Rien ne saurait justifier la guerre de conquête de Vladimir Poutine ni - évidemment - la barbarie dont font preuve l’armée russe et ses mercenaires
« Bis repetita non placent ». Pierre Rimbert persiste et signe. Sous le titre « L’Ukraine et ses faux amis », il déroule à la « une » du Monde diplomatique d’octobre l’histoire des tentatives américaines et européennes, depuis la disparition de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine, pour faire basculer ce pays du côté occidental.
L’originalité de la démarche ne tient pas à ce rappel de faits, d’ailleurs bien connus des lecteurs du Diplo et plus généralement de quiconque s’intéresse depuis longtemps au sujet. Non : elle réside dans l’impasse totale que l’auteur fait sur un acteur majeur de toute cette histoire. Incroyable : à aucun moment, en effet, Pierre Rimbert n’évoque la Russie, ses dirigeants et leur rôle dans l’escalade en cours - le nom de Poutine n’y figure même pas !
Bien sûr, on se serait attendu à ce qu’un article placé en première page du Diplo rappelle que c’est Vladimir Poutine qui a décidé d’envahir l’Ukraine - et non Zelensky qui a agressé la Russie sur ordre des États-Unis, comme on pourrait le croire en lisant ce texte. Condamner cette aventure contraire au droit international, criminelle pour l’Ukraine et suicidaire pour la Russie était une condition sine qua non de crédibilité minimale.
Mais le caractère absurde de la réécriture rimbertienne de l’histoire va bien au-delà : elle ignore l’existence même de la Russie et de son rôle actif dans cette crise comme dans les précédentes.
Car la carrière de l’ex-espion, devenu président à la faveur du naufrage politique et personnel de Boris Eltsine, est jalonnée de guerres sanglantes : second bain de sang en Tchétchénie (1999-2000), agression contre la Géorgie au nom des minorités russes d’Abkhazie et d’Ossétie, (2008), appui aux russophones du Donbass et annexion de la Crimée (2014), sauvetage du régime de Bachar Al-Assad (depuis 2015) et enfin invasion de l’Ukraine (2022)…
Poutine applique donc la maxime de Clausewitz : « La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. » Mais il la durcit : pour lui, c’est quasiment le seul moyen. Quitte à recourir à une barbarie peu commune : le siècle de conflit entre juifs et Arabes en Palestine, par exemple, a été le théâtre de nombre d’horreurs, mais je ne connais aucun cas de Palestinien castré au couteau ni de Palestinienne violée par des groupes de jeunes soldats ivres…
Cela va sans dire, mais visiblement mieux en le disant : l’oubli par l’Occident de la promesse faite à Gorbatchev lors de l’unification allemande, l’élargissement de l’OTAN à l’est, les grandes manœuvres autour de l’Ukraine ne sauraient justifier la folle aventure déclenchée par le Kremlin le 22 février 2022 et relancée ces derniers jours, pas plus - évidemment - que la cruauté systémique de l’armée russe et de ses mercenaires.
Au-delà du détail, c’est sur la caractéristique fondamentale de l’époque que Pierre Rimbert s’aveugle. Trente ans après la fin de la guerre froide, il n’y a plus un seul impérialisme, mais plusieurs. Et si l’américain reste le plus puissant et le plus menaçant à l’échelle de la planète, d’autres se montrent redoutables dans telle ou telle région : c’est tout autant le cas de l’impérialisme russe que de l’impérialisme chinois. Sans oublier les puissances régionales qui s’allient à l’un ou à l’autre, comme Israël, la Turquie, l’Iran ou l’Arabie saoudite…
Quand bien même on considérerait la Russie comme « le véritable ami de l’Ukraine » - ce que sous-entend Rimbert -, force est de constater, après sept mois de cette guerre réactionnaire, que Vladimir Poutine a largement ravagé le pays et massacré son peuple. Mais qu’il a aussi marqué contre son propre camp : raclée militaire, catastrophe économique, isolement grandissant (et désormais jusque parmi les alliés présumés de Moscou), effondrement de l’image de la Russie... Et ce que le Kremlin prétendait combattre - le basculement de l’Ukraine à l’Ouest - s’est accéléré. Pis : l’Europe « s’otanise » à grande vitesse, même les États traditionnellement neutres - Suède et Finlande - recherchant désormais à se protéger sous le « parapluie » américain…
Bref, le « campisme » d’autrefois n’a plus aucun sens. Miser sur les uns contre l’autre est absurde. Lénine, en son temps, l’a montré, dans une situation internationale à certains égards comparable : le monde est à nouveau la proie de « contradictions inter-impérialistes » dans lesquelles le mouvement progressiste n’a rien à faire, sinon de combattre TOUS les impérialismes qui, TOUS, menacent les peuples, leur liberté et leur avenir.
Il faut de singulières œillères idéologiques pour croire qu’on pourrait combattre pour les droits humains aux côtés d’un Poutine, d’un XI Jinping, d’un Assad ou d’un Erdogan - pour ne rien dire de Lapid. Telle ne peut pas être la « ligne » du Monde diplomatique : son histoire et ses engagements de toujours méritent mieux.
D. V.