Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Anecdotes sur les combattants de La Nueve
Article mis en ligne le 8 décembre 2021
dernière modification le 21 novembre 2021

par siksatnam

Nous partons sur les traces d’un certain nombre de membres de la Division Leclerc. Nous nous concentrerons sur sa neuvième compagnie, composée presque entièrement de républicains espagnols et avec une majorité de libertaires dans ses rangs. D’anecdote en anecdote, nous suivrons le parcours de la deuxième division blindée des Forces français libres qui entrerons dans Paris avec eux, nous irons jusqu’au nid d’aigle d’Hitler et encore plus loin.

Pour commencer, il faut dire que sur les 160 membres de la compagnie, 146 étaient des républicains espagnols, les autres étant quelques Français et d’anciens membres des Brigades internationales. Si l’on écoute le capitaine Dronne et quelques autres membres de la Nueve, la plupart d’entre eux étaient des libertaires, surtout dans la troisième section commandée par le Canarien Miguel Campos.

Commençons par citer quelques-uns de ces anarchistes dont nous savons si peu de choses, Jesús Abenza, Manuel Bullosa, Miguel Campos el Canario, Ramón Estartit David Fabregas, Germán Arrue el Mejicano, Manuel Pinto Queiroz Manuel Lozano, José Nadal Artigas et son frère, Fermín et Constantino Pujol, Faustino Solana Montañés, Ángel Rodríguez Leira Ángel López Cariño, Federico Moreno, Martín Bernal Garcés, Alicio Vázquez Blanco, Enrique Giménez, Alfredo Piñeiro, Domingo Baños, Patricio Ramón Bigote, Pablo Moraga, Luis Argueso Cortés Gitano, Luis Quintela Ortiz, José Padrón Martín, Pablo García, Antonio Soler José Caro, Juan Benito Pérez Vallespí et Pedro Solé Pladellorens Pedro Juan Castells.

our ceux qui ne le savent pas, la fin de la Guerre civile a amené des milliers de civils et de militaires à Alicante dans l’espoir de pouvoir prendre un bateau et partir en exil. Les troupes fascistes finirent par bloquer le port et les Italiens prirent la ville, qui devint une immense souricière. Le dernier bateau à quitter le port fut le Stanbrook, chargé à ras bord de réfugiés, parmi eux se trouvaient certains membres de la compagnie, parmi lesquels le futur lieutenant de la Nueve, Amado Granell, et les libertaires Abenza, Campos et Moreno.

Au début, la Nueve n’existait pas, il y avait le régiment de marche du Tchad, formé en Algérie et composé d’une majorité de soldats africains de couleur, appelés « tirailleurs ». Avant cela, on les appelait les Corps francs d’Afrique. Et voilà que lorsque la deuxième division blindée fut formée en 1943, elle était dirigée par les Français, mais intégrée et reliée au commandement assumé par les Américains. Ces derniers interdirent aux troupes coloniales de faire partie de la division. Malgré les vives protestations de Leclerc furent ignorées, avec des excuses bidons comme le fait que les Africains ne seraient pas capables de maîtriser les armes modernes, de résister au froid qu’il faisait en Europe, ou tout simplement en raison du racisme pur et dur motivant les Américains. Beaucoup de ces soldats de couleur furent désarmés, dépouillés de leurs nouveaux uniformes et renvoyés dans leurs villages. C’était le paiement par les Alliés en échange de toutes les vies que perdirent leurs camarades de combat et pour toutes les épreuves subies pendant les premières années de la guerre.

Pendant la campagne de Tunisie, lors d’une brève escale à Zaguan, un respectable commandant anglais d’un groupe antichars se mit à la disposition de Leclerc. Après fait longuement l’éloge de l’unité française et de son général, il demanda instamment à être transféré dans une unité où il y avait des hommes « craignant Dieu ».

Le capitaine Dronne parlait de ses hommes en ces termes : « Ils étaient difficiles parce qu’ils devaient accepter l’autorité de leur officier, et faciles parce que lorsque vous gagniez leur confiance, elle était totale et absolue. Malgré leur apparence rebelle, ils étaient très disciplinés, d’une discipline originale, librement consentie. Pour la plupart, ils n’avaient pas d’esprit militaire, ils étaient même antimilitaristes, mais c’étaient de magnifiques soldats, courageux et expérimentés ».

En avril 1943, après la bataille de Tunis, la division fut envoyée à Sabratha, entre la frontière tunisienne et Tripoli, dans le but d’arrêter la désertion des hommes de la Légion étrangère française et de les transférer vers les corps francs de Leclerc. Les premiers combattaient pour De Gaulle et la France libre, les autres sous les ordres du général collaborationniste Pétain. Pendant la pause de Sabratha, certains soldats partirent à la pêche, en utilisant la méthode peu académique mais efficace du lancer de grenades. Un jour, l’une des grenades s’égara involontairement et atterrit à côté d’un groupe d’officiers français, ce qui effraya les officiers et le lanceur, mais comme il n’y eut pas de victimes, l’affaire fut réglée avec beaucoup de cris et de jurons et l’arrestation du lanceur.

La deuxième DB fut formée et réarmée à Temara, au Maroc, de cette époque, nous avons quelques anecdotes curieuses, comme, par exemple, celle de « Saud ». Saud était un singe presque aussi grand qu’une personne, il avait été adopté par un groupe de combattants et il était entraîné comme les autres, on lui avait même fabriqué un fusil en bois et il était l’un des soldats de la formation lorsque l’ordre était donné de se mettre au garde-à-vous. Il faisait également la queue pour le rancho, la distribution de la nourriture, prenait une assiette et la seule chose qui le rendait différent des autres était qu’il mangeait sans couverts. La nuit, les hommes de la Nueve devaient être intelligents et rapides quand ils montaient les tentes. Car Saoud se glissait comme une flèche sous une tente et s’il obtenait une place, il n’y avait aucun moyen de le mettre dehors. Quand la Nueve quitta le Maroc, Saud resta avec une famille à Rabat.

La deuxième DB était composée d’environ 16 000 hommes, dont un peu moins de 3 000 Espagnols, elle disposait de 4 200 véhicules, dont 160 chars, 80 tanks, 200 half-tracks, 36 destructeurs de chars, 57 canons automoteurs, et de nombreuses jeeps et camions qui tractaient ou montaient également des canons ou des mitrailleuses lourdes. Tout l’équipement était américain.

C’est également à Temara que les half-tracks nouvellement acquis furent baptisés avec des noms de bataille pour éviter les disputes idéologiques, ce fut le lieutenant Bamba qui inscrivit leurs noms, car il avait la meilleure écriture. Quant aux noms, le half-track « Les Pingouins », le nom a été donné d’après la manière française de désigner les Espagnols (les espingouins), car il était impossible de l’appeler « Durruti ». Le nom « Les Cosaques » vint du fait que lorsque les combattants de la Nueve sont arrivés en Angleterre, peu après leur arrivée, il y a eu un cas de viol, et la femme a dit que c’était un homme qui parlait mal le français. Le capitaine Dronne les a alors accusés de se comporter comme des cosaques. La troupe composant la Nueve n’adressa plus la parole et refusa le salut à leur officier jusqu’à ce qu’il s’excuse, car peu de temps après, le coupable fut attrapé et ce n’était aucun des Espagnols. Les véhicules changeaient de numérotation au fur et à mesure qu’ils étaient détruits ou qu’ils subissaient des réparations importantes, conservant le nom avec un autre chiffre ordinal. Ainsi, il y avait au moins deux « Guernica », trois « Résistance » ou deux « Mort aux cons ». Certains ont changé de nom, comme « España Cañí », qui, après la libération de Paris, a été rebaptisé « Libération ».

Les combattants de la Nueve débarquèrent sur la plage appelée Utah, sur la côte de Normandie, deux mois après les premières troupes allés et rejoinrent rapidement les combats sur le territoire français. Ils découvrirent rapidement des moyens de faire des affaires entre chacun des combats, car les Américains payaient très bien les prisonniers allemands, moyennant quoi ils bénéficiaient de privilèges ou de permissions. Au début, les membres de la Nueve donnaient gratuitement les prisonniers, mais voyant les possibilités de commerce et allant à l’encontre des ordres, ils commencèrent à échanger les prisonniers contre du matériel de guerre ou d’autres marchandises, par exemple, cinq soldats allemands contre un bidon d’essence de 20 litres, pour 10, deux bidons ou deux paires de demi-bottes, pour 20 soldats une mitrailleuse. Pour trois officiers d’état-major, vous obteniez une moto, et si c’était un SS, un side-car était ajouté. Pour un général, vous aviez une jeep. En outre, il y avait généralement en récompense des boites de corned beef, du chewing-gum, du tabac blond, des flacons de whisky ou un pneu. A vrai dire, certains des officiers et généraux qui se sont rendus ils n’avaient que l’uniforme, mais comme les Américains payaient... Parfois le troc ne s’arrêtait pas là, pour un bidon de 20 litres un paysan donnait 2 poulets, ou une moto était échangée contre un cochon ou deux agneaux, et tout le monde était content.

« Ils sont arrivés », les mots fusaient, « ils sont arrivés », tard dans la soirée du 24 août 1944, les premiers blindés alliés entrèrent enfin dans Paris occupé, enfin, pas si occupé que ça, car la résistance avait pris les armes quelques jours auparavant, et par hasard, il se trouvait que les noms des blindés et de leurs équipages n’étaient ni français ni américains, les premiers blindés étaient des noms de batailles de la Guerre civile espagnole et les combattants étaient des « rouges espagnols ». Ceux-là même que les français allait observer à travers les barbelés des camps de concentration du sud de la France pour vérifier s’ils portaient des cornes et des queues diaboliques.

Les anarchistes espagnols de la Nueve et les anarchistes qui participèrent à la résistance parisienne se retrouvèrent bientôt. Une fois que la ville fut libérée et que les choses se calmèrent, ils convinrent de se procurer des armes pour une future lutte pour la libération de l’Espagne. Dronne collabora en offrant un half-track qu’il acquit illégalement grâce aux Américains, mais ne voulut pas en savoir plus. Campos et Bullosa intégrèrent le blindé à l’arrière-garde de la troisième section et la CNT parisienne de Laureano Cerrada fournit l’équipage : Manuel Huet, Joaquín Blesa, Liberto Ros, Mariño, Rosalench, le pilote et García, le tireur. Pendant environ huit semaines, l’halftrack « Kanguro » fut à l’arrière de la troisième section pour collecter un maximum d’armes légères et les envoyer ensuite à Paris dans des camions de munitions lorsqu’ils allaient se réapprovisionner. Ces camions étaient sous la responsabilité de Bamba qui prévenait de leurs déplacements vers la capitale. Un jour durant les recherches, ils s’éloignèrent de la colonne et, sur une route secondaire, ils croisèrent un convoi américain sous le commandement d’un général. Ils furent arrêtés, interrogés et les Américains pensèrent qu’ils étaient peut-être des Allemands déguisés. Heureusement, ils ne virent pas l’intérieur du half-track chargé à ras bord d’armes... Alors que la situation était très tendue, un officier cubain apparu, il faisait office d’interprète et arrangea les choses, leur indiquant même le chemin pour retrouver le reste de leur unité. Le « kanguro » est même entré en combat plus tard, et vu les problèmes croissants et la mort de Bullosa, Campos commença à accorder des congés à l’équipage et plus tard, avec quelques coups de canon, il se débarrassa du half-track illégal.

Sur les 144 Espagnols qui débarquèrent à Utah Beach, 16 ont atteint sains et saufs le nid d’aigle d’Hitler, d’où ils emportèrent comme butin un jeu d’échecs, un ensemble de draps portant les initiales A. H. ou plusieurs bonnes bouteilles de vin.

L’anarchiste canarien José Padrón, n’était pas seulement un membre de la Nueve, il était aussi un joueur de football, le premier joueur des Canaries à jouer dans l’équipe nationale espagnole, avec laquelle il a fait ses débuts le 17 mars 1929 et a marqué deux buts contre le Portugal le même jour. Il a joué pour l’Español de Barcelone.

Manuel Pinto Queiroz vivait au cinquième étage sans ascenseur d’un quartier populaire de Paris. À 84 ans, la mairie l’internat dans une maison de retraite. Ce n’était pas pour lui, il se jeta par la fenêtre. Il est mort un an plus tard.

José María Tarifa était socialiste, il déserta de la Nueve après la libération de Paris, il prit contact avec la guérilla de l’UNE (Union nationale espagnol), et en octobre nous le retrouverons dans les invasions pyrénéennes du val d’Aran.

Qui aurait pensé que Miguel Campos finirait par être le protagoniste d’une grande et belle bande dessinée. Paco Roca a découvert la Nueve et l’a choisi comme personnage principal. Campos disparut le 14 décembre 1944 dans une action de guerre, on n’en saura pas plus. Dans la bande dessinée, une belle alternative à sa disparition est donnée, bien que ce ne soit pas la vraie. Nous savons qu’à l’été 1945 il y a eu une réunion à Paris avec quelques participants de choix, le but était de préparer la mort de Franco. Les participants étaient Pons i Prades, responsable de la résistance dans la région de Carcassonne, Joaquín Blesa, un des membres de l’équipage du Kanguro, Manuel Huet, un autre du Kanguro, Manuel Soto, membre des groupes d’action à Barcelone et en France, Juan Zafón, responsable de l’antenne maritime du réseau Ponzán et résistant à Paris, et Laureano Cerrada, le grand faussaire, préparateur d’attentats contre Franco et organisateur de groupes d’action en France.

Le libertaire Prometeo Vercher n’était pas membre de la Nueve, mais il était membre de la division Leclerc. Nous savons aussi qu’il était membre de la Colonne de fer et qu’après la guerre civile, avec d’autres miliciens de la colonne, ils ont créé un groupe d’action à Valence, spécialisé dans la réalisation de hold ups pour financer la défense de prisonniers condamnés à mort, en essayant surtout de libérer les frères Pellicer. Le groupe fut dissous, Prometeo parvint à rejoindre le Portugal, de là, il se rendit en Afrique du Nord et, s’enrôla dans l’armée française, il suivit Leclerc jusqu’à la libération de la capitale française.

Il faut dire qu’une fois la prise de Paris terminée, dans l’historiographie officielle française, dans la presse et dans les ouvrages ultérieurs sur le sujet, les noms des blindés sont mystérieusement devenus si français que toute référence aux républicains espagnols a disparu de l’histoire et de nombreuses mémoires. Il a fallu attendre plus d’un demi-siècle, en 2004, pour que Paris et la France reconnaissent enfin et rendent dûment hommage à la neuvième Compagnie, à ces « rouges espagnols », ceux qui se sont battus non pas pour des drapeaux, mais pour des idéaux, qui ont lutté contre le fascisme en Espagne et ont continué à le faire au Cameroun, en Libye, en Tunisie, en France et dans d’autres champs de bataille en Europe, parce que l’ennemi restait le même. Bien sûr, en Espagne, la mémoire et les hommages ont été plus lents à venir, et ce n’est pas grâce au gouvernement actuel que cela s’est produit. En 2017, à Madrid, ils reçurent un hommage tardif, une place leur a été dédiée.
Mieux vaut tard que jamais. Reconnaissance à la Nueve. Ces mots sont dédiés à tous ceux qui, pendant tant d’années, ont semé la solidarité, des exemples, des idées et n’ont récolté que du plomb et de l’oubli.

Imanol