
Avant la deuxième guerre mondiale, les socialistes sont loin de se montrer virulents face à la montée du fascisme et du nazisme. En Italie, ils signent en août 1921 un pacte de non-agression mutuelle avec les fascistes, pacte que ceux-ci s’empresseront d’annuler trois mois après. Malgré tout, l’Avanti du 22 mai 1922, le journal socialiste, titre encore « ne pas résister » et prône une tactique anti-fasciste légaliste. En Allemagne, ils se refusent à la moindre épuration des cadres nazis dans l’administration lorsqu’ils entrent au gouvernement en 1928 ; au contraire, les socio-démocrates prônent officiellement une « politique de tolérance » (Tolerierungspolitik) vis-à-vis des nazis ainsi que la tactique du « moindre mal » : c’est ainsi qu’ils soutiennent les chanceliers de droite Brüning puis Hindenburg qui seront les fourriers de l’ascension d’Hitler au pouvoir. Le 1er mai 1933, ils participent même à la fête du travail organisée par les nazis ; un mois après viendra leur dissolution…
Aussi bien les socialistes que les communistes sous-estiment dans un premier temps la menace fasciste. Les communistes s’empêtrent dans de multiples analyses marxisantes et dogmatiques, marquées notamment par un catastrophisme économique : le fascisme serait le dernier symptôme de l’effondrement du capitalisme précédant l’inéluctable, et toute proche, victoire du prolétariat. Pour le Komintern, « la dictature fasciste (...) est le plus faible gouvernement politique de la bourgeoisie en Allemagne » et doit être considérée comme « un phénomène économiquement rétrograde » (1).
En outre, les communistes et le Komintern ne cessent de changer de ligne. En 1923, ils adoptent la fameuse ligne Schlageter d’entente avec le « national-bolchevisme » et s’allient avec les socio-démocrates. Zinoviev, grand responsable de la IIIe Internationale bolchevique, se félicite en juin 1923 au nom de l’Exécutif de cette organisation de ce que l’organe nationaliste allemand salue le Parti Communiste Allemand « comme parti national-bolchevique, parti de lutte s’adressant à toute la nation ». Puis les communistes rompront le « front unique » pour s’adonner au combat prioritaire contre les « social-traîtres » à partir de 1924. Entre les épurations constantes de leur appareil, les reculs scandaleux comme l’abandon de la grève générale lancée en octobre 1923 en Silésie et l’inféodation à l’U.R.S.S., ils désorientent ou laminent leur propre base et le mouvement ouvrier dans son ensemble.
Le processus culmine avec l’Espagne où plus tard, à partir de 1936, les républicains, les socialistes et les staliniens sabotent consciemment l’effort révolutionnaire seul capable de vaincre Franco de façon décisive, ni de la complicité à peine honteuse des démocraties occidentales, en particulier du Front populaire français, qui refusent d’intervenir à ce moment, contrairement aux nazis et aux fascistes qui aidèrent les franquistes. Il faut dire que, dans le camp anti-franquiste, l’une des principales forces est incarnée par les anarcho-syndicalistes et les anarchistes de la C.N.T.-F.A.I. et que les réalisations révolutionnaires (collectivisations dans la Catalogne industrielle et dans l’Aragon rurale, autogestion, refus de la militarisation et création de milices populaires…), constituent des choses que ni les Staliniens, ni les démocrates n’étaient prêts à accepter.
Il importe de souligner que si les fascistes et les nazis ont pu s’avancer aussi facilement c’est que les socio-démocrates avaient dégagé la voie en accomplissant le sale boulot voulu par la bourgeoisie face aux vagues d’agitation : écraser les forces révolutionnaires. En Allemagne, c’est le ministre social-démocrate Noske qui réprime l’insurrection spartakiste de janvier 1919 et la « République des conseils » de Bavière en avril de la même année. Rappelons aussi qu’il n’hésite pas à se passer de l’armée régulière en ayant recours à des corps francs recrutés dans la masse des va-t-en guerre récemment démobilisés et aigris par la défaite de 1918.
Ce sont donc les socio-démocrates qui ont inauguré la méthode des bandes armées parallèles, méthode que reprendront avec succès les fasci italiens et les S.A. allemandes. En Italie, ce sont les bureaucraties syndicales socialistes qui négocient avec le gouvernement pour briser le mouvement d’occupation des usines en été 1920, permettant au directeur du quotidien socialiste Avanti !, un certain Benito Mussolini, de se frayer un chemin vers le pouvoir (2). Les jeux sont ainsi faits en 1921 ! L’écrasement des makhnovistes et de la commune de Kronstadt par les bolcheviques en Union soviétique ne fait que répondre à l’écrasement des insurrections révolutionnaires en Allemagne, en Italie, en Hongrie et ailleurs. Partout dans le monde, la contre-révolution a triomphé : la voie est libre pour le capitalisme d’État, fasciste ou stalinien.
Pourquoi les socialistes ont-ils voté Pétain ?
En France, le Front populaire guidé par Léon Blum a empêché la révolution en 1936, laissé crever la révolution espagnole, et a enfermé les révolutionnaires espagnols dans des camps de concentration, révolutionnaires que le régime de Pétain pourra livrer aux fascistes. C’est ce même Léon Blum qui s’étonne en 1939 de ce que l’on nomme à l’ambassade d’Espagne « le plus noble, le plus humain de nos chefs militaires », le maréchal Pétain ! Rappelons enfin que c’est l’Assemblée nationale, c’est-à-dire la réunion de la Chambre des députés (celle du Front populaire) et du Sénat, qui confie les pleins pouvoirs à ce même Pétain, le 10 juillet 1940. Sur les 670 députés et sénateurs alors réunis et sur les 549 suffrages exprimés, seuls 20 s’abstiennent et 80 votent contre. Parmi eux, on compte seulement un quart des parlementaires socialistes et un septième des radicaux, tandis que les communistes ne siègent pas car ils sont déchus de leur mandat (cf. infra). Léon Blum renonce à faire un discours d’opposition (3).
Deux jours auparavant, le groupe des parlementaires socialistes s’était consulté pour choisir la politique à suivre, Léon Blum y exposa son refus de déléguer les pleins pouvoirs constituants à Pétain et seuls quatre députés font part d’une timide réserve. Deux jours après, revirement total. 90 parlementaires de la S.F.I.O accordent les pleins pouvoirs, 36 votent contre, 6 s’abstiennent, dont Léon Blum. Même si les socialistes représentent 45 % des opposants, il n’en reste pas moins que plus de la moitié d’entre eux se sont ralliés à Pétain. Autrement dit, les socialistes qui se proclamaient d’ardents démocrates anti-fascistes ont choisi de confier tout le pouvoir au nouvel homme fort, sans aucune garantie démocratique. Ils se gardent d’ailleurs bien de consulter leur propre base à ce sujet. La compromission socialiste va même plus loin puisqu’une large partie de l’appareil S.F.I.O. va « collaborer », à commencer par son secrétaire général, Paul Faure.
Du coup, lorsque le Premier ministre socialiste Lionel Jospin déclare, lors des premières polémiques qui éclatèrent au moment du procès Papon, qu’ « il faut le faire [l’effort de recherche sur notre passé], mais il n’y a pas de culpabilité de la France parce que, pour moi, la France était à Londres ou dans le Vercors, (…) parce que Vichy était la négation de la France, en tout cas la négation de la République » (4), sachant que le régime vichyste a bel et bien été institué par l’ordre républicain, comme nous venons de le voir, nous sommes en droit de nous demander s’il ne nous prend pas pour des imbéciles… En tout cas, la conclusion inverse s’impose : Vichy, c’était la République, c’était la France, même si des individus et des organisations s’y sont opposés, et parmi eux les anarchistes (5).
(...)
[S’en suit des pages sur la gauche collaborationniste, la fonction de la gauche, le combat contre les fascismes rouge et brun, etc]
Du FASCISME au POST-FASCISME
Mythes et réalités de la menace fasciste - éléments d’analyse
p. 30 à 34
(Editions du Monde Libertaire, 1997)