Loik Le Priol, l’assassin présumé de l’ancien rugbyman argentin Federico Marin Aramburu, le 19 mars dernier après une rixe dans un bar, et son principal complice Romain Bouvier sont des militants de longue date de l’ultra droite la plus radicale. Ils gravitent autour d’anciens du RN, et même de proches de Marine Le Pen. La désinvolture de la justice interroge : les deux hommes étaient mis en examen depuis 2015 pour des violences s’apparentant à des actes de barbarie, et n’avaient toujours pas été jugés. Bien qu’ayant montré leur dangerosité, ils étaient en liberté depuis 6 ans.
Une banale embrouille de bar qui vire à la tuerie
A l’aube du samedi 19 mars, Federico Martin-Aramburu, 42 ans, ancien international argentin de Rugby (22 sélections) et ancien joueur du Biarritz Olympique, sirote ses derniers verres avec son ami et ancien coéquipier Shawn Hegarty. Ils sont à la terrasse du Mabillon, une brasserie du boulevard Saint-Germain, il est près de 6 heures du matin. Une altercation sans gravité éclate entre eux et un autre groupe, pour un motif pas encore très clair. Les vigiles les séparent, les deux anciens sportifs repartent vers leur hôtel. Au niveau du 146 boulevard St-Germain, une jeep ralentit à leur hauteur. A son bord, deux hommes et une femme qui conduit. C’est le groupe avec qui ils ont eu quelques mots. Des coups de feu sont tirés de la voiture, sans atteindre personne. Mais un des occupants, Loik Le Priol, descend du véhicule et tire à six reprises sur l’Argentin. Ce dernier décède peu après.
Les agresseurs sont identifiés par les caméras de vidéo surveillance : il s’agit des deux militants d’extrême droite Romain Bouvier et Loik Le Priol, ainsi que la compagne de ce dernier, Lyson Rochemir. Cette dernière est arrêtée le mardi 21. Le Lendemain, les deux autres suspects sont interpellés eux-aussi : Romain Bouvier dans la Sarthe et Loik Le Priol, en Hongrie , alors qu’il s’apprêtait, à rejoindre l’Ukraine pour y combattre les Russes.
Elle est bien loin l’éphémère heure de gloire de Loik Le Priol. Début mars 2016, cet ancien militaire connaît son quart d’heure warholien médiatique : Streetpress, puis les émissions de Canal plus, la nouvelle édition et le supplément l’interrogent non sans une certaine complaisance au sujet du lancement de sa marque de teeshirts identitaires, « Babtou solide certifié » (Babtou signifiant « blanc dans le verlan des banlieues, NDLR). Un sacré coup de pub pour cet homme présenté comme une sorte de dandy d’extrême droite. Mais deux semaines plus tard, rien ne va plus, Loik Le Priol fait la une de l’actualité en montrant un visage bien moins avenant : le 21 mars 2016, Médiapart diffuse des extraits d’une vidéo que l’auteur de ces lignes s’était procuré, où il se filme avec quatre de ses camarades tabassant, humiliant et torturant, l’ancien chef du GUD Paris (mouvement d’extrême droite violent) EK, pour des raisons obscures. La scène se déroule quelques mois auparavant, en octobre 2015.
« J’en ai buté plus d’un tu sais », menace Le Priol
Le Priol, dont on entend que la voix, se montre d’une violence inouie. « C’est toi l’idole du fascisme ? C’est toi le patron du GUD ? Mais t’es personne regarde-toi !, poursuit Le Priol. Allez lève-toi, assume pour une fois ! Porte tes couilles ! [...] T’es un putain de Français, vas-y assume ! [...] T’oses même pas te lever. [...] Le peu de Français que t’avais en toi tu l’as même pas porté tes couilles. »
Le malheureux est alors traîné dans une chambre et déshabillé de force. Le Priol menace de l’étrangler avec son foulard. La victime est extirpé de la chambre et apparaît sur la vidéo, nu comme un ver, le visage ensanglanté. Hystérique, le Priol, ancien militaire ayant effectué des opérations spéciales à Djibouti et au Mali, vocifère et le menace de mort : « Tu sais que j’en ai buté plus d’un des mecs là-bas, tu le sais ?. Le coupe-gorge, ça va très vite, tu le sais ? [...] Lâche mon couteau, sinon je te plie la main », vocifère-t-il en frappant l’ancien chef du GUD, et en le menaçant avec un couteau placé sur sa gorge.
La victime a porté plainte, les 5 agresseurs sont identifiés. Hormis Le Priol, il y a Logan Djian, chef du GUD Paris à l’époque, successeur de E.K., et Romain Bouvier, le complice présumé dans le meurtre du rugbyman argentin. Les agresseurs sont mis en examen et brièvement placés en détention provisoire, avant de recouvrer la liberté.
Fiché S, Logan Djian fera quelques mois de prison fin 2016-début 2017 pour le tabassage d’un journaliste de l’AFP lors d’une manif pour tous en 2013. Selon Marianne, Loïk Le Priol quant à lui, a quatre mentions à son casier judiciaire pour des faits de violences, et, toujours en 2015, il a été mis en cause à Djibouti pour avoir frappé et étranglé une prostituée, affaire qui s’est soldée par le paiement par la France de 350.000 francs Djibouti, soit un peu plus de 1.700 euros.
Six ans après, toujours aucun procès, les tortionnaires dans la nature
Dans les milieux antifascistes et judiciaires, certains s’étonnent de la lenteur de la justice : « certes, la justice est engorgée et le covid n’a pas arrangé les choses, estime un ténor du barreau. Mais quand même : le dossier est simplissime, les agresseurs sont identifiés et il y a une vidéo attestant des faits. Six ans et toujours pas de procès pour une affaire aussi simple, ça fait quand même très long ». Un militant antifasciste surenchérit : « la vidéo montre l’extrême dangerosité de ces gens, et on les laisse tranquillou dans la nature pendant toutes ces années, alors qu’un manifestant soupçonnné d’avoir jeté une bouteille en plastique sur la police est jugé en comparution immédiate, c’est invraisemblable ». Dangerosité d’autant plus flagrante que les deux hommes n’hésitent pas à poser armes de guerre à la main sur les réseaux sociaux. Romain Bouvier affirme, avoir pris les deux derniers clichés où il apparaît seul au Haut-Karabakh où il affirme être allé combattre aux côtés des indépendantistes arméniens (chrétiens). Questionné sur ce qui apparaît comme une coupable désinvolture judiciaire, le parquet n’a pas souhaité réagir.
Les liens de la bande de Le Priol avec certaines personnalités de l’aile la plus à droite du RN et les partisans de Zemmour sont flagrantes. Ainsi, Logan Djian, ex chef du GUD Paris et complice de Le Priol, est sorti de détention préventive dans l’affaire de l’agression barbare de E.K. grâce à, l’aide de l’un de ses mentors : Axel Loustau, conseiller régional du RN en Ile de France jusqu’à l’an dernier et très proche de Marine Le Pen (il a été trésorier de son association de financement) a payé une caution de 25 000 euros. Un homme sulfureux : sur une photo que j’avais récupérée en 2014 et datant de 2011, il fait un salut nazi lors de son anniversaire. Et sous un anagramme qui ne trompe pas grand monde, il a aussi posté sur facebook une assiette de riz en forme croix gammée.
Des liens avec d’anciennes et actuelles personnalités du RN
Loik Le Priol, quant à lui, est un très proche de Julien Rochedy, ancien patron du Front national de la jeunesse (FNJ) jusqu’en 2014, aujourd’hui soutien d’Eric Zemmour, comme le prouvent de nombreuses photos diffusées sur les réseaux sociaux. Rochedy affirme avoir rompu avec Le Priol après la révélation de l’agression filmée en 2016 : « oui, j’assume, Le Priol était un copain (mais) on ne se voyait presque plus. (…). Nous nous étions éloignés depuis, l’affaire E.K ». On le voit pourtant prendre la pose avec un teeshirt Babtou solide certifié en 2018. Et le 4 août 2019, Le Priol met sur son compte Facebook en photo de profil un cliché le montrant avec Rochedy et Jean-Romée Charbonneau, figure du RN à Niort et ancien conseiller régional en Aquitaine. "c’est le fils de l’un de mes très bons amis, concessionnaire Jeep en France, a-t-il déclaré à France 3 Aquitaine. L’un de mes garçons est militaire comme lui et ce jeune avait obtenu la croix de la valeur militaire, pour ses combats au Mali. Quand un garçon est décoré j’en suis très fier, pour lui et ses parents." Son attitude dans l’armée fut pourtant loin d’être exemplaire si l’on en croit les révélations de Marianne sur l’agression d’une prostituée à Djibouti.
"Cela, commente Jean-Romée Charbonneau, il ne m’en a pas parlé. Mais pour avoir été faire un tour à Djibouti, je sais comment ça se passe.". Drôle de sous-entendu, plutôt nauséabond
"Je ne l’excuse pas, hein.", s’empresse-t-il d’ajouter. Ben si, un peu quand même…
« Tout le monde savait que c’était un fêlé »
« Il faut arrêter les conneries, s’emporte Paul-Henri, militant d’extrême droite qui a bien connu la bande. Tout le monde savait que Le Priol était un dangereux fêlé et qu’un jour ça tournerait mal. Alors venir jouer les étonnés aujourd’hui, quelle hypocrisie ! ».
Au temps de la marque, d’autres personnalités du RN s’exhibaient avec un tee-shirt Babtou solide certifié. C’est le cas par exemple de Marie d’Herbais, une très proche de Jean-Marie Le Pen, et ex-épouse d’un homme de l’ombre de l’entourage de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon.
Enfin, Le Priol était très proche des Zouaves, ce groupuscule violent, responsable de nombreuses agressions, notamment l’attaque du bar le St-Sauveur, fréquenté par des antifascistes. Un groupe dissout à la suite de violences commises par plusieurs de leurs membres, notamment leur chef, Marc de Cacqueray Valmenier, lors du, meeting de Zemmour à Villepinte le 5 décembre 2021. Pour preuve, l’action antifasciste Paris Banlieue a dégoté des photos des membres des zouaves prenant la pose pour la nouvelle marque de masques aux motifs identitaires et nationalistes que Le Priol, décidément styliste émérite, a lancé au moment du confinement. On y reconnaît ainsi Marc de Cacqueray, leur chef.
On l’aura compris, les deux suspects du meurtre d’Aramburu, les deux suspects baignent depuis toujours dans le marigot nauséabond de l’ultradroite la plus crasse.
Une exception apparemment : la femme arrêtée, qui conduisait la jeep où étaient les tueurs, Lyson Rochemir, immédiatement interpellée, était quasi inconnue dans le milieu : « c’était la copine de Le Priol, c’est tout ce qu’on en savait. Elle l’a suivi par amour, c’est tout, estime le même militant d’extrême droite ». La jeune femme de 24 ans, étudiante, projetait de faire une carrière de diététicienne, sa passion. Elle avait même posté une demande de stage sur son profil LinkedIn. Des rêves qui se sont évaporés en quelques minutes, au bout de cette nuit sans fin, qui s’achève par des coups de feu juste avant l’aurore ensoleillé de cette avant-veille de printemps.
Thierry Vincent