Immense tristesse, le cinéaste de la célèbre nouvelle vague suisse vient de décéder à 92 ans !
C’était mon cinéaste préféré, et j’ai vu tous ses films sans exception. Avec ravissement : pour ses sujets alternatifs, ses scénarios époustouflants, son souffle poétique, ses acteurs fétiches (Miou Miou, Jacques Denis, Jean-Luc Bideau, Rufus... tous extraordinaires) soigneusement choisis, ses plans lents et ses longs dialogues.....
Je suis très triste. Et je ne suis bien sûr pas seul à l’être.... Ne m’en voulez pas de citer une anecdote, mais qui a joué un rôle décisif dans mon orientation professionnelle.
J’étais en 1° licence de droit, à l’ULB. Tout ronronnait, dans ce milieu nourri de certitudes et peuplé de Lodens verts... Mon grand-père m’avait conservé au chaud son cabinet d’avocat qu’il tenait à me céder. Quand j’ai vu LA SALAMANDRE. Ce fut le coup de foudre !
Dans un squat de Genève, Jean-Luc Bideau, revenu du Brésil ou de l’Uruguay, tape à deux doigts son reportage sur les guérilleros clandestins. il fume clope sur clope (à moins que ce ne fut un cigare cubain ?). Il a invité dans son gourbi Bulle Ogier, alanguie sur son canapé, face au reporter. Elle n’attend qu’une chose, que le journaleux abandonne son "tac tac tac", et monte avec elle dans la chambrette à l’étage. Bulle s’impatiente. Et voilà qu’elle jette, en manière de provocation, son petit panty en direction du grand Bideau. Lequel craque, écrase sa dernière cigarette et dirige sa longue carcasse vers la belle et sentimentale blonde. La suite, on la devine...
Le plan dure 4 ou 5 minutes. A cet instant même, je me suis dit, le droit, les codes, les cabinets poussiéreux, la jurisprudence, tout cela ce n’est pas pour moi. "Je bifurque vers le journalisme", sur les traces romanesques de Jean-Luc Bideau. Ce que je fis dès 1975, juste deux ans en plus.
Vivent les contacts à hauteur d’hommes (et de femmes), la liberté, et les voyages en rades inconnues...
Merci Alain Tanner. Je n’ai jamais regretté ce choix...
JEAN LEMAITRE
L’HOMMAGE AUJOURD’HUI DE LA cinémathèque FRANÇAISE...
« Nous apprenons avec tristesse la disparition d’ALAIN TANNER, immense cinéaste suisse (...)
« Cinéaste voyageur », « cinéma voyagé » : ce sont des formules qui reviennent souvent quand on évoque le nom d’Alain Tanner. Beaucoup ignorent que ce mouvement essentiel de ses films – le départ, la fuite, le goût du large – s’origine dans une expérience vécue. Quand d’autres, à Paris – la future Nouvelle Vague – apprennent le cinéma en regardant les films d’Hitchcock ou d’Hawks, Tanner fait l’expérience du monde sur des bateaux et découvre la poésie d’Aimé Césaire à qui il rendra hommage dans Le Retour d’Afrique (1973). Alain Tanner n’est pas un cinéphile. On entend par là que chez lui, le cinéma n’est pas une fin, mais un moyen. Comme le cargo. D’ailleurs, son goût de cinéma naîtra avec la découverte de Rossellini et de De Sica, le néoréalisme italien fonctionnant sur lui autant comme une expérience du réel que comme un choc esthétique. Le cinéma d’Alain Tanner est d’abord une éthique du réel, une manière de s’y frotter, de s’y attaquer. Le cinéaste aime dire que le cinéma commence quand « ça résiste un peu ». Faire un film, ce sera donc enregistrer les résistances du réel, matériau d’origine. » (Frédéric Bas, texte du programme, janvier 2009) «