Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

« L’anarchisme convivial d’Illich séduit ceux qui veulent vivre leur autonomie face aux institutions »
Article mis en ligne le 17 janvier 2021
dernière modification le 10 janvier 2021

par siksatnam

Ivan Illich fut l’un des pionniers de l’écologie politique, boussole de la gauche antiproductiviste des années 60. Le philosophe Thierry Paquot publie des textes et une introduction à la vie du génial théoricien redécouvert par une nouvelle génération qui y trouve les prémices de l’altermondialisme et de la décroissance.

Ivan Illich (1926-2002) est l’un des précurseurs de l’écologie politique et grand critique de la société productiviste. L’éditeur et philosophe Thierry Paquot, qui l’a bien connu, publie aujourd’hui un recueil de ses textes et une introduction à sa vie et à son œuvre, Ivan Illich. Pour une ascèse volontaire et conviviale (Le Passager clandestin, collection « les Précurseurs de la décroissance », février). Sa biographie est aussi décalée que sa pensée. Il est né à Vienne, d’une mère juive autrichienne dont la famille s’est convertie au protestantisme. Il parlait un nombre de langues considérable. Il expliquait que c’était dû au fait d’être né dans ce qui restait de l’Empire austro-hongrois et d’avoir grandi avec plusieurs langues officielles.

Thierry Paquot raconte une anecdote à ce sujet : arrivant en Inde pour une série de conférences, Ivan Illich renonce à les prononcer en anglais, s’enferme avec quelques livres en hindi et, miraculeusement, les présente dans cette langue ! Il était surtout très connu dans le monde des idées grâce à l’université libre, le Centre interculturel de documentation (Cidoc) qu’il avait fondé à Cuernavaca (Mexique) en 1961, où de jeunes militants de gauche du monde entier, qui le considéraient comme une référence, se précipitaient. Ses idées sont dorénavant redécouvertes par une nouvelle génération de lecteurs, ravis d’y trouver une précoce et féconde analyse altermondialiste de la globalisation, une critique radicale du productivisme et un appel à la décroissance…

Qui lit Ivan Illich aujourd’hui ?

Il est actuellement redécouvert par des jeunes de 20-30 ans, aussi bien par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes que par des « décroissants » qui expérimentent d’autres manières de vivre. Le journal la Décroissance se réfère régulièrement à Ivan Illich, tout comme les partisans de la permaculture, de l’habitat participatif ou de l’architecture frugale. Un livre comme Aux origines de la décroissance, paru en 2017 à L’Echappée-Le Pas de côté-Ecosociété (éditions animées par des jeunes éditeurs), présente les cinquante penseurs de la décroissance, dont Ivan Illich. Je pense qu’il aurait été fasciné par les gilets jaunes, en tout cas par celles et ceux qui se politisent en participant à des discussions informelles sur un rond-point, qui se conscientisent en osant prendre la parole et en imaginant des solutions à leurs problèmes et en contestant les politiciens professionnels. « L’anarchisme convivial », osons cette dénomination, d’Ivan Illich ne peut que séduire les individus qui veulent vivre pleinement leur autonomie faceà toutes les institutions oppressantes et appauvrissantes.

On pourrait adapter son glossaire aux combats actuels ?

Les « communaux » deviendraient les « communs », matériels et immatériels, on parlerait de « vernaculaire » à la place d’« autosuffisance » et de « fait par soi-même ». Le mot « ascèse », qu’il apprécie, signifie en grec l’entraînement, au sens de l’athlète qui inlassablement se mesure à lui-même. Il change de sens avec l’arrivée du christianisme qui en fait un perfectionnement : comment être meilleur chrétien ? Pour Ivan Illich, l’ascèse se combine à l’austérité, à la joie et à l’amitié. Il s’agit d’un art de vivre sereinement dans un monde tourmenté.

Ce qu’Ivan Illich nommait « développementisme » serait aujourd’hui nommé « croissance » ?

Certainement. Il dénonce très tôt le couple « pays développés-pays sous-développés » qui les hiérarchise selon des critères quantitatifs de dépendance aux marchés et aux évolutions techniques. Avec le « développementisme », qu’on présente comme la seule voie à suivre, c’en est fini des compétences de chacun, des communaux et du vernaculaire, tout devient « marchandise ». Le procès du développementisme n’est plus à faire, des décennies d’aide au tiers-monde ont accru l’écart entre les riches et les pauvres et ont subordonné chacun aux marchés.

Pourquoi et comment a-t-il créé le Cidoc à Cuernavaca ?

Après avoir été prêtre d’une paroisse portoricaine à New York, il devient vice-recteur de l’université de Porto Rico, où il ouvre le Centre international de communication qui préfigure un peu le Cidoc. Ses méthodes déroutent les autorités, tout comme sa critique de l’institution ecclésiastique et son appel à voter Kennedy, partisan de la contraception. Une cabale l’oblige à partir. Il effectue une retraite dans un monastère au cœur du Sahara. Il accepte un poste à la Fordham University à New York, puis traverse en quelques mois le continent sud-américain en bus, en stop, à pied… Avec le soutien de la Fordham University, il loue un hôtel à Cuernavaca et y installe, en 1961, le Centre de formation interculturelle (CIF) qui se mue en Centre interculturel de documentation (Cidoc) en 1966 lors de son emménagement dans la Casa blanca. Il y propose une initiation à la langue espagnole, mais aussi aux cultures dominées.

Qui sont les étudiants de Cuernavaca ?

Le public visé est celui des missionnaires soutenus par l’épiscopat états-unien et des coopérants du Corps des volontaires pour la paix que le président Kennedy finançait dans le cadre de l’Alliance pour le progrès. Leur but affiché était d’aider les pays les plus pauvres d’Amérique latine à se développer mais, en réalité, il s’agissait de contrer l’emprise grandissant du marxisme, et plus particulièrement du castrisme. Le Cidoc a reçu d’innombrables « étudiants » qui en ressortaient vaccinés contre l’idéologie de l’aide au tiers-monde. Le « développement » pour Ivan Illich n’était pas autre chose que « la guerre à l’économie de subsistance ». Le Cidoc est, pour Ivan Illich, un centre de « dé-Yankee-fication » ! C’est aussi un lieu de production d’études sur une grande variété de sujets. Lorsque son institutionnalisation semble irréversible, Ivan Illich, en accord avec les salariés, le ferme en 1976, et devient « professeur itinérant ».

Comment cet ancien prêtre a-t-il pu devenir une référence pour les militants de gauche ?

Son passé de prêtre n’était pas si connu quand il commence à publier et à devenir célèbre. Il est alors perçu comme l’auteur de « pamphlets » (c’est lui qui les nommera ainsi plus tard) qui dénoncent la contre-productivité des institutions. Dans Libérer l’avenir, Une société sans école, Energie et Equité, la Convivialité et Némésis médicale, il démontre que l’école, l’hôpital, les transports… ces institutions, lorsqu’elles dépassent un certain seuil, deviennent « contre-productives », c’est-à-dire se retournent contre leurs objectifs. Pour Ivan Illich : « Au-delà de certains seuils, la production de services fera plus de mal à la culture que la production de biens matériels n’en a déjà fait à la nature. » Les gauchistes n’étaient pas fans, ils lui reprochaient de ne pas s’appuyer sur la lutte des classes et de ne pas se revendiquer de Mao ou de Castro. En revanche, les autogestionnaires et les écologistes en faisaient un des leurs. De nombreuses personnalités sont passées à Cuernavaca pour échanger, comme l’écrivain et penseur anarchiste américain Paul Goodman, l’essayiste Susan Sontag, la philosophe Hannah Arendt, le pédagogue brésilien Paulo Freire, l’écologiste et essayiste André Gorz… Il faudrait citer des Indiens, des Japonais, des Iraniens, des Philippins, des Australiens, des Américains du Nord comme du Sud, tant Cuernavaca s’impose comme lieu de rencontre pour des syndicalistes, des contestataires, des exilés… Mais l’Amérique latine a été le premier continent illichéen. Et le pape François, argentin de naissance, a dû le lire. On peut en voir des traces dans ses discours sur l’environnement ou contre le capitalisme financiarisé et inégalitaire.

Pour Ivan Illich, quel serait le vrai progrès ?

Ivan Illich n’emploierait bien sûr pas ce mot de « progrès », qui pour lui est entaché de productivisme. Il envisage plutôt de nouvelles façons de comprendre le monde et accompagne l’émergence de nouvelles idées. Sont-ce des progrès ? Des relations inter-individuelles plus riches, dirais-je. Quant aux relations entre les humains et la nature, le vivant, il ne voit aucun progrès. Peut-être même des régressions : il y a des millénaires, certaines populations entretenaient avec la « nature » des relations plus équilibrées que nous, refusant toute démesure, tout saccage, toute domination.

Catherine Calvet