Il est clair que le fascisme n’appartient pas à un passé révolu et peut ressurgir à la faveur des crises et des guerres. Les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets. Mais sommes nous à deux pas du fascisme avec le risque de l’élection de Le Pen ? Certains en sont si convaincus qu’ils sont prêts à appeler à voter et à faire voter pour Macron, le candidat des banques et du MEDEF (qui vient de se prononcer pour lui) en croyant nous protéger de ce danger.
Il faut donc se rappeler ce qu’est le fascisme, qui ne se limite pas à un pouvoir autoritaire et répressif. Le fascisme, c’est un mouvement capable de mobiliser des masses populaires déboussolées, des chômeurs, des petits bourgeois déclassés, des lumpens mais aussi des travailleurs, de les organiser et de les encadrer dans des bandes armées pour les lancer contre les organisations ouvrières, les détruire, éliminer toute forme d’opposition et de liberté démocratique et instaurer un régime de terreur totalitaire. Le succès de cette tentative suppose qu’une fraction déterminante de la bourgeoisie soit acquise à cette solution ou s’y résigne, faute d’en voir d’autres, pour faire face à une menace révolutionnaire, briser le mouvement ouvrier, préparer une guerre. Face au fascisme, toute politique de conciliation comme de Front Républicain avec des politiciens « démocrates » est impuissante, car on ne peut opposer que la force à la force, celle des classes laborieuses.
Il ne faut pas confondre fascisme, dictature militaire ou régime fort et répressif comme beaucoup le font. Le fascisme, c’est un régime spécifique qui transforme profondément les structures de la société. Alors, l’élection d’un(e) politicien(n)e populiste partageant des idées raciste, réactionnaires, sexistes, fascisantes entraîne-t-elle l’instauration du fascisme ? Deux exemples récents nous prouvent le contraire : Trump et Bolsonaro. Ni l’un ni l’autre n’ont instauré le fascisme ni même n’ont essayé. Ni l’un ni l’autre n’ont essayé de détruire les organisations ouvrières et sociales, de supprimer les institutions et les libertés démocratiques. Ni Bolsonaro ni Trump n’ont constitué de bandes armées pour faire régner la terreur.
Ce constat ne signifie pas que nous puissions être indifférents à l’arrivée à la présidence d’individus de cet acabit. Car, au-delà des mesures qu’ils peuvent prendre, leur présence encourage de toute évidence les fascistes, les racistes. Et c’est bien là le véritable danger : la montée continuelle de ces idées nauséabondes alimentées en particulier par le dégoût des classes populaires à l’égard des politiciens de droite comme de gauche qui tous, sans exception, ont mené des politiques anti sociales depuis des décennies.
Face à cette situation, certains amis, sincèrement effrayés, croient donc faire barrage au fascisme avec le bulletin de vote Macron. En oubliant d’une part que la politique de Macron a largement contribué à la montée de ces idées ; en ne réalisant pas d’autre part qu’appeler à voter Macron serait un véritable suicide politique face aux millions de personnes qui le vomissent, face à tous ceux qui gardent en mémoire les mutilations systèmatiques de manifestants gilets jaunes ordonnés par le pouvoir. Un tel appel ne pourrait que les convaincre que nous sommes dans l’autre camp, celui des mutileurs. Si, comme on pouvait s’y attendre, Jadot, Hidalgo et Roussel se sont précipités pour se rallier à Macron, Mélenchon, quoi qu’on puisse lui reprocher par ailleurs, a eu l’intelligence de comprendre le caractère suicidaire d’un tel appel. Loin de nous protéger du fascisme, un appel à voter Macron ne ferait que renforcer les idées, notamment le fameux « tous pourris » qui peuvent favoriser l’apparition du fascisme.
Et, le jour où un véritable parti fasciste apparaîtra, que ce soit à l’iniative du clan Le Pen, de Zemmour où de nouvelles figures, ce n’est pas à coups de bulletins de vote que ça se réglera. Mieux vaut le savoir. Un mot encore pour évoquer certaines théories selon lesquelles le fascisme prendrait une autre forme, celle de la « fascisation » progressive du pouvoir, ce qui le dispenserait de mettre sur pied un parti fasciste et des milices. Pour certains, le pouvoir macroniste aurait d’ailleurs été déjà plus ou moins dictatorial et fascisant. A mon avis, ces thèses s’écartent des analyses du fascisme dans la mesure où celui-ci représente une rupture brutale, un changement net de régime, même si elles se produisent dans le cadre du même système capitaliste. Mais, en se plaçant du point de vue des défenseurs de cette thèse, il est encore plus absurde de compter sur Macron pour nous protéger du fascisme, puisque le pouvoir de Macron pourrait se « fasciser » sans avoir besoin de Le Pen. Il existe d’ailleurs toutes sortes de combinaisons imaginables permettant aux fascistes de prendre la tête de l’État. Par exemple leur installation au gouvernement à l’appel d’un président hier républicain, la constitution d’une union nationale qui leur ferait une place prépondérante. Ce qui souligne le caractère illusoire des fronts républicains (1) avec des politiciens prêts à capituler du jour au lendemain devant les fascistes. Mais surtout, pour que le régime issu d’une telle coalition puisse prendre un véritable caractère fasciste, la mobilisation et l’encadrement de masses importantes par des organisations fascistes reste incontournable.
Pour conclure, il faut encourager la lecture (ou la relecture) de deux grands classiques.
– Fascisme et grand capital, de Daniel Guerin. (Récemment réédité par Libertalia)
– Comment vaincre le fascisme de Léon Trotsky. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/cvf/cvf.htm
Gérard Delteil