Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Entretien avec Lorenzo Kom’Boa Ervin militant et auteur de « Anarchism and Black Revolution »
Article mis en ligne le 19 décembre 2020
dernière modification le 9 décembre 2020

par siksatnam

Qu’est-ce qui t’a radicalisé et mené vers une vie de militantisme politique ? Qu’est-ce qui t’a mené vers l’anarchisme ?

J’ai été élevé dans le « Vieux Sud » avant l’avènement du mouvement pour les droits civiques des années 50 et 60. Bien que les protestations aient débuté et continué dans des villes du Sud dés 1954, ce n’est qu’avec le boycott des bus à Montgomery (Alabama) qu’elles sont de fait devenues plus qu’un phénomène local, et ont pris une importance nationale. Le boycott des bus est devenu un évènement de renommée mondiale, et ont fait du Dr. Martin Luther King Jr. un personnage d’envergure internationale. Issu de la base, ce boycott m’a influencé ainsi que des millions d’autres Africaines en Amérique car il reflétait le désir des masses noires de détruire les institutions étatiques blanches racistes qui existaient à l’époque dans le Sud.

La majeure partie de l’histoire du boycott des bus à Montgomery est assez connue, mais comme vous pouvez l’imaginer, la lutte pour les droits civiques n’était pas que l’oeuvre du Dr. King. Même si on a créé un mythe national disant qu’il a suffi que Dr. King fasse quelques interventions devant les masses noires opprimées à Montgomery pour qu’un mouvement naisse et que son cri soit entendu par John Kennedy, le ‘grand maître blanc’ à Washington D.C., qui fît passer une législation de protection des droits civiques.

Cette version simpliste est de la propagande gouvernementale destinée à cacher l’hostilité et l’inaction du gouvernement fédéral, ainsi que le pouvoir du mouvement qui a obtenu des concessions du gouvernement et de ses appuis économiques. Par exemple, pour quelle raison E.D.Nixon, leader local de la National Association for the Advancement of Colored people (NAACP) et organisateur de base à Montgomery durant de nombreuses années, a-t-il été oublié de l’histoire ?

La réponse à cette question est très importante parce qu’elle montre comment des peronnages et des mouvements sociaux ont été oubliés de l’histoire, et comment la révision de la mémoire historique est utilisée comme une arme idéologique pour handicaper les générations suivantes.

Mais ma radicalisation a réellement commencé avec le mouvement sit-in d’étudiants et de jeunes, qui a débuté à Greensboro, en Caroline du Nord, durant l’année 1960 lorsque quatre étudiantes noires du Collège North Carolina A & T sont rentrées dans un grand magasin Woolworth, se sont assises au comptoir et ont demandé à être servies. Avant que cela se termine, 5000 étudiantes, jeunes et personnes issues de la communauté noire ont participé à cette protestation, qui s’est étendue sur tout l’Etat de la Caroline du Nord dans les jours suivants. Finalement, la force et la furie pure de ces protestations ont forcé les élus municipaux blancs de Greensboro à faire des concessions et au moins temporairement à démanteler les lois ségrégationnistes.

Cette victoire a inspiré l’irruption de luttes similaires dans tout le Sud : Louisville (KY), Richmond (VA), Baltimore (MD), Nashville (TN) et d’autres villes. En fait, des historiennes ont estimé que dans les quinze jours qui ont suivi les évènements de Greensboro, 69 autres villes ont été touchées par des protestations similaires.

Un des moments les plus intéressants de ton intervention ici à Minneapolis concernait ta discussion sur l’aile antiautoritaire du mouvement des droits civiques des années 60 dans le Sud, et comment son histoire fut occultée par l’histoire de l’aile réformiste du même mouvement. Pourrais-tu parler un peu plus de l’importance de cette aile antiautoritaire peu connue ? quelles leçons pouvons-nous apprendre aujourd’hui des luttes anti-autoritaires pour les droits civiques ?

Oui, peu de personnes savent que la lutte étudiante était dés le début une lutte autogérée. Elle n’a jamais été planifiée, même les évènements de Greensboro sont le résultat d’une discussion spontanée au cours de la nuit précédente et le fait que quelqu’un ait réellement décidé de passer à l’action a été une surprise pour tout le monde. Mais ces évènements spontanés ont donné lieu à un mouvement qui, durant le mois de février, a enflammé le Sud comme un feu de prairie et re-dynamisé le mouvement des droits civiques. Le mouvement s’était en effet un peu endormi après les évènements de Montgomery et avait adopté des tendances bureaucratiques focalisées sur les leaders. Les victoires dans d’autres villes avaient inspiré un mouvement et allaient bientôt inspirer la création d’une organisation.

Ella Barker, qui à l’époque était la main droite du Dr King, connaissait l’importance des luttes d’étudiantes et de jeunes. Barker a ainsi pu agir comme médiatrice lors de la rencontre de jeunes à Raleigh, en Caroline du Nord, et en avril 1960 qui rassembla 300 représentantes noires du Sud et 100 étudiantes blanches du Nord (qui incluaient des personnes de gauche dont entre autre le groupe qui allait créer Students for a democratic Society dont le programme sera directement influencé par le Student Non-Violent Coordination Committee). Ce rassemblement a donné lieu à la création du Student Non-Violent Coordination Committee. Ce n’était certainement pas un mouvement bureaucratique et il n’avait en fait aucun leader fort. Même Bob Moses, le premier président, n’était qu’un médiateur dénué de tout pouvoir réel. C’était une structure totalement non hiérarchique dont le pouvoir décisionnel était aux mains des membres. Ce rassemblement a appelé à la création de groupes locaux totalement autonome, affiliés au sein d’une fédération large. Durant ce rassemblement et les autres qui ont suivi, il a été décidé que le SNCC serait une organisation d’action directe rassemblant des militantes actives/fs plutôt qu’une structure bureaucratique comme le Southern Christian Leadership Council (SCLC) du Dr King.

Le SNCC avait surtout une conception totalement différente du SCLC sur la manière dont il fallait mener la lutte. Ce dernier attendait que King et d’autres leaders nationaux s’intègrent au sein de la communauté pour « mener » le peuple. Très souvent, ceux-ci ont ignoré entièrement les militantes locales/aux et ont passé des accords avec le pouvoir blanc local souvent extrêmement hostile à la communauté noire. Tandis que l’objectif premier du SNCC était de créer des organisations autonomes et un militantisme de base au niveau local capable de mener des luttes sociales, les locales/aux décideraient du programme, organiseraient des protestations et gagneraient des luttes. Les militantes du SNCC étaient là pour apporter un soutien technique et non pour détourner une lutte locale. Nous étions là avant tout pour encourager l’initiative et la spontanéité.

Même s’il y avait de nombreuses personnes au sein du SNCC qui étaient, durant les premières années, motivées par la religion, le SNCC était bel et bien une organisation laïque qui regardait de haut les prêtres et les prêcheurs, y compris King ! Je pense que ce refus des leaders a marqué le SNCC plus que n’importe quelle autre organisation avant et après les années 60. Cette organisation a impulsé les luttes les plus importantes durant le mouvement pour les droits civiques et a gagné les combats les plus significatifs : le droit de vote, la liberté de pouvoir prendre les transports collectifs inter-états sans ségrégation, l’égalité d’accès aux espaces publics, et d’autres combats mais tant que l’organisation a maintenu sa structure antiautoritaire. C’est uniquement lorsqu’elle a abandonné cette structure et s’est bureaucratisée avec un président puissant (dans la personne de Stokly Carmichael), un comité central et un personnel permanent, qu’elle s’est affaiblie et a commencé à mourir – à mon avis. Tout ceci a eu lieu en 1967.

Nous savons qu’un mouvement antiautoritaire (même anarchiste) et Noir existait dans ce pays et était hautement efficace. Il y a toujours eu des anarchistes au sein du SNCC et ses ennemies et amies l’appelaient « anarchiste » pour de multiples raisons. Nous devrions étudier très finement le SNCC, observer ses succès et ses échecs, ses campagnes et son effet sur la société. Le SNCC nous offre clairement une sorte de modèle pour le genre d’organisation activiste que nous voulons créer maintenant. Si le SNCC a pu survivre dans des conditions les plus difficiles et avec des ressources très limitées, on pourrait imaginer de créer aujourd’hui quelque chose de mieux dans des conditions plus favorables.

Comment l’anarchisme européen blanc a-t-il échoué dans la compréhension de son implication possible et de son soutien aux luttes des populations opprimées dans ce pays ? Comment le mouvement anarchiste peut-il être un soutien authentique et aucunement hypocrite, libéral, basé sur la culpabilité ?

Tu me poses une question sur « l’anarchisme européen » et comment il pourrait s’impliquer dans les luttes des populations opprimées dans ce pays, c’est à dire non seulement la classe ouvrière blanche, mais également les Noires et autres groupes « raciaux » qui sont surexploitées. Bien, je dois d’abord dire qu’il faut comprendre que le rôle de la population blanche dans ce système est de maintenir l’oppression et de reproduire le racisme à travers les institutions capitalistes. Je ne pense pas que ce seront des radicales/aux blanches au sein de leurs propres organisations qui mèneront la lutte pour combattre le capitalisme mais plutôt la classe pionnière des travailleuses/eurs les plus opprimées des « communautés de couleurs » (ceci est ma seule concession à la terminologie politiquement correcte). Ce segment pourrait s’allier avec d’autres segments délaissés de la société comme les homosexuelles, les femmes, les travailleuses/eurs et d’autres afin de créer un mouvement d’opposition social capable de vaincre le pouvoir capitaliste.

Aujourd’hui donc, les radicales/aux blanches doivent commencer à créer de sérieux liens avec des personnes de couleurs, nous aider par du soutien matériel et politique afin de construire un nouveau mouvement, continuer à construire un mouvement social « antiraciste » au sein de la communauté blanche qui subvertira la suprématie blanche et la collaboration de classe parmi les ouvrières/ers blanches. Ce mouvement de blanches antiraciste devrait ensuite être prêt à être guidé par des personnes de couleur plutôt que de « guider » des personnes ayant des besoins, des revendications différentes et qui vivent dans une autre réalité sociale.

Par exemple, les « leaders » blancs et masculins du soi-disant mouvement antiraciste ne font rien afin de rendre l’environnement social plus sûr pour les personnes de couleur, et de fait ne font rien d’autre que moraliser et s’auto-congratuler de façon libérale. De fait, nous n’avons pas de rôle dans l’organisation de ce mouvement et nous avons une conception entièrement différente du racisme. Ces erreurs sont liées au fait que les anarchistes ne comprennent pas fondamentalement les relations entre race, classe et capitalisme. Elles/ils pensent que l’oppression de race et de classe n’est qu’une question marginale, ou un phénomène externe ou indépendant plutôt qu’intrinsèque aux règles et à la forme du contrôle social de ce système.

Les anarchistes et les blanches de gauche n’ont généralement pas été impliquées historiquement dans les luttes concernant les travailleuses/eurs noires. Elles/ils sont presque toujours de classe moyenne et ne comprennent pas les communautés de couleur, même si elles/ils prétendent tout savoir. Elles/ils devraient s’impliquer, non pas pour manipuler ou mener de telles luttes, non pas par culpabilité blanche, mais en tant que participantes directes. Les locales/aux décideront de comment elles/ils peuvent s’impliquer et les locales/auxdoivent être convaincues qu’il s’agit d’une motivation sincère et non pas d’une manipulation supplémentaire de la gauche blanche.

Il est clairement important pour les anarchistes contemporaines d’expliquer et de faire connaître leurs analyses politiques afin que les idées anarchistes se propagent et soient mieux connues. Quel genre de rôle les anarchistes devraient elles/ils jouer pour impliquer les gens dans l’anarchisme ?

Nous devons sortir du ghetto anarchiste et laisser tomber le dogme « puriste » afin de construire un mouvement efficace. Ce mouvement n’a même pas de journal hebdomadaire exprimant ses points de vue et n’est pas réellement considéré comme quelque chose d’autre qu’une tendance « contre-culturelle » pour des enfants blanches gâtées jouant à la révolution. Il y a quelques exceptions, mais en général peu de personnes ressentent l’anarchisme comme une tendance sérieuse. Le fait également que les anarchistes ne diffusent pas de publications à une échelle très grande a comme conséquence que le fascisme, le capitalisme ou le marxisme sont les seuls points de vue que les personnes connaissent. Les publications anarchistes existantes ne font pas beaucoup pour expliquer les événements mondiaux dans des termes libertaires socialistes ou pour servir d’outils militants ; elles sont pour la plupart des revues « contre-culturelles » pour des tendances sociales et culturelles marginales. La personne moyenne ne sait pas ce qu’est l’anarchisme, mais ce qui vous surprendra, c’est qu’elle n’est habituellement pas hostile à l’anarchisme lorsqu’on le lui présente.

Selon toi, à quoi ressemblerait un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière ? Est-il différent des mouvements ouvriers du passé ? De quelles façons ?

Premièrement, nous devons comprendre que les termes « mouvement » et « organisation » sont généralement opposés ; ce que tu veux dire n’est pas très clair pour moi, car les termes ne sont pas nécessairement identiques. Toutes sortes d’organisations existent, dont certaines se nomment révolutionnaires, mais il ne faut pas se laisser guider par le nom d’une révolution mais plutôt par ce qu’elle fait. Par contre, un mouvement a une vie et une vision du monde bien à lui.

Un mouvement social peut être constitué de différentes dynamiques dont certaines peuvent être plus militantes que d’autres, avec des revendications limitées ou générales. L’anarchisme est supposé être un mouvement social mais je pense qu’il n’est actuellement qu’une tendance. Tout mouvement révolutionnaire ouvrier qui émerge dans les années 90 ne peut être basé uniquement sur des questions liées aux lieux de travail car il doit également être un mouvement social révolutionnaire. La vie sociale des communautés, de même que l’activité économique des travailleuses/eurs comme unité productive doivent être considérées dans leur globalité. Des problèmes et mouvements sociaux existent aujourd’hui qui n’existaient pas il y a 20 ans. Même maintenant, la nature du travail elle-même a changé et la classe ouvrière est devenue de plus en plus diversifiée intégrant les femmes, les Noires, les Asiatiques et d’autres groupes sociaux dans des nombres plus importants que jamais auparavant. L’exclusion de certains groupes sociaux est plus importante encore qu’au temps de la grande dépression : les sans domiciles, les sans travail, les sous employées et les extrêmement pauvres – en dépit du soi-disant État providence. Il est clair que le capitalisme a épuisé toutes ses réformes et qu’il traverse une profonde crise rendant inévitable une révolte à grande échelle.

Un mouvement révolutionnaire ouvrier devrait aller au-delà du syndicalisme et d’autres réformismes, et casser les règles entre travail et jeu, et finalement, rejeter toutes réformes hormis celles arrachées aux capitalistes, qui peuvent renforcer la capacité de lutte des personnes.

Mais l’exploitation de classe et l’orientation politique de classe existent toujours, donc le mouvement devrait être guidé par celles/ceux issues des secteurs les plus bas, les plus désespérés de la classe ouvrière, si nous ne voulons pas encore plus de réformisme social. Si l’on ne veut pas que l’analyse théorique du mouvement ait des limites intrinsèques protégeant la classe privilégiée, il faut refuser que les idées des classes privilégiées dominent cette analyse théorique. De plus, le nouveau mouvement doit être un mouvement d’action directe, démocratique et antiautoritaire, décentralisé et tout de même bien organisé. Je le répète, il faut utiliser le SNCC comme un exemple à étudier mais pas nécessairement à copier mécaniquement puisqu’il n’était pas un mouvement révolutionnaire à sa conception. Je pense qu’un tel mouvement doit être basé sur les niveaux les plus pauvres de la classe ouvrière si il veut mener à une révolution – plutôt que sur des intellectuels déclassés ou des segments marginalisés de la petite bourgeoisie.

Un mouvement révolutionnaire ne peut être considéré sérieusement que lorsqu’il lutte pour un changement social total plutôt que pour des réformes limitées, même si ces réformes peuvent être importantes. Personne ne peut entièrement prédire ou établir une liste des « à faire » et « à ne pas faire » ; ceci devra être partiellement forgé dans la lutte elle-même, même si des idéaux précis sont formulés au préalable. Nous devons être capables de revenir sur les faits et de changer nos analyses mais cela doit être basé sur des événements et de la théorie vérifiée.

Dans ton intervention, tu as parlé de redéfinir les notions de race et de classe. Tu écris également sur des notions comme suicide de classe et trahison de classe. Peux-tu en dire un peu plus sur leur signification ? Comment commettons-nous une trahison de race et un suicide de classe ? Comment des personnes issues de classes diverses peuvent-elles travailler ensemble dans un mouvement révolutionnaire ? Bref, comment caractériserais-tu la relation entre race et classe en Amérique dans les années 90 ? De quelles façons la relation entre race et classe est-elle unique par rapport à d’autres pays et à d’autres époques de l’histoire américaine ?

Lorsque je parle de redéfinir racisme et classe ouvrière, il s’agit d’une certaine façon d’une unique et même chose. Nous devons partir d’une approche non scientifique et intuitive de l’étude des dynamiques de race en Amérique pour aller vers une conception plus scientifique, matérialiste. Par exemple, je pense que la classe ouvrière blanche est une classe privilégiée, opportuniste en Amérique, même si elle est opprimée par le capitalisme. Elle n’est pourtant par la même que la classe ouvrière surexploitée africaine ou hispanique. L’État américain se sert des Blanches pour maintenir un système de privilèges de classe pour les riches en leur donnant un avantage substantiel au niveau matériel et social. Je commence moi-même ainsi que d’autres activistes à étudier plus sérieusement ce domaine donc certaines de mes idées changeront, mais pas fondamentalement. Mais nous devons comprendre cette question si nous voulons unir la classe ouvrière et vaincre le capitalisme. Nous ne pouvons pas continuer à croire que la classe ouvrière blanche est d’une certaine façon la pionnière pour la classe ouvrière entière. Cette croyance est d’une naïveté mortelle, c’est une mauvaise analyse politique et un chauvinisme culturel.

Le suicide de classe et la trahison de race pour les Blanches ont lieu lorsque des membres de cette catégorie refusent de s’identifier à la structure de pouvoir blanche et commencent à travailler à la défaite de cette autorité. C’est un choix conscient de rejeter les protections, les privilèges et les avantages des personnes blanches dans cette société et de devenir une révolutionnaire qui travaille pour abolir le capital et la soi-disante race blanche et de se joindre à l’humanité non blanche pour vaincre la suprématie blanche.

Aucun autre pays au monde n’est structuré comme les États-Unis, avec sa propre colonie intérieure, sa collaboration de classe par la classe ouvrière blanche et son histoire d’oppression esclavagiste et raciale. Des personnes issues de classes différentes peuvent contribuer au succès d’un mouvement social révolutionnaire mais la philosophie de la petite bourgeoisie ne peut pas être l’idéologie dominante de l’organisation. Kropotkine, Bakounine et d’autres sont issus des classes privilégiées et ils ont pourtant joué des rôles révolutionnaires importants.

L’oppression de race et de classe ont toujours été la cheville ouvrière de l’oppression en Amérique. Ce pays a été fondé sur l’institution de l’esclavage et s’est toujours maintenu par le privilège de la peau blanche et la surexploitation de la force de travail africaine, et ceci à travers des différences de salaire au travail, rendant les Africaines une armée de réserve de pauvres, avec un plus haut niveau de chômage et de pauvreté, ou à travers le contrôle étatique policier des communautés opprimées. Le niveau de vie de la classe moyenne blanche n’est pas basé sur un intellect supérieur, une éducation supérieure ou un droit de naissance favorable mais plutôt sur le fait qu’elles/ils bénéficient matériellement du système de l’oppression.

Cela ne signifie pas que toutes les personnes blanches sont riches, ou qu’il n’y a pas de différences de classe parmi la majorité blanche, mais cela signifie uniquement que les Blanches – volontairement ou involontairement – collaborent à l’oppression de la population africaine. C’est la plaie spécifique du capitalisme américain, son piédestal étant l’esclavage africain et l’oppression des populations non blanches. Bon, ce capitalisme des années 90 peut très bien prendre une forme néocoloniale avec des visages noirs dans les hauts lieux comme des maires, des entrepreneurs, des vice-présidents de corporation etc., mais je ne vois rien de spécial dans ce « nouveau capitalisme ». Il n’est pas nouveau, il est juste restructuré.

Qu’est-ce qui t’a inspiré pour revenir à l’anarchisme après avoir vécu tant de racisme dans le mouvement anarchiste de la fin des années 70 et des années 80 ? De quelle façon les choses sont-elles différentes ou similaires aujourd’hui ?

J’ai été extrêmement désillusionné par le mouvement anarchiste des États-Unis lorsque je l’ai rejoint au milieu des années 70 parce qu’il refusait de combattre le racisme et qu’il n’était pas une tendance lutte de classe sérieuse. Moi-même, ainsi que des anarchistes noirs comme Mark Cook, Martin Sostre et d’autres que j’avais invités ont été attaqués pour des tendances soi-disant « nationalistes » lorsque nous parlions du Ku Klux Klan et des nazis comme une menace contre laquelle il fallait s’organiser et lorsque nous rejetions le principe « droits égaux entre les Blancs » dont nous savons maintenant qu’il est le slogan standard fasciste. Nous demandions que les personnes blanches soient antiracistes, combattent les nazis et les personnes du Ku Klux Klan sur les lieux de travail et dans les communautés et que l’on s’occupe du racisme au sein du mouvement même. Un de ces anarchistes soi-disant « social-révolutionnaire » avait même un homme du Ku Klux Klan à la tête de son syndicat et n’y voyait « rien de mal ».

C’était de la folie et finalement, c’est devenu trop, donc je suis parti et je suis resté éloigné pendant presqu’une décennie. J’avais travaillé avec John Johnson, un anarchiste blanc de Chattanooga et nous avons créé la Coalition Ad Hoc Contre le Racisme et la Brutalité Policière en 1992. John était membre de Love & Rage ; un jour nous avons commencé à discuter et il m’a montré le journal Love & Rage, le numéro qui dénonçait les nazis et les racistes et ça m’a vraiment épaté ! Je me suis donc dit qu’il y avait peut-être de l’espoir pour le mouvement anarchiste et j’ai immédiatement écrit à Love & Rage. Ma lettre a été publiée, des personnes m’ont contacté et je suis redevenu actif.

Je suis toujours déçu par le fait que peu de Noires et de Personnes de Couleur aient été amenées au sein du mouvement et qu’il semble exister une sorte de position défaitiste ou fataliste de la part du mouvement. Cela me dérange vraiment et après, des personnes stupides me demandent pourquoi des Noires rejoignent le Socialist Workers Party. Ma réponse : il n’y a pas d’alternative anarchiste ayant démontré que les anarchistes s’intéressent aux questions des Noires ou des Personnes de Couleur et qu’elles/ils souhaitent travailler avec des personnes non-blanches. Cette position ultra démocratique m’a été expliquée mais elle pue le paternalisme et le non-sens consternant. L’idée même de vouloir « épargner aux Noires » les difficultés liées au fait d’être une militante anarchiste ou à militer sur le terrain est super stupide et insultante.

C’est ainsi que des personnes blanches interprètent mal ce que pensent les personnes noires ; crois moi, nous ne sommes pas concernées par un tel non-sens, nous cherchons des alternatives politiques sérieuses et ce qui nous insulte, c’est que les personnes blanches nous traitent comme des enfants incapables de comprendre des concepts anarchistes. Si la majorité des personnes était traitée ainsi, ce serait l’indignation générale. Tout de même, il n’y a pas beaucoup de similarités avec les années 70, où la position ouvertement raciste était la position majoritaire, tandis que maintenant, elle est la position minoritaire ou du moins, elle n’est pas ouvertement exprimée. Tout le monde est supposé soutenir l’antiracisme, au moins au niveau du discours.

Que vois-tu comme étant les faiblesses principales du mouvement anarchiste contemporain ?

Le mouvement anarchiste contemporain est trop blanc, trop anti-intellectuel, trop classe moyenne, trop jeune et trop dénué de sérieux. Il semble également exister de sérieuses résistances à s’organiser sur des bases plus fortes, ce qui me laisse pantois. On ne cherche pas à travailler avec des non-anarchistes, il y a trop de mentalité de troupeau, trop de « purisme », trop de nombrilisme politique et trop d’émerveillement pour « des personnages historiques » ou des auteurs très publiés comme Bookchin, contre lequel je n’ai rien, mais que je ne reconnais pas comme étant un révolutionnaire. Je pense également que le mouvement est trop pacifiste et trop idéaliste et a peur des personnes qui ne sont pas d’accord avec ses idées ou qu’il doit convaincre. Il est esclave de la spontanéité, même sur des questions organisationnelles. Finalement, je pense que le mouvement est trop contre-culturel plutôt que politique.

Peux-tu en dire plus sur l’idée de créer un Double Pouvoir et pourquoi c’est important pour l’activité révolutionnaire ?

Lorsque tu me demandes de parler sur ce à quoi ressemblerait un Double Pouvoir révolutionnaire, je suppose que tu me demandes de spéculer non seulement sur la nature de la société post-capitaliste telle que je la perçois, mais également sur le rôle insurrectionnel des communes et des conseils de travailleuses/eurs alors que le capitalisme existe toujours (J’en parle beaucoup dans mon livre Anarchism and the Black Revolution). Lorsque je parle d’une communauté coopérative (sous forme d’une commune autogérée) dans une société post-révolutionnaire, je ne parle pas du tout d’un État socialiste ou d’un gouvernement provisoire, mais plutôt d’un nombre d’associations volontaires désirant s’unir. Je veux dire par là qu’une commune noire serait probablement différente de celle de régions blanches du fait d’expériences communes au niveau culturel et historique. Je ne parle pas de ségrégation raciale puisqu’elle a toujours été l’oeuvre d’un État, je parle d’affinités.

D’abord, je parle de la construction aujourd’hui de communes rebelles anticapitalistes dans des villes comme faisant partie de la lutte. Des villes libres, des régions en rupture, des quartiers qui s’insurgent, perdues pour le gouvernement, sont déjà une réalité à un certain niveau même si en ce moment, ce n’est pas une démarche politique. South Central à Los Angeles est un exemple.