Demain Le Grand Soir
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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

La mascarade du nationalisme de gauche
Article mis en ligne le 26 juin 2021
dernière modification le 19 juin 2021

par siksatnam

Le nationalisme de gauche est présenté comme la solution pour sortir de l’austérité. Contre l’Europe, le repli sur l’État-nation doit permettre de construire une République sociale. Cette imposture idéologique demeure une impasse.

" L’échec de la gauche radicale, notamment en Grèce, est attribué à son attachement à l’Europe. Pour de nombreux observateurs, il semble indispensable de rompre avec l’Union européenne et avec la monnaie de l’euro pour relancer l’économie et sortir de la crise. Cette fausse solution se banalise aujourd’hui chez de nombreux intellectuels, sans même parler de Jacques Sapir. L’économiste d’Etat Frédéric Lordon s’est fait le chantre de cette voie de garage. Mais ses textes confus privilégient le bavardage spinoziste sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ce qui devrait suffire à le discréditer. Aurélien Bernier propose au contraire un discours clair qui permet de saisir la réflexion de toute cette mouvance. En 2014, il propose ses analyses dans son livre La gauche radicale et ses tabous.

Aurélien Bernier observe que les élections ne débouchent vers aucun succès de la gauche radicale. Même si son livre est publié avant l’arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce et le succès de Podemos en Espagne, son constat reste implacable pour la France. Le Front national et l’abstention semblent privilégiés. La gauche radicale n’oppose à la montée du Front national qu’un antifascisme moral devenu inefficace. « Elle répond au racisme par l’antiracisme, au nationalisme par l’universalisme, et ce à juste titre… mais elle ne répond pas à la cause principale à la montée de Jean-Marie Le Pen : la destruction de la souveraineté nationale par l’oligarchie financière », estime Aurélien Bernier.

Cet intellectuel propose alors une politique protectionniste et un renforcement de l’État-nation. Il regrette que le Parti communiste (PCF) abandonne cette défense de la souveraineté nationale. Il dénonce également le trotskisme et l’altermondialisme qui insistent sur la dimension internationaliste. Inversement, le Front National abandonne son libéralisme conservateur pour se lancer dans la dénonciation de l’Union européenne.
Gauche radicale face à l’Europe

Les élections européennes de 1984 marquent un tournant. Le PCF s’effondre tandis que le FN amorce son ascension. Le résultat est analysé comme conjoncturel par la presse d’extrême gauche. Le vote FN n’est qu’un avertissement. Tandis que les électeurs traditionnels du PC désapprouvent la participation du parti au gouvernement. Mais le phénomène semble, avec le recul, bien plus profond.

« Contrairement à ce que déclare le PCF, le Front national n’est pas créé par la droite, mais bien par le renoncement du Parti socialiste à mener des politiques de gauche », analyse Aurélien Bernier. Les socialistes acceptent le capitalisme et l’économie de marché. La politique du gouvernement socialiste se heurte au contexte de la crise et du libre-échange. Plutôt que de revenir à une politique protectionniste, le gouvernement décide un tournant de la rigueur en 1983.

En 1992, le traité de Maastricht prépare la monnaie commune. Le Front national abandonne son discours libéral d’affaiblissement de l’État pour dénoncer la perte de souveraineté nationale. La droite de Le Pen et Seguin prend la tête du combat contre le traité de Maastricht. En 1994, le Parti communiste de Robert Hue décide au contraire de se moderniser et accepte progressivement l’Union européenne. Les communistes ne défendent plus le prolétariat et la classe ouvrière, mais recherchent le rassemblement le plus large. Ils participent même à un gouvernement de gauche plurielle, entre 1997 et 2002, qui privatise de nombreux services publics. Aux élections présidentielles de 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour.

En 2005, un référendum sur le Traité constitutionnel européen est organisé. Le Front national abandonne définitivement ses lubies libérales pour affirmer un positionnement « antimondialiste ». La gauche radicale, au-delà de ses divisions, dénonce l’Europe libérale. Le traité est rejeté. Mais ses opposants de gauche se trouvent sans la moindre perspective politique. Pire, ils se tournent vers les soutiens du traité, notamment le Parti socialiste, dans l’espoir grotesque de réformer l’Europe.

En 2007, l’extrême gauche réalise toujours un score ridicule. Sarkozy est élu en reprenant la rhétorique sécuritaire du Front national. Il fait voter le traité européen de 2005, en changeant l’emballage, par les élus parlementaires. Marine Le Pen arrive à la tête du Front national en 2009. Elle reprend un discours national socialiste qui défend l’État-nation et dénonce l’euromondialisme.

La mascarade du nationalisme de gauche : Protectionnisme et chauvinisme

Le Front de gauche apparaît comme un cartel de partis de gauche radicale qui fait de bons scores électoraux. Il valorise la désobéissance européenne, mais sans traduire ce concept par des mesures concrètes. « Il faut donc s’empresser de reprendre au Front national ce que la gauche radicale n’aurait jamais dû lui abandonner », estime Aurélien Bernier.

En 1981, le Parti communiste de Georges Marchais placarde des affiches avec le slogan « Produisons français ». Un drapeau tricolore est même placé aux côtés du drapeau rouge. Contre le libéralisme économique, des mesures protectionnistes doivent permettre de défendre les emplois nationaux. Aujourd’hui, cette idée est laissée à l’extrême droite.

Le protectionnisme s’oppose au libre-échange. Il vise à réguler le commerce international par des taxes, des quotas et des règlementations. En 1957, la Communauté économique européenne (CEE) introduit une zone de libre échange. Cette politique libérale baisse les coûts de production et met les travailleurs des différents pays en concurrence.

En 1981, la gauche française au pouvoir met en œuvre une politique de relance par la consommation. Mais, sans mesure protectionniste, ce sont les produits des entreprises étrangères qui sont consommés. En 1983, face à l’échec de cette politique, Mitterrand décide un « tournant de la rigueur ».

L’extrême gauche propose des mesures classiquement réformistes et keynésiennes, mais sans le moindre protectionnisme. Ce qui condamne ce néo-réformisme à l’échec. Au contraire, une politique protectionniste empêche le chantage aux délocalisations et la fuite des capitaux. Ce cadre politique semble donc indispensable pour imposer la redistribution des richesses chère à l’extrême gauche. Ce protectionnisme n’empêche pas la coopération entre les peuples, en dehors du cadre marchand. Son refus moral par la gauche semble donc incohérent.

Sortir de l’Union européenne

Le cadre de l’Union européenne, fondé sur le libre échange et la concurrence, empêche toute forme de protectionnisme. La politique ne peut plus intervenir dans l’économie, sinon dans un sens libéral. La dévaluation monétaire pour relancer l’investissement et la production devient impossible. Mais la gauche et le Parti communiste abandonnent le discours souverainiste. Ils rêvent d’une autre Europe. Au contraire, Aurélien Bernier propose de sortir de l’ordre juridique et monétaire européen.

Le libre échange et l’Europe empêchent les États de mener des politiques de gauche pour les enfermer dans un carcan libéral. « Ces outils techniques et juridiques visent la fin de la souveraineté nationale sur les grandes questions économiques et sociales », estime Aurélien Bernier. Mais les écologistes et les trotskistes considèrent que les problèmes politiques ne peuvent se régler uniquement à l’échelle internationale. L’État national ne permet pas de lutter contre le capitalisme ou contre la destruction de la planète. Les trotskistes ne cessent de fustiger le chauvinisme du Parti communiste.

L’altermondialisme évoque le local et le global, mais délaisse l’échelon national. Au contraire, des personnalités comme Bernard Cassen ou Arnaud Montebourg avancent le concept de démondialisation. C’est l’État qui doit permettre le changement politique à l’échelle nationale. Aurélien Bernier se défend de tout chauvinisme. Il propose une souveraineté nationale, populaire et internationaliste. L’échelle de la politique se situe au niveau de l’État et de la Nation. C’est donc le point de départ indispensable. Mais les règles de la concurrence internationale doivent également changer.

Nationalisme de gauche

Aurélien Bernier a le mérite de proposer un discours clair et cohérent. Pour le combattre, le gauchisme moral semble moins efficace que l’analyse critique. Ce discours du souverainisme de gauche est emmené à se développer fortement, surtout au regard de la situation en Grèce. Des économistes comme Lordon ou Sapir, des intellectuels comme Emmanuel Todd, portent déjà ce discours avec un écho toujours plus important. Les antifascistes et les anarchistes tentent de s’y opposer. Mais de manière particulièrement maladroite et inefficace. Le site Confusionisme.info se spécialise dans la dénonciation morale de cette gauche souverainiste. L’anthropologue Jean-Loup Amselle fustige également les « nouveaux rouges-bruns ».

Au-delà de la vacuité de la disqualification morale, cette critique passe à côté de l’essentiel. Le nationalisme de gauche n’est pas confus. C’est au contraire une idéologie particulièrement cohérente qui prend racine dans un Parti communiste alors au sommet de son influence. Ce nationalisme de gauche semble plus cohérent que le prétendu internationalisme des trotskistes qui élaborent pourtant des programmes pour des élections nationales. L’analyse critique de cette gauche du capital semble plus pertinente que sa banale disqualification morale au nom d’un prétendu antifascisme.

Le nationalisme de gauche s’appuie sur l’État-nation. Une analyse marxienne peut permettre de montrer que la composition sociale de ce courant reflète ses intérêts de classe. Le nationalisme de gauche regroupe surtout la petite bourgeoisie d’État avec les cadres de la fonction publique. Il semble donc logique que cette composante de la population propose de donner un rôle central à l’État, donc à elle-même. L’influence intellectuelle de la petite bourgeoisie lui permet d’entraîner derrière la défense de ses intérêts une partie des classes populaires. Aurélien Bernier adopte, pour cela, un discours bien rôdé : l’État défend l’intérêt général. Dans le monde réel, ce sont surtout les cadres de la fonction publique qui bénéficient de l’État social, à travers leur emploi à vie évidemment mais aussi par la protection sociale et les mutuelles corporatistes. Cette analyse de classe du nationalisme de gauche peut permettre de lever sa part d’idéalisme et d’utopie pour le ramener à sa réalité matérielle.

Mais ce discours, bien que cohérent, révèle également certaines faiblesses argumentatives. L’Union européenne ne s’oppose pas forcément aux Etats. Sur le plan politique et institutionnel, ce sont les États qui prennent les décisions européennes. La France et l’Allemagne peuvent facilement s’affranchir de contraintes. Les gouvernements français, loin d’être de pauvres victimes, ont mis en œuvre la politique européenne. Le nationalisme, de gauche comme de droite, se contente de décrire l’Europe comme une entité métaphysique, alors qu’il s’agit d’une production des États.

Impasse réformiste

Aurélien Bernier insiste sur l’importance du changement par l’État, les élections et le gouvernement. Ce discours repose sur une absence d’analyse critique de la démocratie représentative. Ce régime repose sur la séparation entre gouvernants et gouvernés. Seule une même classe dirigeante se partage le pouvoir. Évoquer une souveraineté populaire à travers l’État-nation relève de la blague. Les élections n’ont jamais permis le moindre changement. En revanche, Aurélien Bernier ironise sur l’échec des luttes sociales. Pourtant ce sont bien les mouvements de contestation, et non la générosité des États, qui ont permis les réformes sociales majeures.

Enfin, Aurélien Bernier ne fait que renouveler la vieille social-démocratie avec toutes ses illusions. La sortie de l’euro ne change rien aux rapports d’exploitation et de domination. Les conditions de vie des classes populaires ne vont pas s’améliorer avec le retour au franc ou à la drachme. Aurélien Bernier nous dit : ce n’est qu’une étape indispensable mais nécessaire pour permettre une rupture avec le capitalisme. L’histoire du mouvement ouvrier montre malheureusement que les étapes sont amenées à s’éterniser, sans améliorer la vie quotidienne des exploités. Un État renforcé ne peut pas dépérir, mais risque de continuer son rôle de maintien de l’ordre social et politique.

Là aussi, l’analyse de l’État semble courte. Un État-nation n’est pas une transcendance métaphysique comme le prétendent les souverainistes. C’est une administration, une organisation hiérarchisée, une logique bureaucratique et un fonctionnement autoritaire. Dans ces conditions, le « pouvoir au peuple » ne risque pas de passer par un renforcement de l’État. De toute manière Aurélien Bernier propose surtout de rompre avec l’Europe, mais pas vraiment avec le capitalisme et la logique marchande. Il reprend le vieux discours keynésien d’une régulation du commerce international et d’une relance économique. Il propose d’aménager l’exploitation avec la consommation de produits fabriqués en France, mais pas de dépasser le capitalisme pour ouvrir d’autres possibilités d’existence. "