Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

En Bretagne, un week-end pour casser du jeune
Article mis en ligne le 28 juin 2021
dernière modification le 27 juin 2021

par siksatnam

Une blessure de guerre au teknival des musiques interdites, une fête de la musique noyée sous les gaz, et entre les deux, des remontrances contre cette jeunesse qui ne va pas voter. En quelques jours, la bourgeoisie s’est surpassée en crasses. Désinhibée par une période de restrictions des libertés, elle a montré tout son potentiel dans ce qu’elle sait faire de mieux : mépriser, heurter, mater.

Vendredi dernier, mon pote m’appelle. « Salut Yoann, je suis désolé de te déranger, mais... Je suis à Redon... Vraiment désolé de te demander... Tu peux venir me chercher ? C’est un carnage ici, ça tire de partout. » Mon cœur s’emballe. Je demande ce qu’il se passe. Il se passe qu’ils ont lâché les chiens. Des centaines de casqués sont en train de noyer sous les gaz un rassemblement festif, le « teknival des musiques interdites ».

Prétextant la violation d’une propriété privée, le non-respect du dernier soir de couvre-feu, un attroupement de plus de dix personnes, qu’importe le prétexte. La priorité est au dégagement, manu militari, d’une jeunesse qui s’amuse. Il faut heurter leur chair, que ça ne leur reprenne plus de danser librement dans un champ, de s’organiser en autonomie pour faire valoir leur droit à la fête, la free party, minorée et illégitime, musique « bruyante et sale », comme le punk naguère, mépris intemporel de la bourgeoisie pour la culture populaire.

« J’ai vu le mec se faire souffler sa main », me dit mon pote, avec cette voix pétrie de peur que je n’ai jamais entendue de sa bouche. Merde, ça aurait pu être lui, ça aurait pu être ma sœur, ça aurait pu être moi. Un gars de mon âge s’est fait mutiler par une grenade. 22 ans. « J’étais à l’avant, les gens tombaient comme des mouches, il y a plein de blessés. » Mon pote finit finalement par s’extraire de la zone dévastée.

Les journalistes n’ont pas pu accéder à l’évacuation militaire. Mais toute la journée, des photos et vidéos amateurs circulent. « Heureusement qu’on a filmé… » se rassure-t-il.

Du matériel de son, censément saisi provisoirement, s’est fait défoncer par les bleus. S’en sont donné à cœur joie, matraques empoignées, lâchés dans l’arène, à perforer des baffles, à déchirer des bâches, à détruire des tablettes de mixage et des PC. Du matériel acheté grâce à la sueur de jeunes qui voulaient faire de la musique leur vie. Qui enchainent des jobs de misère en intérim, des saisons agricoles, pour se payer une tablette de mixage, pour faire danser des gens, pour se professionnaliser dans la musique et dans l’organisation d’événements.

Ambitions réduites à néant par cette horde de gros bras, incontrôlables, pitoyables, inquiétants.

J’aimerais connaître les mots de celui qui a donné cet ordre. J’imagine quelque chose comme : « défoncez tout, ras-le-bol de ces petits merdeux ». La loi n’a pas cours pour ces gens d’armes. Ils ne la connaissent pas, ils ne l’appliquent pas. La raison aussi s’est absentée. Mais la psychologie de ces âmes perdues est le dernier de mes soucis. L’important est la direction du vent, le donneur d’ordre. Ce jour-là, cette nuit-là, il fallait mater ces jeunes. Il fallait les faire chialer, les faire taire, les traumatiser.

« Je n’ai jamais vu autant de gens dans le mal, à pleurer. Je crois que je vais faire une psychothérapie, je n’arrête pas d’y penser. »

Comme chaque fois, le même constat : c’est l’intervention des forces de l’ordre qui a créé un monstrueux désordre. Et comme à chaque fois, ils eurent beau jeu de justifier leur action en pointant la réaction qu’ils ont attisée.

Quoi de plus légitime que la violence réactive de jeunes qui s’en prennent chaque jour plein la gueule, de l’école jusqu’au monde du travail, et depuis toujours dans les free parties, recoins où l’on vient s’échapper d’un quotidien gris et miné. Quoi de plus légitime que de défendre cette intelligence collective, celle qui permet de créer un festival avec les moyens du bord, de se faire plaisir grâce à ses seules mains, cette fierté de construire ces moments de répit, de rencontre, de joie, en dehors du monde de la fête marchande. Quoi de plus légitime que de renvoyer la pierre à ceux qui canardent une fête, qui gazent, qui grenadent à l’aveugle.

Le plus sinistre dans cette affaire, c’est que l’évènement réprimé avait une portée symbolique. Le « teknival des musiques interdites » entendait rendre hommage à Steve, mort noyé il y a deux ans, lors de la fête de la musique, après une intervention policière invraisemblable, salement violente, banalement violente. Je me rappelle, j’étais rentré plus tôt. Des potes à moi y étaient. Ça aurait pu être eux, ça aurait pu être moi.

Voilà une bourgeoisie qui ne se tient plus sage du tout, qui ne veut plus s’encombrer de pacification ou d’aménagement. Qui ne veut pas négocier. Voilà la bourgeoisie crasse, conservatrice, camée d’autorité jusqu’à en frissonner de plaisir. Juste anéantir. Anéantir les mouvements sociaux, anéantir les classes populaires, anéantir les cultures qu’elle déprécie, anéantir la jeunesse prolo, et l’accabler quand elle ne vote pas.

C’est la double peine lorsque cette bourgeoisie invite ses sujets, gendarmes en chef de la boucherie, s’étaler de plateaux en plateaux pour justifier l’injustifiable, pour flatter les pulsions d’ordre des téléspectateurs égarés. C’est la triple peine, le lundi qui suit, à Nantes, quand une marche d’hommage à Steve, deux ans après le drame, se fait harceler par un dispositif policier démesuré, dans la grande tradition nantaise. BAC, CRS, compagnies départementales d’intervention, gendarmes mobiles, hélicoptère, canon à eau, toutes les troupes sont venues donner du cœur à l’ouvrage : pourrir la fête de la musique, surtout celle qui parle de politique.

Et vient la punition collective, comme d’habitude

Ce lundi soir, la marche se dirige vers le lieu de la charge funeste, quai Wilson. Ce secteur de l’île de Nantes est bouclé par la police depuis plusieurs jours, pour empêcher toute commémoration. L’accès au lieu est finalement « gracieusement autorisé » à la famille de Steve par la maréchaussée. Puis retour vers le centre de la Cité des Ducs, on veut profiter de la fête, danser, conjurer la colère. Un camion sono s’immisce dans le cortège pour cracher quelques décibels bien mérités.

Et vient la punition collective, comme d’habitude. Un millier de palets de lacrymogènes intoxiquent les rues, noyant toute perspective d’amusement. Dans la sixième ville de France, le jour de la fête de la musique, des gens venus se retrouver et danser sont en train de cracher leurs poumons. Toutes les terrasses alentour, pleines à craquer, plient bagage dans la précipitation. Des grenades explosives, celles-là même qui mutilent, sont tirées dans la foule, au hasard du brouillard des gaz. Le cortège se déforme, mais se reforme, et performe, jusqu’au bout de la nuit. La colère est ravivée, la fête n’est pas entièrement gâchée.

La veille, des gens inconséquents, abêtis par leurs privilèges de classe, avachis sur leur tabouret d’éditorialiste, d’expert en démocratie, de politicien artificier, se relayaient pour disserter sur l’abstention des jeunes aux élections départementales et régionales.

Certains se proposaient de faire du porte-à-porte pour leur expliquer la République, la citoyenneté, et autres concepts usés par ceux qui en ont fait des totems creux, pour nous pousser au cul des urnes. Mais que peuvent les départements et les régions quand ce sont les préfets, nommés en conseil des ministres, qui annihilent tout espace de liberté non contrôlé et non marchand ? Rien. Du bricolage pour rendre supportable nos existences quadrillées et moroses. Notre salut ne se trouvera jamais dans un vote qui croit nous appâter avec des tarifs réduits sur le TER, portés par des transfuges de LREM devenus écologistes, opportunistes (suivez mon regard).

Ce week-end fut exemplaire en mépris. La bourgeoisie s’est déchaînée.

« Paradoxalement ça a créé de la solidarité, je n’ai pas arrêté de parler avec des gens. On est encore plus déterminé. » L’émancipation individuelle viendra de cette force collective à faire face, à combattre la violence de la bourgeoisie, ses rituels répressifs, son conservatisme culturel. Celle qui exploite toute l’année des jeunes prolos, et qui défonce en prime ses espaces de liberté élaborés artisanalement. Aucun candidat électoral ne conçoit qu’une teuf soit le lieu de l’organisation politique. Qu’un espace de liberté autonome, auto-organisé, contraigne à pratiquer la politique autrement plus puissamment qu’en allant voter.

Yoann Compagnon