L’insistance mise par le PG et Jean-Luc Mélenchon à faire chanter aux chiffres la chanson d’une progression aux municipales a masqué une réalité moins flatteuse dans les urnes, et un défaut de stratégie préjudiciable.
Après des résultats honnêtes, bien que parfois décevants, pour le Front de gauche au premier tour, le Parti de gauche a décidé de crier victoire sans attendre le suivant. Savants calculs et jolis tableaux à l’appui, Jean-Luc Mélenchon nous explique sur son blog que les résultats du Front de gauche, quand il est en autonomie, sont un franc succès et marquent un net progrès par rapport à la présidentielle. Ainsi, les 600 listes Front de gauche réalisent 11,42%, soit une progression de 0,32% par rapport à 2012, quand les listes FN recueillent 16,5% – en repli de 1,40%. Les listes Front de gauche ont même remporté 67 villes au premier tour quand le FN n’en a gagné qu’une seule. C’est donc un succès net qui, selon le PG, n’est occulté que par la malfaisance entêtée des médias.
Oui mais voilà, cette analyse est le conte pour enfants d’une direction qui a décidé que sa stratégie volait de victoires en victoires y compris en dépit des faits. Le parti a toujours raison – au besoin, c’est la réalité qui a tort. L’analyse réelle et non fantasmée des résultats exprime un tout autre panorama de la situation après les élections municipales. Certes, le Front de gauche a emporté de nombreuses villes. Aux 67 acquises dès le premier tour se sont ajoutées de nombreuses autres victoires au second, quand le FN voit son compteur bloqué à une dizaine de villes. Signe d’une domination écrasante du FdG ? Hélas non, car un autre calcul aurait été possible : celui des villes perdues. Et là, force est de constater que la correction est sévère, avec la perte de 57 villes de plus 3.500 habitants pour le Front de gauche.
Régression dans les grandes villes
Surtout, la fameuse progression des 600 listes Front de gauche par rapport à la présidentielle nécessite un examen plus approfondi. Dans bon nombre de grandes villes françaises, les résultats du premier tour sont en réalité médiocres : entre 2012 et 2014, les résultats à Marseille sont passés de 13,83% à 7,10%, à Toulouse de 15,91% à 5,10%, à Montpellier de 15,69% à 7,56% ou encore à Paris de 11,09% à 4,94%. Alors, comment les experts du PG ont-ils pu parvenir à une progression ? De toute évidence, grâce à la force propulsive de maires communistes sortants particulièrement bien implantés. Dans des villes qui ont connu aux municipales un affrontement entre des listes PS et des listes FdG, les résultats peuvent être impressionnants par rapport à 2012 : à Tremblay-en-France (93), le FdG passe de 19,80% à 68,10%, à Saint-Denis (93) de 21,72 % à 40,22%, à Saint-Ouen (93) de 20,98% à 31,58% ou à Chevilly-Larue (94) de 16,03% à 47,45%. Arithmétiquement, le résultat avancé par le blog de Jean-Luc Mélenchon est donc juste. Mais politiquement, il n’a aucun sens. Qui pourrait croire, par exemple, que le poids du Front de gauche à Tremblay serait désormais de 68,10% ? C’est évidemment une plaisanterie.
Déjà, lors de l’élection présidentielle, par ses pronostics inconsidérés, « Je serai devant le Front national », quand ce n’était pas « Je peux être en tête de la gauche », Jean-Luc Mélenchon a réussi le tour de force de transformer un succès – ses 11% – en semi-échec. Cette manie de placer la barre si haut, alors que toujours les résultats sont en-deçà, est contre-productive. Mais à cela, il faut ajouter pour le leader du Parti de gauche une erreur de stratégie pour ces élections municipales.
Une stratégie inadaptée
Les élections municipales ont évidemment une dimension nationale. Sans cette explication, on ne comprendrait pas l’ampleur de la sanction à l’encontre des listes du Parti socialiste. À l’issue du second tour, le désaveu infligé par les électeurs à la politique gouvernementale se traduit par une déroute. Mais s’il y a bien eu rejet du gouvernement Hollande, force est de constater que les grands vainqueurs sont d’abord l’UMP, pourtant lourdement lestées par de multiples affaires, et dans une moindre mesure le Front national, qui trouve là l’occasion de s’enraciner dans des centaines de mairies. Dans l’ensemble, le Front de gauche n’a pas représenté une alternative crédible pour le peuple de gauche qui massivement a fait le choix de s’abstenir.
Les explications en sont évidemment multiples. La participation des communistes aux listes PS dans la moitié des villes de plus de 20.000 habitants n’a pas aidé à identifier le Front de gauche comme refusant la politique gouvernementale, c’est un doux euphémisme. Mais se présenter à une élection, c’est répondre à la question particulière posée par le scrutin. Aux élections municipales, il importe de répondre projet municipal comme il est nécessaire de parler de l’Europe aux européennes. Il faut bien sûr articuler ses propositions avec les enjeux nationaux, la politique gouvernementale, mais réduire la campagne à cela, c’est être hors-sujet. Trop souvent, les listes conduites par le PG ont considéré qu’il suffisait d’accoler la photo de Jean-Luc Mélenchon aux candidats locaux pour s’assurer, si ce n’est un succès, en tous cas la soulte "incompressible" de la présidentielle.
La magie du verbe ne saurait suffire. Plus que tous les autres scrutins, les élections municipales enregistrent l’implication, l’influence dans la diversité du tissu associatif et militant d’une commune. Pour cela, il ne suffit pas de dénoncer, il faut aussi porter un projet et surtout être capable de s’élargir aux forces vives d’une ville. Disons-le, ce fut loin d’être le cas.
Par Jérôme Beltar