Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Vaincre ou mourir : critique d’un Puy sans fond de nullité
Article mis en ligne le 2 février 2023
dernière modification le 28 janvier 2023

par siksatnam

Il faut bien admettre qu’à l’annonce de Vaincre ou mourir, le premier film produit par le Puy du Fou, on se doutait qu’on allait s’en payer une tranche. Mais en y ajoutant le soutien de Vincent Bolloré et du distributeur SAJE dans leur entreprise d’évangélisation décomplexée des masses, cette réécriture hallucinée des guerres de Vendée a explosé nos compteurs Geiger. Critique d’un monument de radioactivité cinématographique.

QU’EST-CE QU’ON A FAIT AU BON DIEU ?

“Je me sers de mes médias pour mener un combat civilisationnel”. Ces mots, ce sont ceux de Vincent Bolloré, rapportés par le journaliste Vincent Beaufils dans une biographie dédiée au milliardaire. Autant dire que, depuis, on a eu l’occasion de constater la réalité de cette assertion, ne serait-ce qu’au contact des torrents d’inepties rétrogrades proférées par les Pascal Praud, les Hanouna et autres animateurs d’En quête d’esprit qui pullulent sur les chaînes du groupe Canal+.

Il est donc aussi navrant que peu surprenant de voir le “catholique traditionaliste” (selon les termes de Wikipédia) profiter de son influence pour rassembler les Sinister Six de la pensée réac bien de chez nous. C’est là qu’entrent en jeu le Puy du Fou et les Bouffons verts de la famille De Villiers, toujours prompts à exploiter leur parc à thèmes pour une instrumentalisation en règle de l’histoire.

Le succès indécent de la structure vendéenne permet désormais l’émergence de Puy du Fou Films, une société de production pensée pour exploiter les décors du parc pour des tournages, un peu à la manière d’une Cinecittà hexagonale. Dans les faits, l’idée est plutôt maline, et Nicolas de Villiers (directeur du Puy du Fou et producteur de Vaincre ou mourir) ne se prive pas de vanter les possibilités qui en découlent, à savoir d’en tirer un cinéma historique, épique, familial et rassembleur, bien loin de “ces films de gauchistes ultra-subventionnés par nos impôts” (insérer nom de Youtubeur inculte de droite).

Vaincre ou mourir est ainsi la première trace de pneu tendance diarrhée carabinée à sortir de cette usine infernale, épaulée par StudioCanal et l’implication personnelle de Bolloré, ainsi que par SAJE, un distributeur spécialisé dans les films chrétiens. Pour couronner le tout (sans mauvais jeu de mots), l’équipe puyfolaise a décidé d’adapter Le Dernier Panache, l’un des spectacles les plus populaires du parc autour des guerres de Vendée, et la figure controversée du Général François-Athanase Charette de la Contrie.

Entendons-nous bien, les guerres de Vendée reflètent peut-être mieux qu’aucun autre événement historique la période trouble que fut la Révolution française. Pour peu qu’on ait eu un prof d’histoire compétent dans sa jeunesse, il est impossible de tracer une ligne claire entre le blanc et le noir au sein de la multitude d’insurrections, de répressions, et de guerres civiles qui ont mené à la laborieuse institution de la République. Donc en l’état, il n’est pas question de faire un procès d’intention à un biopic sur Charette, militaire devenu presque malgré lui un symbole de la résistance anti-républicaine, catholique et monarchiste, bien que le bonhomme puisse sembler aujourd’hui du mauvais côté de l’Histoire.

LES FACHOS SORTENT DU BOIS

Mais pour cela, il aurait fallu que Vaincre ou mourir ait pour priorité la nuance, ce qui n’est en aucun cas son souhait. Au contraire même, la production de Puy du Fou Films donne le bâton pour se faire battre dès son ouverture ubuesque, un sublime KO par forfait où des historiens viennent poser le contexte du long-métrage afin de servir d’argument d’autorité à la suite de la reconstitution.

En même temps, il est bon de préciser que cet objet improbable a d’abord été pensé comme un docu-fiction à destination de la télé, avant que ses décisionnaires ne décident d’en faire une fresque de cinéma (sic). Pas de bol, ça se voit, et ça se voit même beaucoup, puisque les réalisateurs Paul Mignot et Vincent Mottez n’essaient même pas de se dépatouiller de cette base.

Entre une musique générique que même un Hans Zimmer torché au Jägermeister n’aurait pas vomie au petit-déjeuner, et la voix-off omniprésente du héros qui donne envie de se percer les tympans, Vaincre ou mourir est moins un film qu’un podcast de luxe, platement illustré par des suites d’images sans queue ni tête, et des agrégats de scènes qui annihilent toute notion de scénographie, comme s’il s’agissait d’un défi.

Incapables de construire la moindre émotion, le moindre arc narratif ou le moindre souffle épique (pourtant vendu comme l’ambition numéro un de cette daube), les deux réalisateurs ne peuvent dissimuler la misère derrière une caméra à l’épaule indigente et un hors-champ qui en devient involontairement comique à force de se refuser de filmer la moindre bataille. Et encore, on ne parlera pas de la photographie qui fait passer la Vendée pour Dunkerque, puisque l’équipe technique ne devait pas savoir qu’un chef opérateur est essentiel sur un plateau.

Forcément, cette frise chronologique sans âme, qui engloutit les dates et les ellipses au point de causer l’indigestion, n’a pas d’autre choix que de se reposer sur la description permanente (mais VRAIMENT permanente) de Charette. Le pauvre Hugo Becker en vient d’ailleurs à faire rire en essayant de trouver la jonction vocale parfaite entre un Clint Eastwood constipé et le Batman de Ben Affleck. À ce moment-là, l’envie de se tirer une balle est à peine endiguée par le fait que le suicide reste un péché, et l’on ne peut que voir en Vaincre ou mourir l’inverse absolu de l’idée de mise en scène, tant ses plans ne racontent rien par eux-mêmes, à la manière d’une négation (presque) fascinante de l’expression “show, don’t tell”, si chère à notre septième art adoré.

CLAIREMENT, MOURIR

De là, on pourrait continuer de tirer avec joie sur l’ambulance, si sa forme catastrophique n’était malheureusement pas en adéquation avec son révisionnisme puant. Sans sourciller, et avec une approche décomplexée qui devrait franchement inquiéter, la production de Puy du Fou Films s’assume comme un tract royaliste et catho intégriste, où la République est perçue comme le système politique qui a, petit à petit, entraîné la chute de “nos valeurs chrétiennes”. Le montage erratique se veut au service d’une vision binaire de l’Histoire, faisant de tous les Républicains des manipulateurs narquois et méprisants, ou des criminels de guerre assoiffés de sang, le tout appuyé par des inserts pachydermiques sur des lames de guillotines et des baïonnettes.

Dans ce fatras irresponsable, les personnages se contentent tous d’être de bêtes fonctions, des pancartes qui cherchent juste à légitimer l’appellation hautement polémique de “génocide vendéen”. Charette devient une icône jamais remise en cause pour ses actes et son positionnement idéologique, et c’est bien normal puisque le long-métrage en fait un véritable héros de la nation, un défenseur d’une chrétienté nauséabonde portée en étendard (quand bien même la dernière partie montre que son orgueil l’a amené à envoyer au casse-pipe des paysans sous-armés).

Difficile de ne pas tracer un parallèle immonde entre cette réécriture simpliste de l’Histoire de France et la stratégie de ses artisans, persuadés d’être de nouveaux Croisés partis en guerre pour sauver un pays qu’il faut évangéliser de nouveau. À moins que ce prosélytisme ne soit purement cynique, adapté à une époque grandement propice à sa résurgence, alors que des pans entiers de la population française ne savent plus en quoi croire.

D’aucuns se contenteront sans doute d’ignorer la chose, ou de minimiser son impact, mais la sortie de Vaincre ou mourir est bien grave et alarmante. Voilà le signe avant-coureur d’une extrême-droite catho qui trouve plus que jamais des tribunes décomplexées pour vomir son fiel, ce qui n’est pas sans évoquer le succès progressif des saloperies évangélistes américaines (Dieu n’est pas mort, Unplanned...), devenues aujourd’hui un business à part entière.

Il convient donc de pointer du doigt non seulement les responsables de sa fabrication, mais surtout ceux qui cautionnent son existence (en particulier les exploitants de salles, qui ont pourtant le choix de leur programmation). On supposera que leur éthique à géométrie variable ne devrait pas les empêcher de s’offusquer face à la montée de l’extrême-droite à chaque nouvelle élection...

Mais le pire là-dedans, c’est que Vaincre ou mourir n’est même pas un film. À force de chier à la gueule des règles les plus élémentaires du découpage et du montage, il n’est que l’une des expériences audiovisuelles les plus longues et douloureuses de ces dernières années, là où ses modèles américains ont au moins le mérite de faire passer la pilule réac par un minimum de tenue technique.

On peut en revanche parler d’antéchrist, d’anti-film, d’anti-cinéma et d’anti-culture. Le voilà, le véritable “combat civilisationnel” de Vincent Bolloré, qui exploite le septième art en outil de propagande similaire à Touche pas à mon poste. Bienvenue en 2023, et au retour de l’obscurantisme le plus total, qui ne prend même plus la peine de se fournir un écrin attrayant pour masquer son odeur méphitique. Non, plus besoin. Il suffit désormais de pondre un machin analphabète, pensé par des gens crétins, à destination d’un public que ces élites considèrent comme tout aussi crétin. Mais soyez rassurés chers agneaux, l’Apocalypse approche, puisque Vaincre ou mourir en est sans nul doute l’un des plus gros signes annonciateurs.

Antoine Desrues