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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Unabomber : la folle histoire d’un génie devenu ermite terroriste
Article mis en ligne le 15 octobre 2022
dernière modification le 11 octobre 2022

par siksatnam

Diplômé de Harvard, docteur en mathématiques, Ted Kaczynski avait tout pour lui. Mais sa haine de la technologie et de la société industrielle l’ont transformé l’un des terroristes les plus fascinants de l’Histoire.

Le regard fixe, la main sur la souris : êtes-vous heureux ? Depuis le début des années 2010, des études lient régulièrement l’usage d’Internet et des appareils connectés à des risques accrus de dépression et d’anxiété. Toutes ces boîtes de métal nous rendent parfois fébriles : certaines personnes s’agitent quand leur téléphone n’est pas à portée de main, d’autres s’inscrivent à des voyages "digital detox", des séjours loin des ondes et des écrans. Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes devenus dépendants.

Depuis la prison de très haute sécurité de Florence, Colorado, dans laquelle il purge les quatre peines d’emprisonnement à vie auxquelles il a été condamné en 1998, Ted Kaczynski se moque sans doute bien de nous et de nos vies remplies d’écrans. Entre 1978 et 1995, ce docteur en mathématiques a commis 16 attentats au colis piégé dans l’espoir de déclencher une "révolution contre la technologie". Ses cibles étaient des professeurs d’université, des vendeurs d’ordinateurs, un patron de compagnie aérienne et quelques autres malheureux qu’il tenait pour responsables des progrès du "système industriel". En avril 1996, quand le FBI l’a arrêté au terme de 18 années d’une enquête à 50 millions de dollars, sa croisade technophobe avait fait trois morts et 23 blessés.

Theodore Kaczynski est né en mai 1942 dans un village de l’Illinois. C’était un enfant chétif. A neuf mois, son corps s’est couvert d’urticaire. Pour s’assurer qu’il s’agissait bien d’une réaction allergique, les médecins ont dû le couper du monde extérieur et de ses parents pendant plus d’une semaine. Ce moment cruel a changé le jeune Ted : "Le bébé est revenu à la maison, écrivait sa mère en mars 1943. Il est en bonne santé mais il ne réagit pas beaucoup après son expérience." Ce manque de réactivité a vite laissé place à ce que les époux Kaczynski appelaient des "shutdowns" : dans les situations de stress, leur fils arrêtait de répondre et regardait dans le vide, comme s’il n’était plus vraiment là. Ces déconnexions ont coupé court à toutes leurs tentatives pour l’intégrer à des groupes d’enfants de son âge, des gamins du quartier aux Boy Scouts.

Les premières années d’école ont été difficiles pour Kaczynski. Ses camarades se moquaient de lui à cause de sa petite taille, de sa peur des immeubles et de son goût pour la solitude. Ted n’aimait pas s’amuser en groupe, il préférait lire ou composer des morceaux pour l’orchestre familial ; lui jouait du trombone, son père du piano et son jeune frère David de la trompette. Ce manque de sociabilité a fini par attirer l’attention des enseignants. En CM2, il aurait été soumis à des tests qui ont révélé que son quotient intellectuel avoisinait les 170, soit 30 points de plus qu’un "simple" surdoué. On s’est empressé de lui faire sauter une classe, puis deux. Malgré cette avance, il s’est beaucoup ennuyé au collège et au lycée. Tout était trop facile pour lui : en plus d’exceller dans toutes les matières, il s’épanouissait dans les clubs d’échecs, de biologie, d’allemand et de mathématiques de l’établissement. Il s’y était même trouvé quelques amis. Tous ses professeurs étaient convaincus qu’il deviendrait quelqu’un d’important.

Quelques mois avant ses 16 ans, Ted a appris qu’il était admis à Harvard. Il y a fait son entrée en septembre 1958, orgueilleux et motivé. Au grand soulagement de ses parents, le changement d’environnement et la prise d’indépendance n’ont déclenché aucun shutdown. Tout ce que l’université privée réclamait de travail et de discipline le galvanisait, ses notes étaient plutôt bonnes. Malheureusement, il demeurait incapable d’interagir avec ses semblables. Personne ne parvenait à lui arracher un mot. Chaque soir, il traversait le foyer de sa résidence étudiante en trombe pour s’enfermer au plus vite dans une chambre malodorante et remplie de détritus. Ses signaux étaient clairs, les autres élèves l’ignorait et tout se passait bien. Les choses ne se sont gâtées pour de bon que l’année suivante, quand Kaczynski a été choisi pour participer à une expérience imaginée par l’un des professeurs de psychologie de l’établissement, Henry Murray.

Au total, 22 étudiants ont été sélectionnés pour l’étude. Tous s’imaginaient qu’ils allaient débattre de philosophie entre eux, en binômes. Après tout, on leur avait demandé de rendre un essai autobiographique dans lequel seraient dévoilés leur système de pensée et leurs rêves. L’un après l’autre, ils ont été installés face à un miroir sans tain dans une pièce chaude et très éclairée. Là, ils ont découvert que leur adversaire serait en fait un étudiant en droit. Celui-ci avait été chargé de les ridiculiser en s’appuyant sur le contenu de leur devoir, si possible jusqu’à les mettre en colère. Tout était filmé par une caméra dissimulée derrière un mur. A la fin de l’affrontement, chaque étudiant devait visionner les images de son humiliation. Cette expérience a permis à Henry Murray d’étudier les réactions des ces "jeunes hommes doués" face à des situations de stress important. Il a mis fin à ces séances de torture trois ans plus tard, quelques semaines avant que Kaczynski ne décroche son diplôme et quitte Harvard.

En 1962, Kaczynski a intégré l’université du Michigan pour préparer un doctorat en mathématiques. Il travaillait dur et dispensait des cours particuliers sur son temps libre. Ses notes étaient excellentes, ses élèves semblaient apprécier sa méthode, son intelligence éblouissait camarades et enseignants. Obtenir son titre de docteur ne lui a posé aucun problème : sa dissertation de fin d’études était si bonne qu’elle lui a valu une récompense officielle de 100 dollars. Malheureusement, le jeune homme ne se plaisait pas dans son nouvel environnement. Il trouvait la faculté sordide, pas assez exigeante. Sa santé mentale vacillait. Des bouffées de paranoïa embrumaient ses jours ; la nuit, il faisait des cauchemars dans lesquels des psychologues tentaient de prendre le contrôle de son esprit. Il se sentait libéré lorsqu’il se réveillait après les avoir tous tués. Une rage noire s’emparait parfois de lui lorsqu’il pensait au système, à l’autorité, au conformisme. Il avait envie de prendre sa revanche.

Kaczynski a quitté l’université du Michigan pour celle de Californie à l’automne 1967, des ruminations toujours plus bruyantes dans la tête. Le poste de professeur adjoint de mathématiques qui l’attendait sur la côte Ouest a fini de le briser. Si loin de chez lui, sa timidité était devenue telle qu’il osait à peine parler à voix haute pendant ses cours. Il bégayait, grommelait, ignorait les questions des étudiants. Ceux-ci ripostaient en se moquant ouvertement de lui. Ces relents d’école primaire l’ont poussé à démissionner d’un coup sec en 1969. Après seulement deux années d’exercice, il avait décidé de retourner vivre chez ses parents, dans l’Illinois. Sa décision a beaucoup étonné ses collègues : le jeune mathématicien avait beau manquer de pédagogie, il produisait des articles remarquables à un rythme impressionnant. Sa réussite professionnelle semblait assurée.

C’en était fini de la première vie de Ted Kaczynski. Il ne serait pas scientifique, il ne ferait plus jamais de mathématiques, il en avait décidé ainsi. Ses parents ne parvenaient pas à le convaincre de chercher du travail, ne serait-ce que pour s’occuper un peu. Leur fils était devenu plus solitaire que jamais. Sa santé mentale se détériorait rapidement. Cloîtré dans sa chambre, il rédigeait de longues lettres adressées à des politiciens ou des grands journaux. Il y dénonçait l’industrie de la communication et ses mensonges, le bruit et la pollution causés par la prolifération des voitures, l’abattage des arbres et la construction d’autoroutes qui détruisent la nature. Dans l’un de ces longs argumentaires, il explique : "La plupart des problèmes sont la conséquence directe ou indirecte de l’activité de grandes organisations, entreprises et gouvernements." Sa haine du système continuait à grandir. Il devait faire quelque chose.

En juin 1971, Ted Kaczynski s’est offert un terrain isolé dans le nord du Montana. Il y a construit une cabane exigüe, sans eau ni électricité. Sa nouvelle maison. Quelques semaines plus tard, il était installé. Cette fuite radicale avait été planifiée avec soin : grâce à quelques manuels de survie et à une démarche scientifique rigoureuse, il avait appris à reconnaître les plantes comestibles, à chasser et même à élaborer des outils primitifs. Son rêve était de parvenir à vivre comme les peuples archaïques, loin du système et de ses rouages. Des panais, des carottes et des pommes de terre poussaient dans son petit potager, il traquait les lapins dans les bois enneigés. Si nécessaire, il enfourchait un vieux vélo et roulait jusqu’à Lincoln, le village du coin. Là, il achetait des journaux, des livres de science politique et des ingrédients de base pour sa cuisine d’homme de la forêt. La nature lui plaisait, il était enfin seul et heureux. Cela n’a pas duré.

Au bout de quelques années, des motoneiges se sont mises à sillonner les bois à proximité de la cabane. Le bruit des moteurs irritait beaucoup Kaczynski. Dans le lointain, il entendait aussi des hélicoptères et des tronçonneuses. Quelqu’un avait décidé de construire des routes au milieu des arbres. C’en était trop pour le mathématicien déchu. Une fois de plus, le monde extérieur faisait preuve d’une violence inouïe à son encontre. Le système était en marche contre lui, contre la nature, contre la vie tranquille qu’il essayait de mener. Malgré tous ses efforts, il n’avait pas pu lui échapper. Il était grand temps de riposter. "Je dois préciser que mon mobile est la revanche personnelle, explique-t-il dans un journal rédigé en 1977. Je ne prétends pas à une quelconque justification morale ou philosophique. (…) Mon objectif est de tuer un scientifique, un gros patron, un fonctionnaire ou apparenté. J’aimerais aussi tuer un Communiste."

Après avoir saboté quelques machines de bûcherons, tiré sur des hélicoptères et tendu des câbles dans la forêt pour blesser les pilotes de motoneige, Ted Kaczynski a fabriqué son premier colis piégé. C’était en mai 1978. L’engin explosif lui-même était plutôt rudimentaire : un tube de métal rempli d’un mélange de poudre noire et de bouts de têtes d’allumettes. Sa boîte était autrement plus remarquable. Toute en bois, elle avait été soigneusement assemblée, poncée et vernie par l’ermite. Sa première cible était Buckley Crist, un professeur d’ingénierie des matériaux de l’université de Northwestern. A la réception du paquet, celui-ci s’est montré suspicieux et a contacté l’un des policiers qui veillaient sur le campus. L’engin a explosé dès que le malheureux a soulevé son couvercle, le blessant légèrement à la main. L’épopée terroriste de Kaczynski avait commencé.

L’université de Northwestern a reçu une deuxième bombe fabriquée par l’ermite fou en mai 1979. L’étudiant qui a ouvert la boîte à cigares dans laquelle elle se cachait s’en est tiré avec des égratignures et quelques brûlures. Quatre mois plus tard, le 15 novembre, un troisième engin s’est déclenché dans la soute d’un avion en vol entre Chicago et Washington. Il n’y a pas eu d’explosion mais douze personnes ont été traitées pour inhalation de fumée. Cet attentat a poussé le FBI à ouvrir une enquête intitulée UNABOM, un nom de code forgé à partir des mots "university", "airlines" et "bomb". Les journalistes se sont inspirés de lui pour forger le célèbre nom de scène de Ted Kaczynski : Unabomber.

Le 10 juin 1980, le président de United Airlines, Percy Wood, a été lacéré et brûlé par une bombe cachée dans un gros roman qu’il venait de recevoir par la poste. "Je me sens mieux depuis que je commets ces crimes, avait alors écrit Kaczynski. Je suis toujours très en colère (…) mais maintenant je suis capable de me défendre, à un certain degré." Chacune des lettres qu’il envoyait à sa famille semblait désormais plus rageuse que la précédente. Son cinquième colis piégé a été désamorcé dans une salle de classe de l’université de l’Utah plus d’un an après.

Le 5 mai 1982, une bombe adressée à un professeur d’informatique de la faculté de Vanderbilt s’est déclenchée dans les mains de sa secrétaire. Kaczynski a été très contrarié d’apprendre que la jeune femme s’en était tirée sans blessures graves : "Je ne semble pas capable de fabriquer une bombe létale, maugréé-t-il dans son journal. C’est frustrant." Deux mois plus tard, son septième engin explosif a brûlé le visage et la main d’un professeur d’ingénierie électronique de Berkeley. Malgré la régularité des attentats et les efforts des profilers, l’enquête du FBI n’avançait pas. Unabomber était trop méthodique pour eux.

Ted Kaczynski prenait beaucoup de précautions pour se rendre invisible. Les composants de ses bombes étaient tous d’une grande banalité, n’importe quel adulte aurait pu se les procurer dans un magasin de bricolage. Il ne les manipulait jamais avant d’avoir enrobé ses doigts dans du film plastique et passait des heures à frotter les boulons avec du papier de verre pour leur ôter tout signe distinctif. Un mélange d’eau salée et d’huile de soja lui servait à coller les timbres sur ses colis. Afin de semer la confusion dans les couloirs du FBI, il allait jusqu’à laisser de faux indices dans ses engins : une petite plaque de métal frappée des initiales "FC", un message mentionnant un certain Nathan, des empreintes digitales inconnues et même un poil pubien récupéré dans des toilettes publiques.

Unabomber a marqué une pause de presque trois ans dans ses attentats avant d’expédier une nouvelle bombe à Berkeley en mai 1985. Tout ce temps lui avait servi à peaufiner son savoir-faire. Cette fois, le tube de métal rempli de poudre était caché dans un classeur ; John Hauser, un jeune ingénieur et capitaine de l’US Air Force qui espérait devenir astronaute, a perdu quatre doigts et l’usage de son oeil gauche dans l’explosion. Kaczynski a éprouvé des remords, pas trop longtemps : "Je ne me sens plus gêné d’avoir mutilé ce type, fanfaronne-t-il dans le journal qu’il tenait à l’époque. J’ai ri à l’idée d’avoir des scrupules de mutiler un pilote d’avion." Peu de temps après, une lettre de revendication rédigée avec une rigueur académique est parvenue au San Francisco Examiner. Le terroriste des bois s’y présentait comme un groupe appelé Freedom Club. Son but : "la destruction complète et permanente de la société industrielle moderne dans le monde entier."

Trois autres colis piégés signés FC ont été trouvés en 1985. Le premier a été désamorcé dans les locaux de Boeing, à Washington. Le deuxième a légèrement blessé un professeur de psychologie de l’Université du Michigan et son adjoint. Le 11 décembre 1985, un shrapnel propulsé par le troisième a perforé le coeur de Hugh Scrutton, le patron d’un magasin d’informatique. Dans sa cabane, l’ermite s’est réjoui d’avoir fait son premier mort.

En 1987, un autre vendeur d’ordinateurs a été mutilé par une bombe cachée dans un bout de bois. Cette fois, il y avait un témoin ; quelqu’un avait vu un homme louche s’affairer à proximité de la boutique de la victime. Un portrait robot a été diffusé. Effrayé, le terroriste a fait profil bas pendant six ans avant de s’en prendre à deux généticiens de l’université de Californie et de Yale. Le premier a perdu trois doigts et une partie de son audition, le second sa main droite. A nouveau frustré par ce manque d’efficacité, Kaczynski a fabriqué de nouveaux engins bourrés de clous et de lames de rasoir. Thomas Mosser, un expert en communication, a été tué par l’un d’entre eux en décembre 1994. En avril 1995, un ultime colis piégé a causé la mort d’un lobbyiste de l’industrie du bois, Gilbert Murray. S’il ne s’était pas laissé emporter par l’orgueil que lui inspiraient ces deux meurtres, Unabomber aurait sans doute fait d’autres victimes.

Kaczynski a envoyé une nouvelle lettre de revendication au New York Times après la mort de Gilbert Murray. Il y moquait copieusement le FBI et réclamait du quotidien qu’il publie un "long article, entre 29 000 et 37 000 mots". Les colonnes des magazines Newsweek ou Time feraient également l’affaire. Si l’un de ces titres accédait à sa demande, le Freedom Club cesserait définitivement toute activité terroriste. Malgré la controverse, La Société industrielle et son futura été publié en septembre 1995 par le New York Times et le Washington Post. Le manifeste d’Unabomber était désormais à la portée de tous.

Theodore Kaczynski détaille soigneusement son système de pensée et ses rêves dans son essai. Le responsable de tous nos maux, tonne-t-il dès l’introduction, c’est le "système industrialo-technologique" : "La Révolution Industrielle et ses conséquences ont été un désastre pour la race humaine. Ils ont énormément augmenté l’espérance de vie de ceux d’entre nous qui vivons dans des pays "avancés", mais ils ont déstabilisé la société, rendu la vie peu satisfaisante, soumis les êtres humains à des indignités, conduit à des souffrances psychologiques généralisées (à des souffrances physiques dans le Tiers-Monde, également) et infligé des dégâts sévères au monde naturel. La poursuite du développement de la technologie empirera la situation."

A en croire l’ermite terroriste, le développement de la technologie détruirait notre liberté en nous condamnant à "la surpopulation, aux règles et règlements, à la dépendance croissante des individus de grandes organisations, à la propagande et autres techniques psychologiques, au génie génétique, aux ingérences dans la vie privée par des dispositifs de surveillance et les ordinateurs, etc." Arrêter une seule de ces menaces nécessiterait une "lutte sociale" d’envergure, longue et difficile. Or, "ceux qui veulent protéger la liberté sont écrasés par le seul nombre de nouvelles attaques et la rapidité avec laquelle elles se développent". Dès lors, "on ne peut espérer le succès qu’en luttant contre le système technologique dans son ensemble, mais ceci est une révolution, pas une réforme."

En envoyant des bombes à des gérants de boutiques d’informatique et des étudiants, Kaczynski pensait "encourager les contraintes et l’instabilité sociales dans la société industrielle", la première partie de son plan de bataille. La deuxième consistait à "développer et propager une idéologie qui s’oppose à la technologie et au système industriel", notamment en faisant publier son manifeste. A terme, pensait-il, cette double action rendrait le système suffisamment "contraint et instable" pour rendre possible une révolution technologique. La Société industrielle et son futur a fait grand bruit. En 1995, le tirage du New York Times atteignait un million et demi d’exemplaires ; celui du Washington Post, environ un million. Beaucoup de gens ont lu la prose de Theodore Kaczynski. Son petit frère David l’a reconnue. Quelques mois plus tard, il en a fait part au FBI.

Les agents de la police fédérale ont fait irruption dans la cabane du Montana le 3 avril 1996. Kaczynski a été arrêté là, au milieu des pages originales de son manifeste, de ses caisses à outils et d’une bombe prête à être expédiée. Sa croisade était terminée. Le 22 janvier 1998, il a plaidé coupable aux treize chefs d’accusation qui pesaient contre lui. Mêlée au diagnostic de schizophrénie paranoïde posé par le psychiatre qui l’a ausculté à la demande de la cour, cette décision lui a permis d’éviter la peine de mort. La sentence est tombée le 4 mai suivant : quatre fois la perpétuité plus 30 ans. Au cours du procès, il est apparu que le si méthodique Unabomber choisissait ses victimes au hasard de ses lectures. "Je n’ai jamais compris pourquoi il s’en était pris à moi, a déclaré Percy Woods en 1996. Je pense qu’aucun d’entre nous n’en a jamais eu la moindre idée."

par Sébastien Wesolowski