Décidément, la dissolution des soulèvements de la terre a bien du mal à se justifier. Des semaines après le coup de menton de M. Darmanin, après que le cabinet de la Première Ministre a freiné des quatre fers jugeant le sujet trop complexe d’un point de vue juridique, après un premier coup de filet il y a deux semaines qui n’a rien donné - les 15 personnes arrêtées ayant toutes été relâchées -, après les outrances de la FNSEA qui ont finalement acculé M. Macron à exiger cette dissolution qui n’arrivait pas… Voilà que fort opportunément, la veille du Conseil des Ministres où cette dissolution est censée être actée par décret, une nouvelle vague d’arrestations a lieu partout en France, dont un des porte-paroles des Soulèvements de la Terre.
Cette fois encore, avec des moyens disproportionnés. Il y a quinze jours déjà, c’était des hommes cagoulés et des forces antiterroristes qui débarquaient au petit matin au domicile des personnes incriminées. Et le fait que ce déferlement ait abouti à remettre tout ce petit monde en liberté - donc à ne pas les considérer dangereux au final, cqfd - n’a visiblement pas servi. Ce matin encore, on a eu l’illustration de la fin de toute mesure en matière de « maintien de l’ordre » avec des dispositifs et moyens dignes des plus grands criminels ; les gardes à vue de 96 heures deviennent monnaie courante, la surveillance légale s’étend chaque jour davantage avec de moins en moins de motifs à démontrer, et le discours de M. Darmanin devient performatif : à force de répéter « écoterroristes » sur tous les tons et quel que soit le ridicule de cette affirmation – son indécence ! comment peut-on, surtout quand on est Ministre, mettre ainsi sur le même plan Daech (coucou Lafarge) et un mouvement visant à protéger les conditions de vie sur Terre ! - bref. C’est pas comme si on n’avait pas déjà eu Tarnac et l’affaire dite « du 8 décembre ». Noyer son chien, la rage, tout ça, on connait. Cette fois encore on a le sentiment qu’il faut bâtir un récit a posteriori pour justifier les gesticulations d’un gouvernement qui ne manque pas d’air d’engager autant de moyens financiers et humains pour protéger des trous dans le sol et des intérêts privés au mépris de son devoir de protection de la population. C’est pas comme si il y avait un plan drastique d’économies d’énergie, de rénovation thermique, d’usage de l’eau, de bénéfices records à imposer et d’aide à l’agriculture à mettre au point, hein. C’est pas comme si on était en train de flinguer le vivant. Ça va, c’est bientôt les vacances, on peut bien se détendre un peu en se payant des écolos.
Le gouvernement joue un jeu très dangereux en soufflant sur les braises pour gagner quelques parts de marché. Tout le monde se tend, on le voit bien. Même à Die, où un projet d’artificialisation de 5 hectares de terres est lancé sans qu’aucune voie de dialogue et de modération n’ait pu être trouvée. C’est complètement dingue d’en arriver là : des plantations d’oignons qui motivent la demande d’une surveillance par drone, une marche pacifique et festive stoppée par une flanquée de cars, des esprits qui s’échauffent sur les « vrais » et les « faux » Diois sur les réseaux sociaux. Mais quelle horreur... Et là aussi, la communauté de communes, au lieu de faire preuve de responsabilité, au lieu d’apaiser et de temporiser, au moins de laisser les études et concertations en cours aller jusqu’à leur terme, joue avec le feu en diabolisant les collectifs, en appelant à se compter, en dressant les uns contre les autres et en faisant de la provocation avec l’organisation d’un banquet sur place pour lancer le chantier. Et ce alors que le principal bénéficiaire de cette extension de la zone d’activité s’est retiré et engagé à créer de l’activité sur les lieux existants. C’est juste désespérant. Je suis atterrée de voir à quelle vitesse l’ambiance s’envenime partout. Épuisée de voir que le bon sens et la décence sombrent chaque jour un peu plus. Effondrée de constater tous les jours que ceux qui sont censés défendre l’intérêt général n’ont toujours pas saisi l’urgence. Je ne comprends pas comment le deux-poids deux-mesures a pu se normaliser de manière aussi éhontée dans le traitement des « violences ». Je suis rarement en colère, plus souvent attristée, mais là je suis les deux, minée.
Je vais essayer de suivre mes propres conseils mais je ne promets rien. Néanmoins je l’écris une fois encore : reprenons des forces, restons sereins, préparons nos défenses et nos solidarités, tenons-nous serrés. Une conférence de presse se prépare, des rassemblements sont prévus demain soir et mercredi prochain contre la dissolution et en soutien aux personnes arrêtées. Ceci est un appel à celles et ceux qui sont encore vifs, frais et pleins d’élan, qui ont encore un peu de souci de la nuance et de complexité dans leurs réflexions, d’empathie et de détermination mêlées : on a besoin de renforts et de relais. S’il vous plait.
Corinne Morel Darleux