles aussi sont sujet de moqueries : on ne compte plus le nombre de dessins sexistes publiés dans ce journal. Tout comme il est nationaliste et productiviste (mais aussi décroissant, allez comprendre…), Fakir est un journal logiquement nataliste. Si François Ruffin y parle des conditions d’accouchement en France, c’est pour mieux se mettre en scène : il a ainsi consacré dans Fakir une bande dessinée entière à la naissance de son enfant. Également, Fakir a déjà abordé la question des congés maternité. Pourtant, rien ou pas grand chose sur la contraception, l’IVG, le non-désir d’enfant… Rien non plus sur la PMA, sujet pourtant éminemment d’actualité. Bien peu ou pas du tout enfin de contenus sur les inégalités hommes/femmes au travail, ce qui est étonnant au vu de la ligne que prétend défendre Fakir.

Une seule fois il a été question de contraception dans le journal, en mars 2014, dans le cadre d’un article anxiogène, peu informatif voire désinformatif. Il s’agissait du témoignage d’une femme ayant vécu des souffrances physiques sous pilule, intitulé « Le feu dans la culotte« . Bien sûr, il n’est pas question ici de remettre en doute ce témoignage, qui contient au demeurant des éléments intéressants sur le sentiment de maltraitance médicale que vivent encore trop souvent bien des femmes dans le cadre de consultations en gynécologie. Cet article aurait donc pu être une véritable occasion d’informer les lectrices sur leurs droits et sur les différents moyens de contraception à leur disposition, leurs avantages et leurs inconvénients.

Mais sans ce type d’éclairage, il ne pouvait que laisser désarmées celles qui sont insatisfaites de leur pilule, puisque la femme qui témoigne indique qu’elle se retrouve aujourd’hui sans contraception, et que c’est finalement la seule solution alternative à la pilule vraiment présentée. Une solution qui présente un défaut majeur tout de même : le risque d’une grossesse non désirée, bien peu souligné dans l’article. Or, on peut penser que cette femme est tombée sur des médecins peu soucieux de l’informer, de l’aider dans ses choix contraceptifs et de respecter ses droits. Par exemple, elle raconte que l’un d’eux a refusé de lui poser un stérilet car elle est sans enfant. Or, cette raison, encore souvent invoquée par nombre de gynécologues, est non pertinente tant d’un point de vue médical que légal. Pourquoi Fakir n’en a soufflé mot ? Une petite recherche, par exemple sur l’excellent site de Martin Winckler, aurait pourtant permis d’éclairer sa lanterne.

Douteuse aussi est la réponse faite par un médecin interviewé, interrogé sur le fait qu’à aucun moment cette femme ne se soit vue proposer d’arrêter la pilule : « Ils ne sont pas toujours bien informés. Beaucoup ont la hantise d’une grossesse non désirée. Et puis, la pilule est un trésor pour les laboratoires, ils font pression de façon forte sur les médecins pour dire qu’il n’y a pas de contre-indication ni de problème. Critiquer la pilule apparaît comme nostalgique du passé, il y a une pression culturelle très efficace. D’autant que la France est le pays qui utilise le plus la contraception hormonale ! » Pour autant, peut-on relativiser ainsi la crainte d’un risque de grossesse en cas d’arrêt de contraception ? Et la hantise en question est-elle d’abord celle du médecin ou de la femme concernée ? Pourquoi ce médecin, au lieu de dire craindre d’être un passéiste s’il critique la pilule, n’indique-t-il pas qu’il existe désormais tout un panel d’autres moyens contraceptifs efficaces qu’il peut proposer aux femmes, dont plusieurs méthodes sans hormones : les spermicides (associés à un diaphragme), le stérilet en cuivre et deux méthodes définitives, la ligature des trompes et le dispositif Essure, auxquels il faudrait ajouter la vasectomie pour ces messieurs ? Et si les médecins s’estiment mal informés, n’est-il pas de leur devoir de se tenir au courant des dernières avancées médicales afin de pouvoir proposer les meilleurs soins possibles à leurs patientes et patients ? Il existe d’ailleurs des revues indépendantes de tout laboratoire, dont Prescrire est la plus connue, et que quiconque s’intéressant de manière un peu approfondie aux sujets médicaux ou au poids des labos, surtout si il ou elle est journaliste, devrait connaître, au moins de réputation.

On le voit : en matière d’information des femmes, de défense de leurs droits et de militantisme féministe, Fakir a encore beaucoup à faire. Est-ce que c’est parce que pour son grand chef, qui cite volontiers Christophe Guilluy comme une référence, tout comme pour toute une partie de la gauche dite « critique », ces questions « sociétales » que sont les droits des femmes où ceux des homosexuels, ou encore une certaine forme de lutte contre le racisme, sont vus comme des prétextes utilisés par la gauche de gouvernement pour ne pas faire de social, comme si social et « sociétal » devaient forcément s’opposer ?

D’ailleurs, les participantes et participants au meeting organisé par Fakir, Frédéric Lordon et leurs amis le mercredi 20 avril à la Bourse du Travail a Paris ont pu expérimenter le virilisme et le machisme de Ruffin. Plusieurs témoignages nous sont parvenus s’agissant de la difficulté qu’ont eu les femmes à y prendre la parole, François Ruffin ayant même été vu arrachant le micro à l’une d’elles qui voulait y lire une déclaration. Un camarade nous a transmis ce témoignage : « notons qu’à cette AG Ruffin s’est posé en grand chef et que la plupart des intervenants étaient des mecs, les femmes ont dû se battre pour avoir un peu la parole, avec peu de succès. »

François Ruffin contre les antifas

Surtout, Ruffin s’est illustré ces deux dernières années par deux textes révélant la nature profonde de son projet politique. » L’air du soupçon « , texte toujours abondamment repris par la fachosphère, et ce plusieurs années après sa sortie, visait à désarmer la critique antifasciste et à faire passer les militants antifascistes pour des imbéciles.fakir_morbacks

Usant de méthodes dégueulasses consistant à révéler des échanges mails privés, Ruffin y dénonçait « une littérature qui pollue le Net, qui assimile, en vrac, Frédéric Lordon, Alain Gresh, Étienne Chouard, Jean Bricmont, Hervé Kempf, maintenant Pierre Carles, et j’en passe, à du « rouge-brun » » et une « police de la pensée ». Chouard (encore lui !) y était décrit « comme un homme sincère, un profond démocrate ». Même après avoir interrogé Chouard sur son rapport à Alain Soral, au FN et sur sa propension à » débattre avec tout le monde « , la conclusion de Ruffin demeurait sans appel : « mon intuition se confirmait : Étienne Chouard est un homme de bonne foi ».

Le travail bénévole militant et antifasciste, tant décrié par François Ruffin, a pourtant permis de démasquer Etienne Chouard et Jean Bricmont depuis longtemps.

Même en considérant que François Ruffin ne connaissait pas son sujet et qu’il ne soit spécialiste de rien, ce qui est son droit le plus strict, le marquage politique des deux sus-cités était déjà bien connu, abondamment analysé et s’offrait à quiconque voulant un minimum se donner la peine de le chercher.

Pour ce qui est de la documentation papier, elle non plus ne manquait pas, on peut citer »La galaxie Dieudonné : pour en finir avec les impostures », de Michel Briganti, André Déchot & Jean-Paul Gautier, Editions Syllepse, 2011.

Dans « L’air du soupçon », Ruffin niait avoir jamais fait l’apologie de Jacques Cheminade et Nicolas Dupont-Aignan. Pourtant, voici ce qu’il a déclaré à leur sujet dans le film de Pierre Carles DSK, Hollande et Cie sous prétexte de défendre les-petits-candidats-maltraités-par-les-médias : « Quand on dit “Cheminade est un candidat inutile”, certes, il ne sera pas président de la République, est-ce qu’il n’a pas des idées sur la finance, par exemple, qui peuvent être utiles ? De la même manière pour Nathalie Artaud de Lutte Ouvrière. C’est, au contraire, les candidatures les plus utiles sur le terrain démocratique, parce qu’elles portent des idées, qui peuvent être des idées loufoques, mais qui peuvent être aussi des idées de rupture intéressantes. On voit bien le mépris pour Nicolas Dupont-Aignan parce qu’il envisage de rompre avec l’euro, qui est quand même une question qui peut se poser légitimement quand on a 80% des ouvriers qui y sont favorables. Donc ça n’est pas une question qui peut se traiter avec mépris, dédain, arrogance. » Pas d’apologie, Ruffin, tu es sûr ?

Notons aussi que pendant des années, Fakir a ouvert ses colonnes à la revue rouge-brune Bastille-République-Nations qui y tenait une rubrique anti-UE. Là encore, il n’avait rien trouvé à redire au fait qu’un des collaborateurs de cette revue, Bruno Drweski, ait pu accorder une interview à Rébellion, un journal d’extrême droite, et se disait juste « troublé » par son compagnonnage négationniste : « J’ai lu l’interview : sans être, encore une fois, en accord avec tout, je ne vois absolument pas dans ses propos de quoi discréditer un homme. Ça me paraît même de plutôt bonne tenue. Tout comme son Que sais-je, sur la Biélorussie (que j’ai lu). Pour me convaincre encore, tu me dis que Bruno Drewski publie avec le négationniste Claude Karnoouh sur le site La Pensée libre. J’ai circulé sur ce site et, à première vue, très rapidement, je n’ai rien aperçu de cette nature. Bien que, en toute sincérité, ce compagnonnage me trouble. » Pourtant, Karnoouh est connu comme le loup blanc depuis qu’en 1981 il a soutenu Robert Faurisson. Découvrant ce passé, même le Réseau Voltaire, dans lequel officiait alors également Bruno Drewski, s’est séparé de lui en 2005, quelques jours après qu’il soit entré dans son conseil d’administration. Mais cela n’a pas suffit non plus pour que Bruno Drweski le lâche… « Troublant », n’est-ce pas ?

Dans « L’Air du soupçon », Ruffin expliquait également que les articles antifascistes concernant l’UPR parus deux ans avant, qui énonçaient les liens passés et présents de François Asselineau avec la droite et certaines franges de l’extrême droite, manquaient de preuves pour dire que ce mouvement était d’ultra-droite. Et celles parues entre temps ? Et en faisant lui-même quelques recherches ? Il semble que Ruffin soit omniscient au point qu’il puisse se permettre de s’épargner vérifier par lui-même ce type d’information. Ou bien il est de mauvaise foi…


Fakir, Emmanuel Todd et le FN

Parallèlement à cela, Fakir, bien conscient d’avoir des discours et un programme assez voisins de ceux du parti d’extrême droite, ne se prive pas de cibler le FN pour tenter de s’en distinguer dans une sorte de course à l’échalote glauque et dangereuse produisant un caisson de résonance pour les idées nationalistes.

Dans cette obsession qui est celle de parler à l’électeur du FN, Ruffin et son journal n’hésitent pas à louer « l’efficacité » de Marine Le Pen, il y a quelques jours sur le plateau de la confusionniste Judith Bernard.

Il faut dire que sur le FN, le spécialiste que Fakir aime interviewer, c’est Emmanuel Todd. Fakir est ce merveilleux journal dans lequel l’intellectuel souverainiste multicartes peut défendre doctement le fait que le FN soit le parti des classes populaires ou, pire, que la politique économique d’Adolf Hitler était tout à fait acceptable, sans être contredit. Voici trois extraits parlants de son interview de juillet 2014 à Fakir :

« Fakir : Vous dites : « Le FN ne parviendra pas au pouvoir, parce que les classes qu’il représente sont trop opprimées », en gros, elle ne pourraient pas incarner une alternance…

Emmanuel Todd : Ne pas voter Front national est devenu un symbole social : « Je n’appartiens pas aux basses classes. » Ce réflexe sert de digue, il existe comme un plafond de verre, un seuil qu’ils ne dépasseront pas. Je suis épaté par l’enthousiasme de Parti socialiste à se ruer dans la lutte contre le Front national, qu’il suscite lui-même avec ses choix économiques, dans une espèce de post-mitterandisme. On les sent tellement content qu’il y ait une « menace ». »

« D’abord, le Front national n’est pas mon adversaire prioritaire, je ne décris pas Marine Le Pen au seuil de l’Élysée. Et si mépris il y a, il est avant tout moral. Car l’intelligence n’est pas le problème. Je ne méprise pas Hitler intellectuellement. Je suis tout à fait capable de dire : « Adolphe Hitler avait compris en terme de politique économique ce que tous les économistes classiques libéraux s’appliquaient à nier ». Je peux te citer des passages à hurler de rire de Hitler sur les remarques que lui faisait Schacht, son ministre de l’Économie, à propos de « l’inflation menaçante », Hitler lui répondant : « Ah ah, je vais envoyer mes SA dans les épiceries et vous verrez si les prix augmentent ». De fait, Hitler a résorbé la question du chômage en quelques mois, et après le peuple allemand a considéré que c’était un génie. Voilà. Tandis que pour les démocraties occidentales, il a fallu, à la place, que Keynes écrive La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, pour « suggérer que le capitalisme et un certain type de régulation par l’État étaient compatibles », etc. »

« Putain mais on est là, à se faire chier, dans un ensemble de non-décisions, avec Bruxelles, avec Francfort, des négociations humiliantes, sans perspective, avec une histoire infiniment nulle qui se profile, et tout d’un coup, ça y est, on est dans la merde, ensemble, en tant que Français, on retrousse nos manches et on essaie de s’en sortir. Ça n’est pas beau, ça ? Et la démocratie renaît. Et au début, on est un petit peu appauvris. Mais on va quelque part, et nos enfants vont quelque part. »


François Ruffin, un patron comme un autre

Quelques mois après son article « anti-antifa », Daniel Mermet, patron de François Ruffin à France Inter, était mis en cause pour ses méthodes managériales autoritaires par d’anciens salariés et par des syndicats. Quelle fut la réaction de Ruffin l’ouvriériste ? Gonflant le torse et s’inspirant d’une stratégie échappant à beaucoup, il jugea urgent de… se ranger aux côtés du patronat radiophonique, au prétexte que le salaire versé par Là-bas si j’y suis lui avait permis de rénover son appartement ! Alors que Fakir est censé avoir un statut associatif, il a revendiqué dans ce texte de soutien qui a fait date les mêmes méthodes de gestion du personnel que son mentor, résumant la chose par un paradoxe : « Fakir n’est pas une démocratie. Nous sommes là, et c’est différent, pour apporter de la démocratie, vers l’extérieur, que notre journal demeure une voix dissonante, la plus forte possible. »

François Ruffin ne fait là que défendre ses intérêts de classe. Lui-même issu d’une famille d’agriculteurs et d’instituteurs à l’empreinte chrétienne marquée, il se rêve, une fois devenu un petit intellectuel, en sauveur du monde ouvrier et se situe en quête perpétuelle de légitimité quand il évoque des luttes sociales. Au fond, sa grande angoisse ne serait-elle pas que la révolution débute sans lui et que sa tête ne se retrouve au bout d’une pique, comme celle de certains nobles d’antan ?

C’est pourquoi, quoi qu’il fasse comme surenchère en la matière (il a écrit un livre sur la « guerre des classes« ), son propos ne cesse en réalité de désarmer la lutte des classes. En effet, comme tous les petits bourgeois réformistes et arrivistes, Ruffin considère le mouvement ouvrier comme une sorte d’armée de bourrins qu’il faudrait convoquer et enrôler pour sa propre cause en prônant l’alliance interclassiste des prolos et des « bobos ». De fait, on se demande souvent avec Fakir si c’est le journal qui est au service des luttes ou les luttes qui sont au service du journal.

On retrouve cette vision phagocytée de la « lutte des classes », une conception omettant volontairement que l’objet véritable de la lutte des classes est… leur disparition !

Pour François Ruffin comme pour Judith Bernard, qui greffe à son charabia interclassiste l’idée fumeuse du très chouardien et quasi-sacré « tirage au sort », comme pour la plupart des énergumènes classés à « gauche » apparaissant dans ce dossier, les conditions d’existence desdites classes sont totalement indépassables et s’il y a réunion ponctuelle, cette union ne doit se faire que selon le plan génial d’une idéologie de petits cadres nationalistes, précisément celle portée par François Ruffin.

Merci Patron ! ou Ruffin-des-bois au pays des ouvriers

Le film Merci Patron ! offre un bon condensé de la vision du monde que développe François Ruffin. Outre le fait qu’il relate une histoire assez peu crédible de chantage sur LVMH qui n’est pas une lutte et n’est pas reproductible de l’aveu même de Ruffin (Libération, 23 février 2016) les ouvriers, censés être les héros de l’histoire, y servent en fait de faire-valoir à la promotion de Fakir. De fait, depuis le tournage, le couple d’ouvriers mis en scène est complètement absent des débats suivant les projections.

De ce film ressort le sentiment glaçant d’un malaise découlant de sa nature voyeuriste et des clichés qu’il véhicule sur les classes laborieuses du Nord de la France, d’ailleurs assumés par l’auteur : « Dans le film, j’avais d’ailleurs été très attentif à glisser tout un tas de références culturelles très popus afin que tout le monde puisse s’y reconnaître : ça allait du maroilles à La Petite Maison dans la prairie« , a déclaré François Ruffin à Télérama, sans même se rendre compte de la dose de mépris de classe que pouvaient revêtir son propos. Et le malaise est encore amplifié par le règne du comique. Alors que l’histoire de ces ouvriers licenciés est tragique, à aucun moment on n’est porté à mettre en route une vraie solidarité, tant tout est pris sur le ton du rire et de la légèreté. Mais au sortir de la projection, on ne peut s’empêcher de penser au sort de ces milliers de chômeurs sur lesquels la bonne fée ruffinesque n’aura pas eu l’heur de se pencher…

Au fond, François Ruffin, véritable héros de ce film, s’y comporte en touriste social et propose à son public de se rendre avec lui au zoo, sauf qu’en lieu et place lieu des animaux, ce sont des ouvriers au chômage qui sont chargés de satisfaire la demande d’exotisme d’un public majoritairement très éloigné de la réalité sociale qu’ils vivent. Sans doute frustré de n’être pas né dans une famille de prolétaire, Ruffin met en scène son fantasme en allant jusqu’à prendre la place du fils de la famille Klur. Il pousse même le bouchon jusqu’à mimer une fausse manif de Goodyear, Caterpillar ou zadistes contre LVMH dans laquelle les ouvriers et les militants sont remplacés par… les acteurs de la Compagnie Jolie Môme.

Mais son action, par son caractère isolé et non reproductible, s’apparente bien plus à de la charité qu’à une forme quelconque de lutte dont on pourrait tirer des enseignements politiques, s’agissant d’un film que l’auteur définit lui-même comme « une fable, sans grand discours à l’intérieur ». Charité intéressée qui plus est, puisque depuis la première parution de ce dossier, Ruffin a d’ailleurs reconnu avoir en quelque sorte profité du désespoir de cette famille pour tourner son film, l’acceptation par elle du tournage ayant été la condition pour qu’il l’aide. Il n’a pas eu à négocier, dit-il : « au point où les Klur en étaient, ils n’avaient plus rien à perdre. Quand vous en êtes à remettre votre destin entre les mains d’un bonhomme qui porte un t-shirt « I love Bernard », c’est qu’en effet, ça va vraiment très mal dans votre vie… »

« Si je viens déverser ma colère, je vais faire fuir les spectateurs. Le rire c’est plus rassembleur », affirme celui qui se dit inspiré par le businessman démagogue Michael Moore au site Toute la Culture.

Mais surtout, la colère est moins vendeuse. Et ça s’est dramatique pour une petit entrepreneur du spectacle comme François Ruffin ! Au final, on a sans doute là un bon film comique pour qui apprécie ce genre d’humour un peu lourdingue, mais qui n’est pas porteur de discours politique ou d’analyse sociale poussée. Plutôt que la lutte des classes, le film porte un discours d’alliance transclassiste (avec l’intellectuel petit bourgeois qui se pose en homme providentiel venu secourir les ouvriers en détresse) contre le grand patronat, non le patronat et le Capital dans leur ensemble. Il fat dire qu’à l’image de Jean-Luc Mélenchon, toute cette gauche fantasme sur une possible alliance avec le petit patronat. Que n’a-t-on attendu, au début de Nuit Debout, que les taxis rejoignent le mouvement ?

Cette vision démagogique ne peut bien sûr que rassembler ceux qui sont sensibles au discours simpliste des 99% contre les 1%, c’est-à-dire ceux qui entendent porter une critique superficielle, partiale et partielle du capitalisme. Quant au contenu factuel lui-même, ce film nous apprend finalement bien peu de choses tant sur le groupe LVMH que sur l’histoire des crises économiques qui se sont succédées et qui ont frappé particulièrement durement la classe ouvrière du Nord de la France.

Frédéric Lordon ou la virtuosité bavarde d’un social-chauvin

De son côté, Frédéric Lordon, qui vit dans un confortable appartement emmitouflé dans l’une des villes les plus riches de France, est tout sauf un prolo. Voici son CV, tel que décrit par deux médias :

France Tv Info : « En 1962, rien ne prédestine Frédéric Lordon à la lutte des classes. Né dans une famille bourgeoise de l’Ouest parisien, son père, de droite, est dirigeant d’entreprise et sa mère femme au foyer. En 1985, il sort ingénieur de la prestigieuse Ecole nationale des Ponts et chaussées avant de poursuivre à l’Institut supérieur des affaires, devenu depuis un MBA (Master of business administration) à HEC.

( « C’était au milieu des années 1980. J’avais fort intention de devenir un ‘winner’ et de gagner plein d’argent. »
Frédéric Lordon, France Culture ).

A la fin de ses études, il rompt brutalement avec son ambition d’être patron.« Ça me semblait un peu vain. Il m’a semblé plus intéressant de prendre la voie des livres », confie-t-il en 2013 sur France Culture. L’éternelle compétition entre « futurs winners » d’HEC le pousse à changer de trajectoire. Electeur de droite, il passe chez les communistes et se tourne vers la recherche. Désireux de prendre un point de vue critique sur le monde social, il choisit l’économie.

Libération : « Sur le site des Economistes atterrés, le curriculum vitæ se réduit à sa plus simple expression : « DR », pour directeur de recherches, et « CNRS », pour la case employeur. Pas grand-chose de plus sur Internet. Il faut donc extraire le curriculum vitæ déposé auprès du CNRS pour suivre son parcours, qui commence avec un diplôme d’ingénieur civil de l’Ecole des ponts et chaussées, promotion 1985. Peut-être l’envie de manier le manche de pioche vient-elle de cette époque.Ensuite, on le retrouve sur les bancs de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), pour un troisième cycle, à l’Institut supérieur des affaires (ISA). Nul n’est parfait. Un DEA et une thèse de doctorat soutenue à l’EHESS, en mars 1993, l’installent comme économiste et un rattachement à la section 35 du CNRS, en 2012, l’autorise à se présenter comme philosophe.

Avec un CV pareil, on comprend que la ligne dictée par Lordon au début du mouvement ait été celle d’un « Nous n’avons aucune revendication » ou d’un « nous nous foutons de la loi El-Khomri », loi El-Khomri qu’il a d’ailleurs vu comme une bénédiction puisqu’elle lui a permis, en se donnant en spectacle, de gagner en notoriété. De la loi, il a dit lors d’un meeting à Tolbiac : « nous ne revendiquons nullement qu’elle soit modifiée ou réécrite, nous ne revendiquons pas de droits, nous ne revendiquons pas du tout d’ailleurs. Revendiquer c’est déjà s’être soumis. » Et de juger ailleurs que « si nous échouons, ce n’est pas grave » (Le Comptoir, 4 avril 2016).

C’est sûr que le bourgeois Frédéric Lordon ne risque pas d’être beaucoup impacté par cette loi, au contraire des travailleurs à bas salaires, des précaires, des chômeurs, des femmes, des personnes victimes de discriminations… Il faut dire que Lordon n’articule jamais son analyse du monde social aux problématiques féministes et antiracistes. Il peut dès lors afficher son mépris pour le mouvement ouvrier, usant du verbe « chouiner » pour décrire les manifestations entre République et Nation (Libération, 3 varil 2016). Qu’en pensent ses amis d’Acrimed, eux qui sont vent debout dès qu’un journaliste qualifie ces manifestations de « grogne » ?

Invité à réagir à certains de ces propos sur le plateau d’Arrêt sur Images, Jean-Pierre Mercier, délégué de chez PSA, a rappelé que la revendication est au fondement du mouvement ouvrier : « Je ne partage pas [le point de vue de Lordon]. Moi ma vie de militant ouvrier, oui, elle la suite de plusieurs revendications. […] Moi la plus grande partie de ma vie pour l’instant a été, oui, de revendiquer et de défendre cette idée fondamentale, c’est l’espoir pour nous tous : pour faire aboutir des revendications, il faut se mettre en lutte ». Et de conclure : « Ce n’est pas Périscope qui va foutre la trouille à Valls ! »

Depuis, Lordon a répondu lors du meeting du 20 avril (car qu’on lui fasse une critique, et il la retourne immédiatement pour la désarmer) : « Revendiquer est une nécessité, parfois même vitale », mais de portée limitée, « ceci n’aura pas de sens tant que nous ne mettrons pas en question les structures du néolibéralisme ». C’est là le cœur du problème avec Lordon et ses affidés : au fond, le capitalisme en lui-même ne les dérange pas. Seule sa forme néo-libérale est critiquable.

Chez Frédéric Lordon, on observe depuis quelques années une tendance poussée à vouloir se positionner sur le marché – bien vide il faut le dire – des intellectuels engagés. Mais cette stratégie s’est accélérée ces dernières semaines. Il faut dire que Lordon a beaucoup d’atouts pour rencontrer du succès : ses analyses faussement impertinentes écrites tantôt sur le ton de l’humour, tantôt à coup de locutions latines peuvent séduire un public de petits intellectuels en mal de vraie-fausse radicalité.

D’économiste atterré, groupe de néokeynésiens qualifiés ironiquement « d’économistes chagrinés »par la marxiste Mylène Gaulard, le personnage s’est ainsi mu en philosophe auto-proclamé, à grands jets de brouillard conceptuels capables de faire illusion. Lordon se veut la figure de l’intellectuel organique, qui s’inscrit en soutien de tel ou tel mouvement, mais jamais vraiment investi dedans : on ne le verra pas distribuer des tracts à 6 heures du matin devant une usine.

Au-delà de la virtuosité syntaxique du personnage, qui le coupe d’ailleurs de fait d’une masse importante de travailleurs, il est important de nous livrer à un décryptage au scalpel du projet en lui-même, qui se situe à mi-chemin entre celui des réformistes frontdegauchistes et ce qui semble être une bête économie de marché animée par une socialisation des unités de production, sur le modèle de ce qui a pu se produire il y a une quinzaine d’années en Argentine, flambée autogestionnaire qui a précisément permis de sauver et de relancer… le capitalisme.

C’est que même engagé, l’intellectuel se doit de conserver intacte sa superbe (la fameuse « distance critique« ) s’il ne veut pas déchoir de son piédestal. Sans doute inspiré par le Comité invisible avec lequel il partage une maison d’édition, il la joue désormais situationniste.

Mais on ne peut aussi s’empêcher de penser à la figure de Toni Negri, que Lordon semble s’employer à vouloir copier. Toni Negri a été une figure intellectuelle et un leader politique du mouvement altermondialiste au début des années 2000, au terme d’une longue histoire militante qui a commencé dans les années 1970 au sein de l’autonomie italienne. Il compte encore de nombreux adeptes, notamment en France. Notons que les negristes se sont particulièrement illustrés lors du contre-sommet de Gênes en tant qu’auxilières de la répression policière. Ses thèses ont également fait florès, notamment la revendication d’une revenu universel qui est désormais partout et qui on le verra, tombe à point nommé pour les classes possédantes sur la période. Quoiqu’il en soit, quelques faits interrogent quand on regarde les parcours de Negri et Lordon : tous deux se réfèrent à Spinoza, parlent de « multitudes » et de « commun ». Tandis que Negri a sorti en 2000 un livre intitulé Empire, Lordon a sorti quinze ans plus tard Imperium. Tous Nuit Debout aurait-elle pour objectif de nous rejouer les Tute Bianche avec Lordo comme figure tutélaire ? Va-t-on assister, après le négrisme, à la naissance du lordonisme, avec toutes les dérives induites ? On peut se le demander…

On retrouve d’ailleurs d’autres influences negristes à Nuit Debout : la CIP-IDF avec Laurent Guilloteau et les Désobéissants de Renou, dont le nom est directement tiré des Disobbedienti negristes, ex-Tute Bianche qui se sont illustré à Gènes par leurs collaboration avec les forces de répression, mais aussi l’idée du revenu universel (ou revenu de base), portée par Negri dès les années 1970.

Pour savoir comment se positionner face au revenu de base, il suffit de regarder qui le défend. L’ultra-libéral Friedman l’a défendu tout comme Christine Boutin. C’est une coalition de droite et d’extrême droite qui l’a mis en place en Finlande. Cela devrait nous mettre la puce à l’oreille.

Lordon, derrière une rhétorique volontiers absconse, défend en fait des idées simples, pour ne pas dire simplistes : la nation et l’Etat c’est bien, l’internationalisme et l’anarchisme c’est mal. De l’Etat-nation, il donne d’ailleurs une définition si extensive qu’elle en interdit toute critique matérialiste en tant que construction historique intimement liée au développement du capitalisme, dont l’Etat-nation est le bras armé. Pour Lordon, l’Etat est déjà en développement dans la moindre communauté humaine, on pourrait dire qu’il existe en tous temps et en tous lieux.

S’il reconnaît le potentiel de violence contenu dans le pouvoir répressif de l’Etat, au final, il soutient néanmoins les matraquages et assassinats policiers ne justifient pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, et que l’Etat est le meilleur garant de la sécurité collective, en tant qu’outil régulateur de la violence qui ne manque pas d’apparaître quand on vit en société. Pour lui l’Etat permet que se développent en toute sécurité des « alternatives » telles que celle de l’épicerie de Tarnac, qui sous son bouclier protecteur peuvent se développer en ayant la garantie de ne pas être attaquées par les communautés voisines. Cela vaut bien de passer l’éponge sur les épisodes répressifs, qui ne sont d’ailleurs que « contingents », comme il l’explique dans Imperium : « Il est donc exact qu’à titre contingent, ou peut-être même nécessaire, ces expérimentations aient à redouter l’insécurité du terrorisme d’Etat, mais il ne l’est pas moins qu’à titre tout aussi nécessaire elles n’aient à redouter en permanence l’agression par des communautés tierces – il faut imaginer Tarnac en Irak… »

Dans sa vision, l’Etat constitue un horizon indépassable et si une révolution venait à le mettre à bas, celui-ci réapparaîtrait toujours, tant il est nécessaire à la vie en commun. C’est à se demander comment vivaient les humains avant que l’Etat-nation moderne n’apparaisse, et comment font ceux qui vivent encore aujourd’hui dans des sociétés sans Etat. Non que ces sociétés soient à idéaliser et qu’il n’y ait pas en leur sein d’autres formes de domination mais enfin, leur simple existence prouve en tout cas la possibilité de vivre en société sans le truchement d’un Etat-nation.

Sous prétexte que l’Etat offre une certaine protection sociale, que sans papiers on ne peut vivre décemment aujourd’hui, il faudrait se montrer reconnaissants, voire aimer l’Etat. De ceux qui critiquent le nationalisme ou le simple sentiment d’appartenance à une nation, Lordon dit dans son dernier livre qu’ils sont des « nantis de l’appartenance ». Peu lui importe la véritable situation sociale des « nantis » en question. Tu touches un RSA qui ne te permet pas de vivre décemment ? Dis merci à l’Etat, ça pourrait être pire !

Autre aspect dérangeant, alors que Nuit Debout se targue de soutenir les migrants : Lordon pense qu’on ne peut pas lutter ensemble si on ne parle pas le même langue, et y voit même un exemple concret d’échec de l’internationalisme :

« Il est assez clair que le choc des souverainetés et l’engagement d’un rapport de puissances où la gauche trouve sa définition supposent, du côté qui conteste l’imperium du capital, une densité politique, densité d’interactions concrètes, de débats, de réunions, d’actions organisées, dont on voit mal que, reposant sur la communauté de langue, elle ne trouve son lieu privilégié dans l’espace national.

En juin dernier, la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France (CIP-IDF) envahit le chantier de la Philharmonie de Paris pour y rencontrer des travailleurs, évidemment clandestins pour bon nombre d’entre eux et venus d’une multitude de pays. A la peur que leur inflige leur condition ultraprécarisée s’ajoute l’impossibilité totale de se parler, de se comprendre, donc de se coordonner et de lutter. Et c’est une masse inconsistante et désemparée qui se trouve offerte au despotisme patronal, lequel sait très bien diviser linguistiquement pour mieux régner. C’est donc là un cas presque pur d’internationalisme prolétarien en situation. Et, de fait, un cas de totale impuissance.

Au risque de froisser la sensibilité des cadres altermondialistes, bi- ou trilingues, habitués des voyages et portés à penser que leurs capacités sont universellement partagées, l’action internationale, qui est tout à fait possible, et même tout à fait souhaitable, ne saurait avoir la même densité et, partant, la même extension, ni le même impact, que l’action d’abord nationale. » (Le Monde diplomatique, septembre 2014)

Pour Lordon, l’internationalisme ce n’est pas l’union internationale des travailleurs mais un synonyme de ce que d’autres, beaucoup moins prudents dans leur vocabulaire, appelleraient « mondialisme » (et que lui nomme « jacquattalisme »), tout comme les libertaires seraient en fait des libéraux qui s’ignorent. Dénonçant un jour les « activistes polyglottes à plein temps, cette internationale étroite du capital culturel voyageur » (blog, avril 2015), il s’enthousiasme le lendemain pour des réalisations européennes visant à développer ce même capital et à faciliter la vie des classes dirigeantes à l’échelle continentale, ou pour le tourisme international qui est pourtant une des principales manifestations du néo-colonialisme :

« Le vrai internationalisme est celui de la culture, du tourisme, de la science, de la pensée. Il faut voir tout ce que l’Europe a réussi à faire quand l’euro n’existait pas, Airbus, Ariane, le CERN, Erasmus… Si on réussit à défaire l’euro, il faudra pousser à fond les curseurs dans toutes les autres directions, dans tous les autres compartiments du jeu. Ce n’est pas ce qu’on appelle le repli national ! » (Là-bas si j’y suis, septembre 2015).

Mona Chollet, contributrice comme Frédéric Lordon, au Monde diplomatique, nous vend de l’après-crise et du tourisme « alternatif » et « solidaire ». On imagine tout de suite ces hordes de profs radicalisés et nuideboutisés, prêts à suivre partout Lordon y compris sur une conférence à plus de 80 km du domicile, vaillamment s’enrôler dans cette nouvelle forme d’internationalisme, 6000€ la sauterie alternative sans compter la cohorte de frais annexes, tous ensemble ! Tous ensemble ! oé ! oé ! Tous ensemble, tous ensemble, oé, oé !

Tout comme il désarme la critique de l’Etat, il s’attache à rendre ineffectif le combat internationaliste en vidant ce mot de son sens révolutionnaire.

S’agissant des sans-papiers enfin, s’il se dit pour leur régularisation, il affirme en même temps que « l’abandon de toute régulation des flux de population est une aberration indéfendable » (blog, juillet 2013). Faudrait savoir… Qu’en pensent les migrants qui prennent la parole à Nuit Debout ?

Notons pour finir que s’il a fait à Nuit Debout des appels du pieds au partisans d’Etienne Chouard en appelant à la création d’une « constituante », ce n’est pas le première fois qu’il se montre indulgent avec la complosphère : Faut-il jeter le Diplo avec l’eau du complot ?

« Le protectionnisme, ça nous fait gerber »

Le protectionnisme, ce n’est rien d’autre que le fait de remettre du libéralisme à l’échelle du territoire légal sur lequel s’abat la prédation d’une bourgeoisie donnée. Le protectionnisme n’a jamais protégé les travailleur-e-s, il a toujours protégé le patronat et la bourgeoisie du pays donné. Ruffin, en ardant promoteur du protectionnisme, prétend se mettre aux côtés de la classe ouvrière tout en étant son farouche ennemi. Ce sont souvent les pires.

Nous n’avons pas à nous positionner et à choisir entre libréchangisme et protectionnisme. C’est un débat qui ne nous concerne pas. C’est le sens de cet extrait de Marx, qui les met dos à dos :

« Si les libre-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe.

Ne croyez pas, messieurs, qu’en faisant la critique de la liberté commerciale nous ayons l’intention de défendre le système protectionniste.

On se dit ennemi du régime constitutionnel, on ne se dit pas pour cela ami de l’ancien régime. D’ailleurs, le système protectionniste n’est qu’un moyen d’établir chez un peuple la grande industrie, c’est-à-dire de le faire dépendre du marché de l’univers, et du moment qu’on dépend du marché de l’univers on dépend déjà plus ou moins du libre-échange. Outre cela, le système protecteur contribue à développer la libre concurrence dans l’intérieur d’un pays. C’est pourquoi nous voyons que dans les pays où la bourgeoisie commence à se faire valoir comme classe, en Allemagne, par exemple, elle fait de grands efforts pour avoir des droits protecteurs. Ce sont pour elle des armes contre la féodalité et contre le gouvernement absolu, c’est pour elle un moyen de concentrer ses forces, de réaliser le libre-échange dans l’intérieur du même pays.

Mais en général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. »

Karl Marx

Ressorts et fonctionnement de la mobilisation
Une mobilisation 2.0 ?

>Comme les Indignés il y a quelques années, Nuit Debout est un mouvement qui utilise et promeut largement Internet comme moyen de mobilisation. En ce sens, il contribue à entretenir le mythe d’Internet comme nouvel outil d’expression démocratique « universel ».

Or »tout le monde » ne s’exprime pas politiquement sur le Net, tout le monde ne maîtrise pas internet, tout le monde n’y possède pas un accès. Ceux et celles qui ont tout à gagner à exprimer une parole émancipatrice et libératrice révolutionnaire ne le font pas et ceux qui ont tout à perdre de cette émancipation le font beaucoup, en défense ou en consolidation d’un monde qui leur profite directement.

S’exprimer politiquement sur internet est, dans nos pays dits « développés », presque donné à tout le monde. Ce « presque » écarte, excusez-nous du peu, des dizaines de millions de personnes.

Positions sociales dominantes, certaine assurance dans l’expression écrite, pensée capitaliste et existences parfaitement sécurisées à tous niveaux par l’Etat, privilège du mâle blanc hétéro, etc., innombrables sont les professionnels du commentaire politique sur la toile à irradier des espaces de masse avec ce qui n’est rien de plus qu’une pensée conservatrice, à laquelle on pourra trouver toute une série de nuances, dont certaines sont de taille, mais qui entendent toutes perpétuer ce monde-là.

Ces petits soldats du capitalisme, conscients et/ou aliénés, tiennent concrètement nombre d’espaces numériques ainsi que leurs flux et sont donc en capacité de créer de l’événement politique et de l’adhésion, car ils sont en position de pivots culturels : Sur internet, la représentation de la pensée émancipatrice radicale est d’autant plus faible que la grande masse des galériens est concrètement opprimée.

Le mythe de la démocratie directe

Nuit Debout est présentée comme une merveille de liberté d’expression. Pourtant, comme partout, la prise de parole y est sur le terrain fortement codifiée, encadrée et ritualisée : ordre du jour à respecter, inscription obligatoire, temps limité à deux minutes. Pour des non militants, se fonctionnement est difficilement lisible. De plus, la limitation du temps de parole empêche que ne s’expriment des idées trop complexes ou iconoclastes, et permet de maintenir artificiellement un certain consensus dans l’assemblée, par l’auto-censure de celles et ceux qui voudraient la contester. Comment envisager en effet de pouvoir en seulement deux minutes expliquer par exemple la vanité de tout le projet et qu’il faudrait commencer par s’affranchir des Fakir et autres Lordon, qui eux disposent d’un temps de parole réservé lors de meetings réguliers au cours desquels ils ont largement le temps de développer leur point de vue sans contradicteur ?

Comme dans tous les groupes, c’est en réalité une minorité des participants qui prend la parole en AG. Toutes celles et tous ceux qui pour une raison ou pour une autre ne vont pas se sentir à l’aise avec la prise de parole ne vont pas chercher à la prendre. de fait, cela invisibilise celles et ceux dont le français n’est pas la langue maternelle (même si en théorie il est possible de traduire), les femmes dont on sait qu’elles ont moins tendance à prendre la parole que les hommes, les classes populaires, celles et ceux qui auront peur de se sentir trop bêtes face à la rhétorique écrasante d’un Lordon, enfin toutes celles et tous ceux voulant développer des théories dissonantes nécessitant du temps pour pouvoir être expliquer car elles ne relèvent pas de l’évidence politique du moment.

Nuit Debout ritualise et sacralise des pratiques plus anciennes, par exemple les gestes de la main pour approuver, contredire, etc. Le geste le plus connu, « ainsi font font font », semble par exemple être apparu pour la première fois lors d’un mouvement beaucoup plus offensif, le CPE.

Il ne relevait à l’époque que d’un aspect pratique, puisqu’il s’agissait de ne pas perturber les discours des orateurs. Son usage relevait largement d’un consensus informel. Néanmoins à cette époque, applaudissements, sifflets et huées étaient largement en usage et pas décriés. Aujourd’hui, avec les Indignés, Occupy et Nuit Debout, ce geste et les autres (on pourrait aussi évoquer celui, très ancien du moulinet pour indiquer que quelqu’un parle trop longtemps ou se répète) ont pour vocation à pacifier les débats. Orchestrés par Fakir, les meetings deviennent des grand-messes avec symphonie, prêt de serment (celui de ne plus jamais voter PS), etc. Emmanuel Todd, interviewé par le journal, a bien intégré cette dimension : « Déjà, si ça pouvait conduire à un engagement simple, chez les jeunes : « Plus jamais nous ne voterons PS ! » Je me porte beaucoup mieux, c’est une libération spirituelle, depuis que j’ai fait ce serment pour moi-même. »

Le rapport aux flics

A Paris, la révolte et la Nuit Debout ont bien du mal à être canalisées par les citoyennistes de tout poil, qui sont pourtant à la manoeuvre. Les gens ont la rage, et des manifs sauvages s’enchaînent. Hier soir, des caméras de vidéosurveillance, des banques et un comico ont été visés. Une manif est même partie en pleine nuit vers le logement de Manuel Valls, avant d’être repoussée par les flics.

Face à cette détermination difficilement contrôlable, les « leaders » de la Nuit Debout (c’est un mouvement qui se dit sans hiérarchie, mais pas sans porte-paroles et représentant-es, ni Service d’ordre…) ont eu une attitude ambiguë, révélant très vite ce qu’ils et elles visent véritablement : maintenir la contestation dans les cadres du pouvoir, contrôler la colère pour la détourner vers des logiques électoralistes comme ce fût le cas avec Syriza et Podemos, dont certains cadres ou ex-cadres soutiennent d’ailleurs Nuit Debout.

Alors que la répression a rarement été aussi intense pour briser une lutte sociale, ces gentils citoyens ont choisi leur camp : travailler avec la police et lui faire des bisous.

Sur la chaîne parlementaire, deux « représentants » de la Nuit Debout félicitaient même la police pour son savoir-faire et son calme. Et ce n’était pas de l’ironie… D’autres condamnent les « violences » de certains manifestants sur BFM TV., pendant que d’autres encore sont reçus sur France 2 pour interviewer le président François Hollande. Faut-il rappeler qu’à Paris, au cours des épisodes répressifs de ces dernières semaines, il y a déjà eu des dizaines et des dizaines d’arrestations, parfois des cars entiers remplis de personnes interpellées, et tout autant de blessé-e-s ?

A Nuit Debout, les Citoyens constituants disposent d’un stand permanent, et même d’une commission. Ils y sont les représentants quasi-officiels d’Etienne Chouard.
Faut-il pourtant encore rappeler leur présence à Jour de Colère, cette manifestation fasciste et antisémite qui a eu lieu début 2014 dans les rues de Paris ?

L’arnaque du tirage au sort chouardien

Les partisans d’Etienne Chouard le présentent comme un chantre de la démocratie directe, et son près à rejeter l’argument des ses amitiés fascistes pour dire que les idées qu’il défend en matière de démocratie et de tirage au sort restent malgré tout pertinentes. Pas de chance, car si on se penche en détail dessus, ce qui apparaît, c’est un système contre-révolutionnaire des plus réactionnaires. Rarement Chouard a aussi bien clarifié ses idées que dans la vidéo tournée en 2011 par le site Enquête et Débat du fasciste Jean Robin dans laquelle il dialogue avec Yvan Blot du Club de l’Horloge.

Toute l’arnaque de son système réside dans le fait qu’il n’entend en fait pas mettre fin au système électif (il entrevoit un système bicaméral avec une chambre d’élus dite « chambre des partis » et une chambre de tirés au sort encadrées par des « experts » et donc pas à l’abri de l’influence de groupes d’intérêts), et que son tirage au sort ne portera pas sur l’ensemble du corps électoral.

En fait, Chouard introduit de l’électif dans le tirage au sort lui-même, quand ce dernier doit être mis en place pour désigner une assemblée constituante (qui serait elle aussi conseillée par des juristes). En effet, le risque de voir tirer au sot des « abrutis » ou des « incapables » est élevé à ses yeux. Aussi Chouard propose d’élire des citoyens méritants parmi lesquels seraient tirés au sort les constituants : « J’aimerais quand même arriver à conserver cette idée que ce soit des citoyens qui écrivent eux-mêmes leur constitution, sans que ce soit n’importe qui pour qu’il y ait vraiment une qualité de la réflexion. On ferait en deux temps. lmaginez que dans un premier temps chaque citoyen malin ou pas malin, jeune ou vieux, riche ou pauvre, désignerait autour de lui deux ou trois personnes qu’il considérerait comme valeureuses, éclairées, comme des honnêtes gens. […] Et c’est parmi ces gens valeureux que nous tirerions au sort. Et il pourrait y avoir un biais : […] ceux qui ont été désignés très peu souvent ne pourraient pas être tirés au sort et ceux qui ont été désignés très souvent, peut-être par un effet médiatique […], on ne les prend pas non plus, pour garder les gens valeureux mais normaux. » Seraient d’office exclus du tirage au sort les hommes et femmes politiques ainsi que les « bureaucrates » (à savoir entre autres les militants syndicaux).

On voit assez bien les problèmes que pose ce système, puisque les gens bénéficiant du moins de ressources économiques, sociales ou culturelles seraient d’emblée exclus du tirage au sort, ayant très peu de chance d’être suffisamment désignés. Il en serait de même sans doute d’une large part des individus habituellement victimes de discriminations : personnes victimes de racisme, femmes, homosexuels, handicapés… L’objectif est très conservateur, et l’argument très similaire à celui de ceux qui défendaient au 19e siècle le suffrage censitaire : il s’agit d’éviter l’irruption dans l’assemblée des « passions populaires » et le « règne des incompétents ».

L’objectif est bien en fait de constituer une assemblée homogène socialement, un peu comme celle qui se réunit à Nuit Debout, et qui ne risque donc pas de remettre en cause l’ordre capitaliste puisqu’elle ne risquera pas de prendre des décisions allant dans le sens inverse de ses intérêts de sous-classe dominante. Cette assemblée sera une assemblée de profs, de notables, de commerçants et de petits patrons, dont seront largement exclues les classes laborieuses qui pourtant représentent la majorité de la population. Chouard estime ainsi que sur un corps électoral de 40 millions de personnes, 1 ou 2 millions au maximum seraient susceptibles de participer au tirage au sort après écrémage.

Citant l’exemple de la Colombie britannique, Chouard avance qu’écrire une constitution change les gens au point qu’ils arrêtent de boire des bières et de regarder la télé. Il prône en fait une morale ascétique, qui va de pair avec la vision quasi-religieuse qu’il a de la constitution comme étant la « cause des causes » à tous nos problèmes.

Enfin, qui mettra en place cette constituante ? Ce n’est pas très clair, mais Chouard croit en la venue d’un homme providentiel : « Il faut un Chavez », dit-il. « Il faut une personnalité à la fois forte mais juste : un Robespierre », répète-t-il. Il rêve que du système « tyrannique » de la 5e république émerge un homme suffisamment désintéressé qui une fois président la mettrait en place.

S’agissant du référendum d’initiative populaire, il en est de même. Chouard acquiesce aux propos anti-pauvres et anti-prolétaires de Blot : « Le référendum est stabilisateur à condition d’avoir des grands classes moyennes. […] Les pauvres ne prennent pas toujours des décisions très sages tandis que la classe moyenne est dans le juste milieu. […] Il faut que la démocratie soit enracinée dans les classes moyennes. […] Ce qui est terrible c’est le prolétaire car lui il n’a plus rien à perdre étant donné qu’il n’a rien le malheureux et et il peut être emmené à des situations excessives. » Pour Blot, le référendum est le moyen par lequel les fameuses « classes moyennes » peuvent s’exprimer, au contraire d’aujourd’hui où selon lui seul le haut du panier à droit à la parole. Mais dans son système approuvé par Chouard comme dans l’actuel, il est surtout important de museler la contestation des plus défavorisés.

Pour organiser ses référendums d’initiative citoyenne, le petit prof d’Aix-en-Provence envisage deux dates annuelles lors desquelles on voterait sur différents sujets, le 4 août (pour la nuit du 4 août 1789, date de l’abolition des privilèges) et le 4 février (pour le 4 février 2008 : date de l’adoption du TCE par les parlementaires réunis en Congrès). Problème : la première tombe ne plein milieu des vacances d’été, tandis que la deuxième est susceptible de tomber pendant celles de février. Comment est-il envisageable que suffisamment de gens y participent pour que les résultats soient crédibles ?

L’objectif est bien de garantir l’ordre. Ainsi Chouard voit dans l’inspiration athénienne « un moyen de décomplexifier le droit, de le rendre plus accessible et donc d’améliorer l’obéissance ». En effet selon lui, on obéit mieux à des lois que l’on comprend. Nulle considération morale en la matière, nulle interrogation sur la légitimité ou non d’obéir aux lois, même compréhensibles, en vertu de leur caractère juste ou injuste ni bien évidemment aucune remise en cause de la légitimité de l’existence des lois et de l’Etat eux-mêmes.

Les références de Chouard sont réactionnaires. Il idéalise la démocratie athénienne sans jamais mentionner le fait qu’elle excluait esclaves, femmes et étrangers mais aussi, de fait, tous ceux qui n’avaient pas la possibilité de se déplacer aux assemblées et notamment les paysans, ni qu’à cette époque, il n’existait pas de séparation entre rituels civiques et rituels religieux. L’exemple suisse n’est pas mieux avec son système référendaire qui permet l’adoption des pires mesures racistes. Notons qu’en suisse, le fait que ce soit les cantons qui votent à main levée qui sont les plus réactionnaires et qui ont accordé le plus tardivement le droit de vote aux femmes (dans les années 1990 !!!) ne semble déranger ni Chouard, ni Blot. D’ailleurs, dans certains conférences, Chouard explique que si un tel référendum permettait de revenir sur le droit à l’IVG ou de rétablir la peine de mort, il n’y aurait rien à dire, puisque c’est la volonté du peuple. Autre référence citée par Chouard dans cet échange avec Blot : De Gaulle. Voici ce qu’il en dit : « C’était pas un tyran De Gaulle mais il a écrit une constitution tyrannique, c’est-à-dire que De Gaulle avait un sens de l’honneur qui nous protégeait. C’était De Gaulle la garantie. Et quand quelqu’un d’autre qui n’a plus ce sens de l’honneur rentre dans ces institutions c’est une catastrophe. Et on le voit depuis, de Mitterrand à Sarkozy. »

En réalité, Chouard est un anti-parlementariste et un nostalgique du féodalisme. Au lieu de voir un rapport entre la naissance du capitalisme est celle de l’Etat, quelque soit son régime, lui voit un « lien logique et puissance » entre la naissance du capitalisme et ses injustices et le « gouvernement représentatif ». Il en vient à regretter l’Ancien Régime, où selon lui noblesse et clergés étaient des « contre-pouvoirs »aux« riches et ultra-riches ». la chute de l’Ancien régime donné selon lui « aux marchands et aux financiers […] tous les droits, dont celui de faire travailler les gens sans limites ». Voilà une analyse bien originale du système féodal, dans laquelle la bourgeoisie banquière et marchande devient la classe dominante principale alors que noblesse et Eglise ne font plus partie des riches mais protègent les pauvres contre les abus des premiers. Oubliés le servage, la Taille et la Gabelle…

L’idéal de société chouardien est profondément inégalitaire : « On a besoin d’inégalités pour que les gens aient des moteurs pour se donner du mal, et même peut-être de fortes inégalités », affirme-t-il devant un Blot ravi. « Je suis d’accord sur l’idée d’admettre des inégalités peut-être même importantes, parce que si quelqu’un est très très utile et se donne bcp de mal, ok », répète-t-il. Question : que compte faire Chouard des gens qui seront jugés « inutiles » dans sa société idéale ?

Dans l’entretien, Chouard juge important de noter que Suisses et Américains ont le droit de posséder des armes. « L’homme libre est armé », renchérit Blot, reprenant un des principaux arguments de la NRA (le lobby américain des armes).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Chouard a déjà des idées très arrêtées s’agissant des mesures que devra prendre l’assemblée constituante tirée au sort. Ainsi, il faudra que la constitution borne le rôle des médias (le « 4e pouvoir », qu’il convient donc de « séparer » des trois autres). Chouard envisage des journalistes ayant un statut similaire à celui des juges qui seraient donc désignés et payés par l’Etat. Les médias seraient dans ce modèle « soumis à une autorité supérieure sous contrôle citoyen ». Disons-le tout net : c’est la fin de la liberté de la presse. Que ceux qui se réjouiraient de la fin des grands médias soumis à l’influence des grands groupes auxquels ils appartiennent s’interrogent : en quoi les médias seraient-ils plus libres sous contrôle étatique (ou « citoyen » ?) Et qu’adviendra-t-il de ceux qui persisteront à s’exprimer hors de ce cadre, et notamment des médias et blogs militants ? Enfin, qu’adviendra-t-il de la liberté d’expression sur Internet, cet outil auquel Chouard voue pourtant une sorte de culte ?

Finalement, quel genre de régime trouverait grâce à ses yeux ? Il énumère : « démocratie directe, semi-directe ou gouvernement représentatif amendé »… Plus on avance, plus on s’éloigne en fait de l’idéal de départ tel qu’il est présenté par ses partisans. Si aujourd’hui Chouard se dit favorable à la République sociale proposée par Lordon, il précise en revanche que le processus constituant ne devra être ni de droite ni de gauche et que c’est seulement une fois la constitution rédigée que pourra peut-être être décidée l’abolition de la propriété privée des moyens de production.

Plus grave : à la même époque (mars 2012), Stéphane Guyot, président du parti qui discoure aujourd’hui à Nuit Debout, répondait dans la revue de la Dissidence française à une lettre ouverte de Vincent Vauclin l’appelant, ainsi que François Asselineau, à faire cause commune pour l’abstention. Si Asselineau n’a pas répondu, Guyot dans sa réponse s’est montré plus que complaisant avec le groupuscule néofasciste de Vauclin : « Une divergence de moyens donc, une nuance qui nous parait capitale dans le choix des bons outils qui permettront de rendre le pouvoir aux citoyens souverains. Une divergence qui porte davantage sur la forme que sur le fond, mais une démarche évidemment commune. Et si je ne peux partager votre point de vue sur les bienfaits de l’abstention, je salue l’engagement et l’intégrité de votre démarche. »

Demain, le coup de com’ des Colibris

Dimanche 17 avril, un film habilement new age, roulant secrètement pour un mouvement sectaro-religieux de droite réactionnaire ainsi que pour la totalité du monde du charlatanisme, a été diffusé à Nuit Debout Paris, à l’invitation de certains organisateurs. La projection a été précédée d’une journée thématique autour du film.

Il s’agit du film césarisé Demain, réalisé par Cyril Dion, maître de cérémonie du réactionnaire Pierre Rabhi, co-fondateur et responsable national des Colibris, directeur de publication de Kaizen, un magazine anthroposophe distribué dans les magasins bio proposant de la biodynamie, cette agriculture bio ésotérique et antiscientifique.

Ce magazine n’hésite pas donner régulièrement la parole au fasciste Étienne Chouard, lequel avait d’ailleurs participé à la soirée nationale de lancement de Colibris en janvier 2013.

chouardrabhi

L’anthroposophie, qui est une influence majeure de Pierre Rabhi et de ses Colibris, est un mouvement idéologique né de la pensée torturée d’un philosophe obscurantiste et raciste. Elle est profondément réactionnaire, anti-féministe, homophobe. C’est une idéologie millénariste qui nous ramène vers l’ordre ancien, vers un ordre féodal. L’anthroposophie possède un projet civilisationnel cohérent et prospère sur la perte de sens global que produit la crise systémique du capitalisme.

Ecofascisme, leçons de l’expérience allemande.

De fait, ce mouvement sectaire est parvenu à infiltrer de larges pans du mouvement altermondialiste et de l’économie sociale et solidaire, notamment via sa banque, la Nef, avec laquelle Attac par exemple entretient un lien de partenariat. Or, Attac fait partie des organisations qui demandent les autorisations préfectorales pour Nuit Debout. Alternatiba, mouvement écolo illuminé, ombre symétrique « de gauche » des très droitiers Colibris, participe à la commission communication de Nuit Debout. On retrouve également l’anthroposophie dans les villages Alternatiba, à travers la Nef ou la biodynamie.

D’autres mouvements sectaires sont présents dans l’entourage des Colibris : Mathieu Labonne, directeur de l’association, est ainsi également coordinateur du Centre Amma France. Sur le site de Kaizen, on trouve aussi de nombreuses vidéos du gourou Sri Sri Ravi Shankar. On retrouve aussi le nom de Cyril Dion et celui d’Isabelle Desplats, une de leurs formatrices, comme participants à un forum de l’Université intégrale qui a eu lieu le 19 février 2011. La même Desplats est formatrice en Communication NonViolente, une méthode de résolution des conflits se situant entre management ultra-moderne et dérives sectaires. En novembre 2016, Rabhi participera au « Forum A Ciel ouvert« , une émanation du mouvement sectaire Terre du Ciel. Enfin , les Colibris sont aussi les promoteurs d’une autre méthode de management profondément anti-syndicale, la sociocratie, dont certains cadres interviennent auprès des écoles Waldorf-Steiner, qui elles, constituent le système éducatif de l’anthroposophie.

Quant au film Demain, qui est en fait une opération de propagande des Colibris, outre Pierre Rabhi, il a à l’affiche Vandana Shiva, une « philosophe » indienne mystique très populaire chez les anti-OGM. Signe de sa profondeur subversive, l’avant-première de ce film a eu lieu en ouverture de la Cop 21. Cyril Dion, interviewé par le site d’extrême droite le Cercle des Volontaires à la sortie de la projection à Nuit Debout, a exprimé sa satisfaction : « Ce sont les organisateurs (ou plus précisément une partie des organisateurs de Nuit Debout) qui nous ont contactés et nous ont demandé si on voulait bien projeter ce film ici, en nous disant que c’était certainement un bon endroit pour faire des propositions qui participent à changer la société, qu’il y avait l’air d’y avoir une envie commune de réinventer un certain nombre de choses. Nous, on a fait ce film pour qu’il soit un outil, pour les gens s’en servent, donc on l’a projeté dans plein d’endroits différents : on l’a projeté à l’ONU à New-York, on l’a projeté pour les élus de la Mairie de Paris, on l’a projeté dans des salles des fêtes, dans des écoles. Donc pourquoi pas ici ! » Nul doute qu’il s’est senti chez lui, d’autant que parmi les organisateurs, quelques jours avant, Fakir avait organisé à Amiens un « Réveil des betteraves » dont l’appel avait été co-signé par… les Incroyables Comestibles, dont les collectifs sont aussi liés à la sphère Rabhi.

Ce qui est clair, c’est que la commission Climat de Nuit Debout Paris est remplie de mystiques et d’analyses pseudo-scientifiques. Le 8 avril, elle même organisé une séance de méditation collective ! Sur Nuit Debout, ont également été reçus des agriculteurs biologiques à l’occasion de leur congrès national, alors même que la Fédération nationale d’Acgriculture biologique (Fnab) est présidée par une biodynamiste. La Confédération paysanne est aussi intervenue, alors qu’elle non plus n’est pas totalement à l’abri de ce type de dérive.

A noter enfin que depuis la publication initiale de cet article, certains à Nuit Debout envisagent de rencontrer Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement dans le gouvernement anti-social d’Alain Juppé et qu’on retrouve régulièrement en soutien à des initiatives et analyses écologistes se caractérisant par leurs bases pseudo-scientifiques. Mais le fait qu’elle soit aujourd’hui favorable à une « primaire citoyenne » semble suffisant pour que des militants de Nuit Debout la trouvent intéressante et proposent à l’AG parisienne de la rencontrer (compte-rendu d’AG du 29 avril). De même, le film En quête de sens, autre production largement soutenue dans les Colibris et dont une des héroïnes est Vandana Shiva, devrait bientôt être projeté.

La commission SDF

Le 18 avril, la commission SDF a fait cette déclaration hallucinante : « Mauvaise nouvelle, le SDF agressé vendredi soir par des CRS est entre la vie et la mort. Cependant il ne faut pas mettre tous les policiers dans le même panier. Certains aident les SDF. Ne pas jeter les sandwichs non terminés à la poubelle mais en faire don à un SDF, restituer les repas non terminés au restaurant. Note que de plus en plus de personnes se préoccupent des SDF.« On atteint là un degré rare d’ignominie. Outre la relativisation des violences policières, le plus scandaleux est cet appel à nourrir les SDF avec nos restes, plutôt que de leur proposer une nourriture digne, et ce alors même que Nuit Debout dispose en principe d’une cuisine autogérée à prix libre. Quelle honte ! Qu’en pense le Dal ?

L’ARS-Combat

Depuis la publication initiale de cet article, on nous a signalé la présence du groupuscule trotskyste ARS-Combat au sein de la commission Accueil et Sérénité (service d’ordre) de Nuit Debout.

Or, ce groupe s’est illustré par des prises de position contre l’adoption d’enfants par des couples homosexuels. Dans un article publié pendant l’hiver 2012-2013, en pleine offensive de la Manif pour Tous, l’organisation écrivait dans son journal : « Mais les associations qui ont choisi de se battre pour la reconnaissance du mariage des couples homosexuels posent dans leur majorité la question de l’adoption pour ces mêmes couples. Et sur ce point, il faut affirmer, face aux furies d’un égalitarisme caricatural et borné, que ce n’est pas être homophobe que de poser la question, à notre tour, de l’impact psychologique et affectif sur l’enfant élevé par un couple homosexuel. Car si la famille a toujours évolué, il n’y a jamais eu à notre connaissance de familles constituées de membres d’un seul et même sexe. Et avant le « droit à l’enfant », il y a ceux DE l’enfant…

La grande majorité des études menées sur le sujet aujourd’hui concluent qu’il n’y a pas de différences significatives pour les enfants élevés par des couples homosexuels. Cependant, d’une part le recul dont nous disposons est faible, et de l’autre les biais dans ces études sont nombreux et reconnus. Entre autres, la taille des échantillons extrêmement réduite, ou encore le fait que les couples des échantillons soient fournis le plus souvent par certaines associations militantes homosexuelles partisanes. Nous sommes donc en droit et en devoir d’exiger la prudence en la matière et la réalisation d’études rigoureuses, conséquentes et non biaisées. Nous pouvons aussi considérer les nombreuses études qui ont démontré l’impact négatif de l’absence du père sur le développement de l’enfant. »

On le voit, il s’agit là d’un argumentaire (avec y compris la référence aux « associations militantes homosexuelles partisanes ») très proche de ceux de la Manif pour Tous sur ce sujet. Or, l’un de leurs adhérents de l’époque, exclu depuis, ne s’y était pas trompé, puisqu’il avait carrément pris la parole lors des manifestations organisées par Frigide Barjot.

Webmasters, vidéastes, artistes et activistes maison

Le profil sociologique des webmasters et vidéastes de Nuit Debout ne laisse aucune place au doute quant aux intérêts de classe qu’ils défendent. Le nom de domaine Convergence-des-luttes.org a ainsi été déposé par Séverine Aillaud, consultante pendant sept ans chez le marchand d’armes Thalès après quelques missions pour la Société générale et fan d souverainiste britannique anti-migrants Nigel Farage, tandis que nuitdebout.fr est géré par un proche de Benjamin Ball, Baki Youssoufou, entrepreneur dans la communication de son état, qui a fait ses débuts militants à la Confédération étudiante (la CFDT des facs) et que le wiki associé est lui géré par Sarah Kilani, journaliste à Ballast, qui affiche sur Facebook des sympathies pour les Citoyens constituants et certains sites conspirationnistes et qui laisse s’exprimer Anthony Rêveur, haut cadre des Gentils Virus d’Etienne Chouard. Quant à Rémy Buisine, le réalisateur des directs sur Périscope, il a auparavant été « Community manager sur les radios Ado, Voltage et Latina, il est même invité, mardi 5 avril, sur le plateau du « Grand journal » de Canal+ aux côtés d’Olivier Besancenot et Miguel Urban Crespo, député européen du parti espagnol Podemos« , indique FranceTV Infos. Enfin, selon Arrêt sur Images qui suit et soutient le mouvement, les inventeurs de Radio Debout sont deux professionnels de Radio France, tandis que TV Debout est l’oeuvre du très relou Xavier Renou.


Xavier Renou, sa Boutique militante et son AlterJT

Sa légende veut qu’il ait commencé à militer à 12 ans et demi. Véritable entrepreneur du spectacle militant, Xavier Renou, le chef des Désobéissants (traduction française du mouvement italien inspiré par Negri), compte tellement de casseroles à son actif qu’il était parvenu dans les années 2000 à lasser jusqu’à Greenpeace et José Bové, mais à séduire le très subversif Wall Street Journal.

Un temps mis sur la touche suite au fiasco du contre sommet anti-Otan de 2009, Renou n’a pourtant jamais vraiment déposé les armes, passant d’un business militant à l’autre. Aujourd’hui, grâce à François Ruffin qui l’a mis au générique de son film et à Frédéric Lordon qui l’accompagne pour combattre les banques, il effectue son grand retour sur le devant de la scène militante.

Sa Boutique militante constitue sans nul doute le plus grand stand de la place de la République et une occasion en or de faire connaître ce qui n’était jusque là qu’un petit commerce en ligne. L’AlterJT, sa webTV est l’autre volet de ce retour en grâce. Sur la place de la République, une webtélé diffuse des débats, rend compte de l’évolution du mouvement. En lui offrant ses services de présentateur et en mettant à sa disposition les moyens logistiques de l’AlterJT, Xavier Renou a trouvé un nouveau joujou : TV Debout.

Pourtant, notre homme, qui a fait ses débuts militants au Scalp et à Ras le Front tout en étudiant à Sciences Po et Assas, n’a pas changé de ligne politique depuis 2009. Il suffit pour s’en rendre compte de visiter les sites de la Boutique militante (qui vend ses produits à République) et de l’AlterJT. Au catalogue de la première, de quoi ravir la complosphère : vente de produits Europalestine, nombreux livres du catalogue des éditions Demi-Lune (dont Webster Tarpley, Peter dale Scott ; Christophe Oberlin), le célèbre film Loose Change, le fameux Israël, parlons-en de Michel Collon, les DVD fiévreux d’Inform’Action, mais aussi d’authentiques théoriciens d’extrême droite : David Cronin, Gilles Lartigot et le « marxiste » proche de la Nouvelle Droite Denis Collin. Au catalogue également, de quoi ravir la sphère écolo-mystique : Vandana Shiva, Marie-Monique Robin, Pièces et Main d’Oeuvre… sans oublier un catalogue très complet de livres édités à la Fabrique, par Les Mutins de Pangée, Fakir ou Acrimed ou un livre d’André-Jacques Holbecq préfacé par Etienne Chouard, et même un livre de l’historien stalinien Domenico Losurdo, le tout noyé sous un fatras de références altermondialistes.

Enfin, les méthodes de Xavier Renou sont toujours aussi contestables. Outre sa propension à s’auto-proclamer porte-parole ou médiateur auprès des médias et des flics quand personne ne l’a mandaté pour, on peut aussi s’interroger sur l’usage faits des bénéfices de la Boutique militante, qui sont censés être reversés à diverses organisations. En effet, la réponse à cette question sur le site est plutôt vague : « Une fois payés les coûts de fonctionnement du site Internet et les fournisseurs des articles que vous nous avez commandés, votre argent servira à financer les luttes : actions, procès, caisses de grève et appuis divers (matériel, transport…). Entre autres, vous contribuez au fonctionnement de l’alterJT », indique la FAQ sans préciser quelles luttes bénéficient de ces apports.

La page « A propos » du site est plus claire :« En achetant ces articles, vous contribuez au fonctionnement de différents projets (alterJT) et collectifs (les désobéissants, Roundup non merci, Non au missile 51, etc.) », soit uniquement des projets gérés par ou liés à… Xavier Renou, pour certains complètement endormis sinon morts (Non au Missile M51) quand ils ne sont pas largement virtuels (Collectif Round Up Non Merci). Les chèques étaient d’ailleurs à adresser jusqu’à il y a quelques jours (et le sont toujours si l’on en croit la page « paiement sécurisé ») à l’ordre « Campagne M51« , soit le compte bancaire de la campagne contre le missile M51 qui a été confisqué à son profit il y a quelques années par le grand gourou des Désobéissants. Désormais, c’est via le compte de la Boîte militante, l’association qui gère la boutique, que le business continue. En bref : Renou est parvenu à élever au rang de chef d’œuvre l’art de la récupération des luttes sociales.
Xavier_Renou_Les_Désobéissants

Benjamin Ball

Après les Indignés, on croyait là aussi en avoir fini avec cet autre personnage formé à l’école Renou et militant 2.0 qu’est Benjamin Ball, qui se définit lui-même comme (sic). Mais tel le phénix qui renaît toujours de ses cendres, chassez Ball par la porte, il reviendra par les égouts. Petit retour en arrière : après avoir fait ses débuts militants chez les Verts et à l’Unef, Ball est arrivé à Paris dans les bagages d’Augustin Legrand et de ses Enfants de Don Quichotte. Il a aussi milité au MRC, dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012, à Attac et apporte régulièrement sur les réseaux sociaux son soutien à la banque anthropsophique la Nef.

Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec son pote Grégory Parsqueille (devenu depuis représentent de Pegida dans le Nord-Pas-de-Calais et militant néo-nazi), il n’a cessé de faire de l’agit-prop en région parisienne. Le duo s’est fait connaître avec le No Sarkozy Day (qui a tété largement plébiscité par certaines composantes du FN) puis, quand le mouvement des Indignés à émergé, il s’est très vite arrangé pour le prendre en main à son profit, contribuant de manière majeure à y introduire fascistes et conspirationnistes. L’un des soraliens actifs alors, Yann Sarfati (qui serait depuis passé à la Dissidence de Vincent Vauclin), est comme par hasard réapparu place de la République il y a deux semaines, alors qu’on n’entendait plus parler de lui depuis des années.

Autre fait d’armes du binôme Ball/Pasqueille : la récupération et la casse du mouvement de surveillance des violences policières Copwatch. Alors que les militants anonymes de ce mouvement ainsi que les médias militants diffusant leurs images étaient mis sur la sellette par le ministère de l’Intérieur, nos deux clowns n’ont rien trouvé de mieux à faire que de créer un site parasite, Copwatch.fr, et d’apparaître dans plusieurs grands médias s’exprimant au nom de Copwatch, alors qu’ils ne participaient à aucune action de ce type et se contentaient de faire sur leur site des copiés/collés de compte-rendus faits par d’autres avec, comble de l’obscénité, un appel à don à leur profit.

Résultat : des militants mis en danger et des initiatives complètement tuées dans l’œuf, pour le plus grand bénéfice de l’Etat qui cherchait alors à en identifier les auteurs (notons que Ball et Pasqueille, qui s’en revendiquaient, n’ont cependant jamais été inquiétés, au contraire par exemple d’Indymedia Paris). Copwatch.fr, le site créé par eux, a par la suite été transformé par Pasqueille en plateforme de défense de la Manif pour Tous et de Jour de Colère, avant d’être repris par un proche de Xavier Renou qui l’a refait à neuf. Il faut dire que le rapport aux flics que défend Ball est assez particulier. Voici ce qu’il déclarait en 2012 à la fin d’une manifestation d’Anonymous : « Je dois vous dire que nous pouvons marcher en direction du ministère de la culture. Si vous le voulez ! Néanmoins, nous sommes arrivés au point de dispersion de la manifestation. Ce trajet supplémentaire n’a pas été déclaré en Préfecture ! Si nous l’effectuons, les gendarmes mobiles interviendront pour nous en empêcher. Anonymous est un mouvement non-violent. Nous ne devons pas aller à l’encontre des forces de l’ordre. »

Une autre fois, c’est une initiative antifasciste que Ball et Pasqueille ont tenté de parasiter en avril 2011, cette fois au profit de la droite gaulliste : « Finie la droite républicaine et le Gaullisme social, regrettaient-ils alors. La mode chez une bonne partie des sarkozystes, c’est la droite populaire ! Retour des anciens d’Occident, d’Ordre nouveau et du Club de l’Horloge, la bande à Devedjian, Longuet, Guéant, Hortefeux, Estrosi, Mariani et Ciotti remettent au goût du jour les alliances entre la droite populaire et la droite extrême, laissant la droite républicaine et le centre droit de coté. « 

Pour Benjamin Ball, qui vit décidément sur une autre planète, il faut négocier avec l’extrême droite, les flics, les curés et les patrons : « C’est ma vision de la mobilisation. Il n’y a pas d’ennemis de classe. Le flic, le curé, le patron, et même le facho sont des êtres humains. C’est sûr, il faut écrire en très gros et crier très fort qu’on est contre les idées d’extrême droite. Après, si les mecs viennent quand même, et qu’on arrive à leur faire accepter que l’avis des sans-papiers compte autant que le leur, j’estime que c’est une victoire sur le fascisme. » Lui-même ne manque pas d’appliquer ces préceptes, accordant des interviews à Independenza WebTV ou au Cercle des Volontaires.

Malgré un passage à Nouvelle Donne dont il a été salarié lors de la dernière campagne des Européennes et au conseil d’administration de Bio Consom’Acteurs ou d’Artisans du Monde, Ball est resté relativement discret ces deux ou trois dernières années. Il est réapparu lors de la Cop21 au sein d’un collectif « Jedi for Climate » qui affichait sans vergogne un slogan anti-« banksters » :

Il participe en ce moment à la campagne Laprimaire.org et est salarié de la Boîte militante, l’association de Xavier Renou qui gère la Boutique militante. Mais comme c’était encore trop peu. Nuit Debout constitue pour lui une véritable opportunité : ni une, ni deux, il s’est engouffré dedans pour tenter de se refaire une virginité politique. Il est donc apparu sur France Inter comme porte-parole du mouvement, et c’est un de ses complices qui a déposé le nom de domaine Nuitdebout.fr, Baki Youssoufou, avec qui Ball avait déjà fondé le site de pétitions en ligne WeSignIt. Flairant la bonne affaire, une acolyte de Youssoufou, Noémie Tolédano, a déposé le domaine au nom de son entreprise de communication, Raiz.fr, dès le 1er avril au matin, et a ouvert dans la foulée le compte Twitter associé. Si le statut de ces deux personnages est contesté par certains fondateurs de Nuit Debout, reste que Xavier Renou, qui emploie Benjamin Ball, est lui omniprésent sur la place. Dès lors, rien d’étonnant à ce que ses disciples le suivent. D’ailleurs, Ball s’est encore exprimé lors du meeting fakirien du 20 avril.


Julien Bayou

De cette mouvance, est également présent et actif à Nuit Debout Paris l’indécrottable Julien Bayou. Aujourd’hui porte-parole d’EELV, ce carriériste a fait ses débuts à Jeudi Noir et Génération précaire. Pour lui, la lutte c’est aussi et surtout une occasion de se faire valoir, voire de faire de l’argent.


Un imaginaire graphique peu original

Le moins que l’on puisse dire est que Nuit Debout manque singulièrement d’imagination niveau slogans. Entre Frédéric Lordon qui plagie Mao en affirmant que « la révolution n’est pas un pique-nique » et des reprises de slogans d’il y a presque cinquante ans, l’esprit de Mai-68 semble planer sur la place de la République, mais sans la rage. On reprend des slogans inventés en 2009, pendant la lutte contre le CPE, par des graphistes intimement liés au Parti communiste depuis les années 1970, à savoir Gérard Paris-Clavel et le collectif Ne Pas Plier, auteurs véritables des slogans « Rêve générale », « Préavis de rêve » et « Joyeux bordel » qu’on voit resurgir à Nuit Debout, et qui étaient accompagnés à l’époque d’un autre slogan, qui n’est pas sans rappeller le nom de l’événement en cours : « Utopiste debout ».
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Rigolos de prime abord, les autocollants et affiches de Paris-Clavel et de ses héritiers ont cependant le défaut de lisser les conflits sociaux : avec eux la grève devient rêve, et la lutte juste un truc « classe ». Paris-Clavel, outre le fait d’avoir réalisé nombre d’affiches pour le PCF et ses succursales, est aussi le principal auteur des chartes graphiques de la revue Actes de la Recherche en Sciences Sociales fondée par Pierre Bourdieu, du site de la maison d’édition bourdieusienne Raisons d’Agir, de l’association de précaires Apéis, et même… de la Scop Le Pavé ! Aujourd’hui, ce sont ses jeunes disciples qui prennent la relève avec leurs « Rose promise, chômdu » ou leurs « Un poing c’est tout » et qui réalisent les principaux supports de communication de Nuit Debout.


Les médias qui soutiennent Nuit Debout

Si le grand capital a sa langue de bois, ses médias dominants et ses « petits soldats du journalisme », il en est de même du côté de la gauche alternative. Ceux-ci se nomment : Politis, Reporterre, Là-bas si j’y suis, Arrêt sur Images, Fakir, Acrimed, L’Humanité, Le Monde diplomatique, Regards, Bastamag, Mediapart, Siné Mensuel, Bellaciao, Usul, Ballast, Le Comptoir, Frustration, Lundi AM… tous unis dans la défense des Nuits Debout, dont ils assurent le service après-vente. On a là les traditionnels, issus du mouvement altermondialiste : l’association de critique des médias Acrimed, qui vient de fêter ses vingt ans, le journal Politis, Là-bas si j’y suis ou Le Monde diplomatique, mais aussi, à la marge, le site web conspirationiste-néostalinien Bellaciao. Viennent ensuite les héritiers de cette première mouvance : Fakir et sa ligne social-chauvine confusionniste, les écolos-mystiques de Reporterre, un catholicisme à cheval entre la deuxième gauche et la droite radicale ou de Bastamag, en partie financé par des fondations liées à l’anthroposophie, ce qui explique sans doute les publireportages récurrents à la gloire de l’anthroposophe Pierre Rabhi. Enfin, les derniers nés du secteur : les revues et sites web Ballast, Le Comptoir ou Limite qui entendent faire dialoguer ensemble réacs de droite, réacs de gauche et libertaires égarés, ainsi que Frustration, une revue au programme fascisant, ou encore Lundi AM, qui navigue entre autonomisme, situationnisme et éloge de la police en servant de caution radicale à la maison d’édition opportuniste La Fabrique. Mentionnons aussi le YoutubeurUsul, passé de la chronique de jeux vidéo à la chronique politique, notamment sur le journal de cadres le Nouvel Obs, qui quant à lui assure une promotion d’enfer à des illustres comme Chouard, Friot, Lordon… et qui a été récemment invité par Acrimed pour ses vingt ans. L’Humanité et Regards en tant qu’organes de presse du PCF, se situent un peu à part, de même que Siné Mensuel, dont la ligne oscille entre presse dominante et tonalité militante. En revanche, depuis qu’il a dû quitter la télévision et qu’il s’est lancé sur Internet, Daniel Schneidermann est devenu fréquentable pour toute cette mouvance, de même qu’Edwy Plenel, depuis qu’il n’est plus au comité de direction du Monde. Aujourd’hui, Arrêt sur Images et ses satellites ainsi que Mediapart en font beaucoup pour Nuit Debout.

Arrêt sur Images

Arrêtons-nous un peu sur Arrêt sur Images. La mouvance altermondialiste, Acrimed en tête, n’a jamais pardonné à Schneidermann le traitement de Pierre Bourdieu jusqu’à ce que, chassé de France 5, il lance Arrêt sur Images comme un média alternatif et invite Acrimed en 2010.

Pourtant, pas plus qu’à la télévision où il a contribué à lancer les carrières de la négationniste Béatrice Pignède et de l’ultra-réactionnaire Elisabeth Lévy, Schneidermann ne fait pas preuve sur Internet d’une grande acuité s’agissant du choix de ses invités et collaborateurs. Sur son plateau ont ainsi défilé à l’été 2012 Etienne Chouard, Franck Lepage et Pierre Rabhi puis, au moment de l’affaire de la « quenelle » début 2014, un stagiaire dieudonniste.

Judith Bernard

Parmi ses collaborateurs et collaboratrices, saluons les efforts constants de Judith Bernard, militante du M6R mélenchonien, pour porter haut les couleurs de la confusion politique, en particulier sur son site Hors-Série, qui est une sorte de succursale d’Arrêt sur Images.

Alors que sur son profil Facebook, c’est open-bar pour les fachos (Sylvain Baron et le Cercle des Volontaires y prospèrent), elle s’est illustrée depuis le lancement de son site Hors-Série – avec le soutien d’Arrêt sur images – par sa propension à recevoir sur son plateau les pires réactionnaires, en particulier Jean Bricmont ou encore le proche de la Nouvelle Droite Olivier Rey.

On peut également mentionner l’invitation de l’entarteur Noël Godin, dont l’obsession béhachélienne pose vraiment question, connaissant son passé d’extrême droite. Ses actions contre le philosophe à chemise blanche, véritable tête de turc des antisémites de tous poils auxquels nos altéreux offrent des arguments de poids par la fixette qu’ils font sur lui, sont d’ailleurs encore aujourd’hui saluées par son ancien camarade du Parti Communautaire Européen et de Jeune-Europe, Luc Michel qu’il a fréquenté dans les années 1960.

Quoi qu’il en soit, Nuit Debout offre à Judith Bernard une occasion de nous donner à voir un festival de nationalistes et d’identitaires de gauche, de François Ruffin à Houria Bouteldja (qui a profité de l’invitation pour exprimer toute l’estime qu’elle a pour Frédéric Lordon). Elle avait d’ailleurs enregistré quelques temps avant une émission avec Lordon et Eric Hazan, le directeur de La Fabrique qui édite les Indigènes de la République, le Strass (dont la porte-parole Morgane Merteuil s’est également exprimée sur le plateau de Judith Bernard) ou le Comité invisible de Julien Coupat, le tout servi réchauffé le lundi am par Mathieu Burnel.

Metteuse en scène des pièces de Lordon à qui elle semble vouer un véritable culte, Bernard, après s’être mobilisée quelques semaines avant pour la survie d’un bar restaurant haut lieu de rencontre des altéreux de tout poil et studio d’enregistrement des émissions de Daniel Mermet, a trouvé un nouveau combat : Nuit Debout. Pratique pour elle en plus : c’est quasiment en bas de chez elle, plus besoin de prendre le métro pour aller faire la fête !

Notons que si les critiques « radicaux » des médias dénoncent les journalistes multicartes et les connivences dans la grande presse capitaliste, en revanche, ils se gardent bien d’analyser les mêmes phénomènes quand ils ont lieu chez eux. Par exemple, que penser de Laura Raim, la journaliste qui a reçu François Ruffin sur le plateau de Judith Bernard, tout en étant en même temps journaliste à Regards pour qui elle couvre Nuit Debout mais aussi… au Monde diplomatique, dont les liens avec le réalisateur de Merci patron ! sont étroits et qui héberge le blog de Frédéric Lordon ?

Acrimed

Si Acrimed et consorts tirent depuis leurs débuts sur les mêmes ambulances (qu’à part eux et quelques journalistes personne ne prend plus au sérieux) tels que BHL, partageant en cela une thématique commune avec Alain Soral sans que cela lui pose plus de questions (pas l’impression de servir la soupe à l’extrême droite, Acrimed ?), en revanche, ils n’émettent jamais la moindre critique quand se sont leurs amis qui dérapent. Rien sur les publications extrême droitières de Reporterre (il faut dire qu’Acrimed partage le plateau de Mermet avec Hervé Kempf), pas grand chose sur Michel Collon (dont il est même fait une promotion discrète), rien sur la sympathie de Bernard Langlois (ex-Politis) pour l’idéologue d’extrême droite Alain de Benoist.

Par contre, on juge urgent de défendre face aux médias dominants Tariq Ramadan, le CCIF, le Hamas ou le régime iranien avec des arguments souvent fallacieux, en reprochant par exemple aux médias de donner une mauvaise image du Hamas quand ils reprennnent… les propres images de propagande du Hamas (Julien salingue, 18 décembre 2014) ou en affirmant qu’il est faux de dire que les concerts sont interdits en Iran, ils sont juste très difficiles à organiser (Julien Salingue, 1er février 2016). Les musiciens exilés ou emprisonnés apprécieront… Notons qu’en 2012, Acrimed avait pris la défense du « petit candidat » Jacques Cheminade contre Jean-Michel Apathie, sans rien dire du caractère sectaire et fascisant de son organisation, Solidarité et Progrès (Julien Salingue, 3 février 2012).

L’association de critique des médias accueille toujours en son sein Laurent Dauré, cadre de l’UPR, qui animait encore son stand sur la manifestation du 9 mars. Acrimed est cet ovni politique dans lequel des figures de l’aile droitière du NPA (Julien Salingue, Ugo Palheta) peuvent tranquillement deviser avec un militant ultradroitier, pas gênés par le fait que celui-ci ait livré à son parti l’identité de l’une de leurs anciennes camarades au sein d’Acrimed et militante antifasciste, pas gênés non plus par le fait que ce soit elle qui se soit fait virer de l’association pour avoir mis en cause Le Grand soir et l’UPR, et non Laurent Dauré, dont on se demande pourtant en quoi les valeurs du parti qu’il défend sont compatibles avec la ligne « gauche de gauche » prônée par Acrimed.


Pierre Carles

Parmi les projection prévues, DSK, Hollande, etc. de Julien Brygo, Pierre Carles, Nina Faure et Aurore Van Opstal. Il est inutile de rappeler la prise de position « anti-antifa » de Pierre Carles, qui lui aussi appartient à la sphère Acrimed-Monde diplo–Fakir, au moment de la mort de Clément Méric, quand il a trouvé le moyen de trouver des excuse à ses meurtriers au prétexte de leur appartenance aux classes populaires. Quant à Aurore Van Opstal, ancienne collaboratrice de Michel Collon, elle fut aussi une proche du dieudonniste belge Olivier Mukuna.

Pierre Carles a pris part à un projet de film, Demokratia, dans lequel apparaît également Étienne Chouard, et qui est justement projeté dans plusieurs Nuit Debout de province. Youlountas lui a donc demandé : « pourquoi acceptes-tu de participer actuellement à un documentaire qui fait la promotion d’Etienne Chouard ? On est nombreux à se poser la question. » Peu convaincu par la réponse alambiquée du réalisateur qui a repris l’article de François Ruffin, « l’air du soupçon », le philosophe militant a conclu : « la réponse est très claire : Pierre Carles n’es pas d’accord avec la présence de Chouard à ses côtés, mais il accepte quand même de se laisser faire par charité chrétienne, considérant les réalisateurs trop faibles physiquement pour retoucher leur montage. Chacun sa façon de lutter. »


Usul ou le dandysme du crotskisme

Usul, simple Youtubeur ayant recyclé ses fans de jeux vidéo vers des portraits de personnages qu’il estime importants, est symptomatique de la période, une époque où la forme semble avoir pris l’avantage sur le fond. Et à ce jeu, Usul s’improvisant en Tintin reporter, semble se délecter à parcourir les poubelles de la toile et qui, non content de garder pour lui toutes ces merveilleuses trouvailles, s’astreint implacablement à faire partager ses errances au plus grand nombre. Là est toute la limite de la démarche du guide qui semble posséder un génie en creux, celui de déterrer tous les zombies politiques qui traînent ça et là.

A ce titre, comment ne pas évoquer cette vidéo absolument lamentable de complaisance sur Chouard, et le petit texte rectificatif rétrospectif n’y change rien, puisque celui-ci est non seulement timide mais ajoute de la confusion à la confusion en laissant penser que l’antisémitisme puisse être seulement à l’extrême droite. Avec pareil précepteur, Etienne Chouard, authentique professeur foldingue s’appliquant, armé d’une minutie compassionnelle tout à fait remarquable, à bourrer de ouate la cervelle de ses auditeurs endoloris, a du souci à se faire ! C’est une suppression pure et simple de vidéo qu’il aurait fallu assumer car c’est le projet du tirage au sort et les références historiques qui sont fascisantes. Avec Chouard, la démocratie glisse vers une aristocratie produisant ses propres super-électeurs, ceux bénéficiant de cadres et de patrimoines sociaux suffisamment amples pour entrer en campagne au but d’être tirés au sort. Car avec le projet de Chouard, tout le monde n’est pas susceptible d’être tiré au sort, la chance ne s’offre qu’à ceux qui la réclament, selon un précepte finalement, lui aussi, très religieux.

Cette vidéo est typique de notre époque, égotique, autocentrée et de la dépolitisation qu’elle produit. En voulant se distinguer de l’idiot dieudonniste « Minute Papillon« , il ne fait finalement que servir une soupe pas si éloignée, et l’extrême droite est ravie d’avoir fait une si belle prise. A noter d’ailleurs sa vidéo ambiguë sur la réactionnaire Elisabeth Lévy, dans laquelle, sous couvert de la critiquer, il relaie abondamment sa parole et la rendrait presque sympathique à force de la commenter sur un ton badin.

Quant à celle sur Besancenot, quel carnage….

Tout d’abord, le tintin néohippie possède une pensée moyennisée de classe moyennisée pour qui la lutte de classes restera toujours un mystère. Il ne voit la politique que par le prisme des élections. Pour lui, et il le dit, la politique est déjà affaire de carrière, de parlement et d’études marketing. Bizarrement, Usul critique Besancenot, mais il est fondamentalement sur la même ligne, qui consiste à vouloir élargir la base militante et électorale en faisant des concessions programmatiques au réformisme. Ainsi, même s’il ne donne pas de consignes, le NPA appelle en général à mettre la droite en échec au 2nd tour des Présidentielles, ce qui revient à choisir le camp du PS, dont le programme n’est pourtant plus de gauche depuis bien longtemps.

« Karl Marx ne connaissait pas internet ». La belle affaire… Il ne connaissait pas non plus la machine à pain ou encore l’avion à réaction. Par contre il savait que tout ce qui sortait d’une usine était une marchandise, et comme tel était issu d’un rapport de production – le capitalisme – qui s’appuyait sur l’extraction de la plus-value, et jusqu’à preuve du contraire, il en est toujours ainsi aujourd’hui.

« Trotsky n’a rien écrit sur le néo libéralisme. » Le néolibéralisme ne change rien de fondamental à la grille de lecture du capital. Il n’est qu’une forme de domination du capital fictif, un accessoire de plus pour repousser une inévitable crise qui se montrera plus dramatique que celle de 2008. Il n’a d’importance que pour les plus crédules qui s’imaginent que la solution à tous nos malheurs réside dans le fait de taxer les transactions financières.

Quant à la critique du travail et du chômage de masse, il n’y a rien à repenser du tout, il suffit de partager ce dernier entre toutes les mains disponibles, et ainsi disposer de temps supplémentaires pour la vie ! Ce qui fait le socle du marxisme, à savoir que le développement du capital constant – machine, productivité – permettrait à l’Humain pour la première fois depuis le début de l’humanité, de se voir libéré du fardeau du travail, est pour cet immonde ignorant de service un sujet sur lequel le marxisme n’a pas apporté de réponse…

Il n’y a bien entendu aucun nouveau « projet collectif » ou autre « utopie » à concevoir. Le Capital vit toujours de l’exploitation du travail, affame les masses, et l’impérialisme mène le monde à la barbarie. Le marxisme n’a que faire de l’illusion électorale. La révolution est un schisme qui bien souvent arrive sur le devant de la scène politique sans jamais prévenir personne. La classe ouvrière se remet lentement de la peste stalinienne, et occupera bientôt le devant de la scène, non pas parce que les pseudos « has been » font de cette dernière une religion, mais parce que les rapports de production capitalistes deviennent tôt ou tard intolérables pour la vie de chaque prolétaire. La crise économique et la façon dont elle a frappé de plein fouet la Grèce, avant tôt ou tard d’employer les mêmes méthodes ici-même en montre le parfait exemple.

Frustration/Ballast/Le Comptoir/Limite

Ballast, Le Comptoir, Limite : Le Comptoir, principal héritier de la revue réac de gauche Ragemag, les relie tous (voir échanges de liens entre leurs sites). Pendant que Limite et Ballast font semblant de n’avoir plus rien avoir à faire ensemble, Galaad Wilgos, animateur de Ballast, collabore au Comptoir et à Limite (il a écrit un article contre « l’immigrationnisme » dans le dernier numéro), tandis que Kevin « L’Impertinent » Victoire, animateur du Comptoir, collabore à Ballast et Limite. Du coup, ils réussissent le tour de force, par ce jeu de participations croisées, de s’adresser à « tous les camps » sans que personne n’y trouve rien à redire.
Galaad Wilgos avec ses amis branchouilles de l’Université libre de Bruxelles (ULB) au Bodega, où une soirée privée coûte 1200 euros à organiser. Wilgos porte des insignes corporatistes, signe d’un grand progressisme. Il est également le vice-président et rédacteur en chef du Cercle du Libre Examen (Librex) de l’université, dont Jean Bricmont et Michel Collon sont des invités réguliers. Enfin, c’est aussi un (ex ?) militant du Parti de Gauche. Contre "l’anti-France", Wilgos cite Michelet et prône un "patriotisme révolutionnaire", terme qui n’est pas sans rappeler une certaine "Révolution nationale" de triste mémoire...

Ballast

Ballast, qui édite une édition spéciale Ballast Debout, est une revue éditée par les éditions Aden, soutenues pour le premier numéro par les Ateliers de Création libertaires. Aden est une maison qui édite à la fois des auteurs libertaires et des staliniens. A son catalogue on compte par exemple l’hagiographe de Staline Domenico Losurdo et l’administrateur du Grand Soir Maxime Vivas. L’éditeur assume ce mélange des genres : « Ce qui me plaît, c’est d’avoir un catalogue essentiellement axé sur la critique de la société dans laquelle on vit, et cette société peut être critiquée de diverses façons. C’est ça qui est intéressant. C’est de se dire : le point de départ est tout ce qui bouge, disons, pour être simple, à la gauche de la social-démocratie, et on contribue ensuite à transformer ces idées en bouquins afin d’alimenter le débat comme le catalogue. »

De fait, Ballast a un objectif : faire dialoguer anarchistes et nationalistes de gauche, comme si les premiers avaient quelque chose à gagner au contact des seconds ! Alors même que le rapport de force n’est pas du tout en leur faveur. Depuis sa création, la revue s’est illustrée par des articles très discutables : sous couvert de critiquer Soral, elle lui a accordé le mérite du « charisme », avant de concéder l’existence de « groupuscules gauchistes hystériques » qui auraient, main dans la main avec Finkie, produit l’ascension inexorable de Soral (rien que ça), elle a interviewé le rappeur quenellier Médine, a dressé un portrait très complaisant de Jacques Vergès dans lequel il est à peine question de sa défense du nazi Klaus Barbie…

Frustration

Place de la République, nous avons pu découvrir également la revue Frustration, qui affiche sur son site un lien vers Le Comptoir et dont le n°0 avait été refusé il y a un an par Paris Luttes Info au motif de son « esthétique nazie » et de sa ligne politique difficilement définissable. Dans cette première mouture, les fondateurs de cette revue ne prenaient pas de gants, affichant de martiales couleurs rouge, noire et blanche et mettant en exergue une énorme citation de l’écrivain russe Edouard Limonov, connu pour être un acteur majeur du courant rouge-brun, ancien collaborateur de l’Idiot International et fondateur du parti national-bolchevique.
Pour Frustration, le "peuple" affronte deux ennemis (des "alliés objectifs" ?) : l"l’élite bourgeoise" d’un côté, les "marginaux" et autres "parias" de l’autre...
Pour Frustration, le « peuple » affronte deux ennemis (des « alliés objectifs » ?) : l »l’élite bourgeoise » d’un côté, les « marginaux » et autres « parias » de l’autre…

Depuis, la colorimétrie et l’esthétique sont moins évidemment fascisantes, mais le contenu reste le même. Si la revue a pour originalité de ne pas sembler s’opposer aux droits des migrants, des femmes ou des homosexuels (ce qui lui permet de faire des critiques opportunes d’Alain Soral ou d’Eric Zemmour pour se prémunir de toute accusation d’appartenance à l’extrême droite), son projet politique est cependant à l’avenant.

D’un point de vue économique, Frustration prône la généralisation des coopératives, ce qui équivaudrait selon ses auteurs à une sortie du capitalisme, comme si les coopératives n’étaient pas elles-mêmes des entreprises capitalistes réalisant d’ailleurs le comble du rêve libéral puisqu’elles reposent sur le principe de l’actionnaire salarié. Contre la précarité, Frustration prétend défendre le salariat (comme si les précaires ou les chômeurs sortait de son champ) car, accrochez-vous camarades anticapitalistes, il y aurait un « plan des élites pour une société sans salariés ».

Si l’idée à défaut d’être radicale a au moins le mérite de faire sourire tant elle est fantaisiste, beaucoup plus inquiétante est la vision que développe Frustration de la police et de l’armée. loin d’être contre la guerre, la revue estime au contraire quei »> « c’est aux citoyens de décider de la paix et de la guerre » car « La guerre des élites n’est ni patriote ni sécuritaire : elle est profitable pour elles ». Niant le rôle fondamentalement répressif de la police te de l’armée, Frustration estime que la répression des mouvements sociaux n’est qu’un détournement de leurs missions au profit de « l’élite » dirigeante, et que la création d’une « garde citoyenne » permettrait de pallier au mauvais usage qui est fait selon elle de ces services : « le Gouvernement détourne la question sécuritaire à ses propres fins, et les administrations chargées de la sécurité en France (police et renseignements…) fonctionnent mal. […] Un Gouvernement qui détourne la sécurité pour réprimer les mouvements sociaux […] n’est pas sécuritaire, mais laxiste », ose Frustration à propos de l’Etat d’urgence actuel.

La médiocrité des analyses de cette revue obsédée par le combat poujadiste du « peuple » contre les « élites » n’empêche pas Le monde diplomatique d’en faire régulièrement la promotion. Pourtant, non contente de développer un projet politique autoritaro-citoyenniste, l’équipe de Frustration est en plus malhonnête quant à son identité : « Bénévoles, nous ne sommes pas des militants politiques, pas des journalistes, pas des intellectuels, experts de rien du tout », proclame-t-elle sans honte. Pourtant son directeur de la publication Nicolas Framont et l’un de ses contributeurs Thomas Amadieu sont tous deux sociologues tandis que l’autre contributeur Thibaut Izard est lui diplômé de sciences cognitives à l’Ecole normale supérieure. On est loin de profils « pas intellectuels » et « experts de rien du tout »…

Limite

Si la revue écolo-catho Limite n’a pour le moment pas encore parlé de Nuit Debout, son directeur adjoint, le Veilleur Gaultier Bès, est allé y faire un tour. Très intéressé par le mouvement, Bès signale que des Veilleurs, cette branche jeune de la Manif pour Tous, participent à Nuit Debout. Interrogé par l’hebdomadaire catholique La Vie sur les points de convergence entre Veilleurs et Nuit Debout, voici sa réponse :

« Oui, j’en vois plein. Premièrement, comme les Veilleurs, Nuit debout est né suite à une réaction inattendue de la base, notamment des jeunes, face à un projet de loi. Ces projets de loi peuvent être qualifiés de libéraux. La loi Taubira était libérale au sens politique et culturel du terme. Le projet de loi El Khomri est libéral au sens économique. […] Bien entendu, il y a beaucoup de différences aussi. Les Veilleurs et Nuit debout ne mobilisent pas forcément la même jeunesse et on n’y trouve pas les mêmes catégories socioprofessionnelles, ni les mêmes horizons culturels et politiques. Cependant, je constate que beaucoup de Veilleurs participent à Nuit Debout. Ils considèrent que c’est une manière pour eux de continuer à veiller. J’espère en tout état de cause que Nuit debout rompra avec un certain sectarisme gauchiste, comme avec une certaine rhétorique utopiste, pour devenir un lieu de parole et d’action, une assemblée populaire d’où jailliront des alternatives conviviales et durables. »

Dans le très droitier Famille chrétienne, Bès répète : « Il y a un air de famille entre nous, c’est évident ! On se dit qu’ils font comme nous. Mais c’est nous qui, en réalité, avons emprunté à leurs rites. Nos soutiens ont parfois du mal à le comprendre. Mais les Veilleurs ont repris les codes des altermondialistes, notamment Occupy Wall Street à New York [un mouvement de contestation pacifique dénonçant les abus du capitalisme financier, Ndlr]. Les Veilleurs, ajoute Gaultier Bès, c’est une rencontre improbable entre les codes du scoutisme et ceux des altermondialistes. Il faut reconnaître notre dette. […] Je vois un désir de transformer la place publique en agora. La capacité de la jeunesse à dire non. Il y a un esprit de résistance commun. Chaque fois, un mouvement spontané en réaction à un projet de loi libéral-libertaire du gouvernement. Taubira / El Khomri, c’est pour moi le même combat ! D’un côté, l’ambition folle de changer la nature du mariage, et de l’autre, la volonté de bouleverser le code du travail au nom de la flexibilité. »

Au moment de son décès, mère Teresa avait ouvert 517 missions accueillant les pauvres et les malades dans plus de 100 pays. Ces missions ont été qualifiées de mouroirs par des médecins ayant visité plusieurs de ces installations à Calcutta. Les deux tiers des personnes fréquentant ces missions espèrent y trouver un médecin pour être soignées et l’autre tiers agonise sans recevoir les soins appropriés. Les médecins y observent un important manque d’hygiène dans les locaux, voire de l’insalubrité, une rareté de soins réels, un régime alimentaire insuffisant et l’absence d’antidouleurs. Ce n’est pas un manque d’argent qui est en cause – la Fondation mise sur pied par mère Teresa a amassé des centaines de millions de dollars – mais une conception particulière de la souffrance et de la mort : « Il y a quelque chose de très beau à voir les pauvres accepter leur sort, à le subir comme la passion du Christ. Le monde gagne beaucoup à leur souffrance », répond-t-elle aux reproches, rapporte le journaliste Christopher Hitchens. Et pourtant, lorsque mère Teresa a eu besoin de soins palliatifs, c’est dans un hôpital américain ultramoderne qu’elle les a reçus. Contact politique douteux et comptabilité obscure Mère Teresa était très généreuse de ses prières, mais plutôt avare des millions de sa fondation au regard des souffrances de l’humanité. Lors des nombreuses inondations majeures en Inde ou lors de l’explosion d’une usine de pesticides à Bhopal, elle offre ses prières ou des médailles de la Sainte Vierge, mais aucune aide directe ou monétaire. Elle n’a pas non plus de scrupules à accepter la Légion d’honneur et une bourse de la part du régime dictatorial des Duvalier en Haïti. C’est par millions que l’argent transitait dans les divers comptes bancaires des MC, mais la plupart des comptes étaient tenus secrets. – – – Pierre Rabhi et le mouvement réactionnaire Les Colibris : L’Anthroposophie avait figuré comme secte dans le rapport 2000 de la MILS (Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes en France) et dans le rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes. Bien que l’Anthroposophie ait été répertoriée comme une secte par les députés, ce classement a ensuite été annulé.

Jean-Claude Michéa

Ballast, Le Comptoir et Limite sont des fans absolus de Michéa, cet intellectuel réactionnaire défenseur du petit blanc qui se dit inspiré par George Orwell et inspire beaucoup Alain Soral, se définit tantôt comme socialiste, tantôt comme « anarchiste conservateur ». Tout comme Frédéric Lordon, Michéa est obsédé par ce que l’économiste appelle le « jacquattalisme ». Rappelons que la figure de Jacques Attali, tout comme celle de BHL, est une figure-repoussoir tant pour nos « critiques des médias » et nos partisans du repli national de « gauche » que pour les antisémites de tous poils. Un compte YouTube d’extrême droite, Jeremy Z, qui se réclame du Cercle Proudhon, vient de mettre en ligne plusieurs vidéos courtes mais éloquentes de Jean-Claude Michéa. Tous les poncifs utilisés par la droite radicale, mais aussi par toute une partie de la gauche souverainiste, y sont regroupés :

« L’idée que pour devenir un véritable citoyen du monde il faudrait rompre radicalement avec tous les enracinements particuliers qui nous définissent au départ de la vie – l’attachement à des êtres, à un lieu, à un quartier, à une culture, à une langue – est au coeur du système libéral. Il est clair que le Dogon du Mali aura toujours plus de chances de comprendre le berger mongol qu’un cadre du FMI dont le seul horizon culturel c’est la croissance illimitée dans un monde sans frontières. De ce point de vue, l’acte émancipateur pour le libéral c’est la délocalisation. Au fond il faudrait pour que l’humanité ait une chance de devenir une véritable humanité produire à la chaîne des Jacques Attali, transformer l’homme en être attalien qui, comme il s’en vante en permanence, consume sa vie entre deux aéroports avec pour seule patrie un ordinateur portable. C’est un mode de vie hors-sol das un monde sans frontières et de croissance illimitée que la gauche valorise comme le sommet de l’esprit tolérant et ouvert alors qu’il est simplement la façon typique de la classe dominante d’être coupée du peuple. Combien de kérosène coûte la réalisation d’un monde où chacun vivrait en nomade attalien ? »

Et Michéa de reprendre une citation de Rousseau justement mise en avant dans le n°0 de Frustration. Rousseau y critiquait ce qu’il appelait les « cosmopolites » de son temps, ce qui ne peut que plaire à nos réactionnaires, qui ne sont pas à un anachronisme prêt. Le but est ici d’instrumentaliser le philosophe des Lumières pour justifier l’emploi d’un vocable d’extrême droite, puisque « cosmopolitisme » est employé depuis le 19e siècle entre autres pour dénoncer les Juifs : « L’universel, c’est le local dans les murs, nous dit donc Michéa. On n’accède pas à l’universel en détruisant le local et en délocalisant, c’est en abattant les murs qui séparent les cultures locales. Et de ce point de vue, on comprend la mise en garde de Rousseau quand il nous disait : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin des devoirs qu’ils dédaignent accomplir autour d’eux. Tel philosophe se flatte d’aimer les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins. » Je pense que Rousseau a décrit là quelque chose de fondamental de la mentalité libérale, et notamment de la mentallité des libéraux de gauche et d’extrême gauche. » En fait, ce que défend ici Michéa, c’est « l’ethno-différencialisme », ce racisme new look promu par la Nouvelle Droite et qui consiste à dire que chaque culture doit cultiver ses différences à côté des autres, mais s’en s’y mélanger sous peine de perdre son identité. On retrouve aussi dans ce discours le thème de la « relocalisation » de l’économie, porté par tous les chantres de la « démondialisation », mais aussi par l’extrême droite décroissante, et qu’on retrouve au sein de la commission climat de Nuit Debout.

Dans une autre vidéo, Michéa s’interroge : « Quelle est la différence aujourd’hui entre un homme de gauche et un homme de droite sur le plan de la politique ? C’est que l’homme de gauche est rallié à l’économie de marché vaguement régulée, et que sa différence électorale il la jouera sur la légalisation des drogues, le mariage homosexuel, ou tel ou tel problème sociétal qui feront le plus grand plaisir des bobos du monde entier, des classes urbaines, sans dire d’ailleurs un mot en général de ces paysans qui composent presque la moitié de la planète et qui sont le grand absent des programmes de la gauche moderne. » S’étonner que la gauche française s’adresse en priorité à la population majoritairement urbaine qui peuple ce pays lorsqu’elle concourt aux élections, voilà qui est… étonnant. Il fallait bien être un génie de la trempe de Michéa pour le découvrir ! Plus grave est sa propension à servir la soupe aux homophobes de tous poils puisque, si on a retrouvé dans une certaine gauche souverainiste l’argument que le mariage pour tous était une mesure servant à masquer une absence de préoccupations sociales du PS, c’était aussi un argument majeur de la Manif pour Tous.

Soulignons pour finir que Michéa est l’inventeur du concept de « sans-papiérisme », abondamment utilisé dans la fachosphère pour taper sur les soutiens des migrants.

Illusions citoyennistes

L’ombre de divers théoriciens plane sur République, en même temps que leurs théories et pratiques fumeuses sont défendues par des nuitdeboutistes. Petit tour d’horizon, qu’on complétera utilement par la lecture de cet article.

Intellectuel depuis toujours lié au PCF, Bernard Friot militait à l’UEC en Mai-68, alors que le PCF et ses succursales (UEC, Humanité) se sont particulièrement illustrés par leur opposition au mouvement et leur soutien à sa répression, quelques mois après avoir soutenu l’occupation de Prague par les chars soviétiques. En Mai-68, l’UEC scandait « Au boulot les fils à papa » et arrachait et déchirait les drapeaux noirs.

Encore aujourd’hui, l’austère sociologue milite au PCF. Difficile donc de voir en lui un révolutionnaire. De fait, son système de salariat généralisé ressemble beaucoup par certains aspects à celui qui avait cours en Union soviétique, puisqu’il vise in fine à un contrôle total de l’Etat sur l’économie. Il ne peut en tout cas nullement s’agir d’une alternative au capitalisme, mais bien plutôt de la mise en place d’une forme de capitalisme d’Etat.

Les théorie loufoques de Friot sont bien significatives d’un argumentaire qui obtient aujourd’hui de plus en plus d’écho dans l’extrême gauche, y compris libertaire : une gestion alternative du capitalisme serait possible. Il suffirait ainsi de repeindre en rouge le salariat pour faire disparaître l’exploitation qui va avec d’un bon coup de baguette magique (et citoyenne)… Allons donc voir ça de plus près.Dans son entretien avec Etienne Chouard en juin 2013, Bernard Friot explique que revendiquer la retraite à 55 ans c’est revendiquer une seconde carrière avec un salaire à vie et pas « du loisir », car on est encore capable de produire à 55 ans. On est « enfin libre de travailler », le sociologue parle même de « bonheur de travailler librement ». Confondant travail au sens marxiste du terme et activités nécessaires à la vie Friot indique que « le travail est une réalité anthropologique décisive dont on ne peut pas être libéré, mais on peut être libéré du marché du travail ». Toujours dans cet entretien, il propose de financer les activités que l’on veut créer pour les retraités et d’organiser collectivement le soutien au travail des retraités. Ainsi, bien plus que le salaire à vie, c’est en fait le travail à vie que Friot semble vouloir instituer.

L’effet concentrationnaire du Capital a fini par produire deux classes irrémédiablement antagonistes, Bernard Friot, lui, veut en réinstaller quatre.

Dans cette société nouvelle (il faut le dire vite), les profits seraient versés comme cotisations servant à alimenter une sorte de caisse de sécurité sociale géante. Celle-ci verserait ensuite de façon inconditionnelle les salaires sont sur une grille de 4 niveaux de 1500 euros à 6000 euros liés au niveau de diplôme. En gros, un prolo niveau bac ou moins, touche 1500 euros, un ou une fonctionnaire à Bac +3 touche 3000 euros, une titulaire de master 2 est à 4500 euros et un docteur ou universitaire touche 6000 euros et comme par hasard Friot est prof de fac. Toujours bien pratique de s’inventer une nouvelle société sur mesure !

Du coup, dans ce système, il suffit d’avoir des diplômes pour gagner 3 ou 4 fois plus qu’un prolo de base, et en général les plus diplômés ne sont pas les fils de cantonniers ou les filles de mineurs, mais plutôt issus des couches supérieures les plus riches et diplômées. Dans la société capitaliste, le Capital permet à une classe minoritaire d’exploiter la classe majoritaire, dans la société de Friot…

Le 7 avril, Radio Debout a justement inauguré son antenne avec le Réseau Salariat, ce fan-club de Bernard Friot, entièrement dédié au culte du maître et de sa pensée. On a pu y entendre que « l’emploi empêche le travail », travail qu’il s’agit donc de sauver en le « libérant » (comment ? Ce n’est pas clair) de la contrainte de l’emploi (ou marché du travail). Face au problème des étudiants contraints de travailler pour payer leurs études (et qui travaillent souvent au détriment de ces dernières), il a été proposé de manière assez confuse à l’antenne de les « libérer de l’emploi » pour qu’enfin ils pissent vraiment travailler (étudier ?). de fait, l’idéologie friotiste est une idéologie moraliste, qui prône le travail plutôt que l’oisiveté, le travail comme vecteur de liberté.

A République, on aime le travail ! C’est la finance qu’on aime po. D’un côté une gentille économie réelle et de l’autre une méchante économie "financiarisee". D’un côté le travail, les cadres et les patrons, le peuple quoi, et de l’autre le méchant capitalisme de Tafta et de Bruxelles. Toi aussi, apprend le catéchisme qui te maintiendra en vie, les dents blanches et le poil soyeux.

A République, on aime le travail ! C’est la finance qu’on aime po. D’un côté une gentille économie réelle et de l’autre une méchante économie « financiarisee ». D’un côté le travail, les cadres et les patrons, le peuple quoi, et de l’autre le méchant capitalisme de Tafta et de Bruxelles. Toi aussi, apprend le catéchisme qui t’offrira… l’espoir.

Friot appelle sa proposition « le passage de la convention capitaliste à la convention salariale », car pour lui, le capitalisme est une convention sociale, pas un mode de production. Cette formule est un peu difficile à traiter sérieusement parce qu’elle semble vouloir dire que le capitalisme, c’est comme le système métrique : quelque chose qui à été institué à un moment donné, et qu’on peut rectifier pour le rendre plus efficace, par le biais de décret.

Pour citer un extrait de son livre L’enjeu du salaire :

« Toutes les institutions sont des conventions car elles sont le fruit de rapports sociaux ; ce sont des constructions sociales en permanence travaillée pragmatiquement par ces rapports et qu’une action collective peut faire évoluer dans un sens délibéré politiquement. »

C’est peut-être ici que l’on peut comprendre un des problèmes central du raisonnement de Friot : Le capitalisme n’est pas une convention. C’est un mode de production. La valeur possède une existence réelle, bien que nous sommes d’accord pour dire qu’elle n’a rien de naturelle ( voir à ce sujet les notions qu’est ce que la valeur & la force de travail). Certes elle est issue d’un développement social et historique, mais c’est la base du système capitaliste : pour la supprimer, il faut en finir radicalement avec ce système.

L’arnaque du Revenu de base, une autre idéologie du travail

Revenu_de_base_arnaque_Les_EnragésConcurrentes du salaire à vie friotiste, les revendications pour un revenu de base (ou revenu universel, ou encore revenu inconditionnel ou garanti) ont elles aussi leur place à Nuit Debout, où chaque option est discutée pour savoir laquelle serait la « meilleure ». Pourtant, si de prime abord cette idée peut elle aussi paraître séduisante, il s’agit là encore d’une arnaque.
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Tout d’abord, tous les libertaires qui relaient les analyses des partisans de ce type d’allocation devraient s’interroger : pourquoi en Finlande c’est un gouvernement d’extrême droite, de conservateurs et de libéraux qui entend le mettre en place ? Pourquoi l’idée est-elle si populaire chez les libéraux de tous poils, des Verts (ardents promoteurs du concept un peu partout en Europe) aux pires libertariens ? Même Christine Boutin, Alain Madelin ou Debout la France sont séduits par l’idée, tandis que Manuel Valls veut qu’il soit débattu en vue de 2017.

Pourquoi en France, ce sont deux députés des partis majoritaires, Delphine Batho (PS) et Frédéric Lefebvre (LR) qui ont vainement tenté en janvier dernier de faire passer l’idée à travers trois amendements au projet de loi sur la République Numérique ?

C’est qu’en accordant un revenu universel, tous espèrent faire des économies sur le reste de la protection sociale. Il serait ainsi mis fin à la sécurité sociale, à la retraite par répartition, voire aux allocations chômage, chacun étant responsable de la gestion de son portefeuille entre loyer, nourriture et frais de santé. Notons cependant que si allocation semble mériter d’être maintenue, c’est justement la seule qui bénéficie aux rentiers, à savoir l’allocation logement.

La crise du logement – à laquelle la presse de nos jours porte une si grande attention -, ne réside pas dans le fait universel que la classe ouvrière est mal logée, et vit dans des logis surpeuplés et malsains. Cette crise du logement-là n’est pas une particularité du moment présent ; elle n’est pas même un de ces maux qui soit propre au prolétariat moderne, et le distinguerait de toutes les classes opprimées qui l’ont précédé ; bien au contraire, toutes les classes opprimées de tous les temps en ont été à peu près également touchées. Pour mettre fin à cette crise du logement, il n’y a qu’un moyen : éliminer purement et simplement l’exploitation et l’oppression de la classe laborieuse par la classe dominante. Ce qu’on entend de nos jours par crise du logement, c’est l’aggravation particulière des mauvaises conditions d’habitation des travailleurs par suite du brusque afflux de la population vers les grandes villes ; c’est une énorme augmentation des loyers ; un entassement encore accru de locataires dans chaque maison et pour quelques-uns l’impossibilité de trouver même à se loger. Et si cette crise du logement fait tant parler d’elle, c’est qu’elle n’est pas limitée à la classe ouvrière, mais qu’elle atteint également la petite bourgeoisie. La crise du logement pour les travailleurs et une partie de la petite bourgeoisie dans nos grandes villes modernes n’est pas un des innombrables maux d’importance mineure et secondaire qui résultent de l’actuel mode de production capitaliste. Elle est une conséquence directe de l’exploitation du travailleur, en tant que tel, par le capitalisme. Cette exploitation est le mal fondamental que la révolution sociale veut abolir en supprimant le mode de production capitaliste. La pierre angulaire de cette production capitaliste est constituée par le fait que notre organisation actuelle de la société permet aux capitalistes d’acheter à sa valeur la force de travail de l’ouvrier, mais d’en tirer beaucoup plus que sa valeur, en faisant travailler l’ouvrier plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour retrouver le prix payé pour cette force de travail. La plus-value créée de cette manière est répartie entre tous les membres de la classe des capitalistes et des propriétaires fonciers et entre leurs serviteurs appointés. Frédéric Engels, La question du logement, 1872

A ce titre, il est aisé d’imaginer les désavantages d’une telle allocation, même si elle était fixée au niveau du Smic. En effet, comment avec une telle somme sera-t-il possible de faire face à des dépenses de santé un peu conséquentes et plus globalement à certains aléas de la vie coûteux ? Qui nous dit que les éventuels avantages d’un tel revenu ne seront pas très vite absorbés par une hausse des prix qui surviendrait en conséquence, notamment au niveau des loyers ?

C’est que derrière ce revenu, c’est encore l’idéologie du travail qu’il s’agit de défendre. Ne comptez pas vous tourner les pouces !

Il vous faudra forcément compléter ce revenu pour pouvoir vivre et non vous contenter de survivre. D’ailleurs, il n’est en fait pas question d’un revenu élevé. Bien souvent, c’est autour de 600 ou 700 euros qu’il est estimé, mais au micro de John Paul Lepers sur Arte le 31 janvier dernier, un ultra-libéral français, Gaspard Koenig, proposait de fixer cette allocation à… 450 euros par mois, soit moins que le RSA actuel ! Une proposition d’ailleurs portée par son organisation, Génération libre.

Une petite visite sur le site du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) suffit à se rendre compte qu’en fait ce projet ne vise une fois encore qu’à nous faire travailler plus, pour le plus grand bénéfice du capital. Ainsi, parmi les avantages évoqués du système, est citée « la suppression des trappes à inactivité », soit l’idée selon laquelle les allocataires de minima sociaux ne seraient pas incités à reprendre un emploi en d’un certain seuil de salaire. Car en plus, ces paresseux veulent tirer profit de leur travail et refusent de bosser pour rien ! On ne voit pas ceci dit en quoi le revenu universel permettrait de réduire un tel phénomène, mais c’est l’intention qui compte…

En réponse aux objections moralisatrices sur le revenu de base, la principale étant qu’il serait une incitation à la paresse, le Mouvement français pour un revenu de base tient à se défendre avec force. Au final, il s’agit de répondre à la demande des entreprises en main d’œuvre toujours plus précaire : « En effet, les entreprises ont davantage besoin de capital humain flexible, variable et toujours renouvelé pour s’adapter à une demande mouvante. Il faudra donc apprendre plusieurs métiers dans sa vie pour dynamiser en permanence ses compétences. C’est ainsi que, quel que soit le niveau de l’activité économique, le travail, comme on le constate déjà aujourd’hui, deviendra de plus en plus intermittent, voire précaire, et les périodes d’emploi alterneront avec des phases d’inactivité ou de formation. Il faut donc rompre le lien trop strict emploi revenu, qui aliène l’homme au salariat et l’enferme dans ses contradictions : de-voir travailler de façon quasi continue, alors qu’il devra en permanence affronter le changement. De toute façon, la régularité d’un revenu déconnecté du travail est des plus utile pour celui dont le travail est mal rémunéré et peu assuré. » Dans ces conditions, on peut aussi se demander ce que deviendront l’action syndicale, le droit de grève, etc. Ne risquent-ils pas d’être totalement délégitimés ?

A cette autre critique réactionnaire qui voudrait que cette allocation soit accordée sans contrepartie, le MFRB répond par une autre proposition réactionnaire : « Cela étant, rien n’interdit de l’assortir d’un service civique ». Quant à ceux qui opposeraient que « distribuer à tous une somme aussi modique ne peut permettre aux plus démunis de vivre dignement », le MFRB le reconnaît, mais c’est le « pragmatisme » qui l’emporte dans son esprit : « C’est exact, mais allouer une somme relativement modique croissant avec l’augmentation du PIB :

– est financièrement réaliste, donc immédiatement réalisable (cf. plan de financement) et sûr à long terme – promettre trop, tout de suite, amène à différer indéfiniment toute réforme –

– lève la plupart des objections sur la démotivation au travail

– par là même, exclut des comportements irresponsables

– n’interdit nullement toute évolution ultérieure en fonction des circonstances

– en outre, l’assurance chômage maintenue, complète le dispositif »

En fait, reconnaît le MFRB, « quel que soit son mode de calcul, le montant du revenu inconditionnel reste modeste. Il assure seulement à son bénéficiaire la possibilité de ne pas vivre dans la misère. Il sera donc tout naturellement incité à travailler pour augmenter ses revenus et jouir d’un meilleur train de vie. » Qu’est-ce que la misère, sachant qu’il est dit dans le même texte qu’un tel revenu ne permettrait pas aux plus démunis de vivre dignement ?

Dans ses réponses aux critiques, le MFRB ne cesse d’utiliser un vocabulaire de droite. Ainsi, on apprend qu’ « opérer une distinction entre les riches et les pauvres nous ramène à une logique d’assistanat […]. » Et de répéter : « Le revenu inconditionnel ne répond pas en soi au problème du chômage, car il s’inscrit dans une toute autre perspective. Il ne dispense pas chacun de chercher à travailler pour améliorer son train de vie. […] Contrairement à certaines affirmations, le revenu inconditionnel ne se substitue pas au revenu du travail ; il vient seulement, en complément, pour assurer à chacun un minimum de sécurité. » En somme, il s’agit au mieux d’une sorte de RSA amélioré, mais sans les compléments indispensables en matière de protection sociale et notamment de santé gratuite : une arnaque, quoi, surtout quand on sait que déjà dans le système actuel, ce sont les plus pauvres qui se soignent le moins et qui ont la plus courte espérance de vie. De manière assez confuse, le MFRB explique que « ce projet utopiste ne va pas dans le sens des propositions de lutte contre la précarité. Effectivement ce projet novateur s’éloigne de la pensée dominante du moment qui privilégie l’assistanat. Il préfère agir sur les causes de la précarité que la soulager. » Le problème, c’est que si le revenu universel n’a pas vocation à « soulager » la précarité, on voit mal cependant comment il « agirait sur les causes ». De fait, avec un tel système, la précarité a encore de très beaux jours devant elle…

Le MFRB prétend que la mise en place d’un revenu de base permettra à ceux qui ne demandent pas le RSA d’avoir accès à cette allocation, et de supprimer les contrôles sur les allocataires. C’est sans doute vrai, mais la non-automaticité du RSA (qu’il faut demander) et les contrôles sont des choix politiques sur lesquels il devrait être tout à fait possible de revenir sans pour autant mettre en place un système de revenu universel. On ne peut d’ailleurs qu’être inquiets à ce titre de la volonté du gouvernement de mettre en place un revenu minimum qui serait la fusion de dix minimas sociaux actuellement existants, étape intermédiaire vers un éventuel revenu universel. Si le RSA serait ainsi ouvert aux jeunes de 18 à 25 ans, que vont devenir les minimas les plus élevés ? car on peut penser que l’alignement ne se fera pas par le haut… Enfin, même avec un revenu de base réellement universel, on voit mal comment un tel système pourra mettre fin au flicage plus généralisé des pauvres et à leur stigmatisation. Bien au contraire d’ailleurs, puisque l’idéologie du travail en sortira probablement encore renforcée !

Mais le revenu universel est aussi une mesure qui menace directement les femmes : « On choisit de travailler ou pas. Mais comme simultanément on remet à l’honneur des valeurs un peu oubliées comme l’attention et l’aide aux autres ils serait bien surprenant qu’un grand nombre d’inactifs ne s’y intéressent pas, car il leur faut un espace de sécurité pour qu’elles puissent s’exercer. Cet espace le revenu inconditionnel le donne : il est le don de tous à tous. » En somme, il s’agit de maintenir ou développer une sphère largement occupée par les femmes, que ce soit de manière rémunérée ou non : les services à la personnes et les travaux domestiques, sphère qui avec la suppression du système de sécurité sociale ne va pouvoir que s’accroître, au détriment des concernées. D’ailleurs, rien dans les écrits des partisans du revenu de base ne laisse présager de la moindre sensibilité aux problématique féministes ou à la lutte contre les discriminations.

Enfin, notons que dans un article ne date du 10 décembre 2013, le MFRB s’est réjoui de la soi-disant mise en place par la dictature iranienne d’un revenu de base suite à la suppression des subventions publiques aux produits de base, réforme qui depuis 2010 a pourtant plongé des dizaines de milliers de personnes dans la précarité et avait à l’époque été vivement contestée.

Les effets pervers du revenu de base

L’allocation universelle contre la protection sociale

La réhabilitation de l’État, le revenu garanti et tutti quanti


Derrière le hashtag #OnVautMieuxQueCa : le travail, encore.

Depuis l’avènement du militantisme 2.0, impossible de couper à la mode des hashtags, ces mots-clés effets de mode qui permettent du « buzzer » sur Twitter. Ainsi, c’est sûrement sous le mot d’ordre #OnVautMieuxQueCa qu’on se souviendra de Nuit Debout. Mais que sous-entend une telle affirmation ? Laissons la parole à Radio Vosstanie, qui l’a bien expliqué sur son site :

« Je ne peux manquer de constater ce cœur à l’ouvrage et cette volonté de sur-jouer l’intérêt pour le travail où l’on feint pour certain de s’intéresser à ce que l’on fait pour chasser l’ennui, conjurer le stress et se prouver que l’on “vaut” quelque chose.

Cette “valeur”, ce désir de reconnaissance que nous cherchons, c’est aussi se dire peut-être que l’#onvautmieux que ça ? “souhait” dicté par le fait que le travail n’est que le seul biais par lequel on puisse l’exprimer, s’exprimer, s’insérer et être aux Autres comme pour soi, une marchandise qui se “valorise” et aura encore plus de chance dans le futur de se vendre. Il ne reste plus qu’à s’acheter de la “valeur” des qualités, ce qui nous permettra de prolonger le simulacre et la simulation.

Que la réponse de masse à la “loi travail” se fasse sous le signe de sa propre “valeur” ou du “mérite” indique donc que c’est sur deux fronts qu’il s’agit d’opérer une critique communiste forte :

– Celle de l’idéologie du travail qu’il nous faut reprendre non pas sous la bannière d’une pose petite-bourgeoise. Celle qui consiste à ne pas vouloir « bosser » (1) grâce à l’argent de papa ! Et qui fait de son éthique individuelle et slogan a-historique une pratique qui bien souvent se transforme en une morale aristocratique gonflée de morgue et bien vite dégonflée par le retour du réel… Rien de possible si l’on ne pense pas à se débarrasser du Travail de manière historique. Du travail aliéné, séparé, soumis. Dont on ne peut rien garder y compris dans ses aspects les plus sociaux ou les plus “constructifs” tant il est lié à la logique d’accumulation et à la socialisation marchande.

– De l’idéologie du “mérite” et de ce qu’elle sous-entend en négatif à savoir que certains ne “mériteraient pas” parce qu’ils seraient, non solvables non “utilisables” non rentables. La logique du “déchet” encombrant et à évacuer n’est jamais loin. Il se trouvera peut-être quelque vert-rouge-brun-orange pour nous re-vendre de “l’inutile” à recycler pour alimenter de manière rédemptrice la boucle marchande sans l’interroger jusqu’au bout.

“Non merci !” peut-on lire ici et là à propos de cette “Loi travail” accompagné du hashtag qui lui est accolé et qui contracte ces deux mots en un seul, qui porte en lui une signification assez intéressante. Le travail c’est bien la grande domestication humaine qui impose son ordre, sa Loi. Le rapport social porte en lui une Loi. La Loi c’est le Travail, Le Travail c’est la Loi. Il nous faudra donc nous débarrasser des deux sous peine que l’un ne vienne systématiquement convoquer l’autre. Il ne sera pas superflu de le rappeler surtout quand on nous dit déjà que la « Liberté » (de consommer) c’est le Travail, pour nous éviter d’entendre ensuite que le Travail c’est la Liberté. »

Monnaies locales : « Argent trop cher, la vie n’a pas de prix »

On connaissait les Sel, ces fausses alternatives qui comme dans le cadre du capitalisme échangent du temps de travail sous forme d’équivalent monétaire. Depuis quelques années, ce sont les monnaies locales qui sont en plein essor, souvent impulsées par des collectivités locales. Nuit Debout ne pouvait donc manquer d’avoir une commission à y consacrer. Or, l’alternative est ici encore plus foutraque que celle des Sels, puisque les monnaies en question, qu’on peut dépenser dans des magasins bio et autres hauts lieux altéreux, sont axées sur le cour de l’euro et convertibles dans la monnaie dominante. Elle font aussi le bonheur du Crédit coopératif et de la banque anthroposophique la Nef, chez qui sont hébergés les comptes des associations gérantes (pour 10 000 unités de ces monnaies en circulation, 10 000 euros sont en banque en guise de provision).

Franck Lepage, le rééducateur citoyenniste populaire

Avec ses « conférences gesticulées » et sa conception de l’éducation populaire, Franck Lepage fait de nombreuses émules, y compris à Nuit Debout. Mais que valent ses théories ?

Dans son spectacle le plus célèbre, Franck Lepage nous invite à revisiter les différents choix éducatifs qui ont pu être faits à l’origine des premiers balbutiements de « l’école républicaine ». Ce qu’il ressort de cette séquence, c’est que finalement, tout ce serait joué là, comme si finalement, l’école avait ce jour-là choisi un mauvais aiguillage et que nous en payions depuis lors les conséquences. Ce que son public retient de son spectacle est résumé dans cette intervention, qui est celle d’un simple amateur de Franck Lepage : « Mais si je ne me trompe, cette notion était dans le projet d’école de la République porté par Condorcet pendant la Révolution. Un autre projet, rédigé par Saint Fargeau et présenté par Robespierre à la Convention, proposait une école publique bien plus égalitaire. Condorcet a gagné.« 

Comme toujours, c’est un peu plus compliqué que ça. Le projet de Le Peletier de Saint-Fargeau. est présenté en complément de celui de Condorcet et non en alternative à ce dernier. Condorcet entendait placer l’exercice libre de la Raison au dessus de tout, gage de la constitution de citoyens émancipés, notamment des croyances. Le Peletier de Saint-Fargeau complète la vision de l’instruction par une focalisation sur l’éducation. Les citoyens doivent être conditionnés dès leur plus jeune âge à la défense inébranlable de la Loi, qu’ils doivent placer au dessus de tout.

Condorcet entendait former des républicains émancipés, tandis que le marquis de Saint-Fargeau entendait lui faire des soldats citoyens de la République, sur le modèle de celui de Sparte. Franck Lepage ne rend pas grâce à Condorcet, pourtant, c’était bel et bien son projet qui est le plus ambitieux.

Autre sujet de prédilection pour Lepage : le salaire à vie de Bernard Friot. Mais proposer une perspective d’avenir en se contentant de regarder dans le rétroviseur des Trente Glorieuses, sans s’attaquer au salariat, sans s’attaquer à la stratification sociale portée par la Doctrine Sociale de l’Eglise (et non par Condorcet), c’est finalement nous emmener vers une croyance, celle que l’Etat serait en capacité d’offrir ce que la bourgeoisie ne consent plus à nous offrir. C’est faire la négation de l’absence de neutralité de l’Etat en plaçant ses espoirs dans une institution garante de l’inégalité sociale, promue comme capable de résorber une crise systémique produite par un système au service de la classe possédante et dont l’Etat n’est qu’un outil servile.

C’est une vision du monde qui est totalement anachronique au regard de la phase actuelle sur laquelle se situe le capitalisme, qui n’est plus du tout dans une logique de compromis historique mais au contraire d’appétit sans limite !

Franck Lepage a dit beaucoup de bêtises ces deux dernières années, notamment en ce qui concerne son ami Chouard, avec qui il faisait du parapente.

Pour Lepageet pour beaucoup d’autres soutiens du « chercheur en cause des causes », le seul problème de Chouard serait qu’il diffuse en liens des éléments provenant du site fasciste Egalité&Réconciliation, animé par Alain Soral, ancien du Comité national du FN et qui en est resté un soutien actif. Franck Lepage se révèle d’ailleurs incapable de qualifier Alain Soral de ce qu’il est, un fasciste, qui se revendique lui-même du national-socialisme !

Pour ces réformistes chancelants, Alain Soral serait ainsi ce douanier de l’extrême droite. Juste avant Soral, ce serait bon, juste après, ce serait plus bon.

Selon Lepage, Chouard reste « un type gentil, c’est aberrant qu’il se prenne les antifas sur la gueule. […] En même temps, ce que fait Etienne Chouard c’est magnifique ! Ce qu’il a fait avec le traité constitutionnel de 2005, puis sur le tirage au sort, puis sur les ateliers constituants. […] Ça c’est de l’éducation populaire ! Moi je tire mon chapeau à Etienne »a-t-il déclaré à l’occasion d’une émission de radio en février 2014.

Oublié le Chouard se situant dans une démarche narcissique et autocentrée, récitant ses inepties de garçon de messe dégoulinant de niaiserie sincère et surtout tête de pont de toutes les extrêmes droites ! Lepage loue donc le « travail » d’Etienne Chouard, qu’il prétend être collectif en ce qui concerne la rédaction de la Constitution qu’il tente d’élaborer, à la manière d’un puits sans fond, avec l’aide de son petit nuage néofasciste. Or, les Constitutions ne sauraient s’écrire « à vide », hors de tout rapport de force social.

Chouard, ce n’est pas seulement du confusionnisme, c’est aussi et surtout une immense perte de temps.

Cette attitude de Franck Lepage est totalement irresponsable. Comment est-il possible de faire une telle erreur ?

Mais en même temps, est-ce vraiment une erreur, venant de quelqu’un qui, pourtant mis en garde par des camarades, a toujours refusé de retirer du site de son ancienne Scop Le Pavé des liens « amis » vers le site d’Etienne Chouard justement, mais aussi vers des sites et vidéos complotistes mettant à l’honneur des films conspirationnistes comme « L’Argent dette », vers AgoraVox, plateforme quasi-totalement irradiée par la fachosphère ou le site rouge-brun Le Grand Soir mais aussi vers une « quand même bluffante vidéo du très controversé Thierry Meyssan sur les liens supposés entre Sarkozy et la CIA. A voir pour se faire une idée. On y apprend des trucs » ?

On ne discute pas avec les fascistes. Que Lepage fasse du parapente avec Chouard, c’est très bien, le plus souvent possible et par tout temps, grand bien leur fasse. Mais entrevoir, publiquement, des qualités au « travail » de Chouard, c’est proprement crapuleux !

Lepage est un réformiste, qui a largement mouillé dans les institutions étatiques. Il présente par exemple à Marie-George Buffet en 2000 (gouvernement Jospin, DSK, Mélenchon) un rapport sur l’accès à la culture qui sera soigneusement enterré par cette anticommuniste du PCF.

On retrouve chez Lepage le même fantasme militant qui serait celui de « convaincre » les électeurs du FN que le nationalisme de gauche serait plus raisonnable que le nationalisme de droite, un peu comme si réformistes citoyennistes et fascistes partageaient le même « public » et devaient conquérir en son sein des parts de marché au détriment de l’autre camp. Ecoutons Franck Lepage, toujours dans l’émission de radio de février 2014 :

« – Mais avec ses approximations, il convainc. J’imagine que les gens qui regardent Soral, vous préfèreriez qu’ils aillent voir les gens du Pavé ?

– C’est clair…

– Est-ce que vous cherchez un moyen pour qu’ils n’aillent pas écouter que Soral…

– Pour l’instant, on est très jeunes. On n’a que quelques années. On s’est surtout attaché à travailler avec les intermédiaires, autrement dit, les travailleurs sociaux. On a peu d’interventions avec les populations en direct. Et qui la paierait ? Sauf à le faire bénévolement. On a ce problème constant de dire : est-ce qu’il faut s’adresser directement aux gens ou est-ce qu’il faut qu’on arrive à emmener à gauche des travailleurs sociaux, des cadres intermédiaires, des gens qui s’imaginent que l’insertion ça sert à quelque chose. Pour l’instant, on est plutôt sur cette option là. Il nous arrive d’avoir des actions en direct avec des gens, mais c’est avec le CCAS d’EDF, dans des camps de vacances. »

Ainsi Lepage reconnaît lui-même que son « éducation populaire » s’adresse e fait à une petite catégorie de privilégiés disposant déjà du capital culturel nécessaire pour le comprendre. Le dialogue Lepage/Chouard, c’est finalement un dialogue entre deux petites bourgeoises, précisément celles qui s’entrechoquent à Nuit Debout, une petite bourgeoisie réformiste et une petite bourgeoisie réactionnaire que la crise du capitalisme propulse à l’extrême droite. Car Chouard, issu d’une famille de notables catholiques pratiquants ne fera jamais la Révolution avec nous.

A celles et ceux qui voudraient encore trouver des excuses à Lepage, interrogez-vous : pourquoi cette interview du baladin citoyenniste a circulé autant dans la sphère conspirationniste et d’extrême droite ? Pourquoi l’extrême droite a pu finalement lever bien haut la tête de Lepage comme un trophée pris à « l’ennemi » ? Est-ce par son incapacité à dire clairement que Soral est un fasciste ? Est-ce parce qu’il salue le « travail » de Chouard

Petit aparté…

Certains le concéderont : « les lignes bougent ». Nous ne partageons pas ce constat. Les lignes s’estompent, disparaissent. Elles cèdent sous les assauts inlassables de l’extrême droite. Pendant que les révolutionnaires/anticapitalistes en sont à inviter des militants plébiscités par l’extrême droite portant des théories fumeuses de droite pour s’interroger si une théorie fumeuse de droite est anticapitaliste ou révolutionnaire, les néo-droitiers et leurs rejetons se frottent les mains.

Combien de Chouard va-t-il falloir avant le déclic ? Comme pour Chouard, va-t-il falloir taper pendant deux ans à temps plein sur chaque guignol pour que les révolutionnaires/anticapitalistes comprennent qu’un type qui porte une théorie de droite plébiscitée par l’extrême droite n’est ni révolutionnaire ni anticapitaliste ?

Janvier 2014 : le « secteur vidéo » de la CNT du 33 met en ligne « Friot, Mylondo, Husson : débat sur le « revenu de base ». Un commentaire : « La CNT entre dans l’ère de l’accompagnement du capitalisme à la sauce Attac en faisant la promo de types qui n’ont aucuns scrupules à bosser avec des soraliens ou autres fascistes ? Pauvre de nous… » Réponse du lendemain : « On diffuse ce truc mais on ne cautionne ni les intervenants, ni leurs égarements éventuels et ça n’engage pas la CNT » Un peu facile… Les merdes altercapitalistes portées par Attac, ça fait près de 20 ans que la farce est connue et Friot grenouillait déjà avec des crevures. La CNT vidéo doit vivre dans une autre dimension.

A l’époque du cas Chouard, la poignée d’antifascistes qui s’y sont collés furent taxés de sectaires, d’illuminés ou de militants de clavier. 2 ans. Il a fallu 2 ans pour que le « milieu » admette que Chouard est un fumier. Combien de temps pour comprendre le problème avec les Friot, les Lordon et les autres ??? Combien temps pour que les révolutionnaires/anticapitalistes comprennent qu’en grenouillant avec les nationalistes, les antisémites, les complotistes, les rejetons de la Nouvelle Droite, ils ne font que légitimer et servir la soupe aux nationalistes, aux antisémites, aux complotistes, aux rejetons de la Nouvelle Droite ?

David Graeber, le messie anti-dette à la diète

L’anthropologue David Graeber, ancienne figure de proue d’Occupy Wall Street qui a rendu visite à Nuit Debout, se présente et est présenté comme un penseur libertaire par les fans de radicalité à peu de compte. Or, rien n’est plus faux. Si nous ne jugerons pas des travaux anthropologiques de Graeber, en revanche, ses analyses du système capitaliste sont tout sauf anarchistes. Une longue interview publiée dans le journal catho de centre gauche Télérama en octobre dernier nous offre quelques pistes.

Tout d’abord, Graeber, dans son dernier livre, analyse le capitalisme à travers la lorgnette de la bureaucratie. En gros, il soutient que tout marcherait mieux si les grandes entreprises n’avaient pas un système bureaucratique digne de l’Union soviétique. C’est que Graeber a des problèmes de prolétaire à résoudre : » J’ai appelé ma banque l’autre jour, pour lui demander de lever une fonction de sécurité qui m’empêche d’accéder à mes comptes depuis l’étranger. J’ai passé quarante minutes au téléphone avec différents interlocuteurs pour résoudre le problème — en vain. Imbroglio bureaucratique classique, mais cette fois dans le cadre d’une entreprise privée ! Quand j’ai demandé : « Comment est-il possible qu’un simple changement d’adresse puisse dévorer quarante minutes de ma journée — et de la vôtre — sans trouver de solution ? », on m’a répondu que c’était la faute des régulations imposées par le gouvernement. Mais la séparation entre le « public » et le « ­privé » est-elle si tranchée aujourd’hui ? D’une part, le public est de plus en plus organisé comme un business et, d’autre part, le marché privé se réfère à des règles émises par les gouvernements. Mais surtout, aux Etats-Unis, les lois définissant les règles du marché sont toutes le résultat d’un lobbying exercé par les entreprises sur les députés. Mon banquier a donc tort de se plaindre : il est co­responsable de mes problèmes de bureaucratie. »

Graeber est aussi un anticommuniste primaire : pour lui, l’idéal socialiste n’est pas atteignable et conduit forcément au goulag : " L’objection la plus commune adressée au modèle socialiste, c’est sa dimension utopique. Les marxistes imaginent une version idéalisée de la vie et demandent aux êtres humains d’être à la hauteur de cet idéal… impossible à atteindre ! Obstinés, les régimes socialistes imposent des règles de conduite à la population. Quand des individus y dérogent, plutôt que de reconnaître que les règles sont mauvaises, le régime déclare que tout le mal vient des hommes et les envoie au ­goulag. Méchant défaut dans la cuirasse du projet socialiste… "

Dans la même interview, Graeber admet que son analyse de la crise de 2008 relève de la théorie du complot. Avec lui, plus de système capitaliste, mais des groupes et des individus qui se mettent d’accord pour sauver les banques. Plutôt que de nous parler de défense de ses intérêts de classe par la classe dominante, Graeber préfère nous vendre une fable à base d’entente plus ou moins secrète, plus ou moins assumée, entre « lobbyistes » et « politiciens » : « Ces hommes et femmes politiques votent des lois mille fois plus favorables aux banques qu’à leurs clients — au point que les Américains reversent plus d’argent, aujourd’hui, à Wall Street qu’au fisc. » La lutte de classes se joue désormais entre les banques et leurs clients. Brillant !

Graeber a aussi de grandes idées sur la technologie. Il semble très déçu que, s’agissant de la conquête spatiale, « nous n’avons pas été capables de réa­liser nos rêves, alors que nous les savions à notre portée », comme si la conquête spatiale était une affaire de rêve collectif que tout un chacun pourrait s’approprier, et non avant tout une affaire de gros sous, de prestige national et de recherche d’une forme de suprématie militaire. Graeber aurait préféré avoir des robots plutôt que des médicaments et un accès facilité à l’information : « la recherche fondamentale aux Etats-Unis reste largement financée par le gouvernement, qui a décidé de lui-même de réorienter ses crédits vers les technologies mé­dicales et celles de l’information. Voilà comment, quarante-cinq ans après Apollo 11, on n’est toujours pas ­fichus de créer un robot avec qui discuter, ou au moins capable de faire tout ce qui pourrait améliorer le quotidien d’une personne physiquement dépendante. » C’est là typiquement un rêve d’enfant gâté : où est l’analyse de classe là-dedans ?

Mais la perle de cette interview réside sûrement dans cette affirmation, qui lui a donné son titre : « nous pourrions bien, aujourd’hui, être déjà sortis du capitalisme sans nous en rendre compte. Déjà en train de construire un nouveau modèle, sans savoir de quoi il s’agit. » Adieu, analyse historique et matérialiste ! Au prétexte qu’à sa naissance, les gens ne se sont pas tout de suite rendus compte qu’ils entraient dans le capitalisme, cela permet à Graeber, sans aucune forme de preuve, d’affirmer que nous en serions sortis. Tous les travailleurs, tous les chômeurs, toutes les personnes victimes de la faim dans le monde sont sûrement des mesquins qui ne se sont pas aperçus de la bonne nouvelle que nous apporte ce nouveau messie des temps modernes.

Dans le même ordre d’idées, Graeber affirme dans son livre Dette – 5000 ans d’histoire que parmi les grandes réalisations de l’altermondialisme, il y a celle-ci : « nous avons réussi à détruire presque complètement le FMI. » Applaudissons un tel génie !

Aujourd’hui, Graeber est professeur à la London School of Economics, après avoir été viré de Yale pour, affirme-t-il, des raisons politiques. Monsieur vit donc « en exil », comme un vulgaire réfugié ! Ce qui ne l’empêche pas de posséder un appartement dans l’une des villes les plus riches du monde, New York, hérité de ses parents. Du coup, il est aisé pour notre anarchiste en peau de lapin, qui est en fait un mystique, de se poser certaines questions existentielles (puisque lui au moins à les moyens de se les poser, étant sorti du capitalisme et flottant désormais dans l’éther des idées) : « Il est plus que temps, je pense, de procéder à un renoncement de style biblique – un renoncement qui concernerait à la fois la dette internationale et la dette des consommateurs. » Et, toujours dans son livre sur la dette : « l’objectif à plus long terme était l’annulation de la dette. Quelque chose qui suivrait dans les grandes lignes le Jubilé biblique. »

Car Graeber est en fait un croyant, qui introduit de la propagande chrétienne dans ses livres : « Pourquoi désignons-nous le Christ comme le Rédempteur ? » s’interroge-t-il en incluant son lecteur dans ce « nous ». « Il est assez frappant de penser que le cœur même du message chrétien, le salut lui-même, le sacrifice du propre fils de Dieu pour sauver l’humanité de la damnation éternelle, peut être traduite dans le langage de la transaction financière », affirme-t-il plus loin.

"Le « Nous ne voulons pas payer » ne devient une revendication fondamentale que lorsqu’il s’accompagne du « Nous ne voulons pas être payés » – ce qui serait somme toute logique. Car si tout le monde cesse de payer, plus personne ne pourra être payé. Mais ce n’est pas que les militants d’Occupy reculent devant cette logique, elle ne semble même pas leur venir à l’esprit. Leur appareil conceptuel et intellectuel est parfaitement conventionnel et ne va jamais au-delà des valeurs bourgeoises. Au contraire, celles-ci connaissent à nouveau une de leurs étranges renaissances."

On pourrait poursuivre longtemps ce bêtisier, rien qu’en lisant ce livre. Ainsi, après avoir accordé longuement crédit à la théorie que le 11-Septembre aurait eu pour but de viser les réserves d’or mondiales, il conclut : « la réalité, alors, est devenue si étrange qu’il est difficile de deviner quels éléments de ces grands fantasmes mythiques relèvent vraiment du fantasme, et lesquels sont vrais. » Ailleurs on peut lire : « il y a de très bonnes raisons de croire que d’ici une génération ou deux, le capitalisme lui-même n’existera plus […]. Désormais confrontés à la perspective de la fin du capitalisme, la réaction la plus commune – même chez ceux qui se disent « progressistes » – c’est tout simplement la peur. » Il y en a des pages et des pages : « La bataille entre l’Etat et le marché, entre les gouvernements et les marchands n’est pas inhérente à la condition humaine ». La puissance militaire américaine est un « pouvoir cosmique ». Ou encore, à propos du système financier : il « ne peut fonctionner qu’en convertissant continuellement l’amour en dette. » Amen.

Jean-Luc Mélenchon

Parmi les ombres qui planent sur Nuit Debout, Jean-Luc Mélenchon, son Front de Gauche et sa France insoumise, dont de nombreux partisans, quoique ne s’affichant pas comme tels, fréquentent la place de la République, y compris en tant qu’organisateurs. Ouvrons donc une petite parenthèse sur l’ancien sénateur, pour mieux situer son positionnement social-chauvin exaspérant un nombre grandissant de personnes.

« Alexis Tsipras ne défend pas un projet de gauche, il défend le peuple et la nation grecs« , lance-t-il, comparant le gouvernement Merkel au régime nazi, répondant à la télé d’extrême droite Agence Info-Libre, partageant le site complotiste Réseau International ou encore le site conspirationniste Wikistrike, pestant contre « les clochards d’extrême droite du Testet« , rendant hommage à Nicolas Sarkozy, à Charles Pasqua et à Florian Philippot ou encore traitant une eurodéputée de « boche », Jean-Luc Mélenchon multiplie les références nationalistes, allant jusqu’à féliciter Vladimir Poutine pour l’action de la Russie en Syrie. On l’a vu aussi ces derniers temps soutenir le petit patronat.

Cette dernière sortie de Mélenchon ne doit pas surprendre dans le positionnement nationaliste qui est le sien, il s’inscrit clairement en mimétisme du positionnement de l’extrême droite et d’une partie de la droite « gaulliste », c’est-à-dire faire le choix de Poutine face aux « yankees« . Les multiples signaux, clins d’œil et autres brouillages qui sont envoyés depuis deux ans sont là pour tenter de faire basculer vers Mélenchon un certain vote de droite et d’extrême droite dans le cas où la nécessité devait se présenter. Cela permet également de couper l’herbe sous le pied de Marine Le Pen, d’installer un discours viriliste et belliqueux vengeur, parfaitement en accord avec une pensée réactionnaire.

L’armée française est également plutôt anti-américaine, c’est aussi pour cela que Mélenchon ne manque pas un rapprochement avec la grande muette. En opposant un discours symétrique à celui des Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ne fait que le renforcer pour porter finalement les intérêts de la bourgeoisie française la plus arriérée, la plus nationaliste.

C’est vrai, Jean-Luc Mélenchon n’est pas présent à Nuit Debout mais ne nous y trompons pas : il attend son heure, et c’est le sens qu’il faut donner à sa petite phrase « Je ne veux pas les récupérer mais je veux bien être récupéré ». Cependant, d’autres cadres du FdG ont été aperçus, comme Eric Coquerel. Le mouvement a aussi reçu le soutien de militants du NPA, dont Olivier Besancenot et Philippe Poutou, ainsi que de militants de la CNT. Des gens de Solidaires et de la CGT s’y sont également montrés, alors même que nombre de participants sont méfiants envers les syndicats, montrant ainsi leur rejet d’une alliance avec le monde ouvrier.

Gérard Filoche

Gérard Filoche n’est pas directement présent à Nuit Debout, mais il est une des références de certains de ses initiateurs, et notamment de François Ruffin et du journal Fakir, auxquels il apporte également son soutien.

Filoche, Bérégovoy, Mélenchon, les édiles nationaux du PS issus de milieux populaires se comptent sur les doigts d’une main.Le discours de Filoche est inaudible ou presque au sein d’un parti qu’il tente, devant le constat qui est le sien, à savoir le fait que la classe ouvrière ne serait pas prête à mener une révolution de façon victorieuse, de « remettre à gauche », parti essentiellement de surdiplômés issus de la fonction publique et territoriale et dont la moitié exerce une fonction directement liée à leur engagement « militant » qui se résume à quelques heures par mois. Filoche estime qu’il serait possible, il se trompe, de faire raccorder le PS avec le mouvement ouvrier en mettant en minorité cette petite bourgeoisie carnassière.

Il est d’ailleurs très frappant de voir Filoche s’exténuer à sermonner cette amicale d’emplâtrés à l’occasion du Congrès de Toulouse et de s’amuser à scruter les réactions dans la salle : des sourires niais voire des rires francs.

Gérard Filoche est pour eux ce digestif que l’on s’offre en fin de gueuleton libéral et qui permet de dérider ces ambiances en apparence studieuses. Tous écoutent attentivement par politesse mais ne l’entendent pas.

L’illusion globale se meut sur l’idée pour le moins farfelue que l’Etat, qui est l’objet des patrons, serait un Etat-neutre dont il suffirait de changer le personnel pour en faire un instrument socialiste, c’est assez terrible. Car n’importe quel parti qui arrive au pouvoir, fut-il le plus radical, n’importe où dans le monde, ne peut QUE se retrouver à gérer les intérêts du capital plus ou moins servilement. Non seulement la requête, quoi que tout à fait légitime, est contradictoire, mais en plus elle est totalement illusoire et démontre que ceux qui soufflent ce genre de fausses bonnes idées sont encore complètement pris dans l’école social-démocrate, dans le sillage du SPD.

Contrairement à Bérégovoy et Mélenchon, Filoche fait un boulot de réformiste plutôt honnête, offre des éléments de culture ouvrière et juridique souvent pertinents, c’était un inspecteur du Travail de terrain et courageux dont l’aplatissement politique s’ajoute à l’anticommunisme viscéral maison, un anticommunisme également partagé au PG, qui quant à lui s’arme de poses creuses et hypocrites avec à sa tête un radical socialiste très typé IIIe République et manipulant un nationalisme de gauche nocif pour la classe ouvrière. Filoche ne s’égosille pas, lui, au moins, à asséner d’interminables resucées de la grandeur républicaine, même si les deux se situent clairement dans une logique de collaboration de classes.

Au final, cette nuée de moustiques du PG venant barbouiller ses interventions sur les réseaux sociaux manque rarement de sombrer dans le plus parfait des ridicules : tous ont une vision totalement anachronique de l’Histoire. Tous ont pour projet un coup d’œil attendri dans le rétroviseur des Trente Glorieuses et entendent humaniser un système capitaliste entré dans sa décrépitude la plus parfaite, tous s’accrochent de toutes leurs forces au légalisme et au réformisme, AUCUN d’entre-eux ne se situe sur notre temps historique.

Il n’est pas possible d’arbitrer ce tripatouillage consanguin entre socialos, qu’ils soient encartés au PS, au PG ou à la direction du PCF, le résultat sera à la hauteur de l’enjeu : match nul. Mais alors vraiment nul.

FilocheToujours le même cirque, toujours la même rengaine, toujours cet « espoir » agité par les sous-classes dominantes.

Et à chaque fois ils nous font le coup, voilà qu’ils nous disent « enfin le programme commun ! » « L’imagination au pouvoir ! » et toutes ces phrases creuses conçues par des publicitaires luxueusement ponctuels.
Voilà qu’ils nous hurlent « Ne vous inquiétez pas ! Cette fois, la vraie gauche est au pouvoir ! » Oui, la VRAIE gauche, la gauche RADICALE ! Alors on chasse le PASOK. Et on met Syriza à la place. Cette fois, cela en est terminé de cette fausse gauche, vous allez voir c’que vous allez voir, la vraie la voilà qu’on vous dit !

Et là, tout le monde se rend bien compte que cette VRAIE gauche, même si c’est toujours mieux que les droites, même si c’est certes toujours moins pire, très légèrement moins pire, c’est la VRAIE gauche du Capital, c’est une gauche RADICALE dont la fonction politique et sociale est de servir docilement les intérêts des possédants, de maintenir l’exploitation salariale du plus longtemps qu’ils le pourront.

Car rapidement, on fait une découverte. Cette VRAIE gauche, cette gauche sublime, cette gauche si parfaite, la gauche des puristes, cette gauche qui, aussi loin en arrière dans l’Histoire que l’on puisse regarder, n’a jamais existé, est partagée en deux. Oui, en deux.
Au sein de cette VRAIE gauche radicale, il y aurait une VRAIE gauche et une gauche molle, une gauche PS, une gauche Pasok et que la vraie gauche, elle, ben elle est en minorité. Pas de chance !

On nous dit maintenant que c’est un problème de personnes, que le ministre Vafourakis, s’il n’avait pas été démissionné, vous auriez vu ce que vous auriez vu ! Avec lui, ça aurait été une autre musique. Avec lui, Syriza aurait été vraiment à gauche qu’on vous dit !

Quand le mythe du mauvais parti s’effondre, voilà que surgit le mythe de l’erreur de casting, le mythe de l’homme à poigne, le mythe du sauveur suprême.

Cette VRAIE gauche, cette gauche authentique, cette gauche de combat, cette gauche qui n’a pas peur d’être de gauche, cette gauche idéale, et bien elle sert docilement les intérêts du patronat !

Aile gauche ou aile droite. Aile de gauche au sein de l’aile gauche. Aile de gauche au sein de l’aile de gauche de l’aile gauche. Cette gauche-là, elle ne viendra pas.

Elle ne viendra pas car il n’y a pas un microgramme de socialisme à Syriza tout comme il n’y a pas un microgramme de socialisme ou de communisme au Front de Gauche.
Tout simplement parce que l’Etat, instrument des classes possédantes, ne peut pas et ne veut pas emmener le socialisme !

Parce que le socialisme ne se vote pas, il se prend ! Il s’arrache.

Il s’obtient en abattant le salariat, l’Etat, la division du travail et ces modes de pensée commerçants tournant autour du fétichisme de la marchandise, en mettant à bas toutes les structures de domination, le racisme, le patriarcat.

Qui sont les geôliers de cette démocratie fantoche ? Tous des petits bourgeois au service d’un ordre économique qu’ils tentent de nous vendre comme irremplaçable, tout cela au but de sauver l’exploitation, le salariat et leur propre position sociale de transmetteurs d’ordre dociles des désirs de la bourgeoisie, des bourgeoisies.

Mais tant qu’il restera des ouailles pour y croire et des grands prêtres pour susciter l’espoir, la classe possédante et les sous-classes dominantes auraient tort de se gêner, non ?

L’oligarchie et ses dérivés

Autre obsession pour nos étatistes de gauche : l’oligarchie, terme pourtant lui aussi abondamment utilisé par l’extrême droite, et qui ne dit rien en termes d’analyse de classes. Là encore, c’est une thématique qu’on retrouve dans les débats de Nuit Debout.

Le couple Pinçon-Charlot

« Nous nous sommes vraiment rendu compte des manipulations idéologiques que les oligarques ont construites pour s’octroyer le droit de faire main basse sur l’argent public. Ils se sont inspirés du marxisme, qu’ils ont inversé. Les tenants de l’oligarchie se sont transformés, dans l’idéologie dominante, en créateurs de richesses et ils ont transformé les ouvriers en coûts et en charges. Ils sont incroyablement sûrs qu’ils sont supérieurs à tout le monde. Au-delà de l’aspect technique de la fraude fiscale, il y a un processus de déshumanisation et d’exclusion des peuples. »

L’utilisation de « l’oligarchie » suspend une super classe dominante (Jean-Marie Le Pen l’appelle « l’hyper-classe mondiale ») au dessus de l’ensemble des autres classes sociales. Avec « l’oligarchie« , la petite bourgeoisie n’est pas pointée en ce sens où elle semble immuable, indéboulonnable, naturalisée. Avec « l’oligarchie« , il n’y a plus de couple Pinçon-Charlot, de cantonnier, d’aide-soignant, de couvreuse ou d’opératrice de saisie. Il y a d’un côté un peuple et de l’autre « l’oligarchie« , masse de pouvoir fantasmé informe qui, encore une fois, lévite et « domine » sans partage.

L’oligarchie ne possède pas, elle domine et asservit « les peuples« , « peuples » au seins desquels sont bien évidemment intégrés dans un grand ensemble brinquebalant, prolétariat, petites rentes et autres petits possédants. C’est donc une entité supranationale qui se joue des nations, une « oligarchie » installée au sommet d’un capitalisme transnational.

Et ce capitalisme, qu’est-il devenu ? Quelle est la formidable découverte mise à jour par le couple Pinçon ? Celle d’un capitalisme ayant muté. Rendez-vous compte ! Ce dernier se serait « inspiré du marxisme », rien que ça ! Aurait-il renversé les rapports de production inhérents au capitalisme ? Non, rien de tout cela.

Selon Monique Pinçon-Charlot, c’est « l’opinion publique » qui se serait retournée. En ce sens où ce n’est pas l’aggravation de la prédation du Capital liée à sa logique d’accumulation qui est dessinée ici mais bien la méthode qu’aurait employé l’oligarchie pour retourner « l’opinion publique« . Et ces impétueux, ces « oligarques« , à la fois planqués dans l’ombre et « déshumanisant » les peuples (comme si le capitalisme avait été ne serait-ce qu’une journée, capable d’humaniser) cumuleraient les travers puisqu’ils seraient « incroyablement sûrs qu’ils sont supérieurs« , où là, en dépit de s’attaquer à la compréhension des structures, la sociologue botte une nouvelle fois en touche en s’attachant à dresser un trait psychologique commun à cette demi-classe créée de toute pièce : « l’oligarchie« . De la bouillie digne de figurer dans L’Humanité, c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait.

Si le poujadisme invitait les petits commerçants à se “révolter” contre l’Etat qui “taxe trop”, le pinçon-charlotisme enfourche sa caricature quasi en négatif. Celle-ci semble fasciner le front-de-gauchiste moyen jusqu’au prof anarchiste pédagogue et lecteur du diplo, dont les classes sans moyens, “pourraient quand même mieux s’équiper” grâce à ce satané argent des “riches” qui se barre à « l’étranger” en Suisse ou ailleurs.

La dénonciation de l’évasion fiscale des “riches” et ces peintures sociologiques sans fin de la bourgeoisie deviennent le summum de la critique du capitalisme… jamais assez bien taxés par de “justes” lois “nationales”, ceci toujours au détriment d’une analyse solide de ce que sont des rapports de production.

Oui les “riches” s’organisent ! Se concentrent et développent un entre soi…. la sociologie, c’est à dire la science des truismes, se transforme ici en une bonne affaire pour flatter l’idéologie du ressentiment, à une époque qui n’avait pas besoin.

S’il ne s’agit pas de nier le rôle des groupes et des individus peut-être faut-il essayer de comprendre ce que sous-tend cette proposition de focalisation sur ce terrain d’analyse, mais surtout à quels types de combats elle nous invite à participer.

Cette forme de populisme a pour conséquence d’évacuer toute utopie sociale, toute philosophie politique concrète, toute praxis de rupture, au profit d’une perspective gestionnaire et re-distributive de cloché et comptable des miettes sociales issus du travail exploité.

Hervé Kempf

Hervé Kempf, avec son livre à succès L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie sorti en 2011 et abondamment promu par la sphère Monde diplomatique/Daniel Mermet, a beaucoup fait pour le retour en force de cette rhétorique « anti-élites » à gauche, « élites » auxquelles il oppose une vision naïve de la démocratie tout à fait en phase avec le citoyennisme du moment. Son livre précédent Comment les riches détruisent la planète sorti en 2007 avait déjà donné le la, associant la thématique écologique à celle des 1% contre les 99%, vision illuminée du capitalisme qui est également celle d’Etienne Chouard.

A l’extrême droite

Si le terme a été abondamment utilisé par Jean-Marie Le Pen qui a contribué à lui redonner un second souffle après la crise de 2008, à peu près toute l’extrême droite l’emploie de longue date, souvent associée à des rhétoriques complotistes et/ou antisémites.

Ainsi, pour le très droitier Yvan Blot (club de l’horloge, et.), »l’oligarchie » regroupe certes les hauts fonctionnaires et les dirigeants des médias, mais aussi les dirigeants des partis politiques (cocasse pour un ancien élu RPR passé par le FN avant de revenir aux Républicains) et les dirigeants des « grands lobbys » (dont les banques, les industriels, mais aussi les syndicats), ainsi qu’il l’a expliqué à un Etienne Chouard ému.

On peut mentionner aussi un usage démagogique du terme pendant le mouvement social de 1995 par le Parti ouvrier européen, ancêtre du Solidarité et Progrès de Jacques Cheminade, qui écrivait alors dans ses tracts, épargnant au passage sa propre bourgeoisie nationale : « Il faut se battre contre l’oligarchie financière basée à Londres et à New York et sa loi de la jungle, pour un nouveau Plan Marshall Ouest-Est et Nord-Sud qui rétablisse la loi du travail et la paix pour le développement mutuel. »

En bref : « l’oligarchie« , ça ne veut rien dire… Hormis pour les nostalgiques des Trente Glorieuses, les réactionnaires et les antisémites. Il est à ce titre effarant de voir des intellectuels libertaires comme Serge Quadruppani expliquer récemment : « je ne vois pas pourquoi je devrais renoncer au mot « oligarchie » pour désigner le stade actuel de concentration des pouvoirs dans le capitalisme tardif au motif qu’il a été utilisé par les antisémites (et l’est sans doute encore par certains d’entre eux) » (Lundi AM, mars 2016).

1% vs 99%

Pour revenir rapidement sur la proportion totalement bidon du « 1% vs les 99% » qui plaît tant à tous les petits bourgeois fans de « l’oligarchie« , qu’ils viennent d’Occupy (USA), d’Attac et du PS (Filoche) ou du nuage confusionniste et fasciste.

Pour les réformistes, c’est l’idée qu’il suffirait de mettre un bon coup d’imposition aux seuls « ultra-riches », et le capitalisme deviendrait soudainement justice et paradis sur terre. Cela leur permettrait de maintenir en place l’exploitation, une société verticale avec des possédants, des patrons, des cadres et des employés, de rester dans une société marchande, de salariat et de conserver toutes les autres structures d’oppression comme le patriarcat ou le racisme.

Chez les fascistes, la croyance du 1% contre les 99% permet d’agiter le mythe d’une minuscule minorité culturelle qui « dirigerait le monde« , cachée dans l’ombre. Cela diffuse des schémas de compréhension du monde appartenant aux droites radicales. Au lieu de comprendre la structure, on est tenté de pointer des boucs émissaires et de vouloir prendre la place des chefs : c’est le vrai processus du fascisme, celui d’une petite bourgeoisie qui entend devenir calife à la place du calife. C’est cette idée selon laquelle la masse du Capital fictif prendrait la forme du banquier juif, classique appel à l’antisémitisme, ou encore celui d’un pouvoir occulte venant de la franc-maçonnerie. Là encore, il s’agit d’une fixette historique de l’extrême droite.

Chez les réformistes, comme chez les fascistes, il s’agit d’accuser « l’ultra-riche » pour mieux choyer la petite richesse, celle du petit patronat et de la petite rente. Il s’agit d’offrir une vision romantique du capitalisme afin que les exploitéEs soient absolument incapables de comprendre ce qu’est le capitalisme.

Les multiculturalistes et les fans de Dieudonné,
Indigènes, Europalestine & co

Du côté des mouvements connus pour défendre des thèses antisémites, notons la présence à Nuit Debout d’Europalestine (dont les produits sont également vendus sur le stand de la Boutique militante de Xavier Renou), mais aussi l’enthousiasme du Parti des Indigènes de la République pour ce « mouvement ».

Rappelons qu’Europalestine est une association qui entretient des liens ambigus avec Dieudonné (officiellement elle n’a plus de rapport avec lui mais continue de le défendre quand la « quenelle » est mise en cause) ou défend des militants d’extrême droite ou des négationnistes comme Jonathan Moadab (Agence Info Libre) et Ginette Skandrani a prétexte que ceux-ci ont subi des attaques de la LDJ. Comme s’il y avait à choisir son camp dans des querelles entre fascistes… Enfin, Europalestine est un soutien du Hamas, dont chacun sait que la charte a une orientation misogyne et antisémite.

Globalement, les partisans et alliés du multiculturalisme se retrouvent tout à fait dans le mouvement, à l’image du CCIF ou même du Strass. Lors de l’AG du 14 avril, il a été rappelé par exemple que « le CCIF soutient Nuit Debout et appelle à la convergence des luttes ». Les propositions de cette sphère multiculturaliste sont écoutées lors des assemblées. Toujours le 14, si la stigmatisation des musulmans ou assimilés tels dans le contexte des attentats a bien été dénoncée, ces groupes en ont profité pour glisser sans plus d’argumentation que « le voile est un choix », comme si le débat était clos.

Présent également à Nuit Debout, le Collectif Urgence notre Police assassine, qui s’il fait un travail utile de veille policière, pose question quant à sa proximité avec certains multiculturalistes, qui l’ont poussé il y a quelques mois à prendre des positions homophobes au nom d’alliances stratégiques.

Dans un texte récent, la revue Ni Patrie Ni Frontières rappelle les fondement de cette alliance entre citoyennistes et multiculturalistes :

« Les citoyennistes veulent humaniser le capitalisme, le transformer en un système plus juste. Ils remplacent la lutte de classe par les élections et les pressions démocratiques sur les élus. Les citoyens n’ont pas le droit de remplacer l’Etat bourgeois ou de le détruire. Ils peuvent certes se livrer, de temps à temps, à ce que certains appellent gentiment la « désobéissance citoyenne », terme apparemment plus respectable que la désobéissance civile. Avec cette idéologie tout doit devenir citoyen : les débats politiques, la communication, les écoles, les entreprises, etc.

Les citoyennistes ne veulent pas se débarrasser du système capitaliste, du travail salarié, du capital et de l’argent. Ils veulent seulement améliorer et étendre l’emprise des services publics. Ils considèrent l’Etat bourgeois comme un parasite qui gâche les bonnes relations qui devraient régner entre les citoyens-consommateurs et le capital. Ils se battent pour une démocratie citoyenne, une démocratie participative, pas pour le socialisme.

Il n’est pas surprenant qu’une idéologie aussi confuse entretienne des liens étroits avec le multiculturalisme, cette autre idéologie qui refuse de prendre en compte l’existence des classes sociales et de la lutte des classes, ou désormais avec les théories dites postcoloniales qui mettent les prolétaires dits blancs dans le même sac que leurs exploiteurs. »

Jean-Pierre Garnier, l’ami dieudonniste de François Ruffin

Parmi les prises de paroles à Nuit Debout, le sociologue Jean-Pierre Garnier, caution « anarchiste » de François Ruffin. Voici ce qu’en dit l’auteur de Merci Patron ! dans la revue confusionniste Ballast : « Il y a une formule de Jean-Pierre Garnier, un vrai anarchiste, qui dit en gros : « J’aime bien Ruffin parce que je préfère les réformistes qui vont jusqu’au bout de leurs idées que les révolutionnaires en peau de lapin. » Depuis le passage de Fakir en journal national, jamais Garnier n’a manqué un meeting organisé par le journal.

Encore plébiscité par nombre d’anarchistes pour ses critiques de la gentrification urbaine, Garnier s’est pourtant illustré ces deux dernières années à plusieurs reprises pour ses prises de position en faveur de Dieudonné, facilement trouvables dans ses textes publiés sur le site Divergences2.divergences.be. Cela lui a valu des fâcherie avec toute une partie de la presse militante, mais apparemment pas avec Fakir.

En mars 2014, Garnier dénonçait par exemple « la chasse à l’homme médiatique, judicaire et policière ouverte contre Dieudonné, où un véritable front national s’est constitué. De la coalition UMPS et du Figaro à CQFD, Article 11 et aux éditions Agone, en passant par Le Monde diplomatique et Le Canard enchaîné, c’est à qui s’est mis à crier le plus fort haro sur ce baudet « nauséabond », nouvelle « bête immonde » venue à point pour faire diversion, dans les deux sens du terme, au profit d’un régime de plus en plus répressif en voie de fascisation new look, avec un ministre de l’Intérieur aux postures et mimiques très mussoliniennes en « Duce » potentiel. » Ainsi le FN n’est plus ce parti d’extrême droite qu’affectionne Dieudonné, mais une coalition anti-Dieudonné allant des anarchistes au Figaro et à Manuel Valls, que Garnier désigne sous le terme frontiste d’ « UMPS ».

Notons d’ailleurs que quelques lignes avant, Garnier dénonçait dans le même texte comme étant « conformistes » les luttes contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, pour l’écologie ou la défense des Droits de l’Homme (rebaptisée par le vocable de « droit-de-l’hommisme » abondamment utilisé par l’extrême droite) : « Il est facile de reconnaître un journaliste, un écrivain, un artiste, un militant conformiste : c’est celui qui se flatte le plus haut et le plus fort, tant dans les médias contrôlés par les puissants que, à défaut, dans la « presse alternative » autorisée, d’être politiquement le plus incorrect. D’où l’emploi systématique, toutes les trois phrases, d’un vocabulaire martial pour défendre des causes qui font l’unanimité : l’antiracisme en tête, de plus en plus limité au philosémitisme, le féminisme, l’antihomophobie, l’écologisme, le droit-de-l’hommisme. »

Un an plus tard, il recommençait, sous-entendant qu’en fait Dieudonné était victime de racisme (il est important de préciser qu’il est Noir mais pas bourgeois ni fasciste) et que la position du FN, qui ne condamnait pas l’humoriste, était la seule correcte : « À la fin de l’année 2013 et au début de 2014, ma position à propos de l’affaire Dieudonné m’a valu une rupture avec certains cercles de la gauche « radicale ». L’acteur noir — il est important de le préciser — satirique et comique Dieudonné, très populaire parmi les jeunes français d’origine maghrébine et africaine, fut l’objet d’une campagne médiatique orchestrée visant à interdire ses spectacles. À cette campagne, participaient non seulement la droite officielle, qui allait jusqu’à son aile la plus réactionnaire — mais non le Front National — et la fausse gauche, mais aussi la gauche dite « alternative », en incluant les anarchistes et les libertaires. Charlie-Hebdo, Le Canard enchaîné et d’autres journaux à vocation critique faisaient partie de cette meute collant aux trousses de la « bête immonde » Dieudonné. »

De manière fallacieuse, Garnier, parce que ces écrits se trouvent dans des articles traitant plus globalement de la répression, dresse un parallèle entre celle que subirait Dieudonné et le harcèlement au quotidien dont sont victimes les jeunes de banlieue. Il utilise ces mêmes jeunes, dont les intérêts de classe n’ont rien à voir avec ceux du militant antisémite, comme un prétexte pour le défendre en sous-entendant que s’en prendre à lui ce serait les attaquer par contrecoup. Or, ce n’est pas parce que certains jeunes des quartiers populaires ont pu faire la quenelle qu’il faut généraliser ou que cela montrerait une quelconque communauté d’intérêts avec Dieudonné. Et n’oublions pas aussi que la « liberté d’expression » dans une société bourgeoise c’est avant tout la liberté de ceux qui ont les moyens de la faire valoir, et en ce sens, si Dieudonné en use et en abuse, ce qui n’est pas le cas des jeunes de banlieue que Garnier lui associe.

En fait, tous les arguments de Garnier (il est noir, c’est juste un comique, il est victime de répression, les jeunes de banlieue font des quenelles et s’en prendre à Dieudonné c’est les attaquer par contre-coup, il faut défendre à tout prix la liberté d’expression même de nos ennemis, l’utilisation de la détestation de Valls pour la défense de l’ex-humoriste, le fait de sous-entendre que des libertaires au PS et à l’UMP tous partagent les mêmes idées, etc.) sont exactement ceux des fachos et autres moisis qui défendent Dieudonné, de Jean Bricmont à Alain Soral. Et le fait d’être un vieux militant de l’antiracisme est plutôt une circonstance aggravante qu’atténuante dans son cas. Est-ce de toute façon une priorité quand on est un militant antiraciste que de défendre un tel personnage ?

Une banderole contre les « banksters »

De Memorial 98, à propos de la manifestation du 9 avril : « Vigilance : une des banderoles signée Nuit Debout exhibée à la manifestation d’aujourd’hui, dans une indifférence assez frappante.

Le mot « bankster » a été inventé par Céline, dans L’Ecole des Cadavres, en 1938, où il est utilisé plusieurs fois, dans des diatribes antisémites et racistes, par exemple : « Démocrates enthousiastes de la démocratie la mieux négrifiée, judaïsée, pétrolisée, spéculeuse, bankstérisée, détrousseuse de la mappemonde ». Il fait partie des codes traditionnels de toutes les mouvances fascistes, tout comme évidemment la référence à la banque Rotschild.

Cette banderole illustre la présence fasciste et antisémite au sein de ce mouvement, où certains militantEs bien connus , comme Benjamin Ball , leader du mouvement des Indignés et collaborateur complaisant des médias d’extrême-droite à l’époque non seulement participent mais aussi se présentent comme porte-paroles de Nuit Debout dans des médias traditionnels. Sa présence témoigne de surcroît d’une très grande tolérance à l’antisémitisme : très peu de gens semblaient « voir le problème », et si l’on peut penser avec beaucoup d’indulgence, que certains sont ignorants de bonne foi, reste que cela ne peut être le cas des nombreux militants confirmés qui participent à Nuit Debout et n’ont certes pas pu ne pas voir une banderole aussi voyante, se balader dans la manif, signée avec le nom de leur « mouvement », puis être accrochée Place de la Nation. »

Précisons que le terme « banksters » semble en réalité avoir été inventé dans les années 1936-1937 par Léon Degrelle, puis repris par Céline en 1938. Alors chef des rexistes, Degrelle a ensuite fondé pendant la guerre la division Waffen-SS Wallonie.
Journal_du_Siècle_banksters

Tombé depuis en désuétude, le terme a fait sa réapparition dans la bouche de Jean-Marie Le Pen suite à la crise bancaire de 2008, notamment lors de son discours d’Arras de mars 2009 dans lequel il a dénoncé pêle-mêle le « mondialisme », le « nouvel ordre mondial », l’ « hyper-classe mondiale » et enfin les « banksters ». On en trouve désormais des occurrences tant dans la sphère conspirationniste et d’extrême droite où elles sont bien sûr nombreuses, mais aussi chez Gérard Filoche ou Jean-Luc Mélenchon

Les soraliens et autres « dissidents »

Les antifascistes parisiens ont fait plusieurs descentes les premiers jours de Nuit Debout pour éjecter les fafs les plus visibles : le Mouvement du 14-Juillet/Sainte Rita et Sylvain Baron. Ce dernier a pourtant finalement triomphé le 17 avril, jour de la projection du film new age Demain, lors duquel il a pu discourir pendant une bonne heure avec une sono sur la place de la République, filmé par un ancien (?) militant de l’UPR, Jonathan Caby, à son retour d’une opération de manifesatation devant les médias lors de laquelle il a chanté La Marseillaise devant le siège de France Télévisions en compagnie du Cercle des Volontaires et des identitaires de Hollande Dégage :2016-04-18_baron_nuitdeboutPas inquiété par la commission « Accueil et sérénité » ni par les cadres du Front de Gauche qui se trouvaient à deux mètres de lui, dont Eric Coquerel, il était si à l’aise qu’il a fini par s’y asseoir en tailleur.

Après une séance de lecture du code pénal, il a pu tranquillement déblatérer sur les méchants antifas sans que personne ne réagisse, tout en faisant la promotion de Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Bernard Friot, Pierre Rabhi et du couple Bourguignon qu’il verrait bien occuper des postes dans son gouvernement idéal, affirmant contre toute évidence « ne pas faire de politique« . Pourtant, une petite phrase aurait du mettre la puce à l’oreille à l’assistance : « en tant que mec d’extrême droite je suis hostile à la peine de mort », a-t-il déclaré entre autres absurdités. Il faut dire que trois semaines auparavant, protestant contre son éviction, il avait déjà reconnu sur son blog : « je conviens que mes préoccupations sont tout à fait celles véhiculées par l’extrême droite. »

Sur cette place, outre le sketch sur pattes Sylvain Baron et sa bande, plusieurs autres activistes d’extrême droite, et notamment des youtubeurs, ont été aperçus : Yann Sarfati (ex-Indigné, ex-Bankrun, serait aujourd’hui membre de la Dissidence française), Greg Tabibian (J’suis pas content TV) qui aime faire des blagues sur Dieudonné, Soral, Faurisson et les Juifs aux antennes du Cercle des Volontaires et de MetaTV, mais aussi Scady Dubois ou Franck Brusset dit Terrene Trash, ainsi que Raphaël Berland du Cercle des Volontaires, qui d’après nos informations a même tenté de faire une intervention en AG. C’est d’ailleurs l’équipe du Cercle des Volontaires qui a recueilli la réaction du philosophe réactionnaire Alain Finkielkraut lors de son éviction de la place. Autre groupuscule réactionnaire apperçu distribuant ses tracts à République, le Parti Nouvelle France, formation « hors système » du châtelain Olivier Delafon. Même les défenseurs de la théorie conspirationniste des chemtrails sont arrivés ces derniers jours !

A quelques rares exceptions près, tous ces petits fachos en herbe se promènent tranquillement place de la République. A Nuit Debout, on peut faire la promotion de Chouard en pleine AG sans réaction du public, ou dénoncer les Francs-Maçons qui tiennent les médias ou contrôlent les élections en ne s’attirant que des sifflements bien timides, voire des applaudissements. Plus grave : le vocabulaire fasciste s’infiltre jusque dans les commissions, puisque les compte-rendus des deux premières AG nous apprennent qu’il a été envisagé de faire de la place de la République une Zad, pour « Zone d’activité dissidente ».

Fakir aussi use et abuse du terme "dissidence". Au départ, cette soirée devait s’intituler "Nuit des longs micros", puis "soirée On nous cache tout".
Fakir aussi use et abuse du terme « dissidence ». Au départ, cette soirée devait s’intituler « Nuit des longs micros », puis « soirée On nous cache tout ». Régulièrement Ruffin, emploie le mot « dissidence ». Il dit par exemple qu’il fait du « journalisme dissident ».


Et ailleurs qu’à Paris ?

Nuit Debout en province, ce n’est guère mieux. A Nantes, le mouvement est en partie infiltré par Clément Marot et Bruno Le Floch, ainsi que par leur ami Duarte Monteiro, tous d’anciens militants de la démosophie qui s’étaient illustrés lors du lancement du Mouvement du 14-Juillet et qui se revendiquent aujourd’hui sociocrates, une méthode de management profondément antisyndicale promue par Cyril Dion, le réalisateur du film Demain« . D’ailleurs, il semble qu’un Colibri soit justement très actif dans l’organisation de l’événement nantais, Simon Louvet.

En Vendée, c’est le fasciste proche de la Bac locale Thierry Noirtault qui a tenté de lancer le concept à La Roche-sur-Yon, sans succès cependant. A Angoulême, c’est l’Indigné confusionniste Alexandre Le couillard, proche des sites conspirationnistes Inform’Action et 4e singe, propriétaire de la page d’extrême droite facebook Les Indignés ainsi que de la page obscurantiste Radio Eveil, qui s’en occupe.

Alexandre_Lecouillard_Schira_InformAction_Les_Indignés

Les liens entre Lecouillard et les conspirationnistes d’Inform’Action relèvent de la collaboration active. Après son putsch sur la page Les Indignés, il fit entrer Renaud Schira ainsi que Casaux et Gauthier du 4e singe.

Toujours agrippé à son petit numéro de scout d’une niaiserie à la subtilité confondante, digne des plus grands acteurs de sa génération, Mr Mondialisation, qui a déjà rencontré Alexandre Lecouillard ainsi que Renaud Schira, relaie lui aussi Nuit Debout.

Celui qui se fait passer pour un sociologue est en réalité un informaticien belge spécialisé dans les réseaux. Mr Mondialisation est l’une des pages confusionnistes les plus retors à démasquer pour qui ne prête pas vraiment attention à ce qui lui tombe devant les yeux.

Ailleurs, par exemple à Grenoble, on retrouve les Colibris, dans certains cas même le MJS tente de s’y mettre… A Alès, quelques remugles du Mouvement du 14-Juillet et quelques soraliens ont pu être aperçus, ainsi qu’à Lyon, où ils ont été exclus. Ailleurs, des militants du FN ont tenté des intrusions…

Il faut dire qu’en réalité, les nuitdeboutistes ne sont absolument pas d’accord entre eux sur la question de la liberté d’expression des fascistes, et ne cessent de prendre des décisions contradictoires, comme le 6 avril où, suite à une première éviction de Sylvain Baron, à la question « Devons nous interdire la place à certaines personnes ? » après un vote non, la discussion à repris pour finalement aboutir à une absence de consensus tandis qu’à Chambéry, face à la venue de deux militants du FN, si 55 personnes on voté pour leur exclusions, 43 ont tout de même voté contre et le reste s’est abstenu.

De fait, après tout ce qu’on vient de voir, la déclaration de Frédéric Lordon à ce sujet lors du meeting fakirien du 20 mars à la Bourse du Travail de Paris ne peut que nous faire sourire, au mieux : « Dans ce marais d’impuissance où les chefferies médiatiques voudraient nous embourber, le message central ressemble à ces forfaits que pratiquent les usines à touristes de la Costal Del Sol : « All inclusive ». Nous voilà donc sommés d’être inclusifs, sans limites, d’accueillir tout le monde sans la moindre discrimination puisque c’est bien connu la démocratie ne souffre d’aucune discrimination. Oui mais voilà, ce pays est ravagé par deux violences à grande échelle : la violence du capital, et la violence identitaire raciste, cette violence, dont Finkielkraut est peut-être le propagateur le plus notoire. Mais au nom du démocratisme « all inclusive », les médias, qui seraient les premiers à nous faire le procès de devenir rouge-brun si le service Accueil et Sérénité ne faisait pas méthodiquement la chasse aux infiltrations, ces mêmes médias, qui nous demandent d’accueillir démocratiquement Finkielkraut : eh bien non. » La chasse méthodique aux infiltrations ? Mais de qui se moque ici Frédéric Lordon ?

Conclusion : Peut-on en tirer quelque chose ?

Une chose est sûre : si à droite le mouvement est critiqué, si le PS est gêné aux entournures, force est cependant de constater que Nuit Debout n’est pas un mouvement subversif. La répression y est mise en scène chaque lundi à 6 heures du matin, heure de fin d’autorisation préfectorale hebdomadaire. Les « nuitdeboutistes » replient alors calmement leurs tentes sous le regard affectueux des CRS, avant de les réinstaller le soir-même, une fois l’autorisation rétablie. Bien des médias y compris dominants se sont impliqués dans le mouvement, à l’image de L’Obs qui a donné le mode d’emploi des AG. Pour quel autre mouvement voit-on des journalistes se bouger autant pour inviter leurs lecteurs à y participer ? Même le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis est passé y faire un tour, sans être reconnu.

En fait, la Nuit Debout est devenue si centrale en trois semaines dans le débat politique que tout le monde se sent obligé de se positionner par rapport à elle. En parallèle, elle invisibilise les autres luttes et même le mouvement ouvrier contre la loi El-Khomry, dont il n’est plus vraiment question et que les « nuitsdeboutistes » ont dès le début choisi d’oublier. Avec son côté gentillet, elle offre également des arguments de poids aux contempteurs de la répression contre les manifestants les plus radicaux, accusés de « violences ».

Certains croient qu’il est possible de clarifier les choses, de virer les fachos, et que cela résoudra tout. Pourtant, les réactionnaires s’y sentent chez eux, comme en témoigne la tentative d’intrusion d’Alain Finkielkraut. Si celui-ci a été viré, le simple fait qu’il se soit cru bienvenu témoigne de la confusion qui règne sur place. Mais pour un réactionnaire ou un facho viré bruyamment, combien restent sur place, tranquillement abrités derrière l’anonymat de la foule ? Dans ces conditions, chercher à virer les plus visibles ne revient-il pas juste à servir la soupe aux organisateurs, trop contents d’être ainsi dédouanés de toute proximité idéologique ou militante avec l’extrême droite ? Pourquoi virer le nationaliste Sylvain Baron et pas le nationaliste François Ruffin par exemple ? Pourquoi conserver à des postes-clé des Xavier Renou ou des Benjamin Ball ? Pourquoi cette complaisance envers les Citoyens constituants ou le Parti du Vote blanc, qui tiennent des commissions malgré leurs accointances avec l’extrême droite ? Il est évident que si nombre de fachos se sentent chez eux à Nuit Debout, c’est parce que le fruit est dès le départ pourri jusqu’au trognon par des organisateurs qui soit leurs font des appels du pied idéologiques (Lordon, son État, sa nation et sa constituante) soient les défendent (Fakir contre les antifas), soit carrément les fréquentent ou assurent leur propagande (Xavier Renou et sa Boutique militante, Benjamin Ball).

Les esprits les moins embrumés auront très probablement noté que sur cette séquence social-démocrate s’agrippant à une phase historique au sein de laquelle tout un chacun comprend peu à peu que le seul parti au pouvoir, c’est celui de l’argent, le réformisme n’est plus en capacité de produire quelque illusion que ce soit sur sa nature véritable.

Qu’il se pare de ses habits européistes ou souverainistes, libréchangistes ou protectionnistes, croissants ou décroissants, citoyenniste ou constitutionnaliste, le spectre de cette vérité tangible apparaît de plus en plus nettement à beaucoup.

Mieux encore, le gouvernement semble prêter l’oreille à ce mouvement tout en amplifiant une répression sans précédent pour un pouvoir « de gauche », un énième tournant sécuritaire, réactionnaire et répressif, un énième tour de vis ajouté à tous les autres qui devrait sans doute nous interroger sur l’aspect suivant.

Comment est-il possible, en plein état d’urgence au sein duquel la police gouverne directement pour le Capital, de faire plus à droite ? Comment le PS va-t-il pouvoir continuer à courir devant les désirs de la bourgeoisie sans sombrer dans un processus d’autodestruction qui a déjà commencé ? Comment rendre encore plus à droite le pays qui enferme le plus de migrants en Europe de l’Ouest, qui démantèle des camps sans solutions d’hébergement, qui se comporte comme une armée néocoloniale sur son propre territoire, qui pourchasse les chômeurs, les femmes, les plus précaires, les sans-papiers, qui sert avec application le moindre des désirs du patronat et au-delà, de la classe possédante ?

Ceux qui votent FN « pour que ça pète » ont enfin la réponse à leur très mauvaise idée : Le Capital est en guerre contre nous, notre misère docile est sa solution à sa crise systémique. Il n’en possède pas d’autre. De plus en plus, le PS emprunte une bonne partie de son programme sécuritaire au FN car il gouverne lui aussi pour le Capital. L’état d’urgence nous en a offert une démonstration particulièrement criante avec la multiplication des perquisitions et assignations à résidence touchant quasi uniquement des personnes victimes de racisme ou le projet de déchéance de nationalité, certes avorté mais graissant la pente aux politiques racistes à venir. La répression frappant le mouvement lycéen a franchi un nouveau palier répressif et est d’une ampleur inédite s’agissant de mineurs. L’illusion démocratique appartient désormais au passé, les pouvoirs bourgeois ne veulent même plus faire semblant. Si un Etat sécuritaire ne nous rapproche pas de la Révolution – il nous en éloigne – l’emballement de concentration du Capital, quant à lui, nous rapproche de sa question.

23 avril 2016, Ornella Guyet