Voilà que ça recommence. BHL publie un livre sur les aventures de BHL, accompagné d’un film de BHL sur BHL (1). Aussitôt France Inter (27 avril 2021), Europe 1 (6 mai), France Culture (26 mai), L’Express (29 avril), Le Point (29 avril), L’Obs (10 juin), Le Journal du dimanche (2 mai), Libération (10 mai), France 2 (29 mai), RMC-BFM (21 mai), Canal Plus (22 juin), etc., lui abaissent le marchepied.
Paris Match (10 juin) célèbre en couverture l’ouvrage, composé de reportages parus dans… Paris Match, et mène sur l’intrépide reporter une enquête digne du prix Pulitzer : « BHL ne nage que le papillon, plus éprouvant et plus esthétique que le crawl, même dans sa piscine à Marrakech, où deux magnétophones l’attendent, un à chaque bout du bassin. Il sort la tête de l’eau, dicte une phrase, replonge. » Sitôt ces fulgurances reliées et ventilées en librairies ou sur écran s’ébranle la procession des tributaires, débiteurs en louanges auprès du génie multimédia. Dans Marianne (4 juin), l’essayiste Caroline Fourest recommande un long-métrage « superbement réalisé » : « Haletant, vibrant d’universalisme, il donne le tournis à force de courir d’avions en blindés, sur tous les fronts de nos amnésies. Des images rares et nécessaires », « des images iconiques, d’une force sublime ». Heureux hasard, BHL avait adoré la fiction grandiloquente de Caroline Fourest, Sœurs d’armes : « Je n’ai pas ressenti depuis longtemps pareille émotion à la vision d’un film de cette sorte » (Le Point, 10 octobre 2019). « Je précise que le film est formellement très beau. Il est admirablement cadré, éclairé, monté, joué. » Mais, pressentait-il, le succès ne serait que d’estime : « On me dit que les exploitants de salles sont d’ores et déjà intimidés par sa puissance tragique. »
Ce système repose sur une armée d’obligés. Président du conseil de surveillance d’Arte depuis vingt-huit ans, directeur de revue, éditeur chez Grasset, membre du conseil de surveillance du Monde, BHL sait mieux que quiconque repérer un ambitieux frustré, un auteur en difficulté, un journaliste fâché avec ses amis politiques. Il le complimente dans une chronique, l’invite au Café de Flore, le promeut, le publie. La vanité est le talon d’Achille des intellectuels. Comme le corbeau de La Fontaine, tous ouvrent un large bec…
Aux oblats qui lui doivent tout, BHL pardonnera tout. À l’été 2019, L’Express (26 août) révélait le passé négationniste et raciste de l’écrivain Yann Moix. Collaborateur dans les années 1990 d’un fanzine antisémite, l’actuel chroniqueur de l’émission « Balance ton post ! » sur C8 s’amusait à faire le salut nazi dans un camp de concentration. « La Shoah nous mettait en verve ! », explique-t-il (Paris Match, 20 mai 2021). D’ordinaire prompt à disqualifier ses adversaires idéologiques en leur collant sans le moindre fondement l’étiquette d’antisémites (2), BHL avait cette fois pris la plume pour accorder son « pardon » à l’ex-admirateur d’Adolf Hitler. « Il est juste, jugeait-il, de lui tendre loyalement la main et, si on le peut, de l’accompagner » (Le Point, 1er septembre 2019). Une telle indulgence pour des comportements qui-rappellent-les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ne se conçoit qu’au bénéfice d’un affidé. Justement, Moix ne rate jamais une occasion de rendre hommage à « BHL, qui m’a donné ma chance quand je suis arrivé à Paris ». C’est dans Paris Match (29 avril 2021) qu’il chante le dernier essai de son rédempteur : « Un homme, moqué pour ses chemises recouvrant la peau qu’il a manqué cent fois de se faire trouer, nous aura prévenus. Cet homme, n’en déplaise à ses contempteurs amateurs de sofas mous, s’appelle Bernard-Henri Lévy. Il n’en restait qu’un — il était celui-là. »
« Un », et sa brigade de passe-plats.
Pierre Rimbert