Le maréchal Pétain, « un grand soldat pendant la Première Guerre mondiale », même s’il a « conduit à des choix funestes durant la Deuxième » ? Prenons au mot Emmanuel Macron. Où était Philippe Pétain durant la bataille de Verdun ? Réponse de l’historien Jean-Yves Le Naour
« On peut avoir été un grand soldat à la Première Guerre mondiale, et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième. » Alors, très bien. Prenons au mot l’hommage d’Emmanuel Macron, lors de son « itinérance mémorielle », rendu à celui qui envoya des milliers de jeunes hommes au massacre, durant ce que les historiens qualifient de Première Grande boucherie mondiale. Et passons sur les 530 exécutions de soldats ou de prison à perpétuité que le collabo des nazis ordonna, 23 ans plus tard, pour rétablir l’ordre dans les tranchées. Passons sur la dictature du régime de Vichy qu’il a dirigé, avant d’être condamné pour haute trahison, frappé d’indignité nationale et déchu de son titre de maréchal. Passons.
Et penchons-nous sur le « grand soldat » de 14-18. Sur le « héros de Verdun ». Ou plutôt « l’imposteur de Verdun », selon le titre d’un article de Jean-Yves Le Naour.
« La situation qui se rétablit in extremis le 26 février 1916 ne doit rien à sa présence ni à ses ordres, mais au sacrifice des poilus d’une part, et aux instructions du général de Castelnau, de l’autre », explique le docteur en histoire.
Car le bon Philippe est parti sans en avertir son chef d’état-major le 24 février. Parti à cause d’impératifs belliqueux d’une extrême importance ? Pas vraiment...
Alors que sur le front meusien, au même moment, « il faisait froid et grelottant, boueux, sanglant », écrira un soldat français de 23 ans, René Prieur, « enseveli quatre fois sous des trous d’obus » ce jour-là ; alors que la bataille la plus sanglante de l’histoire sur le sol français fait 1 000 morts par jour (plus de 300 000 soldats français et allemands périront en dix mois de combats), que fait, de son côté, le « Sauveur de la République » ? Il s’envoie en l’air, tout simplement.
« Le sachant homme à femmes et connaissant ses habitudes à l’hôtel parisien Terminus, face à la gare du Nord, Serrigny s’y précipite et retrouve son général en chemise de nuit et en galante compagnie autour des trois heures du matin. »
Il sera tiré du lit puis pris par la peau du cul pour être ramené sur le champ de bataille, parce que les Allemands n’attendent pas. Sauf qu’il y a quarante centimètres de neige sur les routes, et qu’il est coincé à Souilly.
Le 25 février, au moment où René Prieur – comme ses milliers de camarades – voit « les bras, les têtes, les membres [voler] en l’air », au moment où il entend « le son métallique du 75, les branches craquant sinistrement, les cris des blessés », où il est « éclaboussé de sang », où il « marche sur des morts » pour se dégager de sa tranchée et des arbres, au même moment donc, le pauvre Philippe Pétain, lui, prend froid et tombe malade. Quelle tristesse...
« Dans le froid glacial de la maison du notaire de Souilly, où il a pris momentanément ses quartiers, il attrape mal et se réveille le 26 avec une toux vive, une pneumonie pour les uns, une bronchite pour d’autres. »
Il est contraint de garder le lit, une position couchée qu’il semble affectionner. Le légendaire remonteur de moral des troupes et charismatique bonhomme, inconnu de ses soldats d’après Jean-Yves Le Naour, n’a donc absolument rien fait pour relancer la France vers la victoire.
« En février 1916, sa réputation n’a rien à voir avec celle de mars. C’est d’ailleurs peut-être là une des sources du mythe associant Pétain et Verdun. Et Pétain n’est responsable de rien. S’il est flatté par la presse, qui lui tresse des lauriers de papier, la raison est purement politique. Jusqu’en 1916 en effet, Joffre veillait à ce que la presse ne vante aucun autre général que lui-même. Même Gallieni a vu son portrait censuré en 1915. La France ne devait avoir qu’un seul héros, et le gouvernement fermait les yeux parce qu’il estimait que la concurrence de popularité pouvait être un problème politique. Mais depuis l’offensive allemande à Verdun, tout change : la censure autorise les récits louangeurs, parce que la résistance acharnée de Verdun flatte l’orgueil national, mais aussi parce que la France se cherche une nouvelle étoile depuis que celle de Joffre n’illumine plus grand-chose. »
« Verdun sera pris », « Nous sommes au bout du rouleau »... Les coups de panique réguliers de Pétain, au cours de la bataille de Verdun, seront passés sous silence. La presse de l’époque, puis les historiens, privilégieront son « On les aura », bien plus virile, même si la formule n’est pas de lui. En résumé :
« La gloire de Pétain, qui apparaît en mars 1916, alors que la situation est toujours précaire, est donc une gloire fabriquée, politique, qui sert Pétain autant qu’elle se sert de lui. »
Pétain, le « grand soldat » inconnu des Poilus ?
Anne-Lise Du Rinne
À lire : -« Pétain, l’imposteur de Verdun », Jean-Yves Le Naour, Historia, février 2016.