Quand l’émotion est trop forte, quand les événements nous retournent les tripes, il nous semble impossible de poser des mots sur ce qu’il se passe. Mais, dans le même temps, il nous semble inimaginable de ne pas écrire ce qui ne peut être dit.
Alors nous écrivons ces lignes, quelques heures après les drames de Sainte Soline.
Ce weekend le pouvoir, par l’intermédiaire de son bras armé, a volontairement voulu blesser, mutiler, voire tuer des personnes. Il ne s’agit pas d’accusations. Mais d’un fait. Ce fait, il va falloir qu’un nombre important de personnes et de structures présentes à Sainte Soline l’écrivent, le disent, le crient !
Chez CND, on nous accuse souvent d’être des amoureux de l’émeute, de la violence urbaine, du chaos. La plupart du temps, plutôt que de tenter de "raisonner" nos détracteurs, nous préférons répondre à ces accusations en singeant les stigmates dont on nous pare.
A l’image de certains GJ ou BB qui ne cherchent plus à convaincre BFM qu’ils ne sont pas des assoiffés de sang...
Sauf que nous savons bien que ce qui nous anime : ce n’est pas la violence mais bien l’amour. Dire cela peut paraître niais pour certains, une contre vérité pour d’autres.
Mais ceux qui ont été dans les cortèges de tête, à la ZAD ou sur les ronds points avec les Gilets Jaunes savent que ce qui entretient le feu se trouve bien du côté de l’amour et de l’entraide, de l’espoir d’un avenir meilleur. Pour soi, pour sa famille, pour ses amis, pour tous ceux qui souffrent, qui galèrent.
Si voir des poubelles brûlées peut offrir de l’adrénaline et un certain plaisir, c’est plus par ce qu’il provoque d’inquiétude chez les puissants de ce monde que par l’aspect "destructeur" de ce feu.
Dire cela nous paraît important par rapport aux horreurs vécues par des centaines de manifestants ce weekend. Pour ceux qui ont été blessés, mutilés ou qui se retrouvent entre la vie et la mort. Ces personnes sont venues à Sainte Soline parce qu’elles croient en un projet de vie plus respectueux des uns et des autres, et surtout plus respectueux de la planète.
Elles sont venues lutter pour respecter le vivant et pour lui donner un meilleur avenir. Et pour ça, elles se sont fait tirer dessus par la police, à coup de LBD et de grenades désencerclantes...
Il faut prendre la mesure de ce que nous vivons depuis quelques années, et notamment depuis les Gilets Jaunes. Le pouvoir a décidé d’étendre à l’ensemble de la contestation sociale la barbarie policière institutionnalisée pendant les contre-insurrections coloniales, qui ne se déployait jusque là que dans les quartiers populaires et dans les territoires dits d’outremer. Signe de cette dérive, il a même créé de nouvelles unités clairement conçues pour frapper les corps et les esprits.
La France est un pays qui accepte de vivre avec des centaines de ses concitoyens éborgnés, mutilés, et même tués, pour avoir participé à une manifestation, à un rassemblement politique, ou à une fête de la musique.
Au moment de la sortie de son film Un pays qui se tient sage, David Dufresne faisait remarquer à quel point, lors des actes GJ les plus insurrectionnels et alors que des dizaines de milliers de personnes étaient dans la rue et en demande d’une révolution, aucun manifestant n’avait sorti un fusil de chasse ou un pistolet pour tenter de tirer sur les forces de l’ordre.
Car malgré une haine de la police de plus en plus répandue, quasiment personne ne souhaitait la mort d’un policier.
En cela, les seuils de tolérance de la violence ont été très très nettement abaissés en quelques décennies. Qu’importe ce qu’en disent BFM ou Cnews, la société s’est spectaculairement pacifiée, et notamment dans le secteur des luttes sociales et politiques.
Sauf que du côté des forces de l’ordre, la tendance est totalement inverse avec une objective hausse du degré de violence, et même de terreur, qui est désormais "acceptée". Acceptée par ces forces de l’ordre, par leurs supérieurs, par le pouvoir, par les médias et, in fine, par l’ensemble de la population.
Au point d’en arriver à ce weekend meurtrier à Sainte Soline, celui-ci faisant suite à plusieurs nuits de déferlement de terreur policière dans les rues des grandes villes.
On ne compte plus les vidéos prouvant la cruauté verbale et physique de policiers, de séquences où certains tabassent pour le plaisir, écrasent par terre, où la Brav roule volontairement sur des manifestants, frappe des journalistes, balance des insultes racistes et sexistes. C’est devenu "normal".
Si ce système accepte ce degré de cruauté, dans l’espoir de se maintenir en place, c’est la confirmation qu’il a perdu toute légitimité à prétendre aux principes humanistes dont il se pare à longueur de temps.
Au-delà du côté immoral et inhumain de ce que le pouvoir est en train de faire, il faudra aussi qu’il assume les conséquences d’une telle violence dans sa réponse aux colères de ses propres citoyens. Et qu’il ne s’étonne pas si le degré de pacification de la société redescend d’un cran dans les prochaines années.
De notre côté, il sera important de ne pas se laisser aveugler par la colère, hautement légitime, et l’envie de vengeance, compréhensible mais potentiellement destructrice. Pour cela, il faudra se souvenir, et se marteler, les raisons pour lesquelles les personnes blessées sont venues à Saint Soline ou dans les rues en feu.
Qu’il s’agissait de construire un monde meilleur et plus juste. Moins violent aussi. Plus humain surtout.
Via cerveaux non disponibles.