Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Le discret business du propriétaire de Valeurs actuelles, l’hebdo de référence de l’ultra-droite
Article mis en ligne le 24 juillet 2021
dernière modification le 13 juillet 2021

par siksatnam

Le magazine Valeurs actuelles suscite régulièrement la controverse par ses unes ultra-réactionnaires, louant la France chrétienne, Eric Zemmour ou les droites extrêmes européennes, stigmatisant en vrac les migrants, l’islam, le féminisme, les fonctionnaires ou l’écologie. Mais au fait, qui est son propriétaire et avec qui fait-il des affaires ?

Dans la série « les milliardaires qui possèdent la presse française », il y a les connus – les Arnault, Bolloré ou Niel – et les discrets [1] comme Iskandar Safa. Franco-libanais, issu de la communauté chrétienne libanaise, il fait partie des 100 plus grosses fortunes de France, et détient l’hebdomadaire réactionnaire et d’ultra-droite Valeurs actuelles. Il a également tenté de racheter cet été le quotidien régional Nice-Matin, bataillant avec Xavier Niel pour finalement jeter l’éponge [2].

Iskandar Safa possède notamment plusieurs chantiers navals, en France, en Allemagne et à Abu Dhabi, où sont construits des yachts de luxe et des navires militaires légers. Il a acquis en 2015 le magazine Valeurs actuelles, auparavant détenu par le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, en faisant équipe avec Étienne Mougeotte et Charles Villeneuve, tous les deux anciens de TF1. Le trio avait déjà tenté, alors, de racheter Nice-Matin.
Migrants, islam, la « terreur féministe » et « ces fonctionnaires qui nous ruinent »

Valeurs actuelles diffuse aujourd’hui à plus de 90 000 exemplaires chaque semaine [3]. Une audience plutôt honorable dans le paysage des hebdomadaires français. Sa ligne éditoriale penche clairement à l’ultra-droite : ses unes consacrent Marion Maréchal-Le Pen, Eric Zemmour et « son identité française », encensent Philippe de Villiers (avec en une « Clovis, Macron, la France et moi »...) ou, pendant la campagne présidentielle de 2017, « Fillon l’insoumis ». Elles louent aussi « La France chrétienne », complimentent « l’homme qui secoue l’Europe », en l’occurrence l’ancien ministre de l’Intérieur italien d’extrême droite Matteo Salvini, et « les nouveaux visages de la rébellion des peuples » : Salvini toujours, le premier ministre hongrois Viktor Orban, et Sebastian Kurz, l’ex-chancelier d’extrême-droite autrichien.

Les unes du journal n’hésitent pas à s’en prendre au féminisme (« La terreur féministe » en mai), aux écologistes (« Les charlatans de l’écologie », avec Greta Thunberg en une, en juin), aux médias de gauche (« La tyrannie Mediapart » en août, et « Les islamo-gauchistes » en mars, avec Edwy Plenel, fondateur du journal, en photo de une), ou au pseudo « racisme anti-blanc » (avec Lilian Thuram en une en septembre). Valeurs actuelles stigmatise évidemment l’islam (« Chassez le christianisme et vous aurez l’islam », « 15 000 islamistes près de chez nous »…), les migrants, et les services publics – « ces fonctionnaires qui nous ruinent » ; fustige le supposé « milliardaire qui complote contre la France », Georges Soros, à l’initiative de plusieurs fondations ; dénonce « Mélenchon, le péril rouge », grimé en Che Guevara [4]. L’actuel directeur de la rédaction du magazine, Geoffroy Lejeune, a écrit un ouvrage sur Éric Zemmour, publié par la maison d’édition proche de l’extrême droite Ring [5]. Geoffroy Lejeune a d’ailleurs participé à la « Convention de la droite », qui a réuni ce 28 septembre plusieurs personnalités de la droite extrême, et marquée par des discours violemment xénophobe.

Du côté des relais politiques, le groupe éditeur de Valeurs actuelles, Valmonde, a pour vice-président depuis 2010 Olivier Dassault, fils de Serge Dassault. Son père était sénateur. Olivier Dassault est, lui, député (LR) de manière presque ininterrompue depuis 1988, et préside le conseil de surveillance du groupe d’armements éponyme, qui produit des avions militaires – comme les Rafales, vendus à l’Égypte, au Qatar et à l’Inde – et des systèmes de défense militaire.

Environ 750 millions d’euros de contrats militaires avec l’Arabie Saoudite

L’industrie de l’armement est justement l’un des secteurs dans lesquels Iskandar Safa a édifié son empire industriel. L’homme est connu en France pour avoir joué un rôle de négociateur pour libérer des otages français au Liban dans les années 1980 (6).

En 1992, avec la holding Privinvest, dont il est le PDG et dont le siège social est à Beyrouth, il rachète les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) et ses chantiers navals de Cherbourg. CMN produit des yachts, et des navires militaires – de petits intercepteurs ou des corvettes. Au moment de leur rachat par Safa, les chantiers navals de CMN sont en difficulté. En 1998, l’entreprise obtient un contrat avec le Koweït, pour des patrouilleurs lance-missiles. Puis en 2003, avec les Émirats arabes unis pour des corvettes "Baynunah", de quoi « alimenter un carnet de commandes peu fourni, alors même que l’entreprise connaissait d’importantes difficultés, accumulant des dettes sociales et fiscales », souligne un an plus tard un rapport parlementaire. La première de ces corvettes est livrée aux Émirats en 2009.

Puis sont venus les contrats avec l’Arabie Saoudite : pour la vente de trois patrouilleurs en 2015, pour 250 millions d’euros [7]. Les marchés de l’armement étant extrêmement politiques, le contrat n’est entré en vigueur que début 2018 [8]. Les bateaux sont aujourd’hui en cours de fabrication. Toujours en 2018, un autre gros contrat est signé entre les chantiers navals de Cherbourg et l’Arabie Saoudite : CMN produira 39 navires intercepteurs, pour un montant d’environ 500 millions d’euros.

Chacun de ces nouveaux contrats apporte évidemment des emplois à Cherbourg. Des chaudronniers, soudeurs, mécaniciens et électriciens sont recrutés. « Près d’une centaine d’offres d’emploi, pour partie en CDI mais aussi en intérim, ont été publiées sur la page Facebook des CMN », écrit en septembre 2018 un site d’info locale. « Il y a donc une accélération des besoins de recrutements, liée notamment aux discussions avec l’Arabie Saoudite », explique le directeur des chantiers, Pierre Balmer. Le 24 juillet 2019, le journal régional La Manche libre rapportait qu’une cérémonie était organisée le même jour pour fêter la livraison de deux premiers bateaux à l’Arabie Saoudite, en présence d’une délégation officielle saoudienne, mais sans la presse française, qui n’avait pas été invitée.

C’est que, depuis 2015, une coalition de pays menée par l’Arabie Saoudite, tout comme son allié des Émirats arabes unis, est entrée en guerre au Yémen. Le bombardement des populations civiles et le blocus imposé au Yémen, affamant 22 millions de personnes, les trois-quarts de la population du pays, ont rendu l’intervention de plus en plus controversée. Les ventes de matériel militaire, dont des armements français, aux pays belligérants sont désormais pointées du doigt. Trois millions d’enfants en bas âge souffrent de malnutrition. Pour Amnesty international, des atteintes aux droits humains et des crimes de guerre sont perpétrés dans tout le pays. Cela n’empêche pas les ventes d’armes françaises de se poursuivre, des exportations à chaque fois autorisées par le gouvernement.

En avril 2019, le site d’investigation Disclose révèle le contenu d’un document confidentiel de la Direction du renseignement militaire, datant de septembre 2018, qui indique que des armements d’origine française sont bien utilisés dans le conflit yéménite par l’Arabie saoudite et ses alliés, ce qui rend caduque la légalité de ces exportations. Selon le document, l’une des corvettes lance-missile « Baynunah », fabriquées par CMN pour les Émirats arabes unis, participe au blocus naval, aux côtés d’une frégate livrée à l’Arabie Saoudite par une autre entreprise française, Naval Group. Suite à ces révélations, la Direction générale de la sécurité intérieure avait convoqué des journalistes de Disclose.

Des contrats de chalutiers dans le viseur de la justice états-unienne

Les chantiers d’Iskandar Safa fabriquent aussi des bateaux civils, yachts ou bateaux de pêche. Une commande de 24 chalutiers – et 6 patrouilleurs – destinés à une entreprise publique mozambicaine de pêche au thon a été conclue avec les chantiers navals de Cherbourg en septembre 2013. Iskandar Safa est alors lui-même à Cherbourg pour la signature, aux côtés de trois ministres français de l’époque [9]. Le ministre des Finances du Mozambique, Manuel Chang, fait aussi le déplacement [10]. Depuis, ce contrat s’est retrouvé cité par un acte d’accusation d’une cour de justice états-unienne dans la cadre d’une affaire de corruption et d’emprunts cachés garantis par l’État mozambicain [11].

Ces accusations ont abouti à l’arrestation de Manuel Chang, le ministre des Finances mozambicain, le 29 décembre en Afrique du Sud, sur demande de la justice états-unienne. Quelques jours plus tard, deux anciens banquiers du Crédit suisse, qui avaient participé à la structuration des prêts, ainsi qu’un cadre de Privinvest, la holding appartenant à Iskandar Safa, ont aussi été arrêtés dans le cadre de cette affaire. Ils sont inculpés sur la base du « Foreign Corrupt Practices Act », une loi fédérale états-unienne pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger.

Suppressions d’emplois dans les chantiers navals allemands

Privinvest a également racheté trois chantiers navals situés en Allemagne, dans la région de Kiel, sur la Mer Baltique. En juin 2018, la filiale allemande de Privinvest, German naval Yards [12], annonce la fermeture d’un des trois chantiers, Lindenau, consacré à la réparation de navires. Un autre de ses sites, Nobiskrug, construit des yachts de luxe. « Sur ce chantier, nous avons appris que 190 emplois seraient supprimés, et seulement 60 seraient reclassés », explique Heiko Messerschmidt, responsable du secteur des chantiers navals à la section locale du syndicat IG Metall.

Iskandar Safa a décidé de concentrer les activités sur le chantier de production de navires militaires. Ceux-ci sont destinés à l’export ou à la marine allemande [13]. « Safa est actif, il cherche le contact avec les politiques allemands, localement dans la région et aussi à Berlin », note Heiko Messerschmidt. Iskandar Safa rencontre ainsi deux ministres du land de Schleswig-Holstein, où se trouvent les chantiers, en mai 2018 [14].

Main basse sur les chantiers navals grecs

Pourtant, les relations de la holding avec les autorités allemandes n’ont pas toujours été cordiales. Un marché de cinq corvettes destinées à la marine allemande devait être attribué directement – sans appel d’offre – par le ministère de la Défense à un consortium d’entreprises allemandes [15]. En avril 2017, un porte-parole de Privinvest envisage de poursuivre l’Allemagne auprès d’un tribunal arbitral international – ces tribunaux privés chargés du règlement des conflits entre investisseurs et États, les fameux ISDS – sur la base d’un traité d’investissement signé entre le Liban et l’Allemagne. Il n’a pas eu besoin d’aller jusque-là. Privinvest a obtenu gain de cause un mois plus tard, après avoir déposé une réclamation auprès de l’office allemand de lutte contre les cartels [16]. Les chantiers navals ont finalement obtenu le marché des corvettes, en faisant équipe avec le géant sidérurgique allemand ThyssenKrupp.

Contre l’État grec, Privinvest n’a pas hésité à mettre à exécution ses menaces. Le groupe avait racheté à l’allemand ThyssenKrupp le chantier naval grec Hellenic Shipyards en 2010, au moment où la Grèce commence à vaciller face aux marchés financiers. Des sous-marins y sont alors en construction pour la marine grecque. La holding et l’État grec se retrouvent en conflit. « La Grèce cesse de régler ses factures. L’activité s’interrompt en 2011 avec plusieurs navires abandonnés sur cale », rapporte Le Monde. Privinvest attaque Athènes auprès du tribunal d’arbitrage de la chambre internationale de commerce (ICC). Le pays est finalement condamné à payer 200 millions d’euros à la holding [17].

En 2016, Iskandar Safa lance en son nom propre une deuxième procédure contre la Grèce au sujet de ce même chantier, cette fois auprès du tribunal d’arbitrage privé de la Banque mondiale [18] sur la base d’un traité d’investissement conclu entre Athènes et Beyrouth. Finalement, des juges grecs décident de mettre le chantier naval sous gestion spéciale, en vue peut-être de le revendre. Dans une tribune publiée par Les Échos, Safa accuse le gouvernement d’Aléxis Tsipras (gauche), arrivé au pouvoir en 2015, d’avoir « piraté » le chantier.

Le nom du groupe Privinvest apparaît aussi associé à deux sociétés offshore dans les révélations des « Panama papers » [19], ces millions de fichiers provenant des archives du cabinet Mossack Fonseca, basé au Panama et spécialisé dans la domiciliation de sociétés dans des paradis fiscaux. Le journal Le Monde, qui a participé à dévoiler les Panama Papers, y consacre un article en 2016. Le quotidien remontait le fil de filiales de Privinvest opérant depuis la Suisse, les États-Unis et Abu Dhabi, et de sociétés basées aux îles Vierges britanniques dont la holding était aussi actionnaire.

« Curieusement visé en ma qualité de patron du magazine Valeurs actuelles, je suis d’abord désigné comme détenteur de deux sociétés offshore. Au-delà de l’absence d’intérêt d’une telle information, chacun sait que le recours à de telles sociétés n’est en rien prohibé et peut être justifié par des considérations commerciales, parfaitement légales bien-sûr, que je n’ai pas à justifier ici », rétorque alors l’intéressé dans un droit de réponse au quotidien [20].

L’un des personnages cités dans l’article du Monde de 2016 se nomme Andrew Pearse. Celui-ci était aussi l’un des acteurs de la vente de bateaux au Mozambique. Dans les Panama Papers, Andrew Pearse est cité comme un actionnaire de l’entreprise de services financiers Palomar Holding Limited. Or, dans l’acte d’accusation états-unien sur les prêts mozambicains, Palomar Holding est qualifié de « filiale » de Privinvest, tout comme un autre entreprise appelée Palomar Capital Advisers. Dans un audit indépendant rendu public en 2017, commandé l’année précédente par les autorités mozambicaines, Palomar est désignée comme étant une « entreprise du groupe Privinvest ». Selon les deux documents, l’entreprise Palomar a été impliquée dans la structuration des prêts finançant les contrats mozambicains. Andrew Pearse est l’un des trois anciens cadres du Crédit Suisse interpellé le 2 janvier 2019 dans cette affaire.

Dans les colonnes du journal économique Les Echos en juillet, le président du directoire de Privinvest Média annonçait que le groupe avait « d’autres projets dans la presse écrite ». Ces journaux qui tomberaient à leur tour dans l’escarcelle du patron de presse Iskandar Safa pourront-ils informer librement sur les affaires du groupe Privinvest ?

Rachel Knaebel