Paris le 1er mai, je rejoins la traditionnelle manifestation des anarchistes. J’en profite pour passer par quelques lieux représentatifs de la Commune. D’abord la barricade de la rue de Puebla, actuellement rue des Pyrénées. Je pense aux premières barricades. On retrouve sa trace dans un article du Figaro du 18 mars 1871. Le journaliste parle d’amoncellement de matériaux, de fusils brandis et d’insurrection.
Le gouvernement du peuple par lui-même
Le peuple se réapproprie le droit de réfléchir, de parler et d’agir politiquement en toute liberté. L’église se sépare de l’état. L’école devient gratuite, laïque et obligatoire pour les filles comme pour les garçons. J’imagine des femmes, des mômes s’investir pleinement, sur les fronts. Le processus révolutionnaire est en marche.
Place à la Commune
Dans la rue, on discute à qui mieux-mieux. Chacun, chacune peut prendre la parole. On rêve tout haut de refaire le monde avec des principes mutualistes, égalitaires et universels. Des décrets sont tombés : gel des loyers, réquisition des ateliers et des appartements abandonnés, …bientôt sera votée l’annulation des petits prêts du Mont Piété (6 mai). Les yeux pétillent : « C’est à nous, il faut tout défendre dans l’urgence ».
Manifestation rudement encadrée
Vers midi, je monte vers la place des fêtes. Les pandores sont plus nombreux que jamais. Toutes les rues sont cernées de camions de CRS. Le ciel est gris et l’humeur maussade. 150 ans plus tôt, c’est à l’hôtel de ville que ça s’empaille, à propos des obus versaillais responsables des 72 morts du fort d’Issy.
On se demande qui aura le dernier mot, dans cette guerre civile. Deux formes de républiques s’affrontent : une démocratique et sociale et une bourgeoise et traditionaliste. Mais en mai, l’espoir est de mise.
La Canaille et les utopies
J’aime la Canaille et les utopies. La Commune Libre de Paris pour moi, c’est Louise Michel, Elisabeth Dmitrieff, André Léo et toutes les anonymes. Que font-elles ce 16 floréal de l’année 79 ? Elles se battent. Dommage qu’elle ne fasse pas partie du nouveau Conseil municipal. Ah, Commune fantasmée : 72 jours, pour agir, c’est si peu ! A l’angle de la rue de Belleville, une vieille femme, me lance « Je n’ai jamais vu ça, autant de policiers ! Ils m’ont fouillée alors que je faisais mes courses. J’ai peur : ça me rappelle Malik Oussékine ».
Comme Louise Michel, faisons les gestes barricades !
Je la laisse et je rejoins un groupe de chanteurs. Ils entonnent « ça branle dans le manche » sous le regard ahuri de la flicaille. La descente vers le boulevard de Belleville est revancharde. Le ciel est aussi morne que notre humeur. Je sors une gapette.
Plus loin, ils scandent le refrain « Quand tous les pauvres s’y mettront … ». La manif tourne dans la rue de la Fontaine-au-Roi. Quelqu’un me chuchote, « c’est là qu’était la dernière barricade ». Pas un arrêt. Rien, les vaches sont partout.
Que des drapeaux rouges comme 150 ans plus tôt. J’ai un pincement au cœur. Ferré, Varlin et Louise Michel…
« Au moment où vont partir les derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive (..) Ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. A l’ambulancière de la dernière barricade,Jean-Baptiste Clément dédia, longtemps après, la chanson des Cerises. - Personne ne la revit. […] La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. ».
Semaine sanglante
À 10 heures, ce petit groupe d’insurgés résiste. Il se replie vers le XIème et prend position derrière les barricades. Cerné, sans espoir de s’en sortir, il dispute le pavé aux soldats versaillais. Vers 19H, je rentre trempée par les rues Saint-Maur et Parmentier. J’imagine « la fin » de la Commune. Les lignards canonnent les barricades qui ne peuvent pas être contournées. À 11 heures, les fédérés manquent de munitions. À midi, ils tirent le dernier coup de canon. Les soldats fusillent ceux qui sont pris vivant.
La Commune toujours vivante !
2021, le gros de la manif est toujours au même point place de la République. Désolée, je fais 500 mètres et je coupe pour rentrer. Je passe devant le mur des fédérés. Je m’interroge : pourquoi les lieux pour porter le souvenir de la Commune sont-ils des murs. Et j’enrage. Toujours la Commune si souvent célébrée comme martyre. Déjà qu’elle est absente des livres scolaires. En fait, un ami m’explique que la Troisième République ne tolérait que l’hommage aux morts et interdisait les manifestations. C’est de là que vient cette apologie de la semaine sanglante. Je peste néanmoins en montant la côte de l’avenue Gambetta.
Sombres pensées. Le 28 mai 1871, l’armée accule les derniers communards au cimetière du père Lachaise.147 communards arrêtés et fusillés. Le monument est à peine visible. Non, je ne finirai pas ma journée du 1er mai avec ces sinistres souvenirs.
Je veux croire que nous sommes encore soudés dans la résistance. Et je salue les Communes qui partout s’installent : Caracoles au Yucatan, Zapatistes, Rebelles du Rojava en Syrie du Nord (en lutte depuis 2013), toutes les ZAD…Et que vivent les communes !
Mélanie Trachsler (DLGS)