[*Pas très productif, ce type de manif…*]
Quand on manifeste, c’est toujours pour quelque chose. Sur le terrain politique, c’est pour faire avancer une lutte ou populariser une idée – en adressant un message à la fois au pouvoir (c’est ça qu’on veut et on est déterminé à l’avoir) et aux gens qui nous entourent (voici de quoi il s’agit, rejoignez-nous ou soutenez-nous). Pour faire connaître la finalité d’une manifestation, il existe un certain nombre de moyens (prises de parole, slogans… banderoles, tracts, journaux, affiches, tags… parcours vers un lieu symbolique ou action symbolique durant le parcours…) ainsi que des signes distinctifs dans le cortège (badges, autocollants, drapeaux…) favorisant une identification et une adhésion à la lutte menée.
Lorsque l’objectif de la lutte n’est pas clairement énoncé (pas de banderole, pas ou peu de tracts…), ce sont les moyens mis en œuvre qui ressortent au détriment de son enjeu. En particulier, les effets de l’action violente, qui peut devenir rapidement une fin en soi, ou du moins apparaître comme telle – non seulement pour le pouvoir (ce qui en soit n’est pas tellement grave, car personne ne cherche vraiment à le convaincre du bien-fondé d’une mobilisation) mais aussi pour le public… et pour les acteurs et actrices de cette action (ce qui l’est bien davantage).
En ce qui concerne les spectateurs et spectatrices, l’emploi d’une violence apparaissant totalement injustifiée, « gratuite », parce que son enjeu n’est pas assez clair, va avoir un effet à rebrousse-poil. D’une part, la grande majorité, déjà peu acquise à nos mobilisations, se tournera vers les « forces de l’ordre » pour réclamer qu’elles rétablissent celui-ci. D’autre part, la minorité susceptible de se reconnaître dans une de nos causes s’en détournera par dégoût, peur de prendre des coups, crainte d’être manipulée si elle rejoint les rangs… ce qui contribue à enterrer une lutte bien davantage qu’à la développer.
En ce qui concerne les acteurs et actrices de l’action violente, le risque est grand de les voir perdre très vite de vue le sens de la mobilisation en cours, en recourant à de tels moyens. Car ceux-ci deviennent facilement un but en soi – la baston pour la baston –, ce qui réduit l’affrontement avec le pouvoir à un face-à-face avec les flics et un saccage des représentations du capitalisme marchand ou financier. Mais, de plus, pareille dérive s’accompagne souvent d’autres effets pervers :
convaincre les partisans de la violence (sinon les renforcer dans l’idée) qu’ils et elles sont les seuls détenteurs de la démarche à impulser – donc de la « vérité » –, un premier pas vers l’avant-garde éclairée (si celle-ci n’était pas déjà pensée en ces termes) ;
les entraîner, en conséquence, à organiser le « spectacle » de cette violence comme un bataillon militaire n’obéissant qu’à ses propres lois, sans se préoccuper des retombées sur leur environnement immédiat ni des conséquences sur la mobilisation initiale (avec une caricature des services d’ordre partidaires et syndicaux ordinairement dénoncé) – un choix qui attirera dans les rangs de l’ « élite activiste » d’autres activistes obéissant à une logique identique, mais pas forcément à ses motivations ;
piéger plus ou moins les personnes engagées dans la lutte d’origine en les faisant entrer dans un cycle permanent de violence-répression où elles useront leur énergie au nom de la solidarité (« malgré tout », puisque ce sera un choix forcé) et au détriment de l’efficacité pour cette lutte, qui y perdra une bonne part de son sens.
Françoise (OCL Poitou)