Salut… Eh ouais, j’suis pas là en vrai dans les studios ce soir, parce que figurez-vous, j’ai une vie privée en dehors de faire la révolution prolétarienne… Qu’est-ce que je peux bien faire de ma peau ? Réunion de travail chez les socialos, pour préparer l’enterrement de Filleul, partie fine dans la villa de Berlusconi ou bien convocation au poste pour relevé d’empreintes, suite à agression d’un délégué syndical CFDT, vous croyez bien ce que vous voulez, mais en tout cas, c’est comme ça, j’ai pris ma soirée… Je précise tout de même que j’ai un mot signé de ma maman…
Ceci dit, parce que j’suis un garçon pragmatique –et là c’est pas moi qui le dit, c’est ma maman, encore une fois- j’ai pris mon vieux magnéto à bandes qui trainait dans la cave, histoire de pouvoir malgré tout vous faire part à distance de mes oh combien pertinentes considérations sur le monde…
Mais avant, petit condensé du contenu éditorial de l’émission, pour les auditeurs novices en matière de Demain le grand soir : Pour résumer, on n’aime pas les bourgeois et les profiteurs, mais en revanche, on aime bien la lutte des classes… En ce qui me concerne, j’ai aussi une prédilection pour quand y’a des poulets qui restent sur le carreau, mais ça, c’est un choix esthétique personnel…
Donc, dans l’émission, chaque mercredi, on recense les usines qui vont fermer, les acquis sociaux dont vont bientôt être spoliés les travailleurs, on chronique aussi les méfaits des néo-nazis et des pitres de la sarkozie… C’est vraiment bonne ambiance…
Mais je vous entends d’ici, vous demander si je vais finir par entrer dans le vif de mon sujet… Alors, et d’une, je vous invite tout de suite à vous calmer, et de deux, si vous escomptez que je vais faire du racolage façon Morandini, ambiance, le fils de Marisol Touraine, incarcéré après avoir séquestré une petite vieille, vous vous fourrez le doigt dans l’œil… Un peu de dignité, que diable, je ne mange pas de ce pain là…
En fait, si je n’évoquerai pas ce sinistre faits divers, je ne manquerai pas de citer tout de même le nom du fils prodigue, parce que ça vaut son pesant de cacahouètes… Gabriel Reveyrand de Menthon, rien moins que ça… On a beau lire dans les détails l’article du Parisien, sans peur de se salir les mains, on n’apprend pas comment ses aieuls sont passés à travers à les gouttes de la révolution…
Et pour revenir à nos moutons, si vous aviez été un minimum attentifs, vous sauriez que j’y suis déjà rentré, dans le vif du sujet… Filleul, le phare socialiste dans la nuit tourangelle, ça vous dit quelque chose ?
Je suis certain que dans cinq cents ans, on viendra du bout du monde pour visiter sa résidence montlouisienne, comme on vient à Amboise visiter le Clos-Lucé, la demeure de Léonard de Vinci…
Et oui, car le vénérable Jean-Jacques Filleul s’en est allé, au terme de -presque- 48 mandats successifs à la tête de la cité ligérienne… Ces derniers mois, diminué, n’ayant plus, il faut bien le dire, toute sa raison, il répétait à son entourage qu’il était encore vert, qu’il était le plus jeune sénateur de France, qu’il avait du temps devant lui… Et il se rêvait à battre le record ultime, celui du japonais Ito Kataka, qui resta le premier édile de son village natal, Matsuidi pendant 278 ans, trois mois et sept jours… S’il est vrai qu’Ito Kataka apparait dans un conte traditionnel asiatique, Jean-Jacques Filleul incarnait à l’inverse et à lui tout seul la réalité montlouisienne… Qui n’est jamais venu s’incliner devant la majestueuse grappe de raisin géante des bords de Loire –à côté de qui les défunts Boudha afghans feraient, il faut bien le dire, pale figure-, qui n’a pas rendu hommage aux Plan d’Occupation des Sols local, qui permit au fil des ans des réalisations architecturales d’avant-garde, les désormais mondialement connus pavillons montlouisiens, qui s’étalent sur des hectares et des hectares de terres qui n’étaient bêtement arables avant l’arrivée aux affaires du grand homme ? Qui n’a pas souvenir de l’avoir vu poser des solos guitares hallucinants lors des bœufs improvisés du festival Jazz en Touraine ? Qui ne se souvient de l’homérique combat qui le vit terrasser, armé seulement de la pointe de sa rose l’abominable Bernard Debré ?
Jean-Jacques Filleul nous laisse orphelin, mais il restera à jamais dans nos cœurs. Alors j’invite les copains de Demain le Grand Soir –ça vous ennuie pas j’espère, que je vous appelle les copains ?-, à respecter une minute de silence, même si ça n’est pas très radiophonique, en mémoire de cette grande figure du socialisme décomplexé…
JC P