Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Emilio Crisi. Révolution anarchiste en Mandchourie (1929-1932)
Article mis en ligne le 5 mars 2022
dernière modification le 18 février 2022

par siksatnam

Approche historique de l’expérience de la commune libertaire initiée par l’anarchisme coréen à l’Est de la Mandchourie.

Voici un livre d’introduction à un sujet que nous ignorons généralement dans l’histoire mondiale de l’anarchisme, et là est sa vertu principale. Il s’est produit un épisode de révolution libertaire rurale entre les deux guerres, à l’époque de la montée du communisme soviétique, dans l’Extrême-Orient asiatique.

La première question qui se pose à nous est de savoir où se trouve la Mandchourie et de pouvoir la localiser géographiquement. Des cartes en fin d’ouvrage nous éclairent à ce propos, en pages 159 à 161. La configuration géographique du lieu est fondamentale quant à son sort politique qui est présenté dans ce livre. En effet il s’agit d’une région de la côte Est située entre les iles japonaises à l’Est, et cernée par l’URSS d’une part, la Chine d’autre part. En sa pointe sud, se trouve la presqu’île de Corée.

Dans sa préface, Frank Mintz tente de situer quelque peu la problématique en présence.

Il s’agit d’un pays massivement rural, composé de paysans très pauvres, dirigé par une monarchie coréenne, à la solde des puissances environnantes Chine, Japon, Russie, et cela depuis la fin du XIXe siècle. Toute tentative de rébellion paysanne était matée par l’une ou l’autre de ces puissances politiques régionales. Les insurrections indépendantistes se succèdent. En vain. En 1919, Le Japon est le maître du jeu et colonise la région.

C’est alors que l’historien de référence de cet ouvrage, Ha Ki-rak, situe la naissance de l’anarchisme local.

La deuxième question qui surgit aussitôt de ce livre est : qui est l’auteur ? Rien dans cette édition ne le présente. Emilio Crisi serait un militant anarchiste argentin ainsi que ses remerciements en page 15 le précisent. Le présent livre aurait donc été traduit de l’espagnol, mais rien ne l’indique dans cette édition. Et traduit par qui ? On l’ignore. Comment est-on passé de la Mandchourie en Argentine, voilà qui n’est pas explicité et donne à penser qu’il s‘agirait ici d’une démarche militante qui vise à sortir de l’oubli un épisode ignoré du mouvement anarchiste. L’auteur qualifie ce moment de rien moins que de Commune anarchiste qui se déploya en Mandchourie de 1929 à 1932. Il s’agit donc de restituer une expérience réalisée de pratique anarchiste et cela, selon l’auteur, au même titre que la Makhnovtchina quelque dix ans auparavant et l’Espagne libertaire quelque cinq ans plus tard. Le propos militant de ce livre est donc d’étayer le patrimoine anarchiste par l’éclairage sur l’une de ses concrétisations.

Ce processus révolutionnaire s’insère dans un contexte de luttes indépendantistes menées avant tout par des nationalistes d’un côté, et des marxistes communistes de l’autre. De cet ensemble, se sont détachés des anarchistes, et ce livre présente les diverses organisations anarchistes coréennes qui se créent pour conduire une tentative de commune sur ce territoire : FACM, Fédération anarchiste coréenne de Mandchourie, ACPM, Association du peuple coréen de Mandchourie, et d’autres, que l’on découvre au sein de cet ouvrage. Il est donc évident que nous découvrons là un espace neuf de notre connaissance et que c’est l’intérêt principal de ce livre que de nous ouvrir à de nouveaux horizons historiques.

Toutefois, j’ajoute aussitôt que nous ne sommes pas en présence d’un livre d’historien. En aucune façon des archives ne sont ici convoquées, ni de source japonaise, de l’armée par exemple, ni de source administrative chinoise ou soviétique. Les matériaux utilisés pour nous présenter cet événement sont des compilations de lectures de seconde main. Pour qui voudrait approfondir cette introduction, il faudrait donc se tourner vers l’auteur de référence de cet ouvrage sur lequel l’ensemble du livre repose, à savoir Ha Ki-rak, History of the korean anarchist movment, publié en Corée en 1986, ainsi que quelques articles, la plupart en langue anglaise.

De fait, cet épisode s’inscrit dans un ensemble d’insurrections de diverses inspirations politiques, et démêler dans cet écheveau la part des anarchistes est déjà une gageure.

Ce livre le fait et il est indéniable, à le lire, que des organisations anarchistes explicitement se sont créées et ont agi dans les années trente dans cette région. Il est également d’ailleurs assuré une forme de continuité jusqu’à nos jours de cette tradition. L’ouvrage est moins disert, en revanche, sur les réalisations concrètes de ce que l’auteur nomme une commune libertaire en Mandchourie, hormis ses combats militaires, à savoir les mesures de collectivisation des terres et de la production, éventuelles.

Cependant l’auteur n’hésite pas à argumenter en termes de révolution libertaire avec coopératives agricoles et éducation des masses, sur le territoire de la préfecture de Shinmin. En cela effectivement il ne s’agit pas d’un travail d’histoire sociale. Cependant il faut signaler que l’anarchisme coréen de Mandchourie eut d’intimes intrications militaires avec les divers combattants en présence. La partie militaire de ladite insurrection semble avoir pris le pas sur les réalisations sociales, avec son lot d’illégalisme nécessaire à financer le mouvement. L’auteur nous rappelle qu’il en fut de même pour Makhno et l’Espagne. Sinon que de nos jours, les réalisations sociales des uns et des autres sont assez bien connues grâce aux innombrables travaux qui leur furent consacrés de longue date, tandis que nous sommes là devant la Commune de Mandchourie, à l’aube d’un nouveau chapitre de la connaissance historique anarchiste qui reste à étayer sérieusement.

Ce sera l’œuvre des continuateurs que d’approfondir les données sur cette lointaine contrée de l’anarchisme.

Claire Auzias