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(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Grèce : « Continuer dans cette voie ne peut conduire qu’à l’échec de Syriza »
Article mis en ligne le 17 mars 2015

par siksatnam

Au lendemain de l’accord entre la Grèce et l’Union européenne, prolongeant le programme d’aide en échange de la poursuite des « réformes structurelles », c’est tout le projet anti-austéritaire de Syriza qui se retrouve compromis. Stathis Kouvelakis, membre du comité central de Syriza et professeur de philosophie politique au King’s College de Londres, revient sur les événements qui ont jalonné le premier mois de Syriza au gouvernement, les mesures prises par le gouvernement, le contenu de l’accord avec l’UE et les perspectives pour un avenir désormais plombé par cet accord.

Symboliquement, que représente la victoire de Syriza ?

La victoire de Syriza représente un tournant historique. C’est la première fois dans l’histoire électorale européenne qu’un parti dit de la gauche radicale, qui se situe à gauche de la social-démocratie, gagne des élections et accède au pouvoir gouvernemental. Jusqu’à présent, les seuls cas où des partis de cette famille politique ont exercé des fonctions gouvernementales l’ont été dans des coalitions plus larges et dans des circonstances très particulières.

Cette première marque incontestablement un tournant, d’autant plus important que l’Europe est traversée par une crise sociale et économique qui provoque un bouleversement et une instabilité politique croissante. On remarque que dans les pays du nord et du centre de l’Europe ce sont des forces de l’extrême droite et de la droite radicalisée qui semblent en profiter. À l’inverse, dans les pays de la périphérie, soumis aux politiques d’austérité les plus dures, ce sont plutôt les forces de la gauche radicale qui semblent relever la tête. C’est le cas de la Grèce, mais également de l’Espagne ou de l’Irlande.

Ce qui confère une responsabilité très forte à Syriza ?

Ça lui confère effectivement une responsabilité très forte, ce qui implique qu’un échec pèserait très lourd dans les rapports de force pour la période à venir. Dès les premiers jours après la victoire, la majorité parlementaire n’ayant pas été obtenue, Syriza a annoncé une coalition avec les Grecs indépendants, l’AN.EL., faction issue de la Nouvelle Démocratie. Comment s’explique cette coalition, comment s’organise-t-elle, et quelle a été la réaction de l’électorat ? Il y a deux malentendus à écarter d’emblée concernant AN.EL.

D’abord, ce n’est pas un parti d’extrême droite, contrairement à ce qui a pu être dit dans de nombreux médias. C’est effectivement une faction de la Nouvelle Démocratie, avec des transfuges venus d’ailleurs et parfois de la gauche. En France, on dirait que c’est un parti souverainiste, même s’il faut garder en tête que les références souverainistes et patriotiques n’ont pas la même signification dans un grand pays qui fut une puissance coloniale et impérialiste comme la France, et un pays dominé tout au long de son histoire comme la Grèce.

Le deuxième est qu’il n’y a pas de grande stratégie définie. C’est un choix pragmatique, qui correspond aux contraintes du moment. Syriza savait qu’il aurait une partie très difficile à jouer, il avait besoin d’une majorité au Parlement. AN.EL. est donc un parti qui s’est positionné contre le mémorandum et contre les politiques d’austérité, à partir de bases patriotiques. Mais AN.EL. exprime aussi une fibre sociale qui existait au sein de la Nouvelle Démocratie, dont je rappelle qu’elle fut, jusqu’à récemment, un parti de masse, avec un électorat populaire et un secteur syndical important.

Le KKE (Parti communiste grec) ayant depuis plusieurs années refusé toute coalition politique avec Syriza, ne restaient que des alliances possibles à droite ou au centre droit. Ce que Syriza a voulu éviter, c’est le piège d’une alliance avec To Potami. Ce parti est fabriqué de toute pièce par le système. Il se présente comme un parti joker à même de participer à n’importe quelle configuration gouvernementale. C’est d’ailleurs pour ça que les médias étrangers n’ont cessé de présenter cette alternative, en pensant qu’elle forcerait Syriza à faire des concessions.

C’est précisément cela que Syriza a voulu éviter, en choisissant de s’allier avec un parti qui ne lui aurait pas posé de problèmes dans ses négociations contre le mémorandum. Donc si Syriza recule, ce qui est aujourd’hui le cas, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Toute la campagne médiatique menée contre Syriza en présentant l’AN.EL. comme un parti d’extrême-droite, xénophobe, en parlant d’une configuration « rouge-brun » comme l’a fait M. Quatremer, l’a été pour faire payer Syriza son refus de s’allier avec To Potami et donc de se conformer aux exigences du système.

La réaction en Grèce a d’ailleurs été très positive. Il faut bien comprendre que sans annuler la division gauche-droite, le clivage entre les pro- et les anti-Memorandum est devenu le clivage dominant de la vie politique grecque. L’alliance avec l’AN.EL. faisait donc beaucoup plus sens qu’avec To Potami.

Les élections ont eu lieu le 25 janvier. Un mois après, quel bilan peut-on tirer ?

Les mesures annoncées par Syriza jusqu’à présent :

• Mesures pour la transparence etla démocratisation du nouveau gouvernement

• Nouveau code de la nationalité

• Mesures pour renforcer la transparence des médias

• Nomination d’un ministre de l’Intérieur considérée comme figure de proue des mouvements antiracistes

• Zoé Constantopoulou, nouvelle présidente de l’Assemblée, est une figure de la lutte contre la corruption

• Rétablissement de la législation du travail

• Réembauche des fonctionnaires licenciés

• Rétablissement de l’électricité

• Réouverture du groupe de radiotélévision publique

Il y a un premier ensemble de mesures qui ont été annoncées, traduisant la volonté de transparence et de démocratisation du nouveau gouvernement. Le changement du code de la nationalité, rendant automatique la citoyenneté grecque aux enfants d’immigrés nés en Grèce, est un bouleversement considérable dans la manière dont la société grecque définit la nationalité, la citoyenneté et même l’identité nationale.

La transparence des médias fait également l’objet de ces annonces, pour mettre un terme à l’enchevêtrement d’intérêts des milieux d’affaires liés à l’État et au personnel politique, où l’on retrouve souvent des propriétaires des médias. Ce n’est pas une exclusivité grecque, Berlusconi en Italie ou Bouygues en France en sont l’exemple, mais en Grèce cela atteint des proportions vraiment très fortes.

Le choix des personnalités pour les portefeuilles ministériels a montré que Syriza n’allait pas céder du terrain à ce niveau-là. Le ministère de l’Intérieur a notamment été confié à une figure de proue des mouvements antiracistes, proche des combats en faveur des immigrés, et la nouvelle présidente de l’Assemblée, Zoé Constantopoulou, est connue pour sa lutte contre la corruption et pour son engagement en faveur des libertés individuelles. Ce sont des signaux forts.

D’un point de vue économique et social, le rétablissement de la législation du travail — qui avait été supprimée par les gouvernements précédents — est une mesure importante annoncée par Syriza, tout comme la réembauche de fonctionnaires licenciés, le rétablissement de l’électricité pour les foyers qui en étaient privés, ou la reconstitution de l’ERT (groupe de radio et télévision publique). Ces annonces visaient à établir une idée de rupture avec les politiques précédentes, mémorandaires.

L’ensemble de ces mesures, qui correspondent au mandat de Syriza et qui doivent mettre fin à la politique d’austérité, s’est rapidement heurté aux exigences de l’Union européenne et de la Troïka. Ils ont contraint le gouvernement grec à des reculs successifs, paralysant le programme de Syriza. À peine élu, le gouvernement se retrouve face à des difficultés qui laissent entrevoir comme une éventualité très sérieuse la possibilité de son échec.

C’est ce que laisse entrevoir l’accord signé vendredi 20 février ?

L’accord prévoit de rembourser intégralement et à temps les créditeurs. Il prévoit surtout de mener à terme le programme précédent, c’est-à-dire que le pays acceptera d’être mis sous tutelle par les « institutions » — le nouveau nom de la Troïka —. L’action du gouvernement Syriza et sa capacité de mettre en œuvre son programme se retrouvent neutralisées par cet accord. Le cadre du mémorandum est maintenu dans sa quasi-intégralité, il faut être très clair là-dessus. En fait, le gouvernement grec s’engage à ne prendre aucune mesure unilatérale, qui pourrait mettre en danger les objectifs budgétaires fixés par les créditeurs.

Comment s’explique cet échec aussi rapide ?

Premièrement, par la pression énorme exercée d’emblée par les institutions européennes. Ça a commencé le 4 février quand la Banque européenne a annoncé que le refinancement des banques grecques était stoppé, car elle n’acceptait plus les bons de la dette grecque, quand dans le même temps un mouvement massif de retraits de liquidités s’opérait en Grèce. Il y a une strangulation mise en place contre le gouvernement grec via le maillon le plus faible qui est le système bancaire.

La pression est allée croissante lors des réunions de l’Eurogroupe pour que la Grèce accepte le cadre memorandaire, et si l’Allemagne a été la plus vindicative — avec la part de spectacle qui accompagne ces moments — aucune différenciation n’est apparue de la part des autres pays européens. Personne ne s’est opposé à l’Allemagne. Calculé à environ 2 milliards d’euros par semaine, il aurait atteint selon des sources fiables 1,5 milliard par jour ces derniers jours. Selon les informations que j’ai reçues d’Athènes, les banques grecques n’auraient pas pu ouvrir dès mardi si la Grèce n’était pas parvenue à un accord. La BCE a appliqué en Grèce exactement le même type de chantage qu’à Chypre en 2013 et en Irlande en 2010.

La France, qui constituait un motif d’espoir pour la Grèce lors de l’élection de François Hollande, ne lui est absolument pas venue en aide ?

Superficiellement, on aurait pu l’attendre. Mais on ne peut pas mettre en œuvre une politique d’austérité et voter la loi Macron d’un côté, et aider politiquement un pays qui veut rompre avec l’austérité. Il faut être clair. Un certain nombre de points qui faisaient l’objet de débats au sein de Syriza ont été tranchés de façon négative. L’idée selon laquelle on pourrait rompre avec les politiques d’austérité en faisant l’économie d’une confrontation avec l’Union européenne a été invalidée dans les faits.

La ligne majoritaire au sein de Syriza a évité de répondre clairement à un éventuel refus de négocier de la part des créanciers de la Grèce. Ces institutions ont révélé leur vrai visage, qui est celui d’imposer des politiques néo-libérales extrêmement dures et des politiques qui conduisent à la marginalisation économique et sociale de pays entiers. Elle a également pensé que les partenaires européens seraient obligés d’accepter la légitimité de Syriza et par conséquent les demandes du gouvernement grec. Et on voit bien que ce n’est pas le cas. Il y a eu des illusions de la part de la ligne dominante de la direction de Syriza quant aux possibilités de changer les choses dans le cadre actuel de l’Union européenne.

Comment peut-on expliquer ces « illusions » ?

Il y a un véritable blocage qui ne relève pas uniquement du psychologique, mais bien de la stratégie politique. Syriza, comme la quasi-totalité de la gauche radicale européenne, partage l’idée d’une réformabilité, d’une transformation de l’intérieur des institutions européennes existantes. Tout le problème est là. Syriza s’était arc-bouté de plus en plus clairement dans une position qui refusait la rupture avec l’euro, à la fois comme une éventualité, mais aussi comme une possible arme à brandir lors des négociations. Ces institutions ont été créées pour verrouiller les politiques néo-libérales et les soustraire au contrôle populaire. On ne peut pas rompre avec les politiques d’austérité et les mécanismes de mémorandum sans entrer dans une confrontation avec l’Union européenne, et le cas échéant sortir de la zone euro.

La Grèce a montré lors des négociations qu’elle craignait plus le « Grexit » que ses interlocuteurs, et ça, c’est une erreur fatale. On a vu en réalité qu’à aucun moment Varoufakis ou Tsipras n’ont utilisé cette éventualité. Ce courant refuse de prendre la mesure de ce qui fait la réalité des institutions et du processus d’intégration européenne, processus qui porte le néo-libéralisme dans son code génétique.

Quelles conclusions tirer de cet accord ?

On peut parler d’un échec majeur pour Syriza, possiblement fatal, et l’échec touche l’ensemble des composantes de Syriza. L’aile gauche n’a pas su faire prévaloir son point de vue, et a surtout été mise en échec par la stratégie de recentrage de la direction après les élections de 2012. L’idée était que le plein des voix à gauche avait été fait et qu’il s’agissait donc d’aller chercher des voix au centre. Une logique électoraliste et fausse, puisque l’opinion publique, vu l’ampleur du désastre social, n’évolue pas du tout dans le renforcement des positions centristes. Au contraire, elle se radicalise. Cette radicalisation explique à la fois l’audience d’Aube Dorée et celle de Syriza.

Il y a une véritable erreur d’analyse de fond. Quand il s’agit de céder sur des points fondamentaux d’une force politique de gauche anti-austérité, ça ne peut conduire qu’à l’échec. C’est malheureusement le scénario qui est en train de se dérouler sous les yeux. Continuer dans cette voie ne peut conduire qu’à l’échec. La désintégration de Syriza me semble envisageable, de même que la reconfiguration des alliances politiques.

Si c’est pour continuer cette politique, il n’y a aucune raison que les forces politiques promémorandum refusent de collaborer avec Syriza. Que ce soit To Potami, le Pasok et même une frange de la Nouvelle Démocratie, précisément celle à laquelle Syriza fait un clin d’œil en choisissant Pavlopoulos comme Président de la République, une figure de proue de l’aile centriste de la Nouvelle Démocratie. Le gouvernement Syriza n’aura pas d’autre choix que d’être un gestionnaire du cadre mémorandaire. Les petits aménagements seront certes des éléments d’amélioration, mais ils n’arriveront pas à transformer une situation économique et sociale totalement désastreuse. Cela conduira à la déception des espoirs et des attentes que l’électorat populaire a placés dans Syriza.


Comment risque de réagir le peuple grec ?

La victoire de Syriza a redonné espoir au peuple grec. Au lendemain du chantage de la BCE, on a par exemple vu des gens descendre spontanément dans la rue pour apporter leur soutien à Syriza. Le recul actuel risque de donner un coup d’arrêt et provoquer une déception très importante.

Peut-on craindre que ces électeurs déçus se tournent vers l’Aube Dorée ?

Le succès des partis d’extrême droite en Europe est essentiellement dû au fait qu’ils apparaissent véritablement comme des formations « anti-système » auprès de très larges secteurs de l’opinion publique. Elles apparaissent comme plus crédibles, plus radicales que les forces de gauche. Du fait de l’ampleur des mobilisations entre 2010 et 2012, l’électorat qui s’est détaché des partis traditionnels s’est majoritairement déporté vers la gauche.

Syriza a été contraint d’accepter la poursuite de la mise sous tutelle de la Grèce par la Troïka. Ce sentiment d’humiliation nationale est d’une importance décisive pour comprendre la percée d’Aube Dorée. La montée d’Aube Dorée est vraiment une réaction nationaliste régressive à ce sentiment d’humiliation nationale, combinée à l’effondrement économique et social. Néanmoins, les scénarios de recomposition politique qui pourraient avoir lieu comportent le danger énorme de laisser à l’extrême droite le terrain de la contestation du cadre actuel.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a récemment déclaré : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Peut-on considérer, en Grèce comme ailleurs en Europe, que nos sociétés sont réellement démocratiques ?

Cette citation de Juncker résume la réalité de la situation. La construction européenne depuis les années 1980 est le vecteur des politiques néo-libérales. Cette construction européenne inscrit le néo-libéralisme dans son code génétique, le verrouille dans ses traités. La logique profonde de cette construction est une logique constitutivement antidémocratique. Pour toute force qui veut s’inscrire en faux contre les choix dominants en matière de politique économique, la rupture est une condition indispensable. Elle vise à dissoudre le niveau de contrôle national en établissant un contrôle supranational qui est détaché, autonomisé de tout mécanisme de contrôle populaire. C’est ce qui conduit les forces politiques d’opposition à la paralysie. L’échec de Syriza face à l’Union européenne en est l’illustration la plus frappante, mais aussi la plus cuisante.


Photo : Stathis Kouvelakis

Article publié le 23 février 2015 sur le site Ijsberg magazine