Jacques Tardi, qui « n’a jamais cessé de brocarder les institutions », a refusé la Légion d’honneur qui lui a été attribuée.
C’est dans les médias que l’auteur de BD a découvert son nom dans la liste des récipiendaires de la Légion d’honneur. Qu’il a aussitôt déclinée.
J’ai appris avec stupéfaction par les médias, au soir du 1er janvier 2013, que l’on venait de m’attribuer d’autorité et sans m’en avoir informé au préalable, la Légion d’honneur ! Étant farouchement attaché à ma liberté de pensée et de création, je ne veux rien recevoir, ni du pouvoir actuel, ni d’aucun autre pouvoir politique quel qu’il soit. C’est donc avec la plus grande fermeté que je refuse cette médaille.
" Pas forcément content d’être reconnu par des gens qu’on n’estime pas "
C’est par ces quelques phrases sans appel que Jacques Tardi, auteur de bandes dessinées à l’univers peuplés d’anarchistes, de soldats, de misère et de révolte, a refusé le ruban que lui a tendu le gouvernement dans sa promotion du Nouvel An. « Je n’ai cessé de brocarder les institutions. Le jour où l’on reconnaîtra les prisonniers de guerre, les fusillés pour l’exemple, ce sera peut-être autre chose […] On n’est pas forcément content d’être reconnu par des gens qu’on n’estime pas », ajoute-t-il, arrêtant net toute tentative de polémique.
Comme Louis Aragon ou Albert Camus avant lui, Claude Monet, Hector Berlioz, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ou plus récemment la chercheuse Annie Thébaud-Mony, spécialiste des cancers professionnels, qui a refusé cette décoration pour dénoncer l’« indifférence » qui touche la santé au travail, Tardi a décliné la décoration sortie de l’escarcelle d’un ministre (et approuvée par le Conseil de l’ordre de la Légion d’honneur et le président de la République).
L’auteur d’Adèle Blanc, l’illustrateur de Céline ou de Pennac, qui vient de publier le récit très personnel sur la vie de son père pendant la Deuxième Guerre mondiale, « Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B », a dit tenir « à rester un homme libre et ne pas être pris en otage par quelque pouvoir que ce soit ». Georges Brassens ou Léo Ferré ne disait par mieux, l’un chantant « la Légion d’honneur ça ne pardonne pas », l’autre raillant « ce ruban malheureux et rouge comme la honte ». L’écrivain Marcel Aymé ajoutait, dès 1949 : « Pour ne plus me trouver dans le cas d’avoir à refuser d’aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu’ils voulussent bien, leur Légion d’honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens. »
Source : La Nouvelle république du 3 janvier 2013.