Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Georges Ibrahim Abdallah, un homme en trop
Article mis en ligne le 3 mai 2021
dernière modification le 10 avril 2021

par siksatnam

L’Affaire Georges Ibrahim Abdallah, de Saïd Bouamama, vient de paraître aux éditions Premiers Matins de Novembre. L’importance de ce document dépasse les divergences qu’on peut avoir avec sa phraséologie anti-impérialiste. C’est pourquoi on en trouvera ci-après la préface. Elle est précédée d’un résumé de l’affaire largement inspiré d’un extrait de mon livre La Politique de la Peur (2011, Le Seuil/Non Conforme). A sa lecture quiconque refuse le despotisme sécuritaire des sociétés néo-libérales, devrait pouvoir se convaincre que le combat pour la libération du plus ancien prisonnier politique français depuis trois siècles est une tâche essentielle.

S.Q.

En 1985-1986, une série d’attentats à la bombe touche Paris et la région parisienne, qui fera au total 15 morts et 324 blessés. Une revendication apparaît : un Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes réclame la libération de trois hommes détenus en France : Anis Naccache, responsable du commando ayant tenté d’assassiner un ancien ministre du Chah, Varoudjan Garbidjian, membre de l’Armée secrète de libération de l’Arménie, dont le commando avait commis l’attentat d’Orly contre la Turkish Airlines (8 morts, 56 blessés), et Georges Ibrahim Abdallah, responsables des FARL, groupuscule chrétien libanais, marxiste et internationaliste.

Fort réduit, composé semble-t-il essentiellement par les membres de la famille du prisonnier, ce groupe avait enlevé en mars 1985, au Liban, Sidney Peyrolles, fils de l’écrivain Gilles Perrault et attaché culturel de la France, puis l’avait relâché huit jours plus tard en échange de la promesse officieuse de la libération d’Abdallah, détenu dans les prisons françaises parce qu’on avait trouvé à son domicile une arme ayant servi à tuer deux agents secrets, l’un des Etats-Unis, l’autre d’Israël.

Cependant, en raison de pressions israéliennes et étatsuniennes, et de la guerre entre services secrets français plus ou moins liés à ces deux Etats (les liens entre DST, ancêtre de la DGSI, et CIA, étant anciens), la promesse de libération n’avait pas été respectée. La campagne de bombes était donc présentée comme une revanche des FARL sous la signature du CSPPA. En 1986, les murs du métro de Paris se couvraient donc d’affiches de western du type Wanted, où figuraient les visages de plusieurs membres de la famille Abdallah. A travers les articles d’Edwy Plenel, informé par un responsable policier qui défendait la version des renseignements généraux, et d’autres porte-voix d’autres services de police, on imposa dans l’opinion l’idée que la famille Abdallah faisait la guerre à la France. On n’est pas près d’oublier cette carte de l’Europe et du Moyen-Orient publiée par Le Monde, chef d’œuvre de comique involontaire, qui « démontrait », avec abondance de petites flèches passant par Chypres et quelques villes d’Europe, que les frères Abdallah, qu’on avait vus tel jour à telle heure au Liban pouvaient quand même avoir eu le temps de venir en hâte déposer une bombe devant le magasin Tati de la rue de Rennes, pour retourner au Liban une fois leur forfait accompli.

Au lendemain de l’attentat chez Tati, France Soir titrait : « Un témoin a reconnu, parmi 130 photos, Emile Ibrahim Abdallah. Au plus fort des explosions, Philippe Tesson, du Quotidien de Paris, avait évoqué les avantages d’une justice sommaire, tandis que Claude Sarraute, dans Le Monde, suggérait de « faire parler » Abdallah.

En réalité, les revendications du CSPPA étaient un rideau de fumée destiné à couvrir les vraies motivations des attentats. Les exécutants étaient des amateurs mus essentiellement par la haine de l’Occident. Les mandataires directs, le Hezbollah libanais, ou une fraction de ces derniers, cherchaient à obtenir, outre la libération de membres de leur organisation prisonniers au Koweit, l’arrêt de la politique hostile de la France à leur égard. Enfin, un troisième acteur, l’Iran, aurait repris en main la campagne d’attentats pour obtenir trois choses : l’arrêt des fournitures d’armes par la France à l’Irak avec qui l’Iran était en guerre, le remboursement de sa dette dans le projet Eurodif, investissement du Chah dans un projet nucléaire jamais réalisé, et enfin, que la France expulse les Moudjahidin du peuple iranien, organisation combattant la théocratie perse, et enfin, quelle libère Naccache.

Mais la réalité des motifs de ces attentats est restée longtemps cachée à la population qui les subissait, et ces motifs ne sont devenus clairs que bien après les attentats, alors que l’attention publique s’était tournée ailleurs.

Créée en 1986 par Charles Pasqua et des journalistes devenus, bon gré mal gré, ses attachés de presse (une pensée en particulier pour Edwy Plenel, sacré depuis en héros du journalisme critique des pouvoirs), l’atmosphère de chasse à l’Abdallah était encore bien présente quand Georges-Ibrahim fut jugé en février 1987. La piste iranienne, connue des services de police, n’avait pas encore été présentée au public mais il était démontré que l’accusé n’avait pu être l’auteur de l’exécution des deux diplomates abattus avec l’arme retrouvée chez lui, et il n’en était d’ailleurs pas accusé. Alors que l’inculpation pour « détention d’arme non autorisée » aurait pu aussi bien avoir été choisie, le choix très politique avait été de le poursuivre pour « complicité d’assassinat », ce qui permit sa condamnation à la réclusion à perpétuité. Car, au moment où le procès se tenait, il était évident, pour tout le monde, qu’on condamnait Abdallah non comme détenteur d’armes, mais comme l’un des responsables des attentats-massacres de 1986.

Cette atmosphère viciée était une première raison pour faire rejuger son procès. Mais il y en avait une deuxième que tout partisan de l’état de droit aurait dû considérer comme incontournable : l’un des avocats de Georges Ibrahim Abdallah, Jean-Paul Mazurier, était un informateur de la DST. La chose a été rendue publique après le procès dans un livre, L’Agent Noir, coécrit par ce lamentable personnage avec un journaliste et elle a été officiellement confirmée. Comme disait Me Vergès dans une lettre au ministre de la Justice : « C’est la première fois dans l’histoire mouvementée de la France qu’on voit l’Etat envoyer auprès d’un accusé un gent de ses services spéciaux déguisé en avocat pour le trahir dans sa défense. Cela ne s’était jamais vu même aux jours sanglants de la Terreur jacobine ou de la Terreur blanche, ni même pendant l’occupation. »

Georges Ibrahim Abdallah a donc été d’abord victime d’une injustice flagrante et, ensuite, d’une forfaiture pure et simple. On aurait donc dû s’attendre à ce que la justice, quand bien même elle ne reconnaîtrait pas son erreur, le fasse bénéficier de ces aménagements qu’elle sait trouver quand il s’agit, par exemple, de laisser Papon finir sa vie chez lui. Ce sera tout le contraire.

Les différences dans le traitement judiciaire des prisonniers dont la libération était réclamée par le fantomatique CSPPA sont éclairantes. Anis Naccache, auteur avéré d’une tentative de meurtre mais seul prisonnier dont la libération importait vraiment à l’Iran, a été libéré en premier, gracié par François Mitterrand dès 1990. Condamné à la prison à vie le 3 mars 1985 pour un attentat qui a fait huit morts, Varoujan Garbidjian est libéré 17 ans plus tard, comme la loi le permet, et expulsé en Arménie dès sa sortie de prison. Georges Ibrahim Abdallah, le seul auquel la justice française ne reproche directement aucun meurtre ou tentative, est toujours incarcéré. Depuis 1999, selon le Code pénal, sa libération serait possible sur simple arrêté administratif du ministère de la Justice. En novembre 2003, une juridiction régionale lui avait accordé la libération conditionnelle à condition qu’il quitte immédiatement la France. Mais le ministre de la Justice ayant fait aussitôt appel, la libération était alors rejetée, comme toutes les autres demandes (une demi-douzaine) déposées depuis.

On peut voir deux raisons à cet acharnement. La première, c’est qu’il continue à se revendiquer de la « lutte anti-impérialiste ». La deuxième, au moins aussi importante, c’est que les raisons pour lesquelles, contrairement aux engagements pris, il n’avait pas été libéré en 1985 après la libération de l’otage Sidney Peyrolles, ces raisons-là demeurent : après 2001, la pression des Etats-Unis et d’Israël, acharnés à maintenir sous les verrous quelqu’un qui serait lié au meurtre de leurs agents, demeure plus déterminante que jamais pour l’Etat français, d’autant plus que cette pression ne se heurte à aucune pression pour la libération qui émanerait d’un autre Etat, comme ce fut le cas pour l’Iranien et l’Arménien.

Le sort de Georges Ibrahim Abdallah montre que, comme il peut y avoir des peuples en trop (Palestiniens, Tchéchènes, Kurdes, Tibétains) dans la géostratégie des grandes puissances, les grandes manœuvres de ces dernières peuvent aussi produire des hommes comme lui, qu’aucune puissance ne tient à protéger, et qui sont désormais « en trop ».

L’Affaire Georges Ibrahim Abdallah, de Saïd Bouamama - Introduction

Comme il y a eu hier une « affaire Dreyfus » ou une « affaire Audin », il y a aujourd’hui une « affaire Abdallah ». Arrêté le 24 octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah est non seulement le plus ancien prisonnier politique en France aujourd’hui, mais le plus ancien de l’histoire de la France depuis la révolution française. Même un Auguste Blanqui surnommé « l’enfermé » en raison de ses nombreux séjours en prison ne purgea pas une peine aussi longue d’une seule traite. L’année 2021 sera celle de la trente-septième année d’incarcération de Georges c’est-à-dire celle d’un emprisonnement égal au cumul de tous les séjours en prison de « l’enfermé ». À titre comparatif, Nelson Mandela purgea une peine de 27 ans sous le régime raciste de l’apartheid. Il faut aller au cœur du système impérialiste, aux États-Unis, pour trouver en la personne du militant amérindien Léonard Peltier, un détenu politique plus ancien, avec le triste record de 43 ans d’emprisonnement.

Nous sommes en présence d’une « affaire » et plus exactement d’une « affaire d’État », non seulement en raison de la durée de l’incarcération, mais aussi en raison des mensonges et manipulations qui ont caractérisés la longue chronique judiciaire qui conduira à sa condamnation à perpétuité. Comme pour « l’affaire Dreyfus » l’ingérence du pouvoir politique dans ce procès inique est patente. Nous en donnerons des exemples significatifs. L’affaire Abdallah peut être considérée en raison de l’ampleur de cette ingérence comme un analyseur de l’État de la justice française dès qu’il est question de la Palestine, du Moyen Orient, de la politique internationale française, de l’impérialisme, etc.

Libérable selon le droit français depuis 1999, Georges se voit systématiquement refuser ses demandes de libération conditionnelle jusqu’en 2003. En novembre 2003, la juridiction de Pau autorise sa libération qui est refusée en janvier 2004 sur intervention directe du ministre de la justice Dominique Perben. Le traitement de sa huitième demande constitue une autre raison de la qualification « d’affaire » pour désigner ce simulacre de justice. Le 23 octobre 2012, en effet, l’audience au centre pénitentiaire de Lannemezan dont la décision est prononcée le 21 novembre donne un avis favorable au retour de Georges au Liban sous réserve qu’il fasse l’objet d’un arrêté d’expulsion du ministère de l’Intérieur. La décision sera ajournée à plusieurs reprises dans l’attente de cet arrêté qui ne sera jamais signé. En refusant de signer l’arrêté d’expulsion, le pouvoir politique révèle désormais explicitement la véritable source de l’acharnement que subit Georges. Surtout ce triste épisode a été marqué par l’intervention directe d’Hillary Clinton exigeant le maintien en prison de Georges. Le socialiste Laurent Fabius obtempère. L’affaire Abdallah est de ce fait aussi un analyseur du système impérialiste mondial et des liens qui relient ses différentes composantes.

La couverture médiatique de l’affaire Abdallah est également exemplaire. De manière quasi unanime, les grands médias ont repris, répété et ressassé la thèse officielle. Entièrement fabriquée par les services secrets français cette version officielle rend responsable les frères Abdallah des attentats qui ont ensanglanté Paris en 1986. Les articles nombreux de Libération, du Point, du Monde ou du Nouvel Observateur condamnent Abdallah avant même le déroulement du procès. Pendant le procès ces titres et bien d’autres appellent explicitement à la condamnation d’Abdallah. « On imagine également assez mal que l’opinion publique française accepte (.) sans bouger la libération de Georges Ibrahim Abdallah alors que quinze blessés (.) sont toujours hospitalisés » assène par exemple la journaliste de Libération Véronique Brocard. L’affaire Abdallah est également un bel exemple de la fabrique médiatique de l’opinion et un analyseur de notre système médiatique dominant.

L’absence de mobilisations significatives de nombreuses organisations et associations de gauche jusqu’y compris celles se revendiquant comme Abdallah, de l’anticapitalisme et de l’anti-impérialisme, est une autre dimension de l’affaire. La peur d’être accusé de soutenir un « terroriste » conduit à un silence gêné et à l’inaction pour le mieux, à la reprise des accusations officielles pour le pire. L’affaire Abdallah est de ce fait enfin un révélateur de l’abandon des repères anti-impérialistes d’une partie majoritaire des organisations se revendiquant de la « gauche » ou de « l’extrême gauche » en France. Elle souligne l’efficacité du thème du « terrorisme » dans la bataille pour l’hégémonie culturelle que mène la classe dominante.