Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

La propriété c’est le vol : ANARCHIE ET PROPRIÉTÉ
Article mis en ligne le 18 décembre 2021
dernière modification le 3 décembre 2021

par siksatnam

« Est-il opportun de parler de propriété privée dans une perspective anarchiste ? Je pense qu’on doit le faire, car nombreux sont les anarchistes qui pensent que la propriété de leurs biens intimes et de leurs quatre murs est la source de leur liberté -ajoutée de la certitude d’obtenir le nécessaire pour vivre chaque jour. La propriété, dès lors, serait la condition de la liberté. Mais qu’implique la propriété ? C’est ce qu’on abordera ici.

En droit, on distingue trois piliers structurels de la propriété (qu’elle soit privée ou qu’elle soit collective -c’est-à-dire publique ou d’État) : l’usage, le fruit et l’aliénation (usus, fructus et abusus).

L’usage (usus), c’est le droit d’user d’un bien (maison, pomme, etc.) sans que l’on puisse vous le contester. Le fruit (ou fructus), c’est la libre jouissance de ce que produit un bien. L’exemple type est le verger ou le potager, dont les fruits (et légumes) vont à l’usufruitier (car celui qui bénéficie des fruits est généralement celui qui détient aussi l’usage - il existe cependant des cas où le détenteur de l’usus n’est pas le même que celui du fructus).

L’exercice de ces deux droits, c’est la possession, qui permet donc de bénéficier de l’usufruit d’un bien. Si vous êtes d’accord, vous admettez que tout ce que désirent les anarchistes que nous avons pris en exemple plus haut est déjà contenu ici. Reste l’aliénation (mot barbare, mais qui est celui qui me permet de traduire au mieux le terme abusus. Il serait en effet erroné de le traduire par abus). Ce troisième pilier est ce qui permet au propriétaire de faire de son bien ce qu’il désire, en dehors du simple exercice de possession : le transformer (ajouter un garage à sa maison), le détruire, le prêter, le donner, le louer, le vendre (bref, en faire commerce). C’est en effet du troisième pilier, l’abusus, que naît réellement la propriété : lorsqu’un propriétaire cède en donation ou vente, c’est l’abusus qu’il cède. Notez que usus et fructus suivent le plus suivant, mais pas toujours (si je vends mon appartement, mais que j’en reste locataire, par exemple) et pas nécessairement tout de suite (exemple du viager, où la cession de l’abusus n’est effective qu’au jour du décès du cédant).

De ce fait, possession et propriété sont largement différents. En outre, la possession assure déjà tout ce que désire l’anarchiste soucieux de son toit et de son intimité, puisque, même en droit bourgeois, l’adage vieux comme Rome dit « Possession vaut droit ». En effet, si vous êtes en possession d’un bien, on part du principe que vous êtes dans votre droit. C’est pour cela, par exemple, qu’un litige sur un appartement loué ne peut commencer par une expulsion.

Donc, si nous ne gardons que la possession, chacun a la liberté de conserver ce dont il jouit. Mais pourquoi exclure la propriété, et ne garder que la possession ? La propriété, contrairement à une idée reçue, et largement martelée par ses défenseurs depuis toujours, est castratrice de liberté. Tout d’abord, la propriété implique un droit exclusif du propriétaire sur un bien, qu’il peut opposer à tous ceux qui ne sont pas propriétaire de ce bien. Par conséquent, la propriété emprisonne les non-propriétaires d’un bien par rapport à celui-ci. Mais il y a plus. Comme on ne saurait être propriétaire de tous les biens, on est fatalement limités, exclus, emprisonnés par les exercices de propriétés dont nous ne sommes pas les titulaires.

Propriétaire ou pas, nous sommes donc prisonniers de la propriété. Ce que Diogène, premier anarchiste à tendance ascétique (j’abuse peut-être un peu), avait compris. Mais sa solution était purement individualiste. Comme la plupart des biens sur Terre, dès qu’ils sont « inventés » (de l’inventio, qui est la « procédure juridique » par laquelle un bien est découvert et, simultanément, entre dans le cadre du droit de propriété privée, si, si), deviennent propriétés, nous ne pouvons plus guère faire un pas sans nous poser la question de la propriété privée. On verra plus loin ce qu’il en est de la propriété collective.

On voit que la propriété ne libère pas du tout : elle enserre dans un carcan sous prétexte de stabilité dans les rapports sociaux l’ensemble des biens d’une manière telle qu’un homme peut mourir de soif à côté d’un puits ou de froid près d’un hôtel vide. Extrêmes, certes, mais vécus.

Autre impact de la propriété : la nécessité de la défendre. Si nous avons l’illusion de vivre dans un État de droit, la réalité concrète est toute autre : vigiles, flics, convoyeurs, cadenas, clés, alarmes, codes, cartes magnétiques, tickets, abonnements, fichiers, cadastres, etc. sont là pour nous rappeler que la propriété doit être défendue pour exister car son équilibre est continuellement contesté par ceux qui sont appelés voleurs.

Cette nécessité de défendre la propriété, vous l’admettrez sans mal, est une dépense d’énergie (sans compter le stress de l’insécurité alimenté par les mass-médias) telle qu’elle nous prive d’une certaine liberté. Avec le temps qu’on passe à répondre aux flics, ouvrir des portes, remplir des papiers, composer des codes, on aurait bien plus de temps pour faire d’autres choses. Mais voilà : il y a la propriété qui, paradoxe, nous prive de cette liberté -aussi bien comme propriétaires que comme non-propriétaires.

Paradoxe ? Non, bien sûr, puisqu’on aura admis que la libre jouissance d’un bien ne dépend pas de la propriété, mais de l’exercice de la possession et que la propriété ne garantit pas la liberté.

Propriété collective ?

Certains, surtout les communistes marxistes, défendent le concept de propriété d’État ou de propriété publique, bref de propriété collective [de cette notion découle celle de capitalisme d’État, naturellement]. Cette notion n’est pas meilleure que la propriété privée, parce qu’elle implique l’idée d’accumulation de propriété sur une tête de toute façon ; que cette tête en représente beaucoup ou non ne change rien.

D’autre part, la propriété implique encore et toujours l’abusus, qu’il soit ou non privé. Or, qu’est-ce que l’abusus ? On l’a vu, c’est la liberté d’aliéner un bien comme son propriétaire l’entend. C’est-à-dire, le donner, le vendre, le prêter, le louer, le transformer, le détruire, sans avoir besoin d’en référer à qui n’en est pas propriétaire. Or, peut-on envisager cela dans un monde communiste ou / et anarchiste ?

La vente, la location impliquent d’office un profit. Cela est exclu si l’on admet un monde sans profit. Très bien ! il suffirait dès lors de supprimer la vente et la location alors ? Reste que la capacité de donner, prêter, transformer ou détruire un bien, s’il est exercé par une personne (morale ou privée), sans consultation des autres personnes s’estimant concernées, peut impliquer du profit, parce qu’un don ou un prêt peuvent inclure une contrepartie cachée si la cession ne se fait pas dans la transparence (Or, la propriété, par essence, induit une « libre » disposition qui exclut la transparence). Détruire ou transformer un bien sans en référer aux « non-propriétaires » de ce bien implique que le propriétaire peut disposer de ce bien parce qu’il estime son seul intérêt contre l’intérêt éventuellement plus important d’autres.

L’exemple qui me vient à l’esprit est la destruction d’une maison par son propriétaire, virant ses occupants, ou bien la transformant en vue d’une autre destination (bureau, centre commercial) sans égard pour les besoins réels d’autres. Un État peut se comporter de la même manière, sans plus d’égard, alors que des « indigents » restent dans le froid, sans pouvoir infléchir sa décision.

Céder un bien (le donner, le prêter) n’est pas un mal en soi, s’il est fait en pleine considération du bien de tous. N’est réellement cédée que la possession de ce droit, sous l’œil amical ou indifférent de tous, si nul n’en ressent le besoin. « J’ai une pomme, tu as faim, mange-la, puisque les autres en ont assez », « J’ai une maison, tu as froid, viens. Demain, avec les autres, on s’arrangera -on en construira une ou on s’apercevra qu’il y en a de vides », « Regarde mes photos, écoute, enregistre mes disques, lis mes livres, emporte-les même, mais ramène-les après parce que les copains savent où les trouver ; si tu en veux un exemplaire, on en trouvera bien ». Ce dernier exemple, où les adjectifs possessifs ne sont pas à prendre dans un sens de propriété, illustre l’individu qui s’est attaché à des biens, qu’il conserve, qu’il entretient, qu’il met à disposition des autres. Il a librement pris la décision de préserver sa collection, éventuellement de l’augmenter (en récupérant ce que d’autres ne veulent plus entretenir, par exemple). Il possède, c’est-à-dire gère et jouit de sa collection, mais n’en retire aucun profit d’un quelconque commerce. Il y a donc gratuité des mouvements de biens, avec appui de la motivation de chacun pour leur préservation, dans l’intérêt de tous. Un système basé sur la possession repose sur la transparence et la tranquille affabilité. C’est une hypothèse de vie en commun qui exclut la cupidité (forcément) et exige une organisation et une capacité de gestion importante, mais fondée sur la seule bonne foi. Ce système permettrait que l’on produise certains biens en plus petite quantité (tous les médias culturels, notamment), puisqu’ils s’échangeraient rapidement. A l’ère de l’informatique, on peut s’appuyer sur le développement des supports de moins en moins contraignants. Pour la bouffe, les médocs, la flotte, on s’appliquera au mieux pour que chacun ait ce qu’il désire et dont il a besoin. Vêtements, habitation, meubles, loisirs et transports seront produits de la façon la plus économique et écologique possible, fournis et partagés de la façon la plus pratique et équitable, avec la meilleure volonté, chacun apprenant au fur et à mesure, à savoir ce qu’il peut demander de la capacité de production de la communauté sans l’épuiser, apprenant à connaître ce qui exige plus de temps, d’énergie, de motivation. Ultime exemple : si quelqu’un veut partager sa vie entre ici et un autre continent, il devra apprendre à aimer les longs voyages en train et en bateau, sauf cas d’urgence. A moins que d’ici là les transports ne posent plus le moindre problème. »

Thierry