Madame, Monsieur
Veuillez trouver ci-joint et ci-dessous quelques réflexions personnelles autour du combat mené par le RESF37 pour la libération de Monsieur Davit KANDELAKI, enfermé depuis 19 jours en Centre de rétention administrative.
Vous souhaitant bonne lecture.
Ch. B.
" Petit calcul, comme ça, au pif : 36000 expulsions par an, ça doit faire environ 100 par jour. Rien que pour la France métropolitaine. En incluant la France d’Outremer, ça fait 200 personnes par jour. 200 étrangers dont on juge qu’ils n’ont pas leur place ici. « On », ce sont les préfectures, et chaque préfet de France, qui a la haute main sur le droit au séjour, et donc le droit de chasser celle ou celui à qui il refuse ce droit.
Ces 100 ; ces 200, qui les connaît ? « Eloignés », « reconduits », anonymes souvent, mais pas toujours. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Pas mal de visites, et des cadeaux : un gâteau à la crème, fait par une dame arménienne ; un gâteau au chocolat, par une jeune fille arménienne elle aussi. Une longue écharpe, cadeau d’une dame algérienne. Un bouquet de roses, des vœux de bonne santé... Au milieu de ce joyeux défilé, une dame guinéenne venue pour sa demande d’asile et ses deux jeunes enfants. Il tombe bien, le gâteau au chocolat, non ?
Et, plusieurs fois dans la journée, de courts appels angoissés de Iolanta Kandelaki : elle n’arrive plus à joindre Davit, son mari, sur son téléphone portable. Enfermé depuis 19 jours au Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, juste à côté des pistes de Roissy, il sait que, aujourd’hui, demain, ou dans 2 jours, l’escorte policière l’emmènera au pied de l’avion pour Tbilissi, comme elle l’a fait le vendredi précédent. Il avait refusé d’embarquer. Les policiers l’avaient ramené au Centre de rétention. Mais pour la seconde tentative, il sera entravé et bâillonné. Il ne pourra rien faire ni rien dire. Il ne pourra pas crier aux autres passagers qu’il ne veut pas partir, qu’il veut retrouver sa femme, son fils Irakli, qui va retourner à l’école de Joué-lès-Tours le 3 novembre, et la petite Alekssandra, née ici, trop jeune encore pour la maternelle.
J’ai sur mon bureau deux dossiers de régularisation à terminer, un pour un travailleur kosovare, un autre pour une lycéenne rwandaise. Je n’arrive pas à les finir. Je n’arrive pas à faire le suivi des dossiers en attente à la Préfecture, celui d’un apprenti pakistanais, et ceux de trois lycéens arméniens. Le prochain avion pour Tbilissi, c’est quand ? Et s’ils décidaient de ne pas le mettre dans l’avion direct sans escale, mais dans un autre, avec des crochets dans le trajet. Paris – Kiev -Tbilissi, ça existe ? Ou plus tordu encore, un avion Paris – Varsovie –Moscou – Tbilissi ? Dans ma tête, je revois les cartes de l’Europe de l’Est et du Caucase. J’étais prof de géo, avant. Avant de consacrer mon temps au Réseau Education Sans Frontières, à toutes ces rencontres de gens venus d’ailleurs en catastrophe, après d’invraisemblables périples, et qui rêvent de se poser, de s’installer, de rester, de vivre ici, en paix, en famille, tranquilles – ou du moins de n’avoir de soucis que ceux de tout le monde, ni plus ni moins. De voir l’horizon se dégager au-delà de l’obsession du récépissé éphémère et de la carte de séjour refusée.
100 par jour. 200 en comptant les départements d’Outremer, sur qui toute une machinerie administrative et policière s’acharne. Il ne sera pas dit que l’Etat français fait preuve de laxisme à l’égard des clandestins ! Rodomontades de ministre de l’Intérieur ? Effets de manche virils devant les caméras ? C’est ce que nous croyons souvent. C’est ce que croient aussi tant de « sans papiers » qui survivent avec l’espoir que l’arrestation et l’expulsion, ce n’est que pour les autres. Ils sont 36 000 par an, les « autres ». Mais quand on les connaît, quand on les fréquente, quand ce sont des amis, des collègues, des voisins, ce ne sont plus des chiffres ni des nombres. Ce sont des personnes.
Et si on obligeait chaque préfet, juste avant qu’il signe l’arrêté de « reconduite à la frontière », à passer une journée avec le futur expulsé ? Ou simplement à partager un déjeuner, ou à boire un verre avec lui ? Après tout, il y a bien des députés qui croient indispensable de se faire brancardiers ou de prendre le métro pour connaître la vie des gens avant de légiférer sur leur sort.
100 par jour ? 36 000 par an ? Et mes camarades du RESF d’Indre-et-Loire et moi, nous nous battons pour qu’il y en ait un de moins. Dérisoire au vu des chiffres. Essentiel au regard des personnes – et central pour le sens de notre combat.
Chantal BEAUCHAMP
Enseignante retraitée de Tours