Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Mineurs isolés, la double peine - Semaï, jeté à la rue avec sa jambe tordue
Article mis en ligne le 27 novembre 2020
dernière modification le 26 novembre 2020

par siksatnam

Sans le secours de militants et de bénévoles, les mineurs non accompagnés « suspectés de majorité » se retrouveraient à la rue. Même lorsqu’ils souffrent d’anciennes fractures qui n’ont jamais été soignées... Premier épisode de notre enquête en Moselle.

Une banane. C’est ainsi que Semaï* décrit la forme qu’avait pris sa jambe gauche, en relevant l’ourlet de son jean. Dans ce jardin paysager de Metz, au beau milieu de la préfecture de Moselle, des jeunes de son foyer, situé à quelques mètres de là, défilent devant le banc où nous sommes assis. « En ce moment, elle est jolie, ma jambe. Avant, elle était trop bizarre. L’os était cassé et il sortait... Ça faisait une boule blanche sous la peau », lance le jeune homme de 19 ans.

Pendant de longs mois, la menace de l’amputation plane. Ce n’est que lors de son rendez-vous au service de chirurgie orthopédique du CHRU de Nancy, en mai dernier, qu’il apprend que sa jambe ne risque plus rien. « Le docteur m’a dit que je pouvais même faire de la natation et du vélo ! », lâche Semaï. Il a fallu quatre opérations en tout, dont deux greffes de peau, pour que sa jambe reprenne une apparence à peu près normale. Reste, tout de même, ce cratère barré par une crête de peau sombre au niveau du tibia : l’une de ses deux cicatrices, énorme. À l’intérieur de sa jambe, une plaque métallique de 30 centimètres, un clou et huit vis fixent le tibia et le péroné qui s’étaient consolidées anormalement vers l’intérieur, suite à une double fracture ouverte vieille de... dix ans.
Trois semaines à l’abri, « puis l’ASE m’a mis dehors »

En Angola, quand il avait neuf ans, Semaï jouait dans les rues lorsqu’une voiture le renverse. Sa jambe gauche est écrasée par le véhicule. « Je suis resté par terre. La voiture est repartie, sans s’arrêter. » Un passant le porte à l’hôpital, où on lui met une simple attelle. « On ne m’a jamais opéré. En grandissant, ma jambe a fait une courbe, comme une banane. » Quelques temps après, Semaï perd son deuxième parent et se retrouve « enfant des rues ». Il n’échappe pas aux trafics, aux violences, aux maladies. Laveur de voitures, il passe son adolescence à récurer les pare-brises et les carrosseries, à raison de dix heures par jour. « Je ne veux plus d’une vie comme ça », confie l’adolescent à l’un de ses clients, un passeur. Contre l’équivalent de « trois ou quatre mois de salaire », celui-ci lui propose de le faire soigner et de le scolariser. Semaï le suit dans l’avion, sans connaître la destination.

À l’automne 2017, l’adolescent de 16 ans débarque en train à Metz. Le passeur l’abandonne. Il dort à la rue quand la police le découvre et le confie à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), service placé sous l’autorité du président du Conseil départemental, dont la mission est notamment d’ « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique » aux mineurs en danger, sans condition de nationalité. Alors âgé de moins de 18 ans, et séparé de ses représentants légaux sur le sol français, Semaï bénéficie du statut de mineur non accompagné.

Le temps de son « évaluation de minorité et d’isolement », il est mis à l’abri par le Centre départemental de l’enfance (CDE), chargé de l’accueil et de l’hébergement de tout enfant confié en urgence par les services de l’ASE. En Moselle, pour prendre la décision de reconnaître ou non la minorité des jeunes exilés, trois évaluateurs (1) s’appuient sur un « faisceau d’indices » : l’examen des documents d’identité fournis par le jeune, l’entretien individuel qu’ils mènent avec lui, etc. « Mon évaluation de minorité a pris trois semaines et trois jours, puis l’ASE m’a mis dehors », se souvient Semaï.

« On a le droit à un repas le matin, un autre le soir. Rien le midi »

Une femme nous rejoint, un carton rempli de paires de baskets neuves sous le bras, et en donne une à Semaï. « C’est mon jour de distribution ! ». Sandra a financé l’achat des chaussures grâce à un appel aux dons lancé sur Facebook. Cette militante aide les jeunes exilés sortis sèchement par l’ASE à se scolariser, se soigner, s’héberger, et faire respecter leurs droits. Crise sanitaire oblige, l’ASE paye depuis le premier confinement deux semaines d’hôtel aux jeunes qui sont sortis de son dispositif pour minorité contestée (2).

Ils se retrouvent alors à l’écart de la ville, dans des chambres Kyriad transformées en hébergement d’urgence, au milieu d’un nœud de routes départementales, d’autoroutes et de zones commerciales. « On n’a absolument rien à faire de la journée. On a le droit à un repas le matin, un autre le soir. Rien le midi », témoignent de nombreux jeunes passés par là. « Mais c’est mieux que rien, reprend Sandra, ironique. Avant, ils étaient mis à la rue du jour au lendemain. »

Que deviennent-ils ensuite ? Plus d’une année s’écoule, en moyenne, entre le moment où les jeunes dont la minorité est contestée demandent un rendez-vous auprès de l’ambassade de leur pays d’origine pour faire venir leurs documents d’identité et celui où ils obtiennent une audience devant le juge des enfants. Un dispositif d’hébergement d’urgence a été mis en place en Moselle, en mai 2018, par la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), service dépendant de la Préfecture, pour recueillir – selon ses termes – les « jeunes majeurs étrangers isolés » (sortis de l’ASE le jour de leurs 18 ans) et les « mineurs non accompagnés contestés », le temps de leur recours auprès du juge des enfants. La DDCS a missionné l’Armée du Salut pour prendre en charge, en foyers ou en appartements, ces jeunes qui relèvent de la responsabilité de l’État.

« Ce dispositif, c’est une prise en charge au rabais ! Hormis une éducatrice très impliquée, l’Armée du Salut ne fait pas grand chose pour les aider dans leur recherche d’emploi, pour les scolariser, les emmener chez le médecin... » Sandra regrette que les jeunes doivent se débrouiller entièrement seuls dans leurs démarches juridiques. C’est elle qui les conduit à leur ambassade à Paris, Lyon, Bruxelles... « Est-ce à une simple citoyenne bénévole de faire ça ? Ils ne peuvent même pas se payer un ticket de train. Ils n’ont pas d’argent de poche, rien. Juste le strict minimum pour vivre. Là, pour la plupart, c’est la première fois qu’ils mettaient des baskets neuves... »

« Sans la Fondation Abbé Pierre, je me serais retrouvé à la rue sans avoir été à l’hôpital »

Joint par téléphone, un jeune homme qui a été hébergé par l’Armée du Salut il y a quelques mois partageait un appartement pour dix occupants (« trois chambres et des canapés pour ceux qui n’en avaient pas ») ainsi qu’un budget hebdomadaire de 250 euros pour faire les courses. Soit 3,50 euros par tête et par jour... La Banque alimentaire fournit, depuis, en complément, des colis de denrées aux jeunes de l’Armée du Salut. Malgré nos multiples relances, l’antenne mosellane de l’Armée du Salut, la DDCS et le service communication de la préfecture et la direction de l’ASE n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Parfois, le dispositif mis en place par la DDCS pour recueillir les jeunes « refusés » par l’ASE les... refuse à son tour. Semaï en a fait l’amère expérience. « J’ai été contesté avant que le dispositif ne soit mis en place. Du coup, je n’ai jamais pu en bénéficier. Sans Sandra, qui m’a recueilli chez elle les premiers temps, puis la Fondation Abbé Pierre, qui rembourse mon loyer, je me serais retrouvé sans toit, sans rien, sans même avoir été à l’hôpital », reconnait-il.

En ce moment, par exemple, ils sont encore cinq à ne pas avoir été repris par l’Armée du Salut. Cinq jeunes à la minorité contestée par l’ASE qui ont été placés - ou attendent d’être placés - par le Samu social dans un hôtel réquisitionné en hébergement d’urgence. « L’un d’eux est actuellement à la rue. Un autre s’est fait une luxation de la clavicule sur la route de son exil, témoigne Sandra. Un matin, il m’appelle, son os ressortait carrément de l’épaule. On a dû appeler les pompiers. Ils l’ont emmené aux urgences, où on lui a fait une anesthésie générale pour remettre son épaule en place... L’après-midi, il était de retour à son hôtel, entièrement livré à lui-même. »

« L’ASE a le culot d’envoyer chez nous les gamins qu’elle jette à la rue »

« Si la Fondation Abbé Pierre ou des bénévoles ne payaient pas leur repas, ces jeunes placés par le Samu social n’auraient même pas à manger. » À quelques kilomètres de là, Martine Hoerner, la coordinatrice locale de l’organisation du « petit père des pauvres », n’arrive pas à s’habituer au fait de recevoir les jeunes dont la minorité est contestée. « L’ASE a le culot d’envoyer chez nous les gamins qu’elle jette à la rue, dit-elle. Mais ce qu’on propose, c’est une solution officieuse ! » La Boutique Solidarité – l’accueil de jour de la Fondation Abbé Pierre – où elle travaille se trouve à quelques minutes à pied de la bien nommée direction de la Solidarité du Conseil départemental. C’est dans ses bureaux que les jeunes reçoivent, comme le veut la procédure (3), cinq euros et la « lettre [leur] notifiant [leur] fin de prise en charge avec effet immédiat, signée par le directeur de l’ASE ».

Martine a fait les comptes. Depuis qu’un premier jeune « contesté » a toqué à sa porte, en février 2016, l’organisation messine du « petit père des pauvres » a épargné la rue à 88 jeunes, en puisant dans son budget destiné à l’aide d’urgence pour leur payer une chambre en foyer ou en hôtel, rembourser leurs courses, les accompagner à l’ambassade pour récupérer leurs papiers, etc. « À partir de 2017, se souvient Martine, les jeunes sortis par l’ASE se retrouvaient à la rue par dizaines. Le 115 [numéro d’urgence sociale] nous répondait qu’ils ne pouvaient pas les héberger, car, bizarrement, pour eux, ils étaient mineurs... On a mis l’État face à ses responsabilités pour qu’il récupère ces jeunes lâchés par le Département. Ce dispositif financé par la DDCS et géré l’Armée du Salut, c’est clairement insuffisant. Ces jeunes devraient recevoir une prise en charge totale (avec accompagnement individualisé, suivi psychologique, etc.) tant que le tribunal pour enfants n’a pas rendu son verdict. »

Ironie de l’histoire : quand ils sont enfin reconnus mineurs par le juge, les jeunes réintégrés au sein du dispositif de protection de l’enfance ont souvent 16, 17 ans. Difficile pour eux, dès lors, d’intégrer une formation en apprentissage (CAP, Bac pro...). « Sans apprentissage, le jeune n’a quasiment aucune chance d’obtenir une carte de séjour auprès de la préfecture. L’ASE refuse alors de lui délivrer un Contrat Jeune majeur qui prolongerait sa prise en charge passés 18 ans. L’Armée du Salut refuse à son tour de le reprendre. Il est condamné à la clandestinité... J’ai vu des dizaines de jeunes se retrouver à la rue le jour de leurs 18 ans parce qu’ils n’avaient pas d’apprentissage... », souffle Sandra, qui milite également aux côtés de la Fondation Abbé Pierre.

« J’ai vu un gamin pris pour un majeur parce qu’il avait trop de pilosité... »

Fin octobre 2017, Semaï apprend que l’évaluation de minorité et d’isolement de l’ASE n’a pas permis « de s’assurer de [sa] minorité ». Motif invoqué dans une lettre du directeur de l’ASE de Moselle : « apparence et comportement non conformes à l’âge déclaré ». Le livret de famille de Semaï indiquait pourtant qu’il est né en décembre 2000, d’après son avocate Christelle Merll et Sandra, la militante. « C’était le seul document d’identité qu’il possédait, mais la Police aux frontières lui a pris pour un contrôle il y a plus de deux ans et ne l’a jamais rendu... », assurent-elles. Sandra emmènera quatre fois le jeune homme à l’ambassade angolaise de Paris pour tenter d’obtenir un document d’identité valable. En vain. « L’ambassade me répond qu’il doit retourner dans son pays s’il veut obtenir des papiers, explique-t-elle. Mais il ne peut pas quitter la France, puisqu’il n’a pas de papiers... »

« C’est quoi l’ ’’apparence non conforme’’ ?, questionne Martine Hoerner. J’ai vu un gamin pris pour un majeur parce qu’il avait trop de pilosité... Si le jeune est vraiment majeur, ce devrait être à l’ASE de le prouver. » Une salariée du Centre départemental de l’enfance (CDE), qui souhaite rester anonyme, abonde : « C’est vrai qu’il y a un renversement de la charge de la preuve. Ce n’est pas dans l’intérêt du Département de maintenir dans le système de protection de l’enfance des jeunes si on n’est pas tout à fait certains qu’ils sont mineurs. La prise en charge des MNA coûte cher. Le Département est tout le temps en train de nous le rappeler... »

Chaque fois qu’il doit se justifier du sort réservé aux mineurs non accompagnés, Patrick Weiten rappelle, en effet, qu’entre son arrivée à la présidence du Conseil départemental et l’an dernier, le budget qui leur est dédié est passé de 2 à 12 millions d’euros, voire à 13 millions (le chiffre fluctue au gré de ses déclarations), sur les 103 millions consacrés à la protection de l’enfance, « la grande cause du département » selon l’élu. Qui ajoute, pour la presse locale : « Nous sommes salués nationalement, et d’autres départements n’en font pas autant. »

« Majeur pour l’ASE, mais mineur pour le reste des administrations françaises... »

« Comment l’ASE a-t-elle pu se rendre compte que l’apparence de Semaï n’est soi disant pas conforme à l’âge qu’il déclare, sans remarquer qu’il souffrait en marchant ?, s’interroge Sandra. C’est la première chose que j’ai vue ! » « Je disais à mes éducateurs que j’étais venu en France pour enfin être soigné », complète Semaï, qui boîtait fortement avant d’être opéré. Et pour cause, il n’avait pas encore de semelles orthopédiques et sa jambe gauche est quatre centimètres plus courte que la droite, comme en atteste un compte-rendu de consultation signé par un docteur du service de chirurgie orthopédique.

« Le chirurgien n’avait jamais vu une jambe si déformée. Il m’a dit : ’’C’est la première fois que je vais opérer un cas comme ça’’ », rapporte le jeune homme, qui a dû attendre sa majorité pour bénéficier de l’Aide médicale d’État et être opéré une première fois, en février 2019, au centre chirurgical Emile Gallé de Nancy. Jusque là, les médecins refusaient : « N’étant pas pris en charge par l’ASE, il n’avait aucun responsable légal officiel, décrit Sandra. Et comme cela fait dix ans qu’il vivait comme ça, le médecin n’a pas considéré qu’il y avait urgence vitale pour l’opérer malgré tout. Il était majeur pour l’ASE, mais mineur pour l’hôpital et le reste des administrations françaises... »

Plus de fugues et de contestations de minorité que d’admissions

Si Semaï ne cumulait pas autant de problèmes de santé si lourds, sa situation n’aurait rien d’exceptionnelle en Moselle, à en croire le rapport d’activité du Centre départemental de l’enfance (CDE). Sur 490 admissions de mineurs non accompagnés en 2019, peut-on lire sur ce document que Le Média s’est procuré, 157 d’entre eux auraient « choisi par eux-mêmes de quitter le CDE » (4) et 129 ont fait l’objet d’une « notification de fin de prise en charge pour non reconnaissance de minorité ». « En clair, traduit un éducateur du centre, ils sont suspectés d’être majeurs et jetés à la rue ! » Selon une source interne au CDE, 52 % des jeunes évalués par le Département ont été évalués mineurs en 2019.

À l’échelle nationale, impossible d’obtenir une donnée claire sur la question. L’Agence des services de paiement (ASP), qui rembourse le coût de la mise à l’abri des jeunes exilés le temps de leur évaluation de minorité et d’isolement, a bien une petite idée : « En 2016, sur l’ensemble des jeunes évalués et déclarés dans la base de l’ASP, 52 % figurent comme ayant été évalués mineurs et isolés », peut-on lire dans le Rapport final de la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés de février 2018 (5).

Une moitié d’erreurs de l’ASE à Paris

Les mineurs « contestés » sont-ils forcément des majeurs qui fraudent ? Là encore, aucun chiffre n’a été produit à l’échelle nationale pour nous permettre d’évaluer la fiabilité des méthodes d’évaluation des départements. Pour la ville de Paris, le chiffre est connu pour les années 2016 et 2017 : une fois sur deux, le juge des enfants avait « infirmé l’évaluation initiale et ordonné une admission à l’ASE » (6). Autrement dit, la moitié des jeunes exclus du dispositif de protection de l’enfance n’auraient pas du le quitter, puisqu’ils finiront par prouver leur minorité.

Une moitié d’erreurs, donc. Le département de Moselle n’a communiqué qu’un seul chiffre publiquement – parce que le Défenseur des droits le réclamait. En 2017, sur 197 jeunes qui ont vu leur minorité contestée par l’ASE, 61 d’entre eux « ont bénéficié d’un placement au CDE à la suite de leur requête devant le juge des enfants ». Un tiers d’erreurs, donc. « Mais combien de mineurs ’’contestés’’ quittent le département quand ils sont mis dehors ? se demande Sandra. Combien tombent dans des trafics ? Combien attendent clandestinement de devenir majeur pour faire une demande d’asile ?... »

« Les chances que je ne devienne pas aveugle sont trop petites... »

À sa petite échelle aussi, la Fondation Abbé Pierre de Metz a une donnée interne. « Sur les 88 jeunes dont on a pris soin depuis février 2016, décompte Martine Hoerner en consultant son registre, 49 ont été reconnus mineurs par le juge des enfants ou dans un autre département, 11 sont partis sans donner d’information, une vingtaine sont en attente d’une date d’audience auprès du tribunal pour enfants et huit sont devenus majeurs entre temps... » Semaï en fait partie. En décembre, il fêtera ses 20 ans. Sans avoir été reconnu mineur non accompagné, sans avoir ni passeport ni aucun document permettant d’établir son état civil, il n’a pu obtenir de titre de séjour et se trouve aujourd’hui dans une impasse administrative.

Il a fait une demande d’asile en mars 2019. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ne s’est toujours pas prononcé. S’il n’est pas reconnu réfugié, Semaï espère au moins devenir apatride. « Puisqu’aucun document dans le monde ne justifie qu’il est ressortissant d’un État, annonce Sandra, qui le suit depuis maintenant trois ans, c’est l’ultime solution pour lui... ». Le jeune majeur a obtenu son CAP de serrurier métallier en candidat libre en septembre et a déjà trouvé une entreprise qui souhaite le prendre en apprentissage dans le cadre de son Bac pro. « J’aime beaucoup la soudure, rêve-t-il. Je voudrais devenir ajusteur, faire des garde-corps, des portières, travailler le métal. J’ai découvert ce métier en France. »

Pourra-t-il exercer un jour ? Au-delà des problèmes de santé qui ont failli lui coûter une jambe, Semaï est atteint d’une maladie lourde au niveau du foie et d’un glaucome, première cause de cécité absolue dans le monde. « Ça non plus, l’ASE ne l’a pas remarqué avant de le lâcher dans la nature ! », ironise Sandra. Il n’y échappera pas, il le sait : « Les chances que je ne devienne pas aveugle sont trop petites... » Semaï espère retarder l’échéance : il met des gouttes dans ses yeux, suit un traitement au laser destiné à diminuer sa tension oculaire. « Si ça ne suffit pas, l’ophtalmo lui recommande de se faire opérer chez un chirurgien spécialisé à Paris, poursuit Sandra. Mais si on l’opère maintenant, on sait que dans dix ans il sera aveugle. Ça fait peu, quand on a vingt ans... »

Par Franck Dépretz

* Le prénom a été modifié

(1) Le plus souvent, il s’agit d’une juriste et deux membres de l’encadrement du service d’accompagnement des mineurs non accompagnés du CDE. La décision est ensuite soumise à validation à un cadre de l’ASE, avant que le procureur décide ou non de délivrer une ordonnance de placement provisoire.

(2) Les jeunes qui ne bénéficient pas de Contrat Jeune majeur se retrouvent soumis au même régime le jour de leurs 18 ans.

(3) Telle qu’elle est décrite par l’ancien Défenseur des droits Jacques Toubon dans une décision rendue en septembre 2019.

(4) Il s’agirait, d’après le rapport, de « fugues des jeunes gens dès leur admission au sein de l’établissement ou après refus de se conformer à la procédure applicable aux MNA ».

(5) Le rapport ne précise pas le nombre d’évaluations de minorité, mais le nombre de demandes de remboursement des évaluations de minorité et mises à l’abri que les départements lui ont adressées. Soit 21 471 demandes en 2016.

(6) D’après le Conseil national des barreaux, cité dans le même rapport.