" Quelque chose de nouveau était en train de se produire, la montée d’une nouvelle intolérance. Elle se répandait à la surface de la terre mais personne ne voulait en convenir. Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles :
l’islamophobie. Critiquer la violence militante de cette religion dans son incarnation contemporaine était considéré comme du fanatisme. Une personne phobique avait des positions extrêmes et irrationnelles, c’était donc elle qui était fautive et non pas le système religieux qui revendiquait plus d’un milliard d’adeptes à travers le monde. Un milliard de croyants ne pouvaient pas avoir tort, les critiques devaient donc être ceux qui avaient l’écume aux lèvres. Quand, voulut-il savoir, était-il devenu irrationnel de détester la religion, quelle qu’elle soit, et de la détester avec force ? Depuis quand la raison était-elle définie comme la déraison ? Depuis quand les histoires fantaisistes des superstitieux étaient-elles hors d’atteinte de la critique, de la satire ? Une religion n’était pas une race. C’était une idée, et les idées résistaient (ou s’effondraient) parce qu’elles étaient assez fortes (ou trop faibles) pour supporter la critique, non parce qu’elles en étaient protégées. Les idées fortes accueillaient volontiers les opinions contraires. « Celui qui lutte contre nous renforce notre résistance et accroit notre habileté, écrivait Edmond Burke. Notre adversaire nous rend service ». Seuls les faibles et les tyrans se détournent de leurs opposants, les insultent et parfois même, leur veulent du mal.
C’était l’islam qui avait changé et non pas des gens comme lui, c’était l’islam qui était devenu allergique à toute une large sorte d’idées, de comportements et d’objet. Au cours de ces années et des années suivantes, des voix islamiques dans plusieurs parties du monde, Algérie, Pakistan, Afghanistan, s’élevèrent pour lancer l’anathème contre des pièces de théâtre, des films, de la musique, certains musiciens ou interprètes furent blessés ou tués. L’art de la représentation c’était le mal, c’est pourquoi les anciennes statues des Bouddhas de Bamiyan furent détruites par les Talibans. Il y eut des attaques d’islamistes contre des socialistes, des syndicalistes, des caricaturistes, des journalistes, des prostituées et des homosexuels, des femmes en jupe et des hommes sans barbe, et même de façon surréaliste, contre des démons épouvantables : les poulets congelés et les samosas".
Ce texte est la page 400 du dernier livre de Salman Rushdie « Joseph Anton une autobiographie » éditions PLON.
L’auteur qui sait (c’est le moins que l’on puisse dire) ce dont il parle est d’une grande actualité quand certains se réclamant même de l’extrême gauche lancent à nouveau des anathèmes.
Oui, Rushdie avait raison, oui, Charlie Hebdo avait raison. La liberté d’expression se défend, elle ne se négocie pas.
JM/G