Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Russie : attendre que tourne la roue de l’Histoire
Article mis en ligne le 21 avril 2022

par siksatnam

La première phase du mouvement antiguerre en Russie touche à sa fin, réprimée par la force. Dans ce dossier, nous abordons les enjeux de ces contestations, partageons les réflexions d’anarchistes russes sur les raisons pour lesquelles elles se sont heurtées à un mur.

Pourquoi le mouvement antiguerre russe reste notre plus grand espoir

L’invasion de l’Ukraine n’aurait jamais été possible si le régime de Poutine n’avait pas passé les dix dernières années à écraser le moindre mouvement social en Russie – notamment en utilisant la torture pour arracher de faux aveux aux personnes détenues et en empoisonnant et emprisonnant les politicien⋅nes riva⋅les. De même, les interventions militaires de Poutine en Biélorussie et au Kazakhstan – sans parler de la Syrie – ont aidé les autocrates à maintenir leur contrôle sur ces pays ; l’Ukraine est le seul pays de ce que Poutine considère comme sa zone d’influence a avoir échappé à sa domination pendant la dernière décennie. Certain⋅es des anarchistes en Ukraine qui ont choisi de prendre les armes contre l’invasion russe sont des expatrié⋅es russes ou biélorusses qui craignent de n’avoir plus nulle part où aller si Poutine s’emparait de l’Ukraine.

Pourtant nous ne devons pas tomber dans le piège du récit occidental qui fait de cette situation un affrontement entre « le monde libre » et l’autocratie de l’Est. L’impérialisme militaire de la Russie nous concerne, car le modèle de répression russe n’est qu’une version de la même stratégie d’État à laquelle nous sommes confronté⋅es ailleurs dans le monde. Partout, les autorités s’appuient sur un maintien de l’ordre de plus en plus invasif et répressif pour contrôler les populations qui s’agitent. La guerre en Ukraine n’est que le dernier chapitre d’une histoire qui s’est déjà jouée en Syrie, au Yémen, en Éthiopie, au Myanmar et ailleurs. L’invasion de l’Ukraine correspond à la même stratégie que celle employée par d’innombrables gouvernements à l’intérieur de leurs territoires, appliquée à l’échelle géopolitique : le recours à la force brutale pour réprimer les résistances et étendre le contrôle.

La guerre exacerbe toujours le nationalisme. Exactement comme lors de la guerre civile en Syrie, l’invasion russe de l’Ukraine a créé un environnement propice aux fascistes et autres nationalistes pour recruter de nouveaux adhérents et aux militaristes pour légitimer leurs projets – qu’il s’agisse de l’OTAN ou de milices locales. De nombreu⋅ses combattant⋅es ukrainien⋅nes ont pris pour habitude de déshumaniser les soldats russes en les traitant d’« orcs ». Si la responsabilité principale de cette situation incombe toujours à Poutine, cela risque d’avoir des conséquences pour tous et toutes dans les années à venir.

La seule chose qui aurait permis d’éviter cette guerre – et sans doute la seule chose qui puisse l’arrêter maintenant sans en passer par de très nombreuses pertes en vies humaines des deux côtés – est l’émergence d’un puissant mouvement antiguerre internationaliste en Russie qui déstabiliserait le pouvoir de Poutine, accompagné du soutien de mouvements similaires en Ukraine et ailleurs dans le monde. Si la guerre se poursuit indéfiniment, ou si elle se conclut – quel que soit le vainqueur – par la force brute du militarisme nationaliste, cela poussera beaucoup de gens, dans chaque camp, à rejoindre les rangs des militaristes et des nationalistes pour les décennies à venir.

Mais si la guerre en Ukraine prend fin grâce à la rébellion et à la solidarité des gens ordinaires, cela pourrait bien créer un précédent pour d’autres rébellions, d’autres mutineries, d’autres solidarités, qui pourraient s’étendre de la Russie à l’Ukraine, à l’Europe occidentale, aux États-Unis, et peut-être même à la Turquie, à la Chine, à l’Inde, à l’Amérique latine – partout où les gens sont contraints à se concurrencer les uns aux autres au profit d’une poignée de capitalistes.

Si nous avions su que tant de choses dépendaient des mouvements sociaux en Russie, nous aurions sans doute dirigé davantage de ressources vers les anarchistes de ce pays il y a dix ans, quand les mesures de répression y ont débuté. Cela souligne une leçon que nous avons du apprendre à la dure, encore et encore, depuis le mouvement contre les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak entre 2001 et 2003, à la tragédie de Maïdan en 2014 : à chaque bataille que nous perdons dans la lutte globale pour la libération, nous sommes forcé⋅es à nous battre à nouveau dans des conditions bien pires, et pour des enjeux bien plus élevés.

Actuellement, les chances d’un bouleversement en Russie paraissent bien minces. La grande majorité de la population qui demeure dans le pays semble patriote, complaisante ou résignée. Pire, à mesure que la guerre en Ukraine se poursuit, les partisan⋅nes de chaque camp deviennent si aigri⋅es qu’iels ne peuvent imaginer rien d’autre que de tuer et de mourir pour leurs gouvernements respectifs. Mais à moins qu’elle ne se conclue par une annihilation nucléaire, la guerre en Ukraine ne sera pas la dernière du XXIe siècle. Il est peut-être encore temps pour nous d’apprendre de nos erreurs et de mieux nous préparer pour la prochaine fois, en construisant une solidarité qui dépasse les frontières et les autres lignes de démarcation, afin de nous rendre capables de répondre à la guerre par la seule force qui soit assez puissante pour y mettre fin : la révolution.

Les limites des manifestations et leur avenir

En Russie, les manifestations contre l’invasion de l’Ukraine ont atteint leur apogée début mars. Selon OVD-info, le 6 mars à 20 heures (heure locale), la police avait arrêté plus de 4419 manifestant⋅es dans 56 villes, dont plus de 1667 à Moscou, plus de 1197 à Saint-Pétersbourg, et plus de 271 à Novossibirsk. Il faut rappeler que la journée d’action du 6 mars avait été organisée par des voies clandestines et illégales, les groupes légalistes n’ayant pas pu obtenir de permis pour ce week-end. Ils se sont contentés de préparer les manifestations du week-end suivant, alors qu’il était déjà trop tard pour changer le cours des événements. Pendant les semaines qui ont suivi, l’affluence a progressivement diminué. Pour l’instant, la fenêtre d’opportunité s’est refermée.

Pendant la préparation de ce texte, nous avons communiqué avec des anarchistes en Russie sur les limites que le mouvement antiguerre a rencontrées dans sa première phase. Voici les facteurs qui selon elleux ont empêché les manifestations de se dépasser :

Le rapport risque/bénéfice de la participation aux manifestations extraordinairement désavantageux. Le « bénéfice » se comprenant ici par toute évolution de la situation provoquée par les manifestations, ou par un succès significatif dans les affrontements avec la police. Rien de tout cela ne s’est produit.

La centralisation des manifestations. Les gens s’étaient habitués à ce qu’[Alexeï] Navalny [un politicien dissident, actuellement emprisonné] ou son équipe appellent à descendre dans les rues. S’en est résulté un manque de créativité et d’indépendance chez les manifestant⋅es. Aujourd’hui, les gens attendent l’apparition d’un nouveau Navalny pour les rassembler.
De nombreuses personnes ont constaté que la moindre tentative de protestation se soldait souvent par une arrestation, et elles craignent que viennent s’y ajouter des les persécutions ciblant leur travail, leurs études, leur vie de famille, etc. Les gens en ont assez d’être arrêtés et de recevoir des amendes, de risquer d’être emprisonnés quinze jours voire d’être torturés, pour presque aucun bénéfice en retour.

De nombreuses personnes sont déçues par les tactiques de manifestations pacifiques. Certain⋅es se défoulent dans les tchats, où iels peuvent écrire ce qui les contrarie et ensuite le mettre de côté.

Bien que nous ne blâmions pas les gens pour cela, il nous faut tenir compte du fait que de nombreuses personnes ont quitté la Russie au début de la guerre, soit parce qu’elles étaient persécutées, soit parce qu’elles pressentaient qu’il n’y aurait pas de meilleur moment pour s’échapper. Il s’agit pour une large part de personnes qui, autrement, se seraient organisées pour lutter. En raison du manque de structures à long terme et parce qu’elles ne pouvaient pas avoir la certitude que, si elles restaient, il y aurait suffisamment de camarades et d’opportunités pour s’organiser, elles sont parties.

La simple apathie et l’acceptation de ce qui se passe, plus ou moins accentuées par la peur.

De nombreux⋅ses manifestant⋅es ont été démoralisé⋅es par le grand nombre de Russes qui soutiennent l’invasion et par la domination visuelle de la propagande proguerre dans la société russe. Pour l’instant, à moins de suivre vraiment toutes les informations et en n’ayant pas de problèmes financiers particuliers, il est encore possible de se dire : « tout ira bien, ce n’est pas si grave. » La propagande russe a atteint son objectif : beaucoup de gens croient que la Russie sauve simplement le Donbass des nazis.

Manque de stratégie concrète. Sans objectifs concrets, la revendication « Non à la guerre ! » est vaine. De nombreuses personnes sentent que le gouvernement ne les écoutera jamais, et les manifestations ne se sont pas (encore) radicalisées.

Un grand nombre d’anarchistes russes pense que l’élan vers des manifestations de masse à l’échelle nationale n’a que temporairement décliné. Comme la situation économique s’aggrave et que de plus en plus de familles russes apprennent la mort de leurs proches en Ukraine, iels s’attendent à ce qu’un plus grand nombre de personnes finissent par retourner dans les rues, non seulement pour protester contre la guerre, mais aussi contre le gouvernement et l’ordre social dominant. En attendant, les anarchistes qui restent en Russie cherchent à diffuser les bonnes pratiques en matière de sécurité, à ré-établir ou renforcer les structures de soutien pour faire face à la répression, et à mener des actions clandestines de diffusion et de partage de compétences, dans l’espoir d’être prêt⋅es, lorsque la vague d’indignation populaire s’élèvera à nouveau.

Le pipeline de la répression continue de fonctionner, et son flux peut sembler sans fin. Mais les lueurs de l’aube de la liberté sont déjà visibles. La guerre déclenchée par le régime fasciste russe en Ukraine ne se déroule clairement pas selon le plan du dictateur botoxé. La résistance au régime d’occupation se poursuit en Biélorussie. Nos camarades emprisonné⋅es seront libéré⋅es si les défaites de l’impérialisme russe en Ukraine sont soutenues par une lutte populaire contre les dictatures de Poutine et de Loukachenko. Que la roue de l’Histoire s’accélère pour le malheur des tyrans !

-Combattant anarchiste, « Répression en Biélorussie et en Russie », 27 mars 2022