Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Sollers tel quel.
par Pierre BOURDIEU (publié le 27 janvier 1995)
Article mis en ligne le 13 mai 2023
dernière modification le 9 mai 2023

par siksatnam

SOLLERS TEL QUEL, tel qu’en lui-même, enfin. Etrange plaisir spinoziste de la vérité qui se révèle, de la nécessité, et s’accomplit, dans l’aveu d’un titre, Balladur tel quel (1), condensé à haute densité symbolique, presque trop beau pour être vrai, de toute une trajectoire : de Tel Quel à Balladur, de l’avant-garde littéraire (et politique) en simili à l’arrière-garde politique authentique.

Rien de si grave, diront les plus avertis ; ceux qui savent, et depuis longtemps, que ce que Sollers a jeté aux pieds du candidat-président dans un geste sans précédent depuis le temps de Napoléon III, ce n’est pas la littérature, moins encore l’avant-garde. Mais ce faux-semblant est bien fait pour tromper les vrais destinataires de son discours, tous ceux qu’il entend flatter, en courtisan cynique, Balladur et énarques balladurophiles, frottés de culture Sciences po pour dissertation en deux points et dîners d’ambassade ; et aussi tous les maîtres du faire-semblant, qui furent regroupés à un moment ou à un autre autour de Tel Quel : faire semblant d’être écrivain, ou philosophe, ou linguiste, ou tout cela à la fois, quand on n’est rien et qu’on ne sait rien de tout cela ; quand, comme dans l’histoire drôle, on connaît l’air de la culture, mais pas les paroles, quand on sait seulement mimer les gestes du grand écrivain, et même faire régner un moment la terreur dans les lettres. Ainsi, dans la mesure où il parvient à imposer son imposture, le Tartuffe sans scrupules de la religion de l’art bafoue, humilie, piétine, en le jetant aux pieds du pouvoir de plus bas, culturellement et politiquement ­ je pourrais dire policièrement ­ tout l’héritage de deux siècles de lutte pour l’autonomie du microcosme littéraire ; et il prostitue avec lui tous les auteurs, souvent héroïques, dont il se réclame dans sa charge de recenseur littéraire pour journaux et revues semi-officiels, Voltaire, Proust ou Joyce.

Le culte des transgressions sans péril qui réduit le libertinage à sa dimension érotique, conduit à faire du cynisme un des beaux arts. Instituer en règle de vie le « anything goes » post-moderne, et s’autoriser à jouer simultanément ou successivement sur tous les tableaux, c’est se donner le moyen de « tout avoir et rien payer », la critique de la société du spectacle et le vedettariat médiatique, le culte de Sade et la révérence pour Jean-Paul II, les professions de foi révolutionnaires et la défense de l’orthographe, le sacre de l’écrivain et le massacre de la littérature (je pense à Femmes).

Celui qui se présente et se vit comme une incarnation de la liberté a toujours flotté, comme simple limaille, au gré des forces du champ. Précédé, et autorisé par tous les glissements politiques de l’ère Mitterrand, qui pourrait avoir été à la politique, et plus précisément au socialisme, ce que Sollers a été à la littérature, et plus précisément à l’avant-garde, il a été porté par toutes les illusions et toutes les désillusions politiques et littéraires du temps. Et sa trajectoire qui se pense comme exception, est en fait statistiquement modale, c’est-à-dire banale, et à ce titre exemplaire de la carrière de l’écrivain d’une époque de restauration politique, et littéraire : il est l’incarnation idéale typique de l’histoire individuelle et collective de toute une génération d’écrivains d’ambition, de tous ceux qui, pour être passés, en moins de trente ans, des terrorismes maoïstes ou trotskystes aux positions de pouvoir dans la banque, les assurances, la politique ou le journalisme, lui accorderont volontiers leur indulgence.

Son originalité, ­ parce qu’il en a une : il s’est fait le théoricien des vertus du reniement et de la trahison, renvoyant ainsi au dogmatisme, à l’archaïsme, voire au terrorisme, par un prodigieux renversement autojustificateur, tous ceux qui refusent de se reconnaître dans le nouveau style libéré et revenu de tout. Ses interventions publiques, innombrables, sont autant d’exaltations de l’inconstance ou, plus exactement, de la double inconstance -, bien faite pour renforcer la vision bourgeoise des révoltes artistes ­, celle qui, par un double demi-tour, une double demi-révolution, reconduit au point de départ, aux impatiences empressées du jeune bourgeois provincial, pour qui Mauriac et Aragon écrivaient des préfaces. -