Au moment même du référendum en Grèce qui voyait la grande majorité dire Non aux mesures que Tsipras allait lui imposer quelques jours plus tard, circula une info : il y aurait une scission au POI (Parti Ouvrier Indépendant), plus exactement au CCI (Courant Communiste Internationaliste) qui constitue la structure dirigeante de fait du POI (nous dirons donc, pour simplifier, le CCI-POI).
Info remarquable d’abord parce qu’au CCI-POI il ne s’était en apparence pas passé grand-chose depuis presque deux décennies et demi, ensuite parce que cette organisation était issue, sous une forme fossilisée, de la principale composante du trotskysme, et en général de l’« extrême-gauche », dans le monde réel (le terrain de la lutte des classes, pas la sphère médiatique), en France dans les années 1960 à 1 980, laissant, pour le meilleur et le pire, des traces profondes et variées dans le
mouvement ouvrier, les syndicats, le monde intellectuel.
Affrontement de deux factions
Il apparaît que deux fractions s’affrontent. Toutes deux disent que la situation politique présente ne peut durer et va à l’explosion sociale, un diagnostic que, sous réserve d’analyse plus fine, on peut partager. L’une, celle de la majorité des instances dirigeantes du CCI-POI, avec Marc Gauquelin-Lacaze, Dan Moutot, Lucien Gauthierrie, Pierre Cize . accuse la direction de mettre la « construction du parti » sous le boisseau en tentant de rénover ou de noyer le POI dans ce « réseau de syndicalistes », et affirme que les mots d’ordres politiques, contre l’Union Européenne et la V° République, censés être
partagés par tous, doivent réellement être mis en avant ; à mots de moins en moins couverts, elle accuse la majorité de la direction de s’aligner sur l’appareil de FO. I l semble d’ailleurs qu’un facteur ayant mis le feu aux poudres fut le sou- tien de cette même direction, non seulement à Mailly dans FO, mais à Martinez dans la CGT, allant jusqu’à combattre la masse des délégués de base qui ont mis la politique confédérale en minorité au congrès de la Fédé Santé. Les trois se- crétaires nationaux du POI sont avec cette tendance, puisqu’outre le dirigeant FO Claude Jenet décédé quelques mois auparavant, il s’agit de D. Gluckstein lui- même, et de Gérard Schivardi et Jean Markun, qui se sont prononcés en sa fa- veur par rapport au conflit interne dans le CCI, dont ils ne sont pas membres.
Je viens, volontairement, de présenter ici les choses d’une manière politique, afin de montrer que le fond de la discussion, dans la mesure où il y a une discussion, intéresse et doit intéresser tous les militants ouvriers. Oui, il nous faudrait un parti, révolutionnaire et démocratique, oui, un appareil politique de la lutte, réseau militant préparant l’affrontement social, est nécessaire sur cette voie, mais non, cet appareil ne peut pas exister sans débattre et mettre en cause la politique, car c’est une politique, des directions syndicales nationales, dont le rôle est décisif pour empêcher, à ce jour, la lame de fond qui se cherche dans des centaines de luttes sociales, de percer en se généralisant et en se centralisant. Sauf que, jusqu’à l’amorce, dans des termes qui restent réservés aux initiés, d’une polémique jusque dans les pages d’Informations Ouvrières en cette fin août, faisant suite au lancement d’un journal autre, qui, sans même le dire, est l’organe de la tendance de D. Glucsktein, Tribune des Travailleurs, rien de tout cela, pour les deux fractions en présence, ne devait percer en public !
Soyons clairs : ce refus de la transparence est une injure faite à l ’intelligence du prolétariat. Mais il s’explique. I l s’explique, car le type d’organisation construit par Pierre Lambert dont les héritiers se déchirent à présent, exclut dans les faits tout pluralisme réel de tendance et s’interdit par là même de construire un parti révolutionnaire. Toutes les tendances qui naissent inévitablement de la vie même, qu’elles aient eu raison ou tort sur le fond, ont été exclues de cette organisation sous des accusations non poli- tiques, depuis maintenant six décennies (! ), aboutissant à cette fossilisation qui l’a marquée depuis 1 992 environ. Ce bureaucratisme sec- taire, dans le cas de Pierre Lambert, était organique- ment relié à la collaboration au sommet avec un appareil syndical, celui de Force Ouvrière. Le fait que, tardive- ment mais avec une force décuplée, surgisse une crise portant en fait sur cette question, montre que l ’ identité et l ’ existence même de ce courant sont en question : on ne peut pas, dans la durée, jouer à « construire un parti révolutionnaire » tout en vivotant dans les appareils syndicaux qui, dans l’époque actuelle, ne parviennent même plus à être réformistes. C’est le cœur, de haut en bas, de cette organisation, qui est déchiré, avec des « territoires » acquis aux uns ou aux autres selon les obédiences des responsables locaux et leur place dans l’appareil syndical. Seldjouk a récolté prés de 700 signatures sur un maximum réel de quelques 2000 militants, et se voit interdire de constituer sa tendance, dont les membres ont été « suspendus », les serrures des locaux étant changées, etc. Pourtant la scission peine à se terminer, tel un accouchement ralenti, parce que les intérêts matériels de l’appareil central sont aux mains de deux fractions qui ont en outre toutes les deux besoins de la couverture du « POI », se veulent toutes deux héritières de Lambert et de tous ses forfaits et forfaitures, auxquels en effet tous ont participé, et veulent aussi se prévaloir de la « IV Internationale » que Lambert avait reproclamée pour ne plus avoir à la reconstruire .
D’où une situation inédite, un peu surréaliste, qui durera ce qu’elle durera -plutôt quelques semaines que des années ! -, qui fait du POI le terrain d’affrontement de deux tendances réelles.
Sans parler d’une troisième, présente en arrière-plan : celle des syndicalistes FO anarchisants qui ont refusé de suivre l’appareil dirigeant du syndicat dans la signature de toujours plus d’accords de collaboration de classe et d’intégration du syndicalisme, depuis 2006-2008 - les héritiers d’Hébert, pas Patrick, mais Alexandre, son père décédé en 2010.
Il appartient aux révolutionnaires de combattre pour la transparence et la démocratie, pour que tout soit déballé, pour que les forces en présence cessent de jouer à cache-cache avec la classe ouvrière. Évidemment, la fin de ce petit jeu signifie le bilan public pour tout le monde et sans pitié mal placée, car la politique révolutionnaire ne veut pas connaître de cadavres dans le placard, et parce que c’est à la franchise dans le refus, et éventuellement dans la rupture, avec les pratiques bureaucratiques, qu’elle reconnaît les siens.
Vincent Présumey,
27 août 2015