Après 48h de garde-à-vue pendant lesquelles il a dû répondre à un total de sept auditions, maintenu dans une cellule « avec les ventilateurs à fond », Hubert en est ressorti avec de nombreux hématomes et sous le choc. Le médecin qui l’a examiné a attesté de « coups et blessures » et lui a donné 10 jours d’ITT. Il s’est révélé offusqué de son état. Hubert va porter plainte.
Hubert, un paysan bio et militant écologiste actif sur son territoire a été violemment arrêté par les gendarmes alors qu’il participait à un week-end festif contre le projet industriel du Carnet à Frossay. Agé de 62 ans, cet homme diabétique a pu retrouver sa liberté au terme de deux jours de garde-à-vue desquels il est ressorti blessé et rudement éprouvé. Cet épisode marque une étape de plus dans la criminalisation et la répression policière que dénoncent subir les écologistes, mais aussi les journalistes et citoyens ayant eu l’audace de s’intéresser à leurs revendications.
Une arrestation violente
Le weekend du 5 et 6 juin, un pique-nique ainsi qu’une balade naturaliste avaient été organisés par des collectifs écologistes afin d’échanger sur la lutte du Carnet et l’industrialisation de l’estuaire de la Loire, où 110ha de zones humides, abritant de nombreuses espèces protégées, sont menacés par la bétonisation de l’agrandissement du Grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire.
Il s’agissait pour les écologistes de montrer que l’intérêt pour cette zone humide est toujours aussi vivace, malgré l’expulsion de la ZAD du Carnet ayant eu lieu fin mars, et le fait que la zone soit désormais gardée par un escadron de gendarmes.
D’abord exclus de Frossay, le lieu initialement prévu, par des arrêtés municipaux interdisant la circulation et le stationnement pour risque avéré de « rave party », les militants s’étaient repliés au canal de la Martinière un peu plus loin. La crainte de voir émerger une nouvelle ZAD explique sans doute l’important dispositif mis en place par les autorités pour encadrer ce simple pique-nique.
« Une vingtaine de camions de gendarmes mobiles encerclaient le Carnet, nous avons croisé 4 camions de gendarmes mobiles et nous avons été escortés par 4 motards. Motards, camionnettes de gendarmerie et voitures banalisées ont circulé régulièrement ou sont restés en stationnaire toute la journée pour effectuer des contrôles, décourageant ainsi les potentiel.le.s participant.e.s de nous rejoindre. Les gendarmes ont également relevé les plaques d’immatriculation des voitures présentes. » rapporte le Collectif Stop Carnet.
Une démonstration de force impressionnante, avec certains agents lourdement armés « de fusils ou de FAMAS », qui n’a d’abord pas entamé le moral des quelques 200 manifestants bien décidés à profiter de leur droit à la libre expression et tentant d’ouvrir le dialogue avec certains gendarmes.
« Lorsque nous avons évoqué la complicité de la gendarmerie lors de l’épandage des boues de station d’épuration sur la route du Carnet avant notre week-end de mobilisation fin août, un gendarme nous a dit qu’il s’agissait d’individus isolés ! La mise en place de caméras de surveillance cachées et hyper sophistiquées dans des fausses pierres et faux tronc d’arbres est probablement également le fait de gendarmes isolés qui sont décidément bien nombreux ! » rapporte le Collectif Stop Carnet.
Malgré cette surveillance accrue, toute la manifestation s’est déroulée sans encombre sous un soleil rayonnant, favorisant les échanges et les liens entre les participants.
Le lendemain, les participants ont donc manifesté dans la bonne humeur, équipés de banderoles bariolées, afin de réaffirmer leur amour pour cette zone humide. A la fin de l’événement, alors que les militants s’apprêtaient à repartir dans le calme, cinq fourgons de gendarmerie mobile se sont déployés aux abords de la route, le long du parking.
Hubert, paysan bio de 62 ans, a donc demandé aux gendarmes s’ils pouvaient quitter le lieu sans encombre, ce à quoi les autorités lui ont répondu par l’affirmative. Au moment où il a tenté de partir en voiture, les gendarmes ont alors immobilisé le véhicule, ouvert les portes et extrait violemment de l’habitacle.
L’arrestation qui a suivi a été très violente et choqué les nombreux témoins que La Relève et La Peste a contacté :
« Ils l’ont projeté sur le sol la tête la première, lui ont passé les menottes, l’ont traîné sur plusieurs mètres pour le jeter à plat ventre dans une camionnette de gendarmerie, qui s’est empressée de déguerpir sur le champ, alors même qu’il n’était pas attaché ou même assis. »
Après 48h de garde-à-vue pendant lesquelles il a dû répondre à un total de sept auditions, maintenu dans une cellule « avec les ventilateurs à fond », Hubert en est ressorti avec de nombreux hématomes et sous le choc. Le médecin qui l’a examiné a attesté de « coups et blessures » et lui a donné 10 jours d’ITT. Il s’est révélé offusqué de son état. Hubert va porter plainte.
L’avocate commise d’office a également subi des pressions et remarques sexistes lors de ses échanges avec les gendarmes. Elle a décidé de porter plainte au barreau et mentionne un dossier très tendu. Alors que le procureur a requis un contrôle judiciaire pour empêcher le paysan de se rendre à Frossay, Paimboeuf et Saint-Viaud, mettant en péril son activité, ainsi qu’une comparution immédiate, le Juge des Libertés ont décidé de lui rendre sa liberté.
« Hubert est poursuivi pour « menaces de crimes ou délit ». Outre le fait que nous n’ayons rien entendu ou vu de tel pendant toute la mobilisation, les interpellations pour ce chef d’inculpation se font généralement instantanément, et non après la manifestation alors que tout le monde quitte les lieux. Il s’agit d’une répression ciblée et politique. Nous dénonçons ce climat de terreur qui règne contre les lanceurs d’alerte et militante.s écologistes au Pays de Retz depuis quelques années et qui ne fait que de s’amplifier. » expliquent les collectifs
Une répression de plus en plus accrue
Hubert est très bien connu des autorités. Militant de longue date sur le territoire, il ne fait pas l’unanimité au sein de population et aurait même été menacé de mort en plein Conseil municipal. Deux civils sont venus jusque sur son terrain pour l’agresser, sans que la gendarmerie ne donne suite à l’affaire. Son arrestation violente est donc loin d’être anodine pour les militants impliqués dans les collectifs.
« Alors que les autorités connaissent ses problèmes de santé et qu’il est visé par des agressions, menaces, intimidations par des civils dans le Pays de Retz du fait de son engagement militant (cf nos récents articles sur notre blog Terres Communes) sans que ses plaintes ne soient reçues ou suivies de procédures, qu’il subit un harcèlement judiciaire et policier constant (au moins 60 passages d’hélicoptères sur sa ferme depuis 3 ans !), il a été arrêté comme un grand bandit de manière violente pour ensuite se retrouver dans une Garde à vue prolongée pour un dossier monté de toute pièce visant à le briser et à briser nos luttes pour le vivant et notre avenir commun dans le Pays de Retz ! » s’offusque le Collectif Terres Communes
Un constat partagé par les sympathisants et curieux à leur cause écologiste, dont certains ont été rudement éprouvés, comme Jacinthe, une « journaliste dilettante » qui était venue faire un reportage sur le site du Carnet lors du World Clean Up Day.
Trois semaines après, elle a reçu 135 euros d’amende et 3 points de permis en moins pour « stationnement dangereux » alors que les gendarmes présents ce jour-là l’avaient vue se garer sans rien lui dire.
« Par la suite, deux gendarmes sont même venus jusque chez moi pour me demander une photocopie de mon permis ! Une jeune femme très compréhensive et un homme beaucoup plus dur. Cela s’est passé une quinzaine de jours avant le pique-nique, ça venait d’un officier ministériel qui leur demandait ça ! Ils m’ont parlé de la contravention, et le gendarme a même demandé à sa collègue si elle allait faire mon audition alors que j’avais déjà payé l’amende ! J’ai été transparente avec eux, oui je me sens militante écolo, mais j’ai toujours été dans la plus parfaite légalité ! Je suis malade de voir la tournure des choses actuelles, je fais ces reportages pour sensibiliser afin de laisser un avenir viable à mes enfants et mes petits-enfants… Moi, je suis une anxieuse de nature et j’ai plus de 60 ans. Suite à tout ça, j’ai pas osé me rendre au pique-nique du weekend dernier. » confie-t-elle à La Relève et La Peste.
Une manifestation paisible
Même constat pour la journaliste Marion Lopez, du journal local Le Courrier du Pays de Retz, qui s’est heurtée au refus des autorités lorsqu’elle a voulu prendre quelques photos du site du Carnet, et a subi une fouille et un interrogatoire suspicieux pour avoir eu le malheur de simplement vouloir faire son travail.
Mais c’est bien pour les militants que cette répression accrue devient intenable au quotidien. Pour eux, cette pression permanente a pour objectif de tuer la contestation dans l’œuf afin d’éviter une nouvelle ZAD si les travaux reprennent, puisqu’ils sont pour l’instant bloqués par un moratoire.
« Une réoccupation du Carnet les terrorise, alors que de ce que j’en sais il n’en est même pas question ! Les militant.e.s ont besoin de repos car ils subissent beaucoup de pression. Un zadiste a été mis en prison pour 18 mois (ndlr : le détenu a donné un coup de marteau sur une voiture banalisée de la gendarmerie). Une autre militante a pris 6 mois avec sursis pour avoir soi-disant proféré des menaces de mort, alors que ce n’est pas vrai, elle juste a pris pour tout le monde et servir d’exemple ! Certaines habitations des membres des collectifs sont régulièrement survolées en hélicoptère, des voitures viennent guetter en stationnaire devant la ferme de Yoann et d’Hubert ! On a eu beaucoup moins de monde que prévu au pique-nique car les gens commencent à avoir vraiment peur face à cette répression phénoménale. Des hommes armés feront toujours peur, surtout les contrôles d’identité avec tout ce que ça implique : les gens n’ont pas envie d’être fichés. En tant que militante et membre du collectif, moi aussi ça me fait peur alors que plus on est nombreux et nombreuses, et plus on peut s’organiser pour continuer à lutter. Si tu ne connais pas tous tes droits tu prends des risques aussi, et c’est toujours les mêmes qui prennent c’est ça le problème, ils sont persuadés qu’on a des chefs, alors qu’on est auto-géré. Ils sont aussi persuadés que le collectif et la ZAD, c’est la même chose alors que pas du tout. Il s’agit de deux entités qui font partie de la même lutte mais qui étaient autonomes et indépendantes, des modes d’action complémentaires. Mais quand les lieux de soutien sont constamment surveillés, ça commence à être compliqué pour être solidaires. » s’inquiète Verveine auprès de La Relève et La Peste
Au vu de ces témoignages accablants, il semblerait que le Pays de la Loire devienne un terrain d’expérimentation de la répression policière, après le traumatisme pour les institutions et l’Etat de la victoire des militants de Notre-Dame-des-Landes.
La liberté d’expression des militants est ainsi de plus en plus menacée, même quand il s’agit d’un simple pique-nique, un phénomène qui s’étend partout en France et qui est régulièrement dénoncé par les associations des droits de l’homme et environnementales.
En novembre 2020, France Nature Environnement avait ainsi lancé une campagne pour alerter sur les nombreuses menaces que subissent les militants écologistes.
« A la veille d’élections départementales et régionales jouant sur la thématique de la sécurité, il n’est pas étonnant qu’un pique-nique organisé par un collectif ayant activement soutenu la ZAD du Carnet soit étroitement surveillé. Cette surveillance s’inscrit dans la droite ligne de ce que l’on condamne : la criminalisation de plus en plus forte des actions militantes ces dernières années. Il y a une pression policière très forte pour dissuader les citoyens de s’engager dans les mouvements militants. C’est une dérive générale qui menace les libertés des citoyens qui veulent sensibiliser la population contre les grands projets économistes qui nuisent à l’environnement. Cela plonge le milieu militant associatif dans un état de stress et de tension qui ne peut qu’aboutir à des dérapages. On espère pouvoir discuter calmement bientôt avec nos politiques locaux et nationaux de ces sujets-là : quelle liberté a-t-on encore en France pour exprimer un avis différent alors qu’on est encore censés être une démocratie ? » analyse Xavier Métay, du FNE Pays-de-la-Loire, pour La Relève et La Peste
Loin d’être un fait divers isolé, l’arrestation brutale de ce paysan bio et la dynamique de répression à l’œuvre sur le territoire devrait ainsi nous alerter sur la dérive sécuritaire du gouvernement français.
9 juin 2021 - Laurie Debove