Ils sont cathos tradis, accros à la baston et fanas d’armes. Enquête sur ces militants d’extrême droite parfois en soutane qui veulent repartir en croisade armés de fusils à pompe.
« Ben voyons les amis, on va éclater qui là ? Du jeune gaucho ? Du jeune communiste ? Du jeune bougnoule mental ? » Ces deux fans de Zemmour se sont filmés juste avant Noël tirant au fusil à lunette. En guise de cible, ils imaginent hilares tirer sur Raquel Garrido et Alexis Corbière (LFI), Emmanuel Macron, les « antifas », les Maghrébins et les sans-papiers. Ces images, révélées par l’antifasciste Raphaël Arnault sur Twitter, ont fait le tour du web. Les deux tireurs ont été interpellés le 28 décembre et sont passés en comparution immédiate le lendemain.
À les entendre lors de l’audience, il ne s’agissait que d’une mauvaise blague « entre eux ». Et s’ils ont partagé ces vidéos sur Instagram, ce n’était que pour faire rire leurs amis. Selon le dossier que StreetPress a pu consulter, les deux gus qui racontent s’être rencontrés au meeting de Zemmour à Villepinte jurent n’être pas spécialement politisés. À peine reconnaissent-ils être « de droite »… Un peu comme ces influenceurs fafs qui n’admettent jamais être « d’extrême droite ».
Sur Instagram, Benjamin S., militaire de son état, s’était aussi choisi pour pseudonyme « Miles christi », soit « soldat de Dieu ». Comme évoqué dans Libé (par les auteurs de ces lignes), ce servant de mortier au Régiment de marche du Tchad s’affichait sur sa photo de profil qu’il a changée depuis avec un tee-shirt de la marque « Milites Christi ». Pour « soldats de Dieu », mais au pluriel cette fois. Un label dont les sapes sont très prisées chez ces néonazis fantasmant de prendre les armes au nom du Christ. Pour faire sa pub, la marque fait poser des militants ultra radicaux, comme des leaders des groupes néonazis Blood and Honour (interdit depuis 2019) ou du White Wolf Klan (« le plus violent et le plus bête de France », selon une enquête de StreetPress en 2017). Et Ouest Casual, canal Telegram nazifiant des héritiers du GUD, fait également la promo de la marque.
Les fafs, moins païens, plus cathos
Fin novembre, Emma Audrey, journaliste du média bisontin Radio Bip, s’inquiétait qu’un autocollant Milites christi ait été apposé sur la porte de sa rédaction, en pointe sur le traitement de l’extrême droite. Sur ce sticker, un soldat moderne et un chevalier, armés sous une grande croix chrétienne. En légende : « Défenseurs de la foi », en anglais. De quoi alerter quand on sait que certains « mannequins » de « Milites Christi » posent fusil d’assaut à la main et avec des tee-shirts proclamant « pour la gloire de Dieu ». L’imagerie des croisades est omniprésente.
C’est que si le skinhead nationaliste des années 80 était à fond dans le trip païen, depuis le tournant des années 1990-2000 et plus encore depuis les attentats de 2015, c’est le faf identitaire, imprégné de catholicisme traditionaliste ou intégriste, qui revient en force. Le chercheur Jean-Yves Camus explique à StreetPress :
« Les identitaires, notamment ceux élevés dans l’ambiance néopaïenne ou laïque d’Unité radicale, ont fini par considérer que le catholicisme, au moins culturellement, était un élément fondamental de la civilisation européenne. Le cheminement se fait de l’idéologie vers la religion. »
Sur la vidéo qui l’a conduit devant les tribunaux, Benjamin S. – le militaire qui « s’amuse » à tirer sur des Insoumis et des sans-papiers – porte un t-shirt de la marque française Kalos. Sur le pectoral figure un chrisme, un des symboles les plus connus du christianisme primitif. La manche est discrètement frappée des couleurs bleu blanc et rouge.
Plus « grand public » que Milites Christi, Kalos n’en est pas moins une marque d’extrême droite. Dans son catalogue, on trouve des références à la bataille de Poitiers, fleurs de lys, casque et lambda spartiate, francisque… Clin d’oeil à cette actu qui séduit les fafs autant que les complotistes : la marque vend un masque siglé « big pharma » et « Covid 1984 ». Le youtubeur identitaire au passé de skinhead d’extrême droite Baptiste Marchais fait par exemple régulièrement la promotion de cette ligne de vêtements montée par deux jeunes Lyonnais.
L’abbé bagarre
On retrouve aussi Kalos sur les épaules du religieux Matthieu Raffray. Sur son compte Instagram, il s’affiche avec un hoodie « Fidem » (« foi » en latin) de la marque. Le prêtre français n’est pas avare de ces petits « coups de pouce » à la mouvance dont il est l’une des figures montantes. Jeune quadragénaire, assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur (voir en fin d’article) fondé par des anciens cadres de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie-X intégriste, Matthieu Raffray est un « abbé connecté ». Il compte plus de 13.000 fans sur Instagram où il est très actif, près de 7.000 sur Twitter et 1.300 sur YouTube. Son slogan, qu’il affiche en fin de bio sur ses différents réseaux :
« Bagarre, bagarre, prière. »
Tout un programme, qui résume à lui seul les envies d’en découdre au nom de Dieu mais surtout contre ses « ennemis », les musulmans notamment. Sur Instagram toujours, l’abbé FAF appelle explicitement ses fidèles à prendre les armes pour partir en croisade. Il n’est pas le seul à fantasmer un retour des templiers.
Les nouveaux templiers
Vice a enquêté sur la Fraternité des Templiers catholiques du Monde, un groupe de quinquagénaires, anciens policiers ou militaires pour certains, qui rejouent la « défense de la France chrétienne » en aube blanche frappée de la croix rouge des Templiers et l’épée ceinte au côté. Si ça peut passer pour de pacifiques reconstitutions, ces néo-chevaliers entendent bien « s’organiser en milice pour occuper le terrain. Ils se postent au fond des églises, à plusieurs, pour surveiller des messes », précise ainsi le site.
Ce ne sont pas les seuls à se rêver en grand maître du Temple de Jérusalem. D’autres groupes comme « les pauvres chevaliers du Christ » trustent aussi ce créneau. Dans leurs rangs, on trouve un certain Françis Maginot, dont StreetPress a déjà parlé. Cet ancien militaire est accusé d’avoir participé au complot de Rémy Daillet-Wiedemann pour renverser la République. Il est actuellement mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste ». D’autres terroristes d’extrême droite endossent cet héritage. Anders Breivik (77 morts et 151 blessés à Utoya et Oslo en 2011) se définissait comme un guerrier en croisade. Brenton Tarrant (51 morts et 49 blessés à Christchurch en 2019) était obsédé par une représentation fantasmée de ces expéditions guerrières. Tous deux se rêvaient en « soldat de Dieu ».
Les croisés du web
Si elles ne portent que rarement la robe blanche bardée d’une croix rouge, les principales têtes d’affiche de la fachosphère multiplient elles aussi les références, voire les appels à la croisade. Valek (375.000 abonnés sur YouTube) « part en croisade avec SOS Calvaire ». Papacito (170.000 abonnés) a fait de « l’ultime croisade » un bouquin et se grime en chevalier avec son pote Baptiste Marchais (236.000 abonnés). Ce dernier s’est même fait tatouer sur le bras Godefroy de Bouillon, premier roi de Jérusalem devenu un héros des romans nationaux belge et français. L’ex-FN Julien Rochedy (135.000) lui consacre d’ailleurs, ainsi qu’aux croisades, tout un pan de sa récente « conférence » sur la chevalerie. Une causerie de trois heures qui se résume, selon les historiens du site Actuel Moyen Âge, à une vidéo mêlant « erreurs, inventions et biais idéologique omniprésent ».
« Croisade », c’est aussi le titre du court-métrage du faf pro-armes Code Reinho (320.000 abonnés sur YouTube). Un ancien militaire qui enfile encore parfois son treillis pour tirer avec Papacito au fusil à pompe sur un mannequin symbolisant un « gauchiste ». Pourquoi a-t-il choisi ce nom ? Car les croisades consistaient selon lui – tenez-vous bien – « pour les Francs » à « défoncer des musulmans radicaux ». Quelque part, un médiéviste vient de faire un malaise. Mais cette bouillie pseudo-historique est surtout idéologique, proclame Code Reinho :
« Et ça on doit en être fier, surtout qu’aujourd’hui, on n’arrive même pas à le faire en France. »
« Ce qui plaît à ces gens dans leur image faussée des croisades, c’est surtout le fantasme de victoire totale contre l’islam, de refouler les musulmans », décrypte l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg. De quoi légitimer une envie d’en découdre :
« C’est un mythe mobilisateur qui dépasse la seule opposition à l’islam et permet la “reconquête”… C’est galvanisant pour les troupes, ça leur permet de s’imaginer en héros. »
Logique qu’ils aillent piocher dans ces grandes épopées opposant un Occident chrétien guerrier à des musulmans envahisseurs. Rochedy assure par exemple sans sourciller que ces derniers avaient « conquis une bonne partie de l’Europe », citant… « l’Espagne ». Qu’importe aussi que les croisades aient fini en Berezina, visiblement. C’est occulté. Tout comme le sont celles menées sur le sol de ce qui deviendra la France telle qu’on la connaît (contre les Albigeois). Ou les massacres de Baltes et de Lituaniens.
Perfusés aux théories racistes et complotistes comme celle du pseudo « grand remplacement », ces militants imaginent leur « civilisation » menacée de disparition face à « l’invasion ». Un discours qui résonne d’ailleurs avec la « Reconquête » dont Zemmour a fait le nom de son parti. Ces gens s’estiment en danger de mort. Et donc légitimes à prendre les armes pour se défendre. Ou du moins invitent à s’y préparer.
Par Pierre Plottu , Maxime Macé