Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Quand la CGT mène sa vie de château
Article mis en ligne le 8 août 2009

par siksatnam

A Courcelle-sur-Yvette, des militants triés sur le volet suivent régulièrement des stages de perfectionnement. Au fil des ans, le décor - un manoir tout confort - s’est modernisé, la pédagogie aussi.

Au bout d’une allée fleurie se dresse le manoir. Des sculptures poussent sur la pelouse bichonnée comme à Versailles. Tout autour, du vert : 7,5 hectares, avec tennis et terrain de basket. Trop chaud pour jouer ce midi. Les invités, en bermuda, se réfugient sous les parasols du "coinvivial" - c’est son nom - où gravitent les gobelets de pastis. Coiffé d’un panama, un jeune sifflote "Sous le soleil exactement...", sans lâcher son guide rouge. Pas le Michelin, l’autre : le Code du travail. Le Routard du cégétiste.

Avant de reprendre les différents combats syndicaux, des militants de la CGT ont suivi un stage de perfectionnement dans l’Essonne.
On se pince pour y croire : des syndicalistes au château ! Plus précisément à Courcelle-sur-Yvette (Essonne), au coeur de la très cossue vallée de Chevreuse, à une heure de Paris. L’ancien moulin, réaménagé en hôtel cosy - salle de cinéma, appareils de muscu, billard... - n’appartient ni au Club Med ni à un riche propriétaire, mais... à la CGT. C’est là que se niche l’académie de la lutte sociale. Des férus de la négo. Des futurs Bernard Thibault. Là que se croisent les hauts potentiels de la confédération : quelque 4 000 militants ingurgitent toute l’année les nouvelles règles de la représentativité ou l’histoire de la scission de 1947. En cette période de crise, les syndicalistes sous pression fourbissent leurs stratégies à Courcelle. Révisent le déminage de plan social. Ne viennent que les stagiaires proposés par leur hiérarchie. Cet été, c’est complet. "Nous veillons à ce qu’il y ait du brassage, mais nous devons refuser du monde, confie Lucien Vives, directeur du centre. L’endroit fait beaucoup d’envieux."

[*Parfaire sa culture de syndicaliste*]

Ancienne propriété des Rothschild, puis d’un Russe blanc ayant collaboré avec les Allemands, le manoir fut un bordel pour les officiers de la Wehrmacht... Repris le 24 août 1944 par les Francs-tireurs et partisans (FTP) pour ouvrir le passage au général Leclerc venu libérer Paris, le site a été racheté en 1947 par la CGT, qui le baptisera centre Benoît-Frachon, en référence au résistant communiste, secrétaire général de la confédération de 1945 à 1967. Comme dans un musée, son bureau trône dans une pièce, orné d’un écriteau : "Quiconque néglige sa formation se voue inéluctablement à la stagnation."
L’aphorisme n’a pas pris une ride. Ce matin, le centre tourne à plein régime. En salle n° 3 : les conseillers prud’homaux. Salle n° 4 : les techniciens du spectacle. Salle n° 5 : les cheminots. Ce midi, le chef cuisinier s’apprête à servir 135 couverts, du confit de canard et des haricots verts. "Y a-t-il des régimes particuliers ?" s’enquiert une formatrice. "Des régimes spéciaux ?" s’amuse Marc, 37 ans, chef de cabine et délégué syndical chez Air France, compagnie tenaillée par des menaces de plan social. Encarté depuis 1999, ce bourlingueur originaire de Picardie possède une licence de civilisation scandinave. Parle le portugais. Mais a dû maîtriser un idiome aussi ardu : l’uppercut. Négocier, cela s’apprend. "C’est le nerf de la guerre, souligne Marc. Les dirigeants d’entreprise possèdent un solide bagage intellectuel, il faut nous mettre au niveau."

[*C’est à Courcelle que se repèrent les cadres de Montreuil*]

Quand la "cégète" retourne à l’école, la pédagogie pioche dans les sphères de Freinet et Piaget. Le stagiaire est associé à tout : on ne l’abreuve plus de pavés marxistes, on le fait participer. Une révolution amorcée à la fin des années 1990. "Jusque-là, il y avait très peu de débats, plutôt des leçons magistrales, souligne Nicole Franchault, formatrice à Courcelle. Sur l’évolution du salariat, on lisait du Magniadas [un économiste-syndicaliste], on discutait du Magniadas. Aujourd’hui, la formation cherche à rendre le stagiaire acteur."
PowerPoint, jeux de rôles et cas pratiques musclent le contenu. Réunies autour d’une table en U, une douzaine de recrues suivent la session "Formation de formateurs". Il y a là un conducteur de bus d’Evry, un camarade de la Fédération de la construction, une élue de l’Union départementale de Montpellier... Chacun apprend à animer un groupe. En langage Courcelle, ça s’appelle la théorie du Mecc : motiver-entreprendre-chercher-construire.
Démonstration avec Franck, 42 ans, tunique blanche et cheveux longs. Cet élagueur à la mairie d’Evreux, membre de la commission exécutive de la CGT pour la fonction publique territoriale, interpelle ses camarades : "Si un élément perturbateur me pourrit une formation, je l’isole ?" Réponse de Nicole Franchault : "Ce serait au groupe de lui dire : "Ça suffit !"" Franck a déjà suivi deux sessions de direction au manoir : "Cela donne de l’assurance, explique-t-il. J’ai dû négocier avec Bernard Debré quand il était encore maire d’Evreux. Il faut maîtriser à fond sa prise de parole, en gardant un certain culot ; je l’ai appris ici."

A chacun son fief

C’est une première : le n° 1 de la CGT, Bernard Thibault, se rendra cet été au château de Bierville, comme invité de l’université d’été de la CFDT (du 25 au 28 août). Nichée à Boissy-la-Rivière (Essonne), l’élégante propriété - tennis, minigolf, salons - sert de centre de formation à la CFDT. Une riche famille proche de Napoléon en fut propriétaire. C’est d’abord la CFTC qui, en 1950, hérita du domaine, à la mort de son propriétaire, le député Marc Sangnier, polytechnicien issu de la grande bourgeoisie. Après la scission de 1964 et la naissance de la CFDT, celle-ci a récupéré le lieu.
De son côté, Force ouvrière forme ses stagiaires au château de la Brévière, au coeur de la forêt de Compiègne (Oise), à 75 kilomètres de Paris : un legs du syndicat suédois LO effectué en 1972.

Le centre se refuse à donner des notes et des diplômes, mais c’est à Courcelle que se repèrent les cadres de Montreuil et que les réseaux se tissent. Responsable de la formation à la confédération, Jean-Paul Quinqueneau a ainsi tenu son petit carnet : "Pendant les stages, je notais les noms des personnalités que je remarquais." N° 2 de la CGT, Maryse Dumas a elle-même été repérée vers la fin des années 1970 par le futur secrétaire général Louis Vianney, qui ne la connaissait que de nom. "C’est une véritable école, nous apprenons à parler en public, à réaliser des synthèses, confie Maryse Dumas. Ce n’est pas vraiment le diplôme qui compte chez nous, c’est même plutôt un handicap. Nous ne voulons pas d’un bureau confédéral qui serait composé d’énarques !"
Pour les militants qui ont abrégé leur parcours scolaire, l’apprentissage syndical permet de raccrocher les wagons du savoir. "De grandir", souligne Maurad Rabhi, 39 ans, secrétaire général de la Fédération textile et membre du bureau confédéral depuis 2003. Elevé dans les Ardennes, ce fils de Kabyles, devenu technicien de maintenance, aurait pu figer son avenir à l’usine. Son diplôme ? Le bac pro. Son véritable examen ? Sa lutte jusqu’au-boutiste aux côtés des Cellatex [les salariés avaient menacé de jeter des produits chimiques dans une rivière] en 2000. Depuis, le militant n’a cessé de monter dans les instances de la CGT. Il traite avec les patrons du Medef. "Le social n’est pas une science exacte, vous pouvez rouler dans la farine un gars sorti de Polytechnique, dit-il, plus difficilement un militant de terrain." En septembre, Maurad Rabhi emmènera son équipe de la fédération en séminaire à Courcelle : "Là-bas, on se met au vert, on oublie la pression."

[*
L’ambiance a évolué au fil du temps*]

A l’heure où la France affiche l’un des plus faibles taux de syndicalisation d’Europe - il plafonne à 8 % des salariés - l’internat chouchoute ses recrues. Les dortoirs des années 1970 ont été remplacés par 130 chambres avec bonbons sur la table de nuit comme à l’hôtel Ibis. Les sucreries ne sont pas le seul attrait du château. "C’est la drague", confie un habitué. Les organisateurs en ont bien conscience : pour 2 euros, un distributeur fournit "4 préservatifs Manix Super". Fini, l’époque où le domaine vivait en autarcie, le portail fermé, les internes bridés comme au monastère. "Les stages de niveau supérieur duraient un mois ; du coup, les fêtes de clôture dégénéraient", se souvient Bernard Moreau, qui a contribué à la mue pédagogique du centre. Le jour où cet ex-directeur a fêté son départ, Bernard Thibault l’a titillé sur la discipline de fer qui régnait à l’époque où lui venait en stage avec les cheminots.
Depuis, l’ambiance a bien changé. En ce soir d’été, la salle de cinéma joue Séraphine, le film multicésarisé - demain, L’Elégance du hérisson, le livre, sera décrypté au café littéraire. Pendant que ses camarades se ravitaillent en cacahuètes au supermarché, Ghislaine, une brune pendue à son téléphone, tente de régler le problème de travailleurs bulgares exploités sur les chantiers de Saint-Nazaire. Son portable vibre toutes les deux minutes : "Où en est-on ?" s’inquiète la juriste. Des balles de tennis claquent au loin, un autre match commence.

Marie Huret