Jeudi 21 juin 2023, Frédéric Tronche, un responsable de l’Ugict-CGT voyageait dans le même train qu’Éric Zemmour, alors qu’il se rendait à un rassemblement contre sa venue. Cherchant à faire comprendre à ce dernier qu’il n’était pas le bienvenu, il aurait demandé si le train ne se rendait pas, selon les versions ici divergentes, soit en Pologne (propos tenus sur sa page Facebook) soit à Vichy. Accusé d’antisémitisme, il a été interpellé à son arrivée à Limoges.
Suite à son arrestation, il a reçu le soutien de nombreuses personnalités de gauche et syndicales, parmi lesquelles Sophie Binet. Sur Twitter, cette dernière avance d’une manière qui nous semble beaucoup trop légère vu le sujet que les remarques auraient visé les positions pétainistes du politicien d’extrême-droite. Des captures d’écran issues des réseaux sociaux ainsi que des témoignages semblent pourtant indiquer que le syndicaliste aurait fait référence à la déportation des Juif·ves et aux centres de mise à mort. En réalité, il y a ici, deux possibilités : soit il a voulu dire qu’Éric Zemmour "conduirait le train", auquel cas il y a un problème de trivialisation du génocide et d’identification des bourreaux à leurs victimes (rappelons que l’oncle du dirigeant de Reconquête a été déporté) ; soit il a émis à l’encontre du politicien fasciste une menace génocidaire, dans ce cas nous sommes dans l’antisémitisme le plus pur. Si la première semble la plus probable, ce qui a été insulté ici dans tous les cas c’est la mémoire des millions de Juif·ves assassiné·es par la barbarie nazie.
La ligne de défense de la secrétaire générale de la Cgt par rapport à ces agissements nous paraît bien en deçà de ce qu’on peut attendre d’un syndicat historique, dont les membres fondateurs ont joué un rôle déterminant dans le combat contre l’antisémitisme, notamment au moment de l’affaire Dreyfus. Rappelons qu’on peut dénoncer l’idéologie raciste et antisémite d’Éric Zemmour sans tenir soi-même des propos banalisant la déportation et le génocide. Avancer comme l’a fait la secrétaire générale que Frédéric Tronche est un militant qu’elle connait bien qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme depuis 40 ans, n’est pas suffisant. Ce genre de dérapages ne rendent pas hommage à la Cgt et à la participation de nombre de ses membres à la lutte contre le nazisme, comme, à titre d’exemple, la figure d’Henry Krasucki, résistant-déporté à Auschwitz Birkenau, dont la mémoire a été rappelée par Sophie Binet lors de sa venue à l’émission Càvous le 23 juin.
Nous dénonçons par ailleurs les menaces à l’égard de membres de la Cgt de la part de militants fascistes connus par ailleurs pour leurs positions antisémites et racistes. Ces faits inacceptables ne devraient cependant pas être utilisés comme élément pour mettre la poussière sous le tapis comme l’a fait Sophie Binet, sans qu’il n’y ait de réelle prise de conscience sur la gravité de ces propos, et qui ont par ailleurs choqué nombre de militants et militantes CGT. Le mouvement ouvrier doit être exemplaire en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, par fidélité a ses valeurs et aux combats pour lesquels tant des siens et des siennes sont tombé·es.
Si le fasciste Éric Zemmour et les idées mortifères qu’il charrie dans son sillage doivent être combattus pied à pied, un tel combat ne peut se faire par l’abaissement de nos propres exigences politiques. Aucune place ne doit être laissée à l’antisémitisme ou à quelque forme de racisme ou de discrimination que ce soit au sein du mouvement social et syndical. Nous demandons donc à la secrétaire générale de revoir sa position, de condamner sans équivoque les paroles de Frédéric Tronche et de pousser à ce que soit mené au sein de la Cgt un travail de formation afin que de telles positions ne se renouvellent pas. Si besoin était, nous nous tenons à sa disposition pour l’aider sur ce dernier point.
Enfin, nous ne pouvons que constater que l’outil policier trouve bien plus facilement à se mobiliser lorsqu’il s’agit de venir au soutien d’un politicien d’extrême droite que lorsqu’il s’agit d’assurer la protection d’un élu menacé de mort pour avoir accepté l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile sur sa commune. Ce même politicien avait d’ailleurs déjà bénéficié d’un large soutien des autorités et du chef de l’État lui-même lorsqu’il avait été pris à parti au printemps 2020. L’ancien candidat à la présidentielle et ses soutiens n’ont cessé de pousser leurs thèses réactionnaires dans le champ médiatique et politique, dont plusieurs sont négationnistes : Pétain sauveur des Juif·ves français, ainsi que racistes et antisémites, comme le pseudo-"grand remplacement". L’opportunisme de ces militants d’extrême droite pour placer, à partir de cet événement, la gauche dans son ensemble comme "les vrais antisémites" et tenter de faire oublier leur rôle central dans la diffusion de celui-ci, est aussi prévisible que révoltant. Dans ces conditions, la répression policière d’une sortie antisémite ne saurait être source d’une quelconque satisfaction, sauf pour celles et ceux qui récupèrent ce triste épisode au bénéfice de leurs discours réactionnaires.
juifs et juives révolutionnaires