Depuis quelque temps, dans le milieu militant, circule un texte proposant la réunification des trois CNT : la CNT-AIT, la CNT dite Vignoles et la CNT-SO.
Sans entrer dans l’argumentaire qui globalement se tient mais dont certains points relèvent de la naïveté, nous voudrions plutôt insister sur les manques essentiels de ce texte. Ce qui n’est pas dit car à vrai dire si la CNT en mai 2000 et durant quelques années a pu drainer des cortèges importants lors de manifestations, les CNT actuelles ne sont plus que l’ombre de la CNT des années 2000. Pour être plus clair, les CNT n’apparaissent plus guère dans le champ syndical, victimes de leurs scissions. Elles ne pèsent plus grand-chose et leur horizon est bouché. La tentative de « réunifier » les CNT relate l’échec des différentes CNT à s’inscrire dans le mouvement social malgré quelques exceptions qui confirment la règle. Le point de vue consistant à dire qu’une fois la CNT-SO avec son permanentat, partie (ou exclue de fait selon les versions), la CNT Vignoles allait attirer les foules, ce point de vue a été invalidé, cela ne s’est pas produit. Non seulement, la CNT stagne mais elle continue de se déchirer sur les problèmes de sexisme, patriarcat, prostitution… et délaisse à quelques syndicats souvent bien seuls le domaine syndical. Même au Premier Mai, de nombreux militants de la CNT préfèrent le carré de tête de manif, « là où se passent des choses » à Paris, à un cortège syndical devenu bien maigre. On peut considérer l’année 2011 comme le point culminant des adhésions cénétistes avec 1500 cotisants (il est vrai que ce chiffre est sous-évalué car plusieurs syndicats ont minoré le nombre de syndiqués pour pouvoir faire face aux procès intentés contre leurs structures ; en chiffrant à 2000 adhérents, la CNT avant la scission, nous devrions avoisiner la réalité). En 2019, la CNT table sur 600 cotisants.
La CNT-SO, de même, est incapable de mobiliser, de manière conséquente. Par contre, au quotidien, elle effectue un réel travail syndical dans des milieux professionnels précaires comme le nettoyage, la restauration… un travail qui pourrait aussi bien être effectué par la CGT ou SUD. Si son système de permanents juridiques, de « développeurs » ou de syndiqués payés pour accomplir certaines tâches, permet un nombre de syndiqués plus conséquent qu’à la CNT, nous avons bien du mal à suivre son orientation syndicale. De plus en plus éloignée de l’anarcho-syndicalisme, la CNT-SO n’attire plus guère de militants anarchistes qui pourraient pourtant lui être fort utiles. Monatte avait coutume de dire que les militants étant passés par une organisation politique ou spécifique avaient davantage de constance dans le militantisme. Ceux qui se réclament du syndicalisme révolutionnaire feraient bien de s’en souvenir. La CNT-SO avec ses 1200 syndiqués manquent cruellement de militants d’autant que ces derniers doivent être disponibles (enseignants, secteur culture et communication…) pour encadrer les conflits longs, ce qui induit de fait une délégation de pouvoir au profit d’une certaine aristocratie intellectuelle.
Tant qu’à la CNT-AIT, cette dernière a louvoyé entre conseillisme, réseautage et anarchisme, ce qui a produit aussi une scission. Leurs analyses sont pertinentes mais peu applicables faute de relais sur le terrain des entreprises. Cette confédération relève davantage de l’organisation anarchiste spécifique, et pour nous ce n’est pas un gros mot, que d’une confédération syndicale. Si elle peut avoir une influence sociale dans quelques localités, elle est quasiment invisible nationalement. C’est vrai qu’avec aux alentours de 150 adhérents (1), ce sont surtout des noyaux militants qui s’activent.
Voilà un bref état des lieux et tant qu’on ne posera pas la question de l’efficacité syndicale allant de pair avec une orientation anarcho-syndicaliste claire sur le plan fédéraliste, on passera à côté de l’essentiel. Une CNT qui veut avancer et peser ne peut se dispenser d’une orientation anarcho-syndicaliste/syndicaliste révolutionnaire et d’un nombre important de cotisants et de militants formés. Le nombre ne fait pas la qualité mais des syndicats de 5-6 personnes ne sont guère attrayants et efficaces. Ils peuvent même s’avérer dangereux car ils peuvent bloquer un travail syndical qui ne leur siérait pas.
D’autre part, nous devons nous poser la question de l’utilité d’une CNT. C’est un vieux débat qui a commencé avec la CGT-SR puis la CNT de 1946 puis le renouveau de la CNT en 1978, même si une poignée de militants s’agite dans l’après 68, avec déjà des conflits entre la CNT Vignoles et la Tour d’Auvergne… bis repetita. Remarquez, quand on voit le nombre de militants partis à F.O., la CGT ou Sud, on peut se dire que l’utilité de la CNT aura été de former des centaines de militants pour d’autres confédérations. Mais en tant que CNT, cette dernière a-t-elle été utile au mouvement ouvrier, a-t-elle influencé le cours des choses, pas sûr.
Un point d’histoire
La Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire, centrale anarcho-syndicaliste a été fondée en novembre 1926 à Lyon.
Depuis avril 1937, elle a son siège Quai Jemmapes, N° 108.
Au rez-de-chaussée donnant sur rue a été installée une librairie à l’enseigne : « A.I.T. – Service de librairie du « Syndicat Autonome des Métaux – C.G.T.S.R. » où sont mis en vente des ouvrages syndicalistes révolutionnaires. Une arrière salle sert de lieu de réunions et au-dessus de celle-ci, deux petites pièces ont été aménagées en bureaux. Le montant du Loyer annuel s’élève à 6.160 francs.
Précédemment son secrétariat se trouvait chez le militant Toublet, Julien, 21, rue de Loos et sa trésorerie chez le nommé Ganin, Albert, 41, rue de Belleville.
Ces deux militants continuent d’assurer les mêmes fonctions et Pierre Besnard, secrétaire de l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.) et du « Comité Anarcho-Syndicaliste pour la Défense et la Libération du Prolétariat Espagnol » 33, rue de la Grange aux Belles, en est le principal animateur.
La C.G.T.S.R. mène une active propagande en faveur des théories syndicalistes libertaires. Elle groupe en ce moment plus de 25 Unions Régionales en France, dont la plus importante est celle des départements de la Seine, Seine-et-Oise, et Seine-et-Marne, qui constitue la 4 ème Union Régionale et comprend principalement les ouvriers du bâtiment et de la métallurgie.
Elle compte environ 3500 membres, dont 800 dans la Région parisienne.
La C.G.T.S.R. a tenu son 6ème Congrès les 9,10 et 11 janvier dernier à Paris. Trente-neuf syndicats y étaient représentés.
Considérant l’inaction du Gouvernement de « Front Populaire », présidé par Léon Blum, à l’égard des gouvernements espagnols, les participants avaient décidé « d’alerter les adhérents en vue d’une grève générale limitée à 24 heures et « d’une grève générale illimitée », si les événements l’exigeaient ».
Par ailleurs, le Congrès avait émis le vœu « de développer la propagande en la sériant en deux parties : l’une revendicatrice, et l’autre d’ordre général et social ».
En ce qui concerne la première partie, la propagande devait porter sur les points suivants :
– 1° Pour le paiement de la semaine de travail sans récupération,
– 2° Pour la réduction de la semaine à 30 heures au lieu de 40 heures,
– 3° Contre les contrats collectifs issus de la conférence Matignon,
– 4° Contre la conciliation et l’arbitrage obligatoires.
Quant à la propagande générale elle doit avoir pour but :
– 1° D’attirer l’attention des travailleurs sur les problèmes de déclenchement de défense et de construction de la révolution ;
– 2° De démontrer la nécessité de certaines actions pour soutenir les travailleurs en lutte dans d’autres pays et, notamment, d’aider en ce moment les combattants républicains espagnols par une grève générale, limitée ou illimitée, selon les nécessités, pour obliger le gouvernement français à respecter le droit international et donner ainsi à l’Espagne les moyens de faire face à ses ennemis.
Enfin, il avait été décidé « de maintenir intégralement l’indépendance totale de la C.G.T.S.R. à l’égard de tous les partis ou groupements et d’exclure toute collaboration et tout compromis avec les partis politiques ».
Le Congrès avait toutefois admis d’œuvrer en harmonie avec les groupements anarchistes qui désireraient travailler aux côtés de la C.G.T.S.R. et il les a invités à rentrer dans son sein, pour le triomphe de la Révolution sociale.
Cette assemblée avait également émis le vœu que le siège du « Combat Syndicaliste », qui est l’organe hebdomadaire du groupement et qui était édité à Limoges soit transféré à Paris.
Depuis le 27 Mars 1937, cette feuille est tirée à 4000 exemplaires à l’imprimerie S.F.I.C. 29, rue Moulin Joly à Paris.
Son siège est situé 108 Quai Jemmapes. Elle a pour administrateur-rédacteur le militant Doussot, René, et comme gérant Boisson, Louis.
Depuis le début de la Révolution Espagnole la C.G.T.S.R. a perdu de son importance, car avant le conflit de nombreux libertaires espagnols résidant en France, sympathisaient avec elle et appuyaient sa propagande. Elle entretenait aussi des rapports très suivis avec les dirigeants de la C.N.T. qui comme elle, est adhérente à l’A.I.T. (Association Internationale des Travailleurs).
Depuis, ces relations se sont relâchées, les dirigeants de la C.N.T. ayant adopté une position plus conciliante, et de collaboration avec les autres partis politiques pour la défense de la République Espagnole. Il en est de même en ce qui concerne « l’Union Anarchiste » avec laquelle les relations sont plutôt tendues.
Au début du conflit espagnol, un « Comité Anarcho-Syndicaliste » pour la Défense de la Révolution Espagnole, avait été fondé à Paris par M. P. Besnard, leader de la C.G.T.S.R. pour venir en aide aux miliciens espagnols, mais, le militant Lecoin Louis, de l’ « Union Anarchiste » créa quelque temps après le « Comité pour l’Espagne Libre ».
Considérant l’action de la C.G.T.S.R. comme peu importante au point de vue des conflits sociaux, l’Union Anarchiste pour contrebalancer son influence sur les chantiers et dans les usines, a formé au début de l’année 1937 des « groupes anarchistes d’usines ».
L’action de la C.G.T.S.R. ayant été jugée dès lors insuffisante par ses dirigeants, ceux-ci créèrent sur les chantiers et dans les usines dès mi-1937, des groupes d’usines. Malgré de nombreuses réunions de propagande, tenues tant à Paris qu’en banlieue et dans certaines villes de province, cette manœuvre ne donna pas les succès escomptés et l’influence de la C.G.T.S.R. resta infime dans le mouvement syndicaliste français.
Voilà brièvement ce que nous avons pu glaner dans des rapports de police de 1937 et 1939. Ce que l’on peut dire a posteriori, c’est que la C.G.T.S.R. n’a jamais eu d’influence réelle en France malgré une période sociale propice à savoir l’époque du Front Populaire en France et l’exemple de la Révolution espagnole où les anarchistes étaient nombreux et pesaient socialement et politiquement. Trois mille cinq cents adhérents à une époque où le taux de syndicalisation en France est important, on constate que la C.G.T.S.R. n’attire pas les foules. Et pour terminer, on sent une rivalité entre l’Union Anarchiste et la C.G.T.S.R. sur les chantiers et dans les usines, ce qui n’était pas de bon augure pour l’unité des libertaires. Là encore des problèmes d’ego entre Besnard, Lecoin et quelques autres n’ont pas facilité la tâche pour ceux et celles qui plaidaient pour une implantation libertaire dans le monde ouvrier.
Création de la CNT en Décembre 1946
Voici le communiqué qui a été transmis à la presse à l’issue de la première journée.
Le Congrès constitutif de la C.N.T. s’est ouvert le samedi 7 décembre 1946, salle Susset, 206 Quai Valmy.
169 syndicats, 22 Unions régionales, 46 Unions locales y étaient représentés par 172 délégués.
La séance fut ouverte à 9 heures sous la présidence du camarade Ravey, secrétaire de l’Union des syndicats parisiens assisté des camarades Darselle et Thuot. Après la formation du Bureau par le camarade Rotot, secrétaire général provisoire de la CNT qui en profite pour indiquer l’horaire que devrait suivre le congrès.
Le Président donna ensuite la parole au camarade Juliel, secrétaire à la propagande qui présente le rapport d’activité. Ce rapport est adopté à l’unanimité. La discussion appelle ensuite les rapports financiers et de la commission de contrôle qui sont également adoptés. Le rapport sur le journal donne lieu à une ample discussion. Devant l’importance de la question, le Congrès décide de nommer une commission chargée de présenter des solutions concrètes.
La séance de l’après-midi présidée par le camarade Mougon de Perpignan et de Le Bihan, cheminot (Ouest) est consacrée à l’examen du rapport international, qui est présenté par le camarade Besnard dont l’exposé est complété par le camarade Bernard Pou, en pleine possession de tous les éléments de la question, le Congrès adopte à l’unanimité le rapport international. Pour terminer la séance de l’après-midi et celle de la soirée, le congrès examine et adopte les statuts de la CNT.
Au départ, la CNT regroupe selon elle, 200 000 adhérents. Tablons sur 20 000 adhérents, nous serions plus proches de la réalité. Cette centrale syndicale basée sur un purisme théorique va peu à peu décliner d’autant que la fondation de F.O., un an plus tard, en décembre 1947, va être plus attractive pour de nombreux militants libertaires, las des conflits de personnes et d’un syndicalisme pur de tour d’ivoire. En 1950, la CNT avoisine les 5000 adhérents, surtout des Espagnols. Une majorité de petits syndicats a exclu de fait une majorité de syndiqués organisés dans de plus grandes structures, au titre d’un syndicat, une voix.
A la veille de 68, la CNT est exsangue. Une poignée de militants, après Mai 68, va relancer la machine et dix ans plus tard, la CNT compte près de 200 adhérents.
Nous passerons sur l’expérience de la Coordination Nationale des Anarcho-syndicalistes (1978-1980) qui demanda à adhérer à l’A.I.T., idem pour les minorités A.S. et S.R. à F.O., la CGT, la CFDT ou la tendance Ecole Emancipée qui servirent bien souvent de faire-valoir et de caution démocratique. L’Alliance Syndicaliste n’a pas résisté au laminage de ses implantations syndicales notamment à la CFDT qui a savamment orchestré un recentrage…
Donc cantonnons-nous à la CNT, l’objet de notre étude. Dans les années 1978, la CNT Toulouse va éditer plusieurs brochures concernant les grands noms du syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914 : Pouget, Griffuelhes, Pelloutier, Yvetot ainsi qu’une brochure de deux petits nouveaux : Etienne Deschamps et Pierre Bance, avec « Nous sommes syndicalistes révolutionnaires ». En conclusion de cette brochure, il était écrit : « La C.N.T. française est actuellement une petite organisation et c’est encore plus gênant pour un syndicat que pour un parti quoique son développement – on ne peut encore parler de renouveau – soit encourageant. Si les syndicalistes révolutionnaires attachent une place importante à la propagande, ils ne sont pas volontaristes et ne construiront le syndicat à la place de personne. Si les travailleurs repoussent la proposition syndicaliste révolutionnaire, il faudra en tirer les conséquences le moment venu ; par contre, si progressivement les syndicats se développent, tous les espoirs sont permis. » (p.30)
On sait depuis que Pierre et Etienne ont évolué, c’est normal dans le cours d’une vie. Les Comités d’entreprise qui étaient des instruments de collaboration de classe… sont devenus incontournables pour obtenir des informations qu’il serait dommage de demander à d’autres syndicats… Nous n’allons pas entrer dans les détails sur les permanents syndicaux, les élections professionnelles…
La question posée en 1978 mérite donc une réponse. La CNT a-t-elle respectée ses promesses ? Les travailleurs ont-ils repoussé la proposition S.R. et le fait de continuer à faire vivre différentes C.N.T. relève-t-il du volontarisme ? La question appelle une réponse 40 ans après l’écriture de cette brochure qui a structuré la CNT durant des années. Et nous pourrions poser cette question à compter de la fondation de la CGT-SR en 1926. »
Adrien B. (GLJD)
SOURCE : Groupe Libertaire Jules-Durand