Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Libertaire, je voterai (sans conviction) en 2022
Article mis en ligne le 10 avril 2022
dernière modification le 8 avril 2022

par siksatnam

Le titre de cet article peut sembler contradictoire. Une personne à tendance anarchiste qui vote (oui, libertaire est un synonyme d’anarchiste) ? Un anarchiste en herbe qui se choisit un maître ? Étrange non ? Eh bien je vais tenter de vous démontrer que non.

L’anarchisme pour moi, c’est une idéologie et des actions concrètes afin de lutter contre toutes les formes de domination. Oui, l’élection politique dans un système politique représentatif est un acte perpétuant une domination. Mais dans notre monde social, des dizaines d’autres formes de domination se jouent, à chaque instant, certaines plus violentes que d’autres et de ces maux, je veux choisir le moindre. Du moins à l’instant T.

Pureté idéologique ou culpabilité progressiste ?

En 2022, mon bulletin va à LFI, un parti de gauche réformiste, certes, mais suffisamment cohérent pour critiquer beaucoup d’aspects problématiques de notre monde social actuel, et qui réunit un socle électoral suffisamment large pour avoir des chances d’aller au second tour (au moins). J’aurais préféré ne pas voter du tout, car idéologiquement, je rejette ce modèle antidémocratique car « aristocratique », pour reprendre les termes de Dupui Deri. Quitte à voter pour le parti le plus proche de mes idéaux sans les représenter parfaitement non plus, j’aurais préféré voter pour le NPA, plus carrément anticapitaliste. Mais le NPA malgré le punch de Poutou, ne joue pas pour gagner. Et il est vital que certains de nos combats gagnent. Mélenchon en porte certains, et est en position d’aller au bout du jeu. Je joue, je mets une pièce dans la machine, sans conviction, mais sans me dégoûter non plus.

Qu’est ce que je perds à faire cela ?

Que puis-je perdre à trahir mon idéal en votant et en perpétuant un système électoral pourri et un candidat réformiste ? Je perds ma pureté idéologique. Dans l’idéal, je suis un abstentionniste convaincu. Aucun programme ne me convainc totalement. Les libertaires militants considérant le système représentatif bourgeois comme une négation de la volonté populaire et de l’action directe, ils ne proposent aucun programme, aucun candidat, et agissent au quotidien ; et je souscris tout à fait à cette analyse politique.

Je perds aussi un peu d’énergie à écrire ce genre d’articles (en vrai, c’est la toute première fois que je le fais), à « jouer le jeu » électoral, pour quelques jours ou semaines, afin d’expliquer ma position et d’éventuellement, convaincre. Je pourrais mieux l’utiliser à continuer à faire un travail de fourmi sur des enjeux qui me motivent plus, le combat contre le nationalisme, le racisme et le sexisme, la remise en cause de l’Etat autoritaire et des frontières, la critique du capitalisme qui extorque de la plus-value, la critique aussi de la propriété, du salariat, de l’exploitation de la nature… Mais je dirais que les deux ne sont pas contradictoires tant beaucoup de nos concitoyens ne se posent des questions politiques qu’à l’occasion des Présidentielles et semblent obnubiler par elle tous les 5 ans. Je vais donc sur le terrain où les choses se passent.

Enfin, on peut aussi penser que collectivement, on devrait tous arrêter de jouer le jeu électoral, et alors là, biiiim ! Sauf que cet argument ne fonctionne pas vraiment. Pensez-vous vraiment que l’aristocratie élue, celle qui gagne à chaque élection, renoncera d’elle-même à ce système électif, simplement parce qu’il y a plus d’abstention cette fois plutôt que l’autre ? Qu’elle renoncera à sa domination sans lutter ? Non. Elle modifiera à la marge le système électoral afin de le revigorer ou de le rendre plus contraignant, et c’est tout.

Et vu que le grand soir ne se décrète jamais, il ne reste pas beaucoup d’options à disposition, pour nous, opposants aux dominations…

Et qu’est ce que je gagne ?

Individuellement, que puis-je gagner à voir le programme de LFI s’imposer sur celui de LREM ou du RN ? Déjà, précisions que rien n’est garanti à 100% dans un système où les élus le sont sans mandat impératif ni révocatoire. Mais si on part du principe que Mélenchon accède au second tour et perd, on pourra au moins se dire qu’on a évité deux semaines supplémentaires à écouter Le Pen, Zemmour ou Pécresse nous sortir des théories racistes à tout-va, sur les banlieues, l’Islam, l’immigration, à faire preuve de sexisme, à vivre sur les peur, les polémiques et les fake news, et ça, déjà, ce serait une petite victoire (idéologique).

Si on part du principe que Mélenchon gagne la Présidentielle mais ne réussit à mettre en place que 10% de ce pourquoi il aura été élu… on pourrait au moins avoir la satisfaction de se dire que la destruction des solidarités ne continuera pas au même rythme que sous Macron, Hollande, Sarko… Qu’on arrêtera de culpabiliser et de dénigrer les profs, les soignants, les retraités, les malades, les handicapés, les chômeurs… Qu’on arrêtera de détricoter Sécurité sociale et la cohésion entre nous, modestes, précaires, marginaux ou marginalisés… Qu’on cessera de souffler sur la braise de la violence et de la haine en stigmatisant les minorités ethniques, religieuses, sexuelles, politiques mêmes, qu’on reconsidérera au moins à minima le droit à chacun de faire ce qu’il veut de son corps, de son temps, de sa vie. Qu’on arrêtera de glorifier la répression, la police, la prison, bref, le tout-sécuritaire.

Et si on était plus proche d’une mise en place de 50% du programme…
On observerait des tentatives d’augmenter le SMIC et certains minima sociaux.
On observerait des tentatives pour trouver des solutions aux problèmes agricoles, aux problèmes de logement, aux soucis du tout-marchand (sur l’eau, les énergies entre autres). On verrait peut-être s’amorcer (enfin) une transition écologique, même a minima. On verrait peut-être s’amorcer le passage à une sixième République – un peu plus démocratique ? -, via la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Ce n’est pas un monde idéal que je décris. Mais c’est déjà beaucoup d’entrevoir une réduction des inégalités économiques et des discriminations, un recul de l’économie marchande, une plus grande considération écologique, et démocratique. Même si tout cela sera contraint par les Traités européens et par l’austérité (entre autres), même si finalement peu pourra être fait pour taxer les plus riches, même si l’exil fiscal s’intensifiera probablement, il faut penser hors de soi-même, et se rendre compte d’à quel point les quinquennats de Sarkozy, Macron et à un degré moindre Hollande ont été durs et violents pour des pans entiers de la population.

Je le répète : pour moi, ce ne serait pas un vote de conviction, ni même d’adhésion forte. Mais ce serait un outil, comme un autre, pour desserrer l’étau qui comprime les vies de nombreux compagnon.nes et camarades. Un outil pour planter les graines de nouvelles idéologies. Pour engager de nouveaux rapports de force. Ce n’est pas un idéal. Mais au nom des vies de misères que certain.e.s vivent sous le libéralisme autoritaire, l’abstention ou le vote blanc ne sont pas un luxe que je m’accorde.

Vote et militantisme ne s’opposent pas forcément

Mais bien évidemment, le vote n’est qu’une action politique parmi d’autres. Et celle-ci est parfaitement insuffisante. Elle semble pourtant non-négligeable dans le monde aristocratique et représentatif dans lequel nous vivons, où nous n’avons pas le luxe de nous limiter aux modes d’expression que nous préférons. Car quelles batailles gagnerons-nous quand, drapés dans la vertu de notre combat et de notre rejet des institutions, ces dernières auront fait fermer tous nos collectifs, tous nos médias, empêché toutes nos manifs ?

Voter est un acte par défaut, mais qui se légitime lorsqu’il est accompagné d’autres actions politiques.

Un programme LFI au second tour à la place d’un programme RN ou LR, c’est une fenêtre d’Overton qui se déplace, c’est rendre acceptable voire populaire des idées encore généralement décrites dans les médias dominants comme radicales, voire extrêmes. Petites victoires au présent. Nouveaux champs politiques et culturels qui s’ouvrent à moyen-long terme. Ne négligeons pas l’impact qu’ont eu les passages au second tour des Le Pen – déjà en 2002, puis en 2017 – dans l’émergence d’idées néo-fascistes et/ou néo-nazies, et dans la droitisation de LR.

La gauche radicale pourrait se nourrir de l’émergence d’une vraie gauche au second tour, qu’elle gagne ou non. Cela redonnerait potentiellement de la force aux partis et collectifs d’extrême gauche, à des associations émancipatrices et à leurs combats. Cela amènerait une légitimité et une visibilité nouvelle aux militants de terrain, aux manifestants, aux grévistes, aux combats portés par ce camp. Cela pourrait même amener le PS ou EELV à retrouver une certaine dignité en lorgnant de nouveau vers les idées de gauche, abandonnées depuis longtemps au profit d’une logique marchande, voire autoritaire.

Evidemment, même un gouvernement LFI devra être combattu à gauche, par la gauche radicale, libertaire. On ne se fait pas d’espérances aveugles sur la marge de manœuvre d’un gouvernement de gauche en France, et sur les effets que le pouvoir politique a sur les individus (n’est-ce pas Louise Michel ?).

Bref, LFI au deuxième tour ou au pouvoir pourrait au moins redessiner les rapports de force dans le monde politique, à moyen-long terme, au profit des luttes d’émancipation. Il est évident que voter une fois tous les cinq ans est aux antipodes de notre vision de la politique et de la démocratie, mais cela ne nous amène pas forcément à considérer que cet acte va à l’encontre ou détruit tout le travail concret réalisé au quotidien par celles et ceux qui, véritablement, portent les valeurs de dignité et d’émancipation dans nos rues, nos quartiers, nos régions.

A ces seules conditions, aller voter peut être défendu, selon moi. Et sans conviction, j’irai.