La grève des électeurs est un texte-clé de Mirbeau qui paraît au moment du centenaire de la prise de la Bastille, quand le général Boulanger, le Monsieur Propre du moment, s’applique à renverser la table. Le boulangisme veut opérer comme une lessiveuse mais, au sentiment de Mirbeau, il fait du pays entier une loge de concierge, pis : une immense latrine : « On va marcher dans l’ordure, enlisés jusqu’au cou ».
Le Mirbeau de cette époque ne croit pourtant ni à la sincérité de la République ni au bilan positif de la Révolution française. Pour lui, elle n’a fait que déplacer le centre de gravité des privilèges. Aussi s’affirme-t-il clairement anarchiste. Il est peu d’écrivains qui soient allés aussi loin que lui dans cet engagement.
Se sent-il le porte-parole du peuple ? Il aime plutôt parler au peuple. Mais le peuple ne porte pas que des valeurs d’humanité. On peut même trouver de l’humanité chez les richards et jusque chez les galonnards. Le capitaine Dreyfus se trouve porter ces deux stigmates. De surcroît, il est juif – et Mirbeau a publié dans sa jeunesse des textes antisémites, comme nombre de plumitifs de gauche. Risquant le tout pour le tout, il apporte néanmoins son soutien tonitruant au capitaine. L’anarchiste naviguait pavillon haut, l’acharniste de la cause de Dreyfus pareillement mais cette fois avec le souci de ne pas rester seul, de former escadre avec Zola, Clémenceau…
Les mêmes qu’il retrouve dans son activité de critique d’art. Car Mirbeau fut aussi un œil sans pareil. Les grands artistes les plus modernes de l’époque lui doivent beaucoup. A commencer par Rodin, antidreyfusard pourtant - mais Mirbeau savait que la politique ne dit pas nécessairement toute la vérité de l’homme.