Demain Le Grand Soir
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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Jérôme Laronze, paysan mort pour avoir dit non à l’agriculture industrielle
Article mis en ligne le 8 octobre 2021
dernière modification le 24 septembre 2021

par siksatnam

L’éleveur Jérôme Laronze a été tué de trois balles tirées par un gendarme en mai 2017. Il fuyait les représentants d’une administration au service, selon lui, de l’industrialisation de l’agriculture. Enquête

Voilà plus d’un an, Reporterre vous a raconté comment Jérôme Laronze, un paysan de 37 ans, a été tué par un gendarme le 20 mai 2017 à Sailly, en Saône-et-Loire. Trois balles l’ont atteint, une de côté et deux de dos, alors qu’il s’échappait au volant de sa voiture. Il était recherché depuis le 11 mai 2017 : ce jour-là, l’administration venait lui retirer ses vaches et il avait pris la fuite. Le gendarme a été mis en examen pour violence avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Comment en est-on arrivé là ? L’histoire tragique de Jérôme Laronze mêle crise agricole et violence policière. Elle questionne, pour le moins, sur l’attitude de l’État et de son administration face à un monde agricole en crise. Reporterre a longuement enquêté sur cette affaire et vous la présente en trois volets.

Ce premier article fait le portrait de Jérôme Laronze.

Sailly (Saône-et-Loire), reportage

Quand ceux qui l’appréciaient évoquent Jérôme Laronze, on comprend qu’il était un homme que l’on n’oublie pas. Grand et costaud, il pouvait impressionner. Son léger accent bourguignon laissait transparaître l’origine paysanne. Pourtant, « il faisait un peu tache dans ce monde rude de l’agriculture, raconte son amie Lydie Laborrier, qu’il avait rencontrée dans un cours de théâtre. On discutait art, culture, musique. Il avait un parler assez riche, c’était son arme. »

C’est d’ailleurs de leurs longues conversations avec lui dont se souviennent ses proches. « On passait des après-midis sur le mur du jardin à parler de littérature, de théâtre, d’Orwell », se souvient sa jeune cousine Lucie Aubœuf, aujourd’hui en prépa littéraire. Avec certains voisins, la discussion partait plutôt sur les greffes dans le verger. Sébastien et Bernard Descaillot, qui tiennent le restaurant du Midi à l’entrée du village de Trivy (Saône-et-Loire), versaient avec lui dans la politique, évoquant le prix du bœuf et les filières agroalimentaires : « Sur l’État, le système, les mots étaient crus mais jamais violents. Ce garçon était tellement tendre et gentil qu’on peut regretter 10.000 fois sa mort », dit le père, Bernard. Il était « toujours prêt à rendre service », rapporte-t-on souvent de Jérôme. La blanquette de veau de ce bon vivant reste dans les mémoires de nombreux convives des repas des pompiers volontaires — dont il faisait partie — et des fêtes paysannes.

Perchée en haut d’une colline de Saône-et-Loire, surplombant le village de Trivy, la ferme de Jérôme Laronze est désormais gardée par deux jeunes chats, qui tiennent compagnie à un autre Jérôme, le beau-frère. Marié à Marie-Noëlle, l’une des sœurs de Jérôme Laronze, il a accepté le pari de faire revivre la ferme familiale.

Celle-ci est parsemée d’objets fabriqués ou réparés par son ancien propriétaire. Les tracteurs, vieillissants et maintenus en vie par ses soins ; une mosaïque représentant un chat installée en souvenir d’un félin qui aimait le regarder depuis la fenêtre ; le mur du potager entièrement rebâti… Et, surtout, les volets de la maison et de l’étable, d’un bleu ciel éclatant. Jérôme Laronze avait tout poncé et repeint, terminé le chantier peu de temps avant sa mort. Il avait même rendu leur ponceuse aux voisins le jour du contrôle du 11 mai 2017. Comme s’il avait pressenti son destin et voulu tout laisser en ordre. « C’était un humaniste au sens du XVIe siècle, un homme accompli, toujours à la recherche d’authenticité », résume la plus grande de ses sœurs, Martine. Finesse d’analyse, esprit critique acéré et grande sensibilité. Mais le colosse avait des pieds d’argile.

« Il était atypique, il dérangeait. »

Jérôme Laronze est né en 1980 et a presque toujours vécu dans la ferme exploitée par sa famille depuis le XIXe siècle. Petit dernier, il était le seul fils après quatre grandes sœurs. Voulait-il vraiment reprendre l’exploitation familiale ? Il aurait pu être bien autre chose que paysan, s’accordent à dire ceux qui l’ont connu. Ses sœurs, qui ont toutes suivi des études supérieures, ne voulaient pas qu’il se sente obligé. « Mais, dans le milieu agricole, beaucoup de choses sont implicites. En même temps, un travail indépendant, proche de la nature, lié à l’alimentation, c’était une vocation pour lui », avance Martine. « Peut-être pas dans ce contexte. »

Esprit libre, Jérôme Laronze n’a pas suivi le modèle classique des exploitations agricoles du coin. Il aimait se renseigner, aller à des conférences et, tous les ans, chercher des innovations au Sommet de l’élevage. En plein cœur du pays charolais, il a préféré — comme son père — les limousines brunes, réputées plus résistantes. Il a choisi le « plein air intégral » — il ne rentrait pas les vaches l’hiver — à une époque où cette pratique était marginale. Il a tenté la vente directe. Il faisait des mélanges de plantes dans ses champs plutôt que de la monoculture, prônait l’autonomie plutôt que la dépendance aux intrants — engrais chimiques, semences non reproductibles et pesticides — achetés à prix d’or à la coopérative. Dans les années 2010, il avait converti sa ferme en agriculture biologique.

Autant de pratiques dénigrées par les agriculteurs alentour. « Il me disait “tu vois, ils se moquent mais dans quelques années ils feront comme moi”, raconte un proche préférant rester anonyme. Désormais, ils sont trois à avoir des limousines au village, et ont repris certaines techniques de culture. » Jérôme était sans doute jalousé — il avait l’une des plus belles fermes de la commune. « Tout le monde voulait ses hectares, assure Bernard, au restaurant du Midi. Et puis, ils lui en voulaient de ne pas vacciner ses bêtes », ajoute son fils Sébastien. Si Jérôme était loin d’être seul dans la vie — famille et amis sont nombreux —, il détonnait dans le monde agricole local.

Comble de la provocation, il n’adhérait pas au tout-puissant syndicat majoritaire, la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles). Il lui préférait le petit Poucet alternatif, la Confédération paysanne, où il avait pris sa carte en 2014 et dont il avait été nommé co-porte-parole départemental en février 2016. Fort de son aisance orale, Jérôme exposait souvent ses idées en public, comme lors d’une conférence gesticulée à l’occasion de la fête paysanne annuelle du syndicat d’août 2015. « N’allez pas croire que l’objectif de l’industrie alimentaire est de nourrir les gens. C’est le profit », y dénonçait-il. « Ici, les autres éleveurs riaient de ses conférences, témoigne un proche. Il était atypique, il dérangeait. »

Quand viennent « les gens en armes »

Mais plus le paysan dénonçait le système agricole classique, plus il s’en sentait prisonnier. La ferme ne tournait plus tout à fait rond. L’éleveur délaissait la paperasserie. À quoi bon satisfaire aux exigences d’un système administratif que l’on juge absurde ? En septembre 2014, les agents de l’Agence des services de paiement (ASP) vinrent le contrôler. Ils lui reprochaient de ne pas avoir « notifié » à temps la naissance de 45 bovins. « Les veaux étaient “bouclés” [ils portaient aux oreilles des boucles numérotées], mais ils n’étaient pas déclarés et inscrits dans les registres de l’administration », précise Marie-Pierre, l’une des sœurs de Jérôme.

L’information de ce manque de « traçabilité » fût transmise à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). Au tout début de l’année 2015, elle demanda à l’éleveur, pour prouver la filiation des bêtes, d’effectuer des tests génétiques à ses frais. Jérôme refusa. « Il leur disait que ses veaux avaient déjà des numéros, il suffisait de les reporter sur un registre », explique Marie-Pierre. À partir de ce début d’année 2015, une succession d’actes administratifs a commencé à s’abattre sur le paysan.

« La DDPP me submergera de menaces, de mises en demeure, d’injonctions, d’intimidations et de contrôles sur ma ferme avec, à chaque fois, toujours plus de gens en armes alors que j’ai toujours étais [sic] courtois et jamais menaçant », relate l’éleveur dans ses Chroniques et états d’âmes ruraux, texte de six pages écrit peu avant sa mort. Dans ce témoignage de sa révolte face au système agricole, Jérôme Laronze dénonce « une réglementation dont la genèse est un roman noir à elle seule (farine animale/vache folle) et qui n’évite pas les lasagnes à la viande de cheval ». Il y souligne les contradictions de l’administration. Alors qu’on lui reprochait des vaches non identifiées au nom de la traçabilité, il rappelle que le supermarché local a, « en juillet 2015, (au plus fort de la crise de l’élevage) fait une promotion sur la viande d’agneau, en arborant au rayon boucherie un ostentatoire panneau de cinq mètres carrés, avec la mention “agneaux de Bourgogne” alors que la viande fraîche était irlandaise et la surgelée néo-zélandaise. » Pour Jérôme, les contrôles pouvaient même être responsables de suicides « très vite étouffés par l’administration et la profession ».

Face au paysan, la réponse de la DDPP ne se fit pas attendre. Dès février 2015, elle lui interdit tout « mouvement » sur l’ensemble du cheptel (et pas seulement les bovins mal identifiés) et lui confisqua les papiers des animaux : l’éleveur ne pouvait plus les vendre. L’administration le menaça ensuite de faire abattre les bêtes non identifiées s’il ne rentrait pas dans le rang. « La sanction était démesurée ! » dénonce la sœur. Les informations récoltées par Reporterre indiquent au moins deux passages des agents à la ferme cette année-là. D’abord, en mars 2015. « L’administration a reproché à Jérôme une opposition à un contrôle, car il n’avait pas mis tout son bétail en contention. Il n’avait été prévenu que 48 heures avant, c’était impossible pour lui tout seul de le faire dans ce délai ! relève encore Marie-Pierre. À l’issue de ce contrôle, ils ont instruit un dossier contre Jérôme. »

Il semble que la DDPP soit revenue en juin 2015. Elle releva alors un taux de mortalité élevé — deux carcasses dans les champs de jeunes bovins considérés comme mal nourris, selon le Journal de Saône-et-Loire. Le quotidien relatait en avril 2016 le procès qui suivit, et qui se tint en l’absence de Jérôme. Le journal évoquait « un éleveur de Trivy » condamné à 5.000 euros d’amende et à trois mois de prison avec sursis. « J’avais découpé l’article, se souvient Lucie, la cousine de Jérôme. Il y avait l’idée qu’à la ferme, ça se passait pas top, mais c’était abstrait. »

Silence de Jérôme, fracas des animaux

À la suite des mesures de l’administration, Jérôme commença à délaisser les vaches en sursis. « Il devait les garder à l’étable, car l’administration pouvait à tout moment venir les chercher pour les abattre. Cette idée lui était insupportable », raconte Marie-Pierre. L’autre partie du cheptel était en bon état mais certains actes obligatoires de surveillance vétérinaire n’étaient pas effectués, ou alors en retard. Le blocage de l’ensemble des bêtes rendait l’entretien du troupeau plus difficile. Il entraîna naturellement une augmentation du cheptel [1] alors qu’il n’y avait plus les rentrées financières permettant de payer les actes vétérinaires ou de compléter les stocks de fourrage, insuffisants en raison de la sécheresse.

Ses collègues de la Confédération paysanne s’inquiétèrent au printemps 2016. La fille de l’un des adhérents, Bernard Taton, vacataire à la DDPP, avait vu le nom de Jérôme en rouge sur le tableau des agriculteurs à contrôler. « On s’était dit que la première chose à faire était d’aller lui demander sa version », se souvient Agnès Vaillant, salariée du syndicat en Saône-et-Loire. Ils y allèrent avec Bernard, mais repartirent sans réponse.

Jérôme ne parlait pas de ses problèmes. Et l’administration poursuivait sa logique. Elle revint donc, le 6 juin 2016, « avec encore davantage de gens en armes, qui m’encerclèrent immédiatement », raconte-t-il dans ses chroniques. De nouveau, il n’avait pas eu le temps de rassembler les animaux. Les agents de la DDPP durent, pour les recenser, aller dans les pâtures. « Arrivant dans un pré où paissaient plus de vingt bovins, les agents de la DDPP eurent fantaisie de les serrer à l’angle d’une clôture en barbelé et d’un ruisseau puis, ont débuté la vocifération du matricule des animaux, qui, eux même [sic] paniqués par la meute hurlante, se sont précipités dans le ruisseau avec un fracas extraordinaire. » Cinq bovins moururent des suites de l’incident, déplorait le paysan.

Au même moment, la Confédération paysanne entrait en contact avec la DDPP, qui lui livrait une autre version. « L’agent que j’ai eu au téléphone m’a raconté que, lors du contrôle du 6 juin, Jérôme n’avait parqué aucune bête et qu’il fallait absolument le terminer, sinon ça se passerait mal, se souvient Agnès Vaillant. Mais il ne m’a pas parlé des bêtes mortes. » Voulant aider, les syndicalistes se rapprochèrent des sœurs Laronze.

Un nouveau contrôle eut lieu le 22 juin 2016. Cette fois-ci, Jérôme n’était pas seul. Marie-Pierre, sa sœur avocate, était présente, ainsi que Marc Grozellier, porte-parole avec Jérôme de la Confédération paysanne départementale, et Agnès Vaillant. Cette dernière fut marquée par la vingtaine de bovins retenus à l’étable depuis plusieurs mois : « Il y avait des bêtes maigres qui avaient une tête disproportionnée par rapport au corps. »

Marie-Pierre, elle, fut révoltée par la présence des gendarmes ; elle en dénombra au moins six – les deux gendarmes locaux, assistés d’au moins quatre hommes en noir du PSIG (Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie). « Ils se tenaient à l’entrée de l’étable, avec leurs fusils mitrailleurs. J’ai dû négocier pour qu’ils quittent les lieux car leur présence créait une grande tension, sur Jérôme et les animaux notamment. » La suite du contrôle se passa sans incident. « On a tout remis à plat, à la fin du contrôle, il ne restait plus que les tests ADN à effectuer », poursuit Agnès.

Coup de grâce

Tout l’été, Marie-Pierre négocia à coups de courriers avec la DDPP : « À la fin, [la Direction départementale de la protection des populations] a levé la restriction de mouvement et nous a envoyé assez rapidement les passeports des bovins. » Jérôme aurait pu repartir du bon pied… Mais il manquait encore les « cartes vertes » des animaux, nécessaires à la vente. Marie-Pierre chercha l’explication, découvrit qu’une facture était en souffrance auprès de l’organisme chargé de délivrer ces papiers. « Le jour même où j’ai voulu la régler, ils m’expliquaient que c’était trop tard et qu’ils envoyaient quand même l’huissier, se souvient la sœur. Je m’arrachais les cheveux, et Jérôme me répétait que l’administration ne tenait pas sa parole. »

Pour l’éleveur, ce fut le coup de grâce. À partir de l’automne 2016, lors des réunions à la Confédération paysanne, Jérôme Laronze fit part d’un sentiment de persécution et proposa de lancer des actions en partant de son cas. Mais ses collègues pensaient qu’il devait surtout se concentrer sur sa ferme, s’occuper de lui, et lui demandèrent de quitter le porte-parolat.

Le grand blond s’assombrit. Il était déçu par son syndicat et s’éloignait de sa famille, confia-t-il à certains. Au même moment, il s’intéressait à l’association Terre & Famille, mêlant histoire médiévale, catholicisme et défense du terroir, qui développait un discours sur les paysans accablés par l’administration. Physiquement aussi, Jérôme changeait : il ne taillait plus sa barbe et se rasait les cheveux.

Son seul bol d’air était le théâtre, où il rencontra Lydie. Ses partenaires de répétition ne voyaient toujours que le paysan espiègle et cultivé. « Quand il arrivait au théâtre il avait la pêche, le sourire, personne ne soupçonnait ses problèmes », assure-t-elle.

Mais quand il rentrait à la ferme alors qu’il faisait nuit, les ennuis étaient toujours là. Les dernières cartes vertes n’arrivèrent qu’en décembre 2016, bien trop tard. Bernard, le restaurateur, passait parfois : « Les tables étaient couvertes de papiers. » Jérôme n’ouvrait plus ses courriers, ne signalait plus naissances et décès des bovins. Une photo de vache morte dans l’un de ses prés fut envoyée à l’administration. Marie-Noëlle se souvient : « Il m’avait dit : “Je veux qu’ils sentent l’odeur pour qu’ils se disent que quelque chose ne va pas.” »

Pour se défendre, là encore, il fit appel aux mots et confiait, le 2 mai 2017, lors d’une réunion de la Confédération paysanne, qu’il « fai[sait] des écrits ». « Il a dit “ça va péter” », se souvient Agnès Vaillant. Il parlait de ses Chroniques et états d’âmes ruraux.

Le 11 mai 2017, les agents revinrent, encore une fois escortés de force gendarmes. C’était décidé : il fallait lui retirer son cheptel. « Ils étaient munis d’une ordonnance, ce qui signifie que Jérôme n’était pas prévenu », indique Marie-Pierre. L’éleveur les a laissés opérer, puis s’est enfui, craignant probablement une hospitalisation psychiatrique. Il a été poursuivi par la gendarmerie neuf jours durant. En contact avec un journaliste du Journal de Saône-et-Loire pendant cette traque, il lui déclara : « Je ne veux pas me suicider, et je ne me rendrai pas. » « Il m’avait dit : “Ils ne me redonneront jamais mes ‘cartons’ [les documents d’identification des animaux], je ne serai jamais en paix.” » se souvient Marie-Noëlle, qui l’a aussi eu au téléphone pendant cette période. Puis, sur un chemin de terre de la commune de Sailly, à quelques kilomètres de chez lui, trois balles tirées par un gendarme — qui l’ont touché sur le côté et dans le dos — l’ont tué.

« On l’a fait taire parce qu’il avait une grande gueule. »

« Le jour de l’enterrement, pas un seul des agriculteurs qui se moquaient de lui n’est venu », disent des amis de l’éleveur. « On nous a demandé des terrains ce jour-là », témoignent les sœurs. Autant à l’Établissement départemental de l’élevage, qui délivre les fameux « cartons » des bovins, que dans les instances dirigeantes départementales de la profession, dominées par la FDSEA, Jérôme n’avait pas beaucoup de soutiens. Peu de temps après sa mort, la FDSEA de Côte-d’Or, département voisin, dévoilait dans un courriel envoyé aux adhérents des éléments sur sa situation personnelle et allait jusqu’à évoquer des « actes de violence ou de menaces » afin de justifier l’attitude des autorités face à l’éleveur. Des accusations vigoureusement démenties par ses proches. Il s’était aussi fait remarquer à la préfecture, en refusant, alors qu’il était chargé du dossier pour la Confédération paysanne de Saône-et-Loire, de signer la charte des contrôles.

Sébastien, qui tient le restaurant du Midi avec son père, Bernard, n’en démord pas : « Sa mort est plus un problème politique qu’un problème d’éleveur. On l’a fait taire parce qu’il avait une grande gueule. » « On l’a abattu en disant qu’il avait la rage, comme un chien », insiste Lydie. Ses sœurs ont la même interprétation : « Le but de l’administration n’était pas dissimulé, ils voulaient l’amener à arrêter son activité », rappelle Martine. « Ils ont commencé en se focalisant sur les pertes de traçabilité ; mais à quel moment cela va-t-il empoisonner quelqu’un ? » interroge Marie-Noëlle. « Par ailleurs, ça bloquait avec la contrôleuse responsable de son dossier, cela devenait une affaire de personnes. Quand un autre agent venait, les procès-verbaux étaient beaucoup plus mesurés. S’ils n’ont pas changé l’interlocuteur, c’est qu’ils ne voulaient pas que les choses s’arrangent. » Marie-Pierre, elle, raconte un événement troublant, qu’elle a appris après la mort de son frère : « En novembre 2016, une gamine du village qui passait souvent chez Jérôme pour voir son cheval a fugué. Elle l’a alors appelé. Le lendemain, une dizaine de gendarmes perquisitionnaient le domicile de mon frère. On l’accusait de tout. »

Le 20 mai 2017, les coups de feu qui ont tué Jérôme Laronze ont été tirés vers 16 h 30. Sa mort clinique a été déclarée une heure après. Marie-Noëlle, la première à être prévenue dans la famille, a appris le décès aux alentours de 21 heures. Soit quasiment au même moment que le porte-parole national de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel, qui l’a appris du ministre de l’Agriculture lui-même. Pourquoi un tel délai et tant de précautions ? « Ils savaient que c’était une bavure », estime le syndicaliste.

La préfecture, sollicitée par Reporterre, ne répond pas en raison de l’instruction judiciaire en cours. Aux yeux de la famille, la justice semble bien lente à rechercher la vérité et les responsabilités.

Marie Astier