Royaume-Uni, fin des années 70, en pleine explosion punk : face à la montée de l’extrême- droite nationaliste et raciste, un groupe de militants choisit la musique comme arme. C’est l’aventure de Rock Against Racism qui, avec The Clash en première ligne, va réconcilier sur des rythmes punk, rock ou reggae les communautés d’un pays en crise.
C’est une période étrange, il flotte des choses malsaines dans l’air. David Bowie délire sur une Angleterre "prête à accueillir le fascisme" [1]. Eric Clapton, qui a porté si haut le blues, la musique des esclaves, s’enflamme pour Enoch Powell un suprémaciste blanc [2]. Rod Stewart se lâche aussi sur les immigrés qu’il faut d’urgence "renvoyer chez eux". Tous regretteront plus ou moins clairement ces horreurs, mais sur le moment ils ont l’air d’y croire.
Racisme décomplexé
En cet hiver 1976, le National Front se montre de plus en plus présent, ses activistes ultra-nationalistes multiplient les provocations et les appels à la haine. Les tabloïds ne sont pas en reste, s’attaquant chaque jour aux immigrés, ces "envahisseurs". Sur les palissades, des graffitis "Dehors les négros", les affiches du NF promettent de "nettoyer la racaille des rues".
Chaque jour, des incidents surviennent entre la police et les jeunes, à Londres et dans plusieurs cités anglaises. Au cœur des tensions, la Sus Law, cette qualification du "soupçon de délit d’intention" utilisée sans retenue par les forces de l’ordre pour contrôler et interpeller, avec ses verbalisations surréalistes : "A une date inconnue vous avez cherché avec des inconnus à voler à d’autres inconnus". C’est parole contre parole. Et à la fin, c’est généralement l’uniforme qui gagne.
La réponse "Rock Against Racism"
Dans cette ambiance de racisme décomplexé, un mouvement va naître, fédérant petit à petit la plupart des protagonistes du mouvement punk. C’est ce que raconte le documentaire de Rubika Shah, White Riot. Si certains sont déjà très engagés, tels les Clash, beaucoup se construisent à cette occasion une conscience politique. "No future" certes, mais on peut s’arranger pour éviter que le présent tourne à la tragédie.
La vague "Rock Against Racism" démarre modestement, succession de concerts dans des petites salles, appuyés par des fanzines et des expositions. Une mobilisation à bas bruit comme on dit aujourd’hui, qui va changer de braquet après les événements de l’automne 1977. Le National Front choisit la provocation en défilant dans des quartiers immigrés de Londres. Malgré l’impressionnant cordon policier, la manifestation dégénère. Les brigades anti-émeutes n’ont pas encore de LBD mais elles tapent dur. Des images violentes vont circuler et provoquer un électrochoc au sein de la jeunesse anglaise.
Et c’est ainsi que quatre décennies avant la mort d’Arthur Floyd, ce sont les musiciens anglais de la nouvelle vague qui déboulent en porte-drapeau de l’antiracisme. Avec en point d’orgue, la journée historique du 30 avril 1978.
D’abord, un défilé de Trafalgar Square jusqu’à l’est de Londres. L’ambiance est au carnaval politique, rebelle et multiculturel. Régulièrement raillés pour leur nihilisme, les punks donnent une leçon d’engagement sociétal, aux côtés des musiciens de reggae, des militants politiques, et des milliers d’anonymes venus dire stop à la poussée nationaliste.
"Ici c’est pas Woodstock, c’est le carnaval contre les nazis"
Lorsque les manifestants convergent vers Victoria Park, ce sont près de 100 000 personnes qui se massent devant la scène. Cut the Crap, X ray Spex, Clash, Steve Robinson, Steel Pulse, vont électriser cette journée. "Ici c’est pas Woodstock c’est le carnaval contre les nazis" hurle Red Saunders, l’organisateur. Et lorsque Jimmy Pursey, le chanteur de Sham 69 (dont une partie du public est habituellement composée de skinheads) attaque White Riot avec les Clash on sait déjà que ce concert vient de rentrer dans l’histoire.
Peu d’images de ce festival hors-norme existent finalement mais cette rareté les rend plus précieuses encore. Le réalisateur jongle habilement entre photos et images de foule et on oublie la pénurie.
Ce court et beau documentaire, qui tire son nom de l’hymne des Clash, a la couleur de l’époque, avec ses archives édifiantes, les collages des fanzines, les concerts improvisés et l’envie d’en découdre. Dans cette guérilla musicale, "Rock Against Racism" aura eu le dernier mot : miné par ses luttes intestines, le National Front a très vite retrouvé son rang de groupuscule, ses dernières provocations restant sans écho.
Source : Pierre-Yves Grenu-francetvinfo.fr