J’ai participé à toutes les manifestations contre la loi Sécurité globale, à Paris. Contrairement à celles de janvier 2015 suite aux assassinats de la rédaction de Charlie Hebdo, où j’avais tout de suite pressenti une forme d’injonction républicaine excluante et autoritaire, contraire aux idées de “libertés”, mes tous premiers pas au sein de ce mouvement social étaient enthousiasmants. A Frustration, nous avons démontré point par point en quoi cette loi est liberticide et affirme un peu plus le caractère autoritaire du macronisme néolibéral. Elle paraît loin, l’époque où l’on nous faisait la leçon, en mai 2017, de ne “pas avoir joué le jeu” du barrage contre le fascisme de Marine Le Pen. Un autre fascisme, en costume cravate cette fois-ci et décomplexé, est né, comme prévu. Mais une réaction populaire semble y faire face.
Populaire, vraiment ? Les manifestations ont lieu dans toute la France et l’on constate, non sans joie, une composition sociale diverse et des bases populaires présentes du mouvement (un peu moins à Paris, mais davantage en dehors). Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’être amer et pessimiste, au regard de l’évolution et de la tournure que prend ce mouvement social de grande ampleur, sans bien saisir les raisons de mon malaise. Les journalistes occupent-ils trop le devant de la scène au détriment des associations ou des militants qui documentent les violences policières qu’eux-mêmes subissent depuis des dizaines d’années ? Se focalise t-on trop sur l’article 24, qui nous interdit de filmer les policiers, et pas sur le reste de la proposition de loi ? Le danger que représente la loi séparatisme et les dérives autoritaires islamophobes contre notre Etat de droit, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, sont-ils invisibilisés et occultés ?
Une focalisation du mouvement contre l’article 24 de la loi de Sécurité globale et les journalistes
La loi Sécurité globale concerne tout le monde. D’abord et avant tout les victimes de violences policières, c’est-à-dire les personnes noires et arabes dans les quartiers populaires dans un premier temps, puis les manifestants dont les gilets jaunes. Ces victimes ont dû, par le passé, documenter elles-mêmes ces violences, notamment sur les réseaux sociaux, à un moment où les journalistes refusaient de les voir… ou qui ne les voyaient tout simplement pas. Hélas, je remarque que l’attention politico-médiatique se focalise surtout sur la situation des journalistes au travers l’article 24, qui vient introduire une nouvelle infraction dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse et qui empêche de filmer les policiers et les gendarmes, et moins sur d’autres aspects d’une loi généralisant pourtant la surveillance de masse. Le port d’armes des policiers dans les lieux publics en dehors de leurs heures de travail ou la surveillance des manifestations par drone avec reconnaissance faciale sont par exemple nettement moins commentés. Dans les médias, que l’on qualifie de mainstreams, service public compris, quoi de plus naturel de s’intéresser davantage à ce qui nous touche directement ? Un réveil bien tardif, comme le soulignait le gilet jaune Jérôme Rodriguez, à l’Assemblée nationale, le mardi 17 novembre : « Il y a deux ans, j’avais pointé du doigt les journalistes en leur disant que bientôt, ce serait leur tour. Aujourd’hui, 130 plaintes ont été déposées pour violences policières sur des journalistes ».
Mais un réveil qui ne se contente pas d’être tardif. Car lorsque l’on analyse comment certains médias ont traité cette première manifestation du 17 novembre, à Paris, comme C à vous sur France 5, leurs biais journalistiques habituels reprennent presque toujours l’avantage. Le samedi 5 décembre, ils se concentrent sur des poubelles en feu, à défaut d’une main arrachée et de brutalités policières quotidiennes. Que retient France Info ? Les chiffres de la préfecture de Paris : 5000 manifestants, alors que 6000 policiers étaient mobilisés. Le Figaro ? En bon complotiste, s’alarme du danger que représente une poignée de “casseurs” (pas la police, bien sûr) et reprend, pour l’essentiel, les sources unilatérales du ministère de l’Intérieur.
Avec un tel traitement médiatique de manifestations, Jérôme Rodriguez avait d’autant plus de quoi être agacé, lors de la première manifestation devant l’Assemblée nationale. Lorsque l’on a en tête les échecs médiatiques successifs sur les violences policières, de ne pas les avoir vu et documentées suffisamment tôt, dans les quartiers populaires d’abord il y a des dizaines d’années, dans les mouvements sociaux ensuite, jusqu’aux gilets jaunes éborgnés et mutilés “pour l’exemple”… L’on est en droit de se poser des questions. L’article 24 de la loi qui les concerne directement, est un jour abrogé (ou non, d’ailleurs), comment seront traités les mouvements sociaux, dans les quartiers populaires, en régions, ou à Paris ? Présenteront-ils leurs excuses publiques, leur demandera t-on de “se désolidariser”, pour que nous puissions leur faire confiance un jour ? Car dès qu’il s’agit de défendre une corporation policière en quête de popularité, celle-ci peut compter sur l’AFP et son zèle photographique à peine biaisé.
Évidemment, il y a les journalistes de terrain en manifestation, qui ont déjà vécu ces violences policières et/ou les ont toujours documentées : Taha Bouhafs, Gaspard Glanz, Sihame Assbague, David Dufresne, Rémy Buisine, et bien d’autres moins connus mais tout aussi important(e)s, de médias indépendants ou non. Des journalistes considérés par d’autres journalistes, et pas seulement le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti, comme des “militants”, afin de décrédibiliser leur travail et rendre ainsi leurs luttes et leur engagement illégitimes. “Cette focalisation sur l’article 24 est en partie corporatiste”, partage également la gilet jaune Sabrina Waz et membre des Brigades des Solidarités Populaires : “J’ai senti que la contestation pouvait vite devenir très populaire et ne pas impliquer que les syndicats et les grands organismes comme la LDH, mais qu’il fallait être vigilants et ne pas confisquer la lutte en laissant le monopole aux syndicats et aux grands organismes.”
Des associations de quartiers populaires et des militants placés au second plan, et qui documentent pourtant depuis plusieurs années ces violences, c’est justement ce que j’avais remarqué au Trocadéro, à Paris, lors de la manifestation nationale contre la proposition de loi Sécurité globale le samedi 21 novembre. Les discours d’associations institutionnalisées et de journalistes se succèdent : Edwy Plenel, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Lutte ouvrière (LO), Reporter Sans Frontières (RSF)… Mais sans la moindre trace de gilet jaune, et assez peu de collectifs des familles de victimes de crimes policiers issues des quartiers populaires (le collectif « Vies Volées » a par exemple fait une intervention avec Fatou Dieng), et les rares ne sont pas retenus dans la plupart des comptes rendus journalistiques.
“Les populations des quartiers populaires, qui sont les premières victimes de la police et des lois sécuritaires, les gilets jaunes, qui ont vécu une répression politique très forte, sont entrés dans le mouvement mais au second plan, moins dans la lumière, et derrière les professions d’image et les journalistes qui ont beaucoup centré la mobilisation sur l’article 24, observe Sabrina Waz, ce focus, en partie corporatiste, a mis beaucoup de monde dans la rue et a permis une médiatisation spectaculaire mais pour moi, alors qu’il ne concerne pas que les journalistes. Même des journalistes de droite favorables à plus de surveillance sont contre cet article !” Dans le cortège, le samedi 28 novembre à Paris, on pouvait en effet marcher par exemple aux côtés de médias tels que l’Express ou encore Paris Match, connus davantage pour leur militantisme en faveur des libertés économiques d’entrepreneurs français...
Cet effet “bulle”, Sabrina Waz l’a observé après les manifestations du 28 novembre et du 5 décembre, où il y eut des dégâts matériels. “A chaud, le comité organisateur a publié un communiqué pour se désolidariser des « casseurs ». Sous la pression, ils ont très vite renoncé à prendre position sur la question de la violence et ont retiré ce communiqué. La violence en manif, c’est un sujet clivant et ils le savent. Que David Dufresne, alors qu’il a réalisé un documentaire sur la répression des gilets jaunes, puisse, comme plein d’autres, trouver encore nécessaire de se désolidariser publiquement de manifestants pour quelques vitres brisées, ça questionne (Ndlr : David Dufresne s’est depuis expliqué auprès de Sabrina Waz comme quoi il avait commis une erreur et qu’il l’avait réalisée rapidement en supprimant ce communiqué). D’un côté, il y a le peuple avec ses colères comme lors des révoltes de 2005 dans les banlieues, la réalité du racisme de la police, de l’autre, des organisations qui croient et font croire au dialogue social. Ils veulent entrer dans la négociation avec le pouvoir mais restent autocentrés sur leurs débats, leur paradigme très propre de gauche républicaine.”
“Si on laisse la lutte contre les lois sécuritaires à un monde déconnecté de la réalité des populations, on va passer à côté d’un mouvement de fond, s’inquiète t-elle, mais positive, des centaines de milliers de personnes qui sont dans la rue le sont pour défendre leurs droits et il y avait quand même beaucoup de classes populaires”.
Des associations de victimes de crimes policiers laissées au second plan ?
“Les médias qui cherchent à informer sur les acteurs luttant contre la proposition de loi Sécurité globale, nous « oublient ». Les organisateurs des mobilisations qui s’activent pour faire converger les syndicats, partis politiques, et autres structures, nous évitent.” Amal Bentounsi est la fondatrice du collectif “Urgence : notre police assassine”, créé à la suite de la mort de son frère, Amine, abattu d’une balle dans le dos en 2012 lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec. Elle publie le mardi 1er décembre sur le blog de Médiapart cet article, titré “Loi de Sécurité globale : pourquoi l’application UVP (Urgence Violences Policières) est-elle invisibilisée ?”
le mouvement contre la loi de sécurité globale a aussi des assises populaire
Les collectifs antiracistes ou de luttes contre les violences policières ne sont pas réellement mis en avant, que ce soit dans l’espace médiatique, politique ou pendant les manifestations, ou tout du moins, présentés comme les véritables précurseurs dans les dénonciations de violences policières, et de l’importance de leur documentation. Cela fait des décennies qu’ils documentent ces crimes. On les accusait, il n’y a encore pas si longtemps, de militantisme, de séparatisme, d’autres de “complotistes”, et le journalisme de préfecture était déjà la règle.
“Amal Bentounsi, au travers son application, est pour moi la première à être légitime pour s’exprimer sur la question des images de policiers au même titre que les collectifs de famille de victimes, c’est une belle démarche de démocratisation. On sait que les structures et organismes de gauche ont toujours eu du mal avec l’auto-organisation des quartiers populaires. Des collectifs de familles de victimes leur servent de totem pour prouver leur antiracisme mais ces mêmes familles sont pourtant invisibilisées ou niées par ces organismes. Ces collectifs de quartiers populaires ne sont pas dupes et leur méfiance envers l’antiracisme de façade ne date pas d’aujourd’hui”, s’indigne Sabrina Waz.
En mai 2020 dernier, le collectif “Urgence : notre police assassine” a lancé, avec d’autres familles de victimes comme Hamid Aït Omghar, Abdourahmane Camara, un appel signé par de nombreuses personnalités (Adèle Haenel, Kery James, Camélia Jordana…) et contre la proposition de loi portée par le député Éric Ciotti visant à interdire la diffusion des images de policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Même s’il est évident qu’une proposition de loi d’un groupe parlementaire n’a pas le même impact qu’une loi gouvernementale, à l’image de la loi Sécurité globale, il est tout de même assez étonnant que cela soit totalement occulté aujourd’hui. Les racines de l’article 24 et de la loi Sécurité globale étaient sous nos yeux !
Heureusement, on note la présence absolument essentielle du comité Adama lors de ces manifestations, relativement bien exposé politiquement et médiatiquement. En tête du mouvement contre les violences policières à la suite du décès de Georges Floyd aux Etats-Unis, tué par la police parce que noir, en juin dernier, leur mouvement n’a jamais été récupéré par une quelconque organisation politique, et il est particulièrement actif contre la loi Sécurité globale.
“Suite à ma tribune nous avons eu un retour pour une prise de parole qui n’a pas été possible puisque les affrontements ont commencé très tôt le samedi 5 décembre, on s’est organisé de manière autonome et indépendante avec un camion et une sono et le soutien de tous ceux qui ont lancé l’événement, raconte Amal Bentounsi, cette tribune a permis de remettre les points sur les I et qu’à l’avenir ils devront faire avec nous, car on ne peut pas mettre dix ans de lutte entre parenthèses”. Elle se demande pourquoi son collectif n’a toujours pas été ajouté au groupe de coordination pour les prises de décision. Ils ont par conséquent formé leur coordination avec d’autres collectifs qui les soutienne, que sont par exemple “Bas Les Masques”, “Gilets jaunes place des fêtes”, “Acta zone” ou encore “Cerveaux non disponibles”, de façon à être “autonomes” et “libres de paroles”. Amal Bentounsi garde espoir et considère que le groupe de coordination des manifestations évolue dans le bon sens. L’avocat Arié Alimi, membre du comité de coordination mais qui s’exprime ici en son nom, l’explique ainsi : « J’ai soumis son nom à la coordination qui n’a pas donnée suite, pour la raison suivante : elle n’est pas une association ni un collectif, car nous sommes une coordination composée exclusivement d’associations et de collectifs préconstitués. Amal est une personne seule et « Urgence, notre police assassine », une application. Mais elle a eu la parole, comme tout le monde. »
Un groupe qui s’élargit de plus en plus depuis les débuts du mouvement. De cinq organisations dont la LDH à ses débuts, il compte désormais environ 80 collectifs, tels que les « Mutilés pour l’exemple », « Vies Volées », ou encore des coordinations de sans papiers. Des raisons d’être optimistes, et qu’il ne s’agit pas de simplement tendre quelques minutes de temps de parole symboliques à ces premier(e)s concerné(e)s ?« Il faut rester vigilants pour ne pas reproduire les erreurs du passé. La prochaine étape c’est de savoir comment ce qui se sont mobilisés sur la loi Sécurité globale vont-ils se mobiliser contre les lois sur le séparatisme qui visent principalement une communauté”, conclut-elle.
Un projet de loi séparatisme, pourtant liberticide également, invisibilisé voire occulté
“C’est très net sur l’affiche relative à la « Marche des libertés contre les lois liberticides » puisqu’il est inscrit, en bas, à gauche : » Stop loi Sécurité globale ». On n’y lit pas, à côté, par exemple : « Stop projet Séparatisme », observe la sociologue Kaoutar Harchi qui a questionné, sur Twitter, l’absence de liens entre les deux lois lors de ce mouvement social. Sous pression de la mobilisation, Macron a pourtant annoncé que l’article 24 serait réécrit et prévoit d’intégrer son contenu à la loi séparatisme. ”L’article 25 de la loi séparatisme précise que « la mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de le localiser dans le but de l’exposer elle-même ou les membres de sa famille à un risque d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique ou aux biens » sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Que ce soit à travers l’article 25 du projet de loi réconfortant les principes républicains ou l’article 24 de la loi sur la Sécurité globale, on retrouve une même dimension réactionnaire, anti-démocratique et liberticide”, précise-t-elle.
Une loi séparatisme qui stigmatise encore un peu plus les musulman(es) du pays, à défaut de dénoncer, au hasard, les discriminations à l’embauche que subissent de nombreuses femmes voilées. Qui sépare ? Un projet de loi peu critiqué dans les médias et, plus étonnant, pas plus à gauche. Mais c’est lorsqu’elle est liée à la loi Sécurité globale que des personnalités ou des médias s’en offusquent. Le CCIF menacé de dissolution par le gouvernement est une grave atteinte démocratique et un signal envoyé d’en haut pour prétendre que l’islamophobie comme discrimination n’existerait pas. Cette association a été contrainte de s’auto-dissoudre, sans grande indignation.
un mouvement fédérateur contre la loi de sécurité globale peut inclure la critique du projet de loi séparatisme
Vous avez dit “Etat de droit” ? La volonté affichée de vouloir le préserver dépendra, finalement, de là où vous vous situerez. Or, les quartiers populaires et les populations immigrées et maghrébines ont toujours été les terrains d’expérimentations des lois les plus liberticides en France. L’État d’urgence est inscrit dans le droit commun depuis 2015 grâce à Christiane Taubira, ministre de la Justice sous François Hollande, qui permet de réaliser des perquisitions administratives abusives contre des musulmans. Il a fallu attendre, quelques semaines et mois plus tard, qu’elles touchent des militants écologistes lors de la COP 21 pour se révéler être une atteinte grave à nos libertés publiques.
Le projet de loi est présenté ce mercredi 9 décembre au Conseil des ministres. Si le texte a finalement été renommé « projet de loi confortant les principes républicains », le cœur du projet, extrêmement liberticide, demeure inchangé, “largement dominé par une approche identitaire des enjeux sociaux, il a été prévu d’élargir l’obligation de neutralité aux agents des organismes parapublics, de renforcer le pouvoir des préfets en matière de contrôle des associations et de rupture potentielle du pacte laïc et républicain, de pénaliser la délivrance d’actes attestant de la virginité d’une femme, de renforcer le contrôle en cas de présomption d’un mariage non consenti, ou encore d’interdire la scolarité à domicile des enfants de plus de trois ans”, analyse Kaoutar Harchi. Lors de la conférence de presse sur ladite loi, Eric Dupont-Moretti annonce que l’article 25 du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » dédié à la répression de la haine en ligne devient l’article 18 dans le texte, pour “éviter toute confusion” avec l’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale. Les espoirs que la mobilisation sociale déborde également contre cette loi islamophobe s’envolent-ils ?
Le gouvernement, porté par la voix de son ministre de l’Intérieur, a enclenché une véritable cabale contre des associations ces derniers mois. Le CCIF principalement, mais également l’association musulmane et caritative Baraka City. Dans ce cadre, Darmanin a également lancé un vaste mouvement de perquisitions abusives, ou, selon ses mots, “des opérations de police ont été lancées contre “des dizaines d’individus” qui n’ont pas un “lien forcément avec l’enquête mais à qui nous avons envie de faire passer un message”. Quelques semaines plus tard, des enfants de dix ans étaient placés eu garde à vue pour “apologie du terrorisme”. Pourtant, il semble plus accepté socialement de manifester contre une proposition de loi Sécurité globale liberticide ou en faveur de nos “valeurs républicaines”, aux contours par ailleurs très flous, que pour l’arrêt de violences policières racistes et antisociales et un projet de loi qui cible une “communauté” musulmane… Sauf lorsque ce projet, dont l’un de ses articles, menace d’être utilisé contre l’ensemble de la communauté nationale : “La loi séparatisme a fait l’objet de particularisation et de relégation à l’arrière-plan comme si nous n’avions là affaire qu’à une sous-catégorie spécifique d’un projet plus général et central. Ce paradigme universel / particulier ne fait que révéler à quel point la perception majoritaire (blanche, s’entend) est davantage portée à considérer l’empêchement de faire (son métier de journaliste durant une manifestation) que l’empêchement d’être (un arabe, un noir, un rom, marchant dans la rue, en France, par exemple). Il se forme ainsi une sur-légitimité de la lutte pour le droit d’agir et de travailler dans un cadre respectueux des droits individuels et professionnels et une plus difficile légitimation du combat pour la défense du droit de d’être, que l’on considère globalement comme ne relevant que du problème de ceux qui sont visés”, complète Kaoutar Harchi.
« Il faut maintenir la pression sur le gouvernement mais aussi sur ces organisations qui gentrifient le mouvement contre la loi de Sécurité globale »
Il ne faudrait pas non plus oublier la crise économique et sociale à destination des plus pauvres. Les vagues de licenciements abusifs, qui s’enchaînent dans l’indifférence quasi générale, ne devraient pas être occultées. Le mouvement social tiendra-t-il l’hiver, sans jonction avec des grèves et des manifestations contre une gestion sanitaire en faveur des plus riches au détriment des plus pauvres ? C’est ce que les manifestants contre la loi Sécurité globale ont tenté de faire samedi 5 décembre : s’unir avec la marche contre la précarité qui avait lieu au même moment. Mais la doctrine française du maintien de l’ordre en a une nouvelle fois décidé autrement en les empêchant, dès le début de la manifestation, de se retrouver.
le mouvement contre la loi de sécurité globale ne doit pas oublier la question sociale
Si l’article 24 est retiré, le mouvement pourrait-il espérer durer contre la loi dans son ensemble et la liberticide loi contre le séparatisme ? “Les efforts de la lutte et la définition des stratégies d’action (ainsi que la médiatisation qui s’en suit) sont indexés aux intérêts des groupes majoritaires, blancs et urbains tandis que les groupes minoritaires non blancs et liés aux espaces dits « populaires » continuent de voir leur cause peu partagée”, analyse Kaoutar Harchi, à savoir la loi séparatisme et les menaces particulièrement graves à l’encontre des musulmans et d’associations telles que le CCIF, support juridique nécessaire contre l’islamophobie en France.
Les enfants des quartiers populaires et les gilets jaunes seront-ils les dindons de la farce d’un mouvement contre la loi Sécurité globale qui ce serait gentrifié, c’est-à-dire repris en main par les membres des classes favorisées ? Ou la multiplication des collectifs au sein de la coordination du mouvement permettrait de penser le contraire ? Seront-ils toutes et tous vent debout également contre le fichage généralisé des personnes qui porteraient atteinte aux “intérêts de la Nation”, qui viserait tout particulièrement les dominés et les plus pauvres ? “Le sentiment de protection dans lequel les classes blanches, moyennes à supérieures, ont pu vivre était corrélé à la mise en danger ordinaire des vies des descendants des immigrés postcoloniaux”, rappelle Kaoutar Harchi. “Il faut maintenir la pression sur le gouvernement mais aussi sur ces organisations qui gentrifient le terrain social. Ces lois sécuritaires, ce sont les populations les plus pauvres, les racisés et les précaires qui vont les subir en premier, ne l’oublions pas”, ajoute offensive, mais malgré tout optimiste, la gilet jaune Sabrina Waz. Prochain rendez-vous dans la rue le samedi 12 décembre à Chatelet à Paris, et dans toute la France, où l’accent sera mis sur la loi séparatisme et pas seulement la loi Sécurité globale. Une jonction possible et une étape supplémentaire d’un mouvement davantage populaire et social avec, sur le devant de la scène, d’abord et avant tout les premier(e)s concerné(e)s ?
Selim Derkaoui