Comparse et inspirateur d’Eric Zemmour, le philosophe Michel Onfray est en croisade contre l’IMG, l’interruption médicale de grossesse, qui est possible jusqu’à la fin de celle-ci. Mais il ne sait pas de quoi il parle, selon Anaïs Feuillette et Gérard Miller, qui s’appuient sur leur expérience personnelle.
A la différence d’Eric Zemmour qui tient les mêmes propos depuis le début de ses apparitions publiques, Michel Onfray a progressivement évolué au fil des années pour se retrouver aujourd’hui d’accord avec le journaliste du Figaro et de CNews « à 92,7 % », selon le décompte humoristique de l’Obs. Cette évolution en a surpris plus d’un et a été largement commentée, mais le rôle que joue désormais le co-fondateur de l’université populaire de Caen dans la zemmourisation des esprits n’a peut-être pas été assez identifié.
Onfray, en effet, est devenu non seulement le comparse de Zemmour dans leurs échanges publics, mais son éclaireur sur des sujets où ce dernier s’aventure peu et que le philosophe, fort de ses connaissances supposées, prétend aborder avec légitimité. Nous en voulons pour preuve ses nombreuses interventions médiatiques (France 2, BFM, Europe1, Sud Radio, etc) à propos d’une pratique peu connue du grand public, l’IMG, l’interruption médicale de grossesse.
Pour qui l’ignore, précisons les choses. L’IMG concerne un peu plus de 7 000 femmes enceintes par an sur environ 750 000 grossesses, soit presque 1 %. A la différence de l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse, qui n’est possible que jusqu’à la douzième semaine et dont la décision appartient d’abord et avant tout à la mère, sans qu’on puisse remettre en cause ses raisons, l’IMG est possible jusqu’à la fin de la grossesse, mais uniquement dans des cas extrêmes et dramatiques. Soit l’enfant à naître est atteint d’une affection particulièrement grave, reconnue comme incurable (c’est l’immense majorité des cas) ; soit la santé de la femme enceinte est elle-même en très grand danger. Et dans ces deux cas, la situation est examinée et évaluée par une équipe pluridisciplinaire d’au moins quatre personnes — médecins, psychologue, assistant(e) social(e) et autres spécialistes pouvant contribuer à la prise de décision collective.
Pour prendre notre exemple personnel, à cinq mois de grossesse, nous avons dû recourir à une IMG pour un petit garçon que nous attendions et dont la deuxième échographie avait révélé qu’il était atteint d’une malformation cardiaque incurable qui le condamnait. Ce fut un drame absolu et rencontrant par la suite de nombreux parents ayant connu comme nous un deuil périnatal, nous avons pu constater à quel point l’IMG était à chaque fois — nous disons bien : à chaque fois —, une décision à la fois exceptionnelle et terrible, que les parents comme l’équipe médicale affrontent toujours avec douleur quelle qu’en soit la raison.
Un discours absolument délirant
Prenant prétexte d’une des causes qui peut être envisagée pour mettre un terme à une grossesse, la « détresse psycho-sociale » de la mère, Onfray en profite pour tenir un discours absolument délirant sur la frivolité des femmes, les enfants qu’on assassine, les écologistes qui préfèrent les punaises de lit aux hommes ou la déliquescence de l’Occident, discours que ne renieraient pas les partisans les plus extrémistes du mouvement pro-vie aux Etats-Unis et qui sert bien sûr au plus haut point le futur candidat à l’élection présidentielle dans son combat contre ce qu’il appelle le « suicide français ». Or comme le rappelait dans le Figaro le professeur Nisand, alors président du Collège des gynécologues et obstétriciens français, la notion de « détresse psycho-sociale » de la mère est évoquée depuis de très nombreuses années et concerne précisément « des femmes en situation de danger personnel, de violences, de difficultés psychologiques majeures ou d’extrême précarité, rendant impossible la poursuite de leur grossesse ».
Elle peut être également envisagée pour des femmes ayant subi à l’étranger, lors de conflits guerriers, un inceste, un viol, et qui réussissent à fuir dans notre pays où elles arrivent tardivement. Mais Onfray se sert de ces situations limites pour élaborer un pur fantasme sur notre société qu’il exècre : « Aujourd’hui quelqu’un qui prendrait un pigeon et qui l’égorgerait (en postant) une petite vidéo sur le net, il va en prison tout de suite. Mais quelqu’un qui arrive en disant : « Moi j’ai des raisons de détresse psychosociales qui font que je ne veux plus de cet enfant, enlevez-moi ça de mon ventre ! » (Eh bien), on va détruire (cet enfant) comme on détruit des poulets et on trouve tout ça normal. »
Et le philosophe de mimer des femmes enceintes, demandant en minaudant qu’on les débarrasse de leur bébé sous les prétextes les plus futiles : « Je vais déménager » ou « Je n’aime plus mon petit copain », et le médecin, lui aussi mimé, de répondre : « Aucun problème, on va vous le détruire, votre enfant. »
Le procès de « l’effondrement moral »
Dans ses interventions sur l’IMG, la tactique qu’utilise Onfray est rodée. Il commence en règle générale par se présenter comme un partisan inconditionnel de l’avortement, rappelant ainsi son passé progressiste et son appartenance à ce qu’il appelle la « vieille gauche ». Dans un deuxième temps, il philosophe, plus ou moins longuement selon le temps imparti, mais toujours avec le ton professoral de celui qui s’est documenté autant qu’il le pouvait et a mûrement réfléchi à la question avant de faire cours. Il philosophe sur l’embryon, le fœtus, la grossesse, le vivant, la mort — rien de ce qui est humain ne lui étranger. Puis, estocade finale, il évoque cette notion de détresse psycho-sociale de la mère. Pas un instant, il n’évoque ce qu’elle est vraiment et, plus généralement ce qu’est une IMG. Pas davantage il ne parle de la souffrance des mères, des parents, de l’horreur de la situation dans laquelle tous sont plongés avec le bébé attendu, ou de la douleur insupportable d’une IMG qui, concrètement, n’a rien à voir avec une IVG. Non, pour Onfray, c’est juste l’occasion de faire le procès de l’ « effondrement moral » de la France et de régler son compte à la gauche. Verbatim : "« Nous sommes dans une civilisation où les écologistes, les mélenchoniens, les socialistes, les communistes, estiment qu’il faut de l’empathie pour les rats, mais qu’il n’en faut pas pour un enfant… » ou bien : "« Il n’y a pas plus dénudé qu’un enfant dans le ventre de sa mère, et il y a ces gens qui nous disent que le progressisme aujourd’hui, c’est la possibilité de détruire les enfants dans le ventre de leur mère. ». Et encore : « Votre téléphone n’est plus fonctionnel, vous le jetez. Votre enfant n’est plus fonctionnel, vous le jetez… C’est une logique d’infanticide… Rasoir jetable, enfant jetable… C’est un meurtre. »
Dans une vidéo diffusée sur son site, Michel Onfray va jusqu’à appeler de ses vœux un film qui montrerait ce qu’il imagine être une IMG : un enfant sorti à quasiment neuf mois de grossesse du ventre de sa mère indifférente, puis piqué par un médecin nonchalant qui le jetterait ensuite à la poubelle.
Baissons le rideau. Rien de ce qu’Onfray raconte ne correspond à la réalité de ce que vit une mère confrontée au drame de l’IMG. Il s’agit d’un risque vital pour son enfant ou pour elle, il parle de caprice. C’est concrètement une expérience effroyable, il la décrit comme une simple formalité. C’est un choix déchirant pour les équipes médicales, il parle de complaisance. C’est un traumatisme pour chaque membre de la famille, il n’en dit pas un mot. Et alors que tout a été pensé depuis quelques années pour introduire du rituel dans l’insoutenable — possibilité de rendre visite au bébé dans une chambre mortuaire, de lui donner un prénom, d’organiser des obsèques —, il ose évoquer des enfants qu’on jetterait à la poubelle.
En mentant aussi effrontément sur les mères comme sur les médecins qui sont contraints de recourir à une IMG, Onfray pense convaincre ceux qui lui font confiance de la décadence de notre civilisation. En vérité, c’est lui qui, faisant feu de tout bois et devenant ainsi l’un des pyromanes de notre lien social, a définitivement perdu son âme.
Anaïs Feuillette (réalisatrice) et Gérard Miller (psychanalyste)