Un mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal s’adresse aux Français comme si elle avait remporté une grande victoire. Marie-George Buffet semble avoir sauvé ses meubles au sein du Parti Communiste, dont elle devrait rester secrétaire nationale jusqu’à la fin 2008. Olivier Besancenot s’affirme comme le « brave prolétaire » attitré des programmes de télévision. Dominique Voynet n’est plus très méchante avec la « droite », alors que cette dernière prodigue ses conseils à la « gauche » et annonce des nouvelles « ouvertures ». La pièce « Nos politiques sauveront la France » est représentée dans tous les théâtres médiatiques, après une campagne présidentielle où, entre autres, il n’a guère été question des délocalisations. Mais l’ancien patron Pierre Jallatte vient de mettre fin à ses jours à l’âge de 88 ans, suite à l’annonce, par les actuels propriétaires de l’entreprise qu’il avait fondée, d’un projet de délocaliser en Tunisie la totalité de la production. L’ancien directeur de production de Jallatte Georges Argeliès, 75 ans, déclare : « ce sont eux [des dirigeants responsables du projet de délocalisation] et les actionnaires qui ont tué Pierre Jallatte, ce sont des assassins, c’est de leur faute s’il n’est plus là ! ». La mobilisation des salariés a obtenu un report jusqu’au 18 juin de la confirmation de ce plan. Mais que font la « gauche » et la « gauche de la gauche » par rapport aux délocalisations ? Sous le gouvernement de « gauche plurielle » de Lionel Jospin, des records de privatisations ont été battus et la stratégie d’exportation de capitaux des milieux financiers n’a cessé de se développer. En 2007, l’équipe de campagne présidentielle de José Bové a été jusqu’à minimiser l’importance des délocalisations et prétendre que l’affaire serait de la compétence de l’Union Européenne.
Les politiciens de la « gauche » française évitent de parler des délocalisations, voire même en minimisent la portée. Mais la réalité est qu’il s’agit d’une composante essentielle de l’évolution du système en place. L’objectif des milieux financiers étant d’anéantir une « masse salariale » et des standards sociaux fruit de deux siècles de luttes populaires sous le capitalisme.
Fin mars, l’équipe de campagne électorale de José Bové pour les présidentielles françaises expliquait sur son site que « les délocalisations ne peuvent expliquer qu’une petite partie du chômage et des bas salaires en général » et ne proposait aucune mesure réelle pour les empêcher. Dans un chapitre consacré à cette question, quatre types de « mesures » étaient envisagés : « 1. Exiger le remboursement de toutes les aides publiques reçues par les entreprises qui délocalisent. 2. Se protéger contre le dumping social et environnemental, mettre en place des mesures protectionnistes au niveau européen vis-à-vis de pays qui bien qu’ayant le même niveau de développement font du dumping social ou écologique : par exemple le US qui refusent de signer le protocole de Kyoto. 3. interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits. 4. imposer un taux de rentabilité maximal des actions afin de briser cette folle logique qui pousse aux délocalisations ». A savoir, strictement rien. Quant à l’affirmation sur le rôle prétendument limité des délocalisations, c’est d’emblée ignorer sciemment les délocalisations des capitaux et celles des projets à long terme.
Ce programme de José Bové était fait, de toute évidence, pour que Ségolène Royal et le PS puissent y souscrire. On voit mal ce qu’une entreprise qui délocalise avec l’aide des milieux financiers aurait à faire, post mortem, des aides publiques. Et si les seules « mesures protectionnistes » doivent être prises au niveau « européen », cela signifie qu’on accepte le « marché européen de la main d’oeuvre » avec les 500 millions d’habitants de l’Union Européenne et, à bien d’égards, les plus de 800 millions des pays membres du Conseil de l’Europe (Russie comprise). De surcroît, après un savant mélange démagogique du dumping social avec le dumping écologique, on en arrive à réclamer des mobilisations uniquement contre le dumping provenant directement des Etats-Unis. Sans dire un mot contre le dumping social lié aux délocalisations et aux très bas salaires et standards sociaux imposés à de vastes zones de la planète, avec l’aide de régimes politiques que l’argent des délocalisations aide à son tour à se consolider.
Quant à « interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits », les auteurs du texte se moquent des citoyens et des électeurs. C’est légitimer les licenciements chaque fois que le groupe propriétaire de l’entreprise a su savamment, par des montages qui sont devenus un jeu d’enfants, délocaliser les profits ou les transférer à des partenaires de cette entreprise.
Enfin, le baratin sur le « taux de rentabilité maximal des actions » ferait se tordre de rire n’importe quel conseil d’administration de banque ou de multinationale. Comme si les « petits actionnaires », les seuls que les administrations puissent vraiment contrôler dans la pratique, étaient les principaux bénéficiaires de l’exploitation des salariés. Ceux qui avaient investi leurs économies dans Eurotunnel en savent quelque chose. José Bové répand l’idée mystificatrice d’un capitalisme « sous contrôle ». Mais la réalité est qu’il ne propose rien qui puisse introduire la moindre
apparence d’un contrôle citoyen du fonctionnement du système. Bové n’est d’ailleurs pas le seul. Personne, dans la « gauche » ni dans la « gauche de la gauche », n’a proposé au cours de la récente campagne présidentielle la moindre action concrète contre les délocalisations, le dumping social, la course aux bénéfices...
Bové, Royal, Buffet, les « gauches » et les « gauches toutes » font également miroiter une « Europe protectrice » sur les plans social et des libertés. Mais au sein même de l’Union Europenne, plusieurs pays ont un salaire minimum inférieur, ou à peine supérieur, à 200 euros mensuels. Et même dans un pays « riche » comme l’Allemagne, le système en est arrivé aux enchères inversées sur les salaires. Depuis avril 2006 le Code du Travail français (article L. 121-10) interdit le recours à ces enchères par voie électronique, mais les pratiques de dumping n’ont pas disparu pour autant. Quant aux libertés et aux Droits de l’Homme, l’affaire des centres secrets de détention de la CIA en Europe met en évidence une réalité très différente, à un juger par le rapport de Dick Marty. Des « combines de la droite » ? Alors que vingt-six agents de la CIA et d’anciens dirigeants des services secrets militaires italiens sont jugés par contumace à Milan, le « grand homme de gauche » Romano Prodi est accusé d’avoir été « encore plus loin » que Silvio Berlusconi pour « faire obstacle » au procès. Le rapporteur européen « affirme qu’un accord secret conclu entre les alliés de l’OTAN en octobre 2001 a posé le cadre qui a permis à la CIA de procéder à ces détentions ainsi qu’à d’autres activités illégales en Europe ». Or, en 2001, les gouvernements britannique, allemand et français étaient de « gauche ».
C’est dans ce contexte, qu’un délégué syndical déclare après le suicide de Pierre Jallatte : « L’acte de Pierre Jalatte est un acte courageux. C’est le geste d’un homme de grand charisme qui ne supportait pas l’échec. Ce geste, il l’a fait pour nous sauver car il ne supportait pas l’idée que le fric puisse gâcher des vies humaines ». L’occasion d’apprendre que l’entreprise, qui avait compté 900 salariés dans les années 1980 contre 336 aujourd’hui dont il était prévu de supprimer 285 emplois, « est à présent entre les mains de financiers américains, Bank of America et Goldman Sachs ». Ces derniers avient mis en avant un projet de délocalisation vers la Tunisie de toute la production française de l’entreprise. Jallatte fait actuellement partie du groupe Jal, issu du rapprochement des sociétés Jallatte et Almar via CVC Capital Partners et racheté en 2005 par un consortium financier.
Une évolution qui, contrairement à ce que laissent entendre Bové et ses potes, est devenue très fréquente parmi les entreprises et groupes industriels installés sur le territoire français, et dont même un patron comme Francis Mer avait reconnu la réalité étant ministre dans la période mai 2002 - mars 2004. Mais que l’ex-patron Pierre Jallatte, né en 1918 et retraité depuis 1983, ne semble pas avoir acceptée. Sans doute, Pierre Jallate avait cru à tort qu’il pouvait exister un capitalisme « éthique » et « à visage humain », qu’il était parvenu à en créer un îlot. C’est ce qui semble ressortir de nombreuses déclarations. Les politiciens du système qui se disent « progressistes » sont beaucoup mieux blindés en la matière : ils savent très bien ce qu’il en est, le cautionnent et, lorsqu’ils gouvernent, l’appliquent sans aucun remord.
Parmi les textes institutionnels mis en ligne alors que Francis Mer était ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, on trouve par exemple un article du 12 janvier 2004 intitulé : « Les délocalisations d’entreprises » où on peut lire notamment : « JVC, Continental, Alcatel, St microelectronics, Alstom... Ces noms désignent des entreprises dont le point commun est d’avoir fermé des établissements implantés en France tout en délocalisant leur production vers l’étranger. Nous assistons à des délocalisations d’entreprises depuis une vingtaine d’années, et ce mouvement va certainement se poursuivre... ». L’article, écrit il y a trois ans et demi, souligne encore : « Les secteurs de l’industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché, le secteur tertiaire : centres téléphoniques, informatique, comptabilité... A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont susceptibles d’être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d’œuvre est nettement moindre ». On ne peut pas être plus clair, la « droite » soutenait cette évolution et ne s’en cachait guère. Il a fallu la « gauche de la gauche » pour venir nous raconter que les délocalisations ne sont pas très nombreuses, etc...
Quels intérêts servent la « gauche » et la « gauche de la gauche » ? Les mêmes que la « droite », sauf que leur propagande vise davantage un public à faibles revenus auquel « il ne faut pas dire certaines choses ». Et encore... Même lorsqu’elle cherche à vendre un espoir illusoire, la « gauche du XXI siècle » annonce de plus en plus ouvertement une politique capitaliste très pure et dure. Celle qu’elle a toujours pratiquée étant au gouvernement. C’est la réalité qui peut déranger, mais qui devient évidente pour un nombre croissant de citoyens.
De ço qui calt ?