Deux membres de Bérurier Noir, groupe phare du rock alternatif français des années 80, viennent de céder leur fonds d’archives très complet au département musique de la BNF. Avec ce don, le punk entre pour la première fois au sein de cette institution qui entend rompre avec son image de temple élitiste dédié à la musique classique.
Jeudi 17 juin 2021, le punk a fait son entrée à bas bruit, sans boîte à rythmes ni trompette, dans les murs prestigieux du département musique de la BNF. Un don exceptionnel constitué de vingt-deux cartons de documentation, sept cartons à dessin, six caisses de costumes et d’accessoires, témoins de l’aventure du groupe français Bérurier Noir, phare du rock alternatif français des années 80, s’est enfin frayé une place aux côtés de la "musique savante".
C’est Benoît Cailmail, adjoint au Directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui a contacté directement François Guillemot dit Fanfan, co-fondateur de Bérurier Noir, en vue de recueillir d’éventuelles archives, "parce que c’est un groupe qui a incontestablement marqué l’histoire musicale française". Et il n’a pas été déçu.
Des archives très complètes
"Pour dire les choses franchement, je m’attendais à une boîte à chaussures avec deux photos et trois bouts de papier, et même cela aurait été bon à prendre. Là, quand j’ai découvert chez François Guillemot à Lyon la vingtaine de cartons et ce qu’ils contenaient, j’ai été agréablement surpris", se souvient Benoît Cailmail, joint par téléphone.
Cet ensemble exceptionnel en très bon état de conservation constitue en effet une précieuse mine d’informations pour tous ceux qui chercheraient, aujourd’hui comme demain, à remonter le temps et le fil des inspirations politiques, philosophiques et culturelles bérurières. Elle renseigne avec une incomparable précision sur le terreau d’où est née cette furieuse et flamboyante aventure collective punk, qui a entretenu durant toute son existence la flamme Do it Yourself (Faites-le Vous-mêmes) et refusé toute forme de compromis.
Ce fonds s’adresse à tous
Si vous faites partie de ceux, nombreux, à avoir pogoté et braillé en chœur dans les années 80 sur les hymnes minimalistes révoltés de Bérurier Noir, ces Salut à Toi, Petit agité, Porcherie ou Vive Le Feu, vous connaissez le contexte. Mais qu’en sera-t-il des chercheurs, documentaristes, romanciers, cinéastes ou journalistes qui voudront se pencher sur le mouvement rock alternatif français dans 10, 50 ou 200 ans ? Et quand bien même vous avez scandé fièvreusement "la jeunesse emmerde le Front National" avec les Bérus, que savez-vous des inspirations graphiques de Fanfan ou de son intérêt marqué pour l’Asie ? C’est tout l’intérêt de ce fonds de s’adresser à tous, et pas seulement aux musicologues.
C’était d’ailleurs le but de la démarche de Benoît Cailmail : "rappeler à tous que le département de la musique de la BNF n’est pas consacré qu’à la musique savante. Il est le département de toutes les musiques. Tout ce qui a participé à la création musicale en France a vocation à venir enrichir nos collections", insiste-t-il. Car l’institution cherche aujourd’hui à rompre avec son image de temple réservé à une élite.
François Béru, devenu chercheur au CNRS, avait tout conservé
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, François Guillemot, alias Fanfan ou François Béru mais aussi FanXoa, cofondateur de Bérurier Noir avec Loran, est aujourd’hui historien et chercheur au CNRS. En tant que tel, il est particulièrement sensible à la conservation et à la transmission d’un patrimoine culturel, en l’occurrence celui de la scène rock alternative française des années 80, à laquelle il a activement participé.
Le fonds qu’il a cédé au département musique de la BNF, et auquel s’est joint Masto, saxophoniste et photographe de Bérurier Noir, couvre ses activités culturelles et musicales de 1977 à 2020, y compris les labels Division Nada et Folklore de la Zone Mondiale. Mais il concerne essentiellement les différents groupes dans lesquels il a "officié principalement en tant que chanteur et graphiste", de Béruriers aux Anges déchus en passant par Bérurier Noir et Molodoï.
Brouillons de chansons, documents politiques, photos, costumes de scène...
Que trouve-t-on précisément dans ces 22 cartons ? "Ils contiennent aussi bien des carnets de brouillons de chansons que des partitions, aussi bien des dessins qui ont servi à la confection d’affiches et de pochettes de disques qu’une riche documentation culturelle et politique (NDRL "squat, prisons, luttes alternatives, anarchisme, antifascisme, karaté, cinéma japonais...", détaille François Guillemot sur son site Fanxoa). On y trouve également un fonds de 1500 photos prises soit par les membres de Bérurier Noir, Masto en premier lieu, soit par des fans et conservées par le groupe", nous apprend Benoît Cailmail.
Autres trésors : les malles qui abritaient tout l’attirail théâtral et circassien (costumes, masques, faux nez de cochon, crocs de boucher) dont se servaient les membres de Bérurier Noir sur scène et qui contribuaient à faire de leurs concerts survoltés des happenings inoubliables, du premier à l’usine Pali-Kao (Paris 20e) en 1983 jusqu’aux trois dates à Olympia qui marquèrent en fanfare leur dissolution en 1989.
La bonne nouvelle c’est que François Guillemot projette de faire une présentation détaillée du fonds lors d’une journée d’étude Bérurier Noir en 2022. Organisée par le PIND (Punk Is Not Dead), un laboratoire de recherches consacré à l’histoire du punk, elle ne se fera pas en lien avec la BNF. En revanche, le département musique de la Bibliothèque Nationale n’exclut pas de proposer un jour une exposition autour de la scène alternative française. De notre point de vue, le plus tôt sera le mieux. Elle démontrerait, comme le pointe François Guillemot, que la "musique alternative" n’est pas moins savante sur le plan des idées que la musique dite "savante".
Laure Narlian
France Télévisions
Rédaction Culture