Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

KŌTOKU Shūsui (véritable prénom : Denjirō)
Article mis en ligne le 5 novembre 2023
dernière modification le 30 octobre 2023

par siksatnam

Né le 4 novembre 1871, dans le département de Kōchi ; exécuté le 24 janvier 1911 à Tōkyō ;. Pionnier du mouvement socialiste japonais, dirigeant du mouvement socialiste à la fin du XIXe siècle, puis anarchiste ; impliqué dans l’Affaire du complot de lèse-majesté, il fut condamné à la peine de mort et exécuté.

KŌTOKU Shūsui était le troisième fils d’une ancienne famille de Nakamura, district de Hata dans le département de Kōchi, qui avait ajouté à son activité traditionnelle de fabricant de « sake » (vin de riz) celle de droguiste. Comme son père, Tokuaki, mourut lorsqu’il avait deux ans, il fut élevé par sa mère, Taji, restée seule. De constitution fragile, le petit Denjirō montra cependant de remarquables aptitudes pour l’étude et acquit bientôt une réputation d’enfant prodige. Très tôt sensibilisé aux problèmes de politique sociale, il fut marqué, dès l’âge de onze ans, par le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple qui était alors en plein épanouissement dans la région de Tosa (l’actuel département de Kōchi). KŌTOKU Denjirō s’inscrivit en 1886 à l’école privée de KIDO Akira, un sinologue confucéen qui enseignait dans la ville de Kōchi, et il y acheva bientôt ses études secondaires. Désireux de poursuivre ses études à Tōkyō, il se rendit l’année suivante dans la capitale sans le moindre argent et devint clerc chez un homme politique originaire de la même région que lui, HAYASHI Yūzō. Ce dernier était alors étroitement mêlé au mouvement dit des trois grandes Affaires, qui était organisé par des représentants de dix-huit départements et trois préfectures : il s’agissait de faire entériner un mémoire réclamant les libertés d’expression et d’association, la suspension de certains points de la révision des traités internationaux et l’allégement de l’impôt foncier ; le gouvernement d’alors, à la tête duquel se trouvait ITŌ Hirobumi (premier cabinet ITŌ), riposta en promulguant le 25 décembre 1887 l’Ordonnance sur la sauvegarde de la paix, en vertu de laquelle les 570 politiciens d’opposition au gouvernement furent contraints au bannissement à une distance de plus de douze kilomètres de la capitale ; HAYASHI Yūzō fut de ceux-ci, et c’est ainsi que KŌTOKU, souffrant du froid et de la faim, dut le suivre à l’ouest, en direction du pays natal. L’ordonnance d’exil fut bientôt révoquée, mais, dépourvu des moyens financiers nécessaires à un retour dans la capitale, KŌTOKU Denjirō demeura à Ōsaka où il rencontra le « Rousseau de l’Orient », NAKAE Chōmin, un des dirigeants et théoriciens de l’aile radicale du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, dont il devint disciple et assistant. L’influence de NAKAE sur KŌTOKU devait être fondamentale, tant sur le plan humain que sur le plan de la pensée ; la tradition veut d’ailleurs que ce soit le maitre qui ait donné à KŌTOKU son nouveau prénom de Shūsui, signifiant « flots d’automne ». Lorsque NAKAE Chōmin se rendit dans la capitale avec sa famille, KŌTOKU Shūsui fut du voyage et revint à Tōkyō, où il suivit avec succès les cours de l’école d’anglais Kokumin eigakkan. Après en avoir été diplômé, il entra en 1893 au Jiyū shimbun (Journal libéral), qui était dirigé par ITAGAKI Taisuke ; il devint ensuite journaliste au Hiroshima shimbun (Journal de Hiroshima), au Chuō shimbun (Journal central), pour finalement travailler cinq ans plus tard au Yorozu chōhō (Informations diverses du matin) : il commençait à être connu pour son talent d’écrivain. De cette époque où il collaborait au Yorozu chōhō date l’amitié qui le liera à SAKAI Toshihiko pendant tout le reste de sa vie. Par­ticipant alors aux réunions du Groupe de recherches sur le socialisme (Shakaishugi kenkyūkai), fondé en octobre 1898 par MURAI Tomoyoshi, ABE Isoo et KATAYAMA Sen entre autres, KŌTOKU Shūsui évolua vers le socialisme. Devenu secrétaire de la Fédération pour l’obtention du suffrage universel (Fusenkisei dōmeikai) et secrétaire de la Fédération de Shikoku contre l’augmentation de l’impôt·foncier (Shikoku hizōso dōmei), il s’attaqua à un certain nombre de problèmes politiques. Mais bientôt, en mars 1900, fut promulguée la Loi de police sur la sécurité publique entraînant en août de la même année la dissolution du Parti libéral (Jiyū tō) qui avait lutté contre le pouvoir absolutiste et pour la liberté et les droits du peuple : c’est ainsi que, participant à la fondation de la Société d’opposition à la politique d’ ITŌ Hirobumi (ITŌ Hirobumi no seihankai) auquel il était hostile depuis plusieurs années, KŌTOKU Shūsui, découragé par la politique des partis et renforcé dans son esprit de critique, adhéra au socialisme, engageant un processus qui allait le conduire du socialisme scientifique à l’anarchisme ; cependant, il resta profondément marqué par le confucianisme qui avait nourri son enfance et son adolescence : le « patriote-honnête homme » devait donc être un soutien à l’État ; il allait rester longtemps imprégné de cette conscience de « patriote-honnête homme », idéal du confucianisme.

En avril 1901, KŌTOKU Shūsui publia son premier ouvrage, Ni jū seiki no kaibutsu teikokushugi (L’Impérialisme, monstre du vingtième siècle). Il s’agissait en fait d’un recueil d’articles qui avaient été publiés dans les journaux comme le Chiyoda maiyū (le Quotidien du soir de Chiyoda) ou le Yorozu chōhō (Informations diverses du matin) et qui s’articulaient autour du pacifisme et de la critique de l’impérialisme ; KŌTOKU Shūsui y démontrait que la politique suivie par le gouvernement japonais après la guerre sino-japonaise aboutissait au renforcement du militarisme ; en tant que théorie de l’impérialisme, cet ouvrage fait figure de précurseur par rapport à ceux de Hobson (L’Impérialisme, 1902) et de Lénine (1916, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme). Sans se limiter à une critique de la politique impérialiste des grands pays capitalistes, KŌTOKU Shūsui dénonçait les conséquences néfastes pour les populations des guerres impérialistes, résultat d’une telle politique et, selon lui, le seul remède était la réalisation du socialisme. Dans cet ouvrage, l’auteur démontait de manière très précise les mécanismes de l’idéologie de la classe dominante qui détournait le « patriotisme » à son propre profit.

En mai 1901 fut proclamée la constitution du premier parti politique socialiste du Japon, le Parti social-démocrate (Shakai minshu tō) ; à sa fondation avaient pris part, outre KŌTOKU Shūsui, KATAYAMA Sen, ABE Isoo, KINOSHITA Naoe, KAWAKAMI Kiyoshi et NISHIKAWA Kōjirō. Ce parti fut certes frappé d’interdiction le jour même de sa constitution en application de la Loi de police sur la sécurité publique, mais il exerça une influence en profondeur et le mouvement socialiste s’en trouva considérablement renforcé. KŌTOKU Shūsui participa ensuite aux activités du Groupe idéaliste (Risōdan), qui avait été organisé autour de Yorozu chōhō (Informations diverses du matin) par UCHIMURA Kanzō et SAKAI Toshihiko dans une perspective de réforme et de justice sociales. En décembre 1901, à la demande de TANAKA Shōzō, qui avait lutté pendant de longues années à la tête des paysans victimes de la pollution due à la mine de cuivre d’Ashio, KŌTOKU rédigea une supplique directe à l’Empereur, ultime tentative pour résoudre cette affaire ; il publia en outre un éditorial du Yorozu chōhō intitulé « Le Droit de requête des sujets » (Shinmin ni seigan ken) dans lequel il attaquait un gouvernement qui, protégeant les capitalistes, contraignait les autres tels TANAKA à avoir recours à des procédures d’exception pour essayer de se faire entendre.

KŌTOKU Shūsui approfondissait alors ses connaissances théoriques du socialisme en lisant notamment des œuvres de Marx, Engels ; ces lectures aboutirent à la publication en juillet 1903 de Shakaishugi shinzui (L’Essence du socialisme) qui, ayant suscité un grand intérêt, fut réédité à plusieurs reprises. L’ouvrage retirait certes au prolétariat son rôle historique dans la réalisation de la révolution socialiste et substituait à cette classe les « patriotes-honnêtes hommes » qui se seraient imprégnés du socialisme ; il insistait également sur le fait que cette doctrine n’était pas incompatible avec un État impérial japonais ; mais se fondant sur une analyse marxiste du capitalisme, KŌTOKU Shūsui effectuait par ailleurs une démonstration brillante de l’inéluctabilité historique du passage au socialisme : c’est en ce sens que ce traité, un des premiers ouvrages théoriques du Japon, témoigne, avec l’ouvrage de KATAYAMA Sen, Waga shakaishugi (Mon socialisme), publié la même année, du niveau atteint au Japon dès cette époque dans la diffusion du socialisme.

En octobre 1903, le pays était à la veille de la guerre russo-japonaise ; c’est alors que KUROIWA Ruiko, le directeur du Yorozu chōhō (Informations diverses du matin), où KŌTOKU et d’autres avaient publié de nombreux articles pacifistes, adopta désormais une attitude de soutien à la guerre qui allait éclater ; se démarquant par rapport à cette position, KŌTOKU Shūsui et SAKAI Toshihiko en socialistes conséquents, désireux de continuer à exprimer leurs positions antimilitaristes, quittèrent ce journal pour organiser le mois suivant la Société de l’homme du peuple (Heiminsha) et lancer la publication du Heimin shimbun hebdomadaire (Journal de l’homme du peuple), qui devait être consacré entièrement à la cause du mouvement socialiste. Faisant sien le slogan de Liberté, Égalité et Fraternité, le Heimin shimbun pénétra bientôt dans toutes les couches de la société ; jusqu’à sa suspension en janvier 1905, il fut tiré à 4 000 exemplaires. Cet hebdomadaire devait jouer pour le mouvement socialiste de cette époque le même rôle prépondérant qu’avait joué l’Association socialiste (Shakaishugi kyōkai) après le départ de KATAYAMA Sen pour les États-Unis. Avec la déclaration de guerre entre le Japon et la Russie, en février 1904, KŌTOKU Shūsui déploya une activité résolument pacifiste et son journal mena une violente campagne .contre la guerre : c’est ainsi qu’il publia dans le numéro 18 du Heimin shimbun « Rokoku shakai tōni atauru no sho » (Mémoire adressé au parti socialiste de Russie) où il en appelait à l’union avec le Parti ouvrier social-démocrate de Russie contre leurs ennemis communs, le nationalisme et le militarisme. Cet article suscita d’ailleurs une réponse qui fut insérée dans le numéro 37 de l’Iskra sous le titre de « Lettre de réponse ».

Ce fut aussi le Heimin shimbun qui relata, dans son numéro 46, l’épisode de la poignée de main historique échangée entre KATAYAMA Sen et Plekhanov, les délégués japonais et russe au VIe Congrès socialiste international d’Amsterdam. C’est grâce à de telles initiatives que le mouvement socialiste japonais put faire son apparition sur la scène internationale et c’est également en ce sens que le rôle du Heimin shimbun fut très important.

Le Journal de l’homme du peuple faisait l’objet d’une surveillance particulière de la part des autorités et des poursuites furent lancées contre l’hebdomadaire dès l’apparition des premiers numéros. Son numéro 20 avait été frappé d’interdiction à la vente, la première du Japon, pour la parution dans ses colonnes d’un article de KŌTOKU Shūsui, "Aa zōzei " (Ah ! cette augmentation de l’impôt !) ; la publication de ce numéro avait même valu au responsable de l’hebdomadaire, SAKAI Toshihiko, après six mois de procès, une peine de prison de deux mois, à la suite de laquelle la répression gouvernementale se fit de plus en plus sévère. Les interdictions et les amendes se succédaient ; lorsque fut publiée, dans le numéro 53, la traduction japonaise du Manifeste communiste, pour marquer le premier anniversaire du Heimin shimbun, tous les numéros imprimés furent saisis immédiatement. La poursuite gouvernementale alla même bientôt jusqu’à frapper la maison chargée d’imprimer le journal et c’est ainsi que le Heimin shimbun hebdomadaire fut contraint de cesser sa parution avec son numéro 64 du 29 janvier 1905 ; KŌTOKU Shūsui fut en même temps condamné à une peine de cinq mois d’emprisonnement pour infraction à la Loi sur les publications. Il resta incarcéré de février à juillet 1905. Le légalisme fortement teinté d’« optimisme évolutionniste » de KŌTOKU Shūsui avait déjà été fortement ébranlé par le renforcement de la répression dont les manifestations les plus flagrantes étaient les limitations imposées par la police aux réunions et activités de propagande en province, les pratiques d’intimidation envers les lecteurs du Heimin shimbun (le Journal de l’homme du peuple) et l’ordre de dissolution de l’Association socialiste (Shakaishugi kyōkai). L’attitude gouvernementale n’était pas son seul sujet de découragement ; venait s’y ajouter son expérience personnelle de persécution et d’isolement dans une société enivrée par la victoire sur la Russie. Marqué par la première Révolution russe et par ses lectures dans la prison de Sugamo, notamment par celle de l’oeuvre de Kropotkine, KŌTOKU Shūsui adopta une attitude critique envers l’Etat impérial et évolua rapidement vers l’anarchisme. En octobre 1905, la Société de l’homme du peuple (Heiminsha) fut dissoute sous l’effet de la répression et aussi de la dispersion de ses membres ; le mois suivant, KŌTOKU Shūsui s’embarqua pour les États-Unis afin d’y puiser une nouvelle vigueur pour reconstituer le mouvement à travers un échange d’idées avec les camarades résidant en Amérique. Au cours de son séjour de six mois à l’étranger, il prit contact avec les différents Cercles de socialistes japonais des États-Unis qui avaient été organisés par KATAYAMA Sen, à Seattle, San Fransisco, Oakland et Berkeley. Entre les meetings et les réunions d’étude auxquels il participa, il déploya une activité intense et organisa même à Oakland, à la veille de son retour au Japon, le 1er juin 1906, le Parti révolutionnaire socialiste (Shakai kakumei tō) avec une cinquantaine de compatriotes, dont IWASA Sakutarō et OKA Shigeki. Il eut également de nombreux contacts avec le Parti socialiste américain (Amerika shakai tō). Conformément à l’appel de la IIe Internationale à célébrer le premier anniversaire du Dimanche sanglant qui avait marqué le début de la Révolution russe de 1905, il prit part maintes fois à des réunions de solidarité. Il s’intéressa alors tout particulièrement aux activités du International Workers of the World (I.W.W.) qui était dominé par le courant syndicaliste révolutionnaire : mais il était également très proche d’anarchistes comme Albert Johnson et Mme Fritz ; témoin du Grand tremblement de terre de San Fransisco du 18 avril 1906 et des destructions qui ravagèrent la ville entière, il considéra ce cataclysme comme un phénomène favorable à la « réalisation du système anarcho-communiste ».

Après son retour au Japon en juin 1906, KŌTOKU Shūsui prononça une allocution très remarquée au cours d’une réunion du Parti socialiste japonais (Nihon shakai tō) qui avait été fondé pendant son absence, sous le cabinet SAIONJI (1906-1908), et qui fut publiée sous le titre « Sekai kakumei undō no chōryū » (Les grands courants du mouvement révolutionnaire dans le monde). KŌTOKU proclamait l’inefficacité du système parlementaire et la nécessité pour le mouvement révolutionnaire du recours à l’action directe sous la forme de la grève générale pour accomplir la révolution sociale.

Alors que les diverses réactions suscitées par cette prise de position n’étaient pas encore apaisées, il renouvela ses attaques dans le numéro du 5 février 1907 du quotidien Heimin shimbun (Le Journal quotidien de l’homme du peuple) : son article intitulé « Yo ga shisō no henka » (Transformation de ma pensée), récusant le suffrage universel et la politique parlementaire, prônait le recours à l’action directe des ouvriers, seul moyen efficace, selon lui, pour le mouvement socialiste. C’est ainsi que le IIe congrès du Parti socialiste japonais (Nihon shakai tō), qui s’ouvrit le 17 février suivant, fut le cadre de violentes polémiques entre les défenseurs du système parlementaire regroupés autour de TAZOE Tetsuji et les partisans de l’action directe ; les discussions concernant la formulation des résolutions du congrès furent particulièrement vives et l’on adopta finalement le compromis élaboré par SAKAI Toshihiko et les autres membres du Comité de délibération ; mais le congrès avait servi de révélateur aux profondes divergences existant entre la fraction favorable à une politique parlementaire (Gikai seisakuha) de TAZOE Tetsuji et KATAYAMA Sen, et la fraction préconisant l’action directe (Chokusetsu kōdōha) dont l’animateur était KŌTOKU Shūsui. Le gouvernement interdit immédiatement le jeune Parti socialiste (Shakai tō).
Tout en contribuant à approfondir l’opposition et la rivalité entre les deux tendances, KŌTOKU Shūsui se consacra alors à l’étude de l’anarchisme, engagea une correspondance avec Kropotkine et traduisit divers ouvrages comme ceux d’Arnold Roller, Shoshyaru zeneraru sutoraiki (La Grève générale sociale) et de Kropotkine, Pan no ryakudatsu (Le pillage du pain). Introduisant par ailleurs et diffusant au Japon des textes tels que les résolutions adoptées par le Congrès anarchiste international qui s’était tenu à Amsterdam en août 1907, il poursuivit son activité de publiciste : c’est ainsi que son influence fut déterminante sur les jeunes provinciaux qui avaient commencé à militer lors des bouleversements consécutifs à la guerre russo-japonaise. Si KŌTOKU Shūsui se considérait encore, au moment de son retour au Japon, comme un socialiste révolutionnaire appartenant à l’aile gauche de l’Internationale, il était toutefois manifeste qu’après l’Affaire du drapeau rouge du mois de juin 1908 il était devenu anarchiste (il s’agissait d’une affaire de répression dont le prétexte avait été une manifestation organisée pour célébrer la libération d’un militant socialiste, YAMAGUCHI Kōken : des drapeaux rouges furent déployés par les manifestants parmi lesquels figuraient un grand nombre de jeunes très influencés par KŌTOKU, tels ŌSUGI Sakae et ARAHATA Kanson).

L’Affaire du drapeau rouge causa la chute du cabinet SAIONJI. Le nouveau gouvernement fut constitué pour la seconde fois par KATSURA Tarō qui, sous l’influence de YAMAGATA Aritomo, un des « sages » de l’Ère Meiji, inscrivit à son programme la lutte contre le mouvement socialiste, et interdit immédiatement toute activité qui lui serait liée comme la publication de revues ou de journaux et l’organisation de réunions. KŌTOKU Shūsui se trouvait à cette époque dans son village natal où il était retourné pour se soigner. En juillet 1908, il reprit la route de la capitale : ce voyage fut pour lui l’occasion de rendre visite aux camarades restés en province. A partir de l’été 1908 et jusqu’au début de l’année suivante, sa demeure de Tōkyō, baptisée la Maison de la Société de l’homme du Peuple, servit de refuge aux militants épargnés par la répression impitoyable d’alors. Mais bientôt, KŌTOKU Shūsui se sépara de sa femme Chiyoko, de santé fragile, avec laquelle il était resté marié pendant dix ans ; il aimait KANNO Sugako, l’épouse d’un jeune camarade ARAHATA Kanson qui purgeait une peine de prison à la suite de l’Affaire du drapeau rouge, et il avait décidé de vivre avec elle. Vers le mois de mars 1909, nombre de ses anciens camarades commencèrent alors à le quitter en signe de désapprobation, et KŌTOKU se retrouva bientôt seul. Il entreprit en juin et juillet de cette même année de publier, avec KANNO Sugako, Jiyū shisō (La Pensée libertaire). Mais dès la parution du deuxième numéro, la revue fut interdite et ses responsables se virent infliger une très lourde amende : toute possibilité d’action légale avait été supprimée. A cette époque, pour la première fois au Japon, la personne jusque là sacrée de l’Empereur avait été mise en cause : une brochure critiquant le système impérial « Nihon kōtei Mutsuhito kun ni atau » (A l’Empereur du Japon, Mutsuhito) avait été publiée sous la signature des « Adeptes de l’assassinat du Parti anarchiste » (Museifutō no anzatsushugisha), le 3 novembre 1907, par le petit groupe d’anarchistes japonais résidant aux États-Unis et elle était parvenue clandestinement au Japon d’une façon mystérieuse ; l’année suivante, UCHIYAMA Gudō, responsable d’un temple bouddhiste du mont Taihei à Hakone, le Rinsenji, avait édité en secret et diffusé un pamphlet anarcho-communiste, condamnant le régime politique impérial. Les critiques contre l’Empereur qui détenait Je pouvoir d’État se radicalisaient.

C’est dans le cadre de ce nouveau mouvement que se constitua dans l’entourage de KŌTOKU Shūsui un petit groupe de conspirateurs désireux de renverser le système ; ils étaient quatre en tout : autour d’un mécanicien MIYASHITA Takichi, il y avait NIIMURA Tadao, KANNO Sugako, et FURUKAWA Rikisaku et leur plan consistait à supprimer l’Empereur au cours d un attentat à la bombe. KŌTOKU Shūsui fut, au début, mis au courant de ce projet, mais il s’en désintéressa rapidement ; d’ailleurs, en mars 1910, sur les conseils de son ami KOIZUMI Sanshin, il décida de prendre ses distances par rapport an militantisme, et il se retira avec KANNO Sugako à Yugawara, une station thermale, pour s’y consacrer à son activité d’écrivain. Sa compagne était encore favorable au complot, mais deux mois plus tard, elle fut incarcérée pour l’Affaire de la revue Jiyū shisō (La Pensée libertaire) : en tant que responsable de la publication, elle se vit infliger une lourde amende ; n’ayant pu réunir les fonds nécessaires, elle fut alors condamnée à une peine de trois mois et demi d’emprisonnement. L’éventualité d’une réalisation du projet devint alors pratiquement nulle, Cependant, le 25 mai 1910, la police découvrit dans la maison de MIYASHITA Takichi, à Akashina, le matériel nécessaire à la fabrication de bombes : ce fut le point de départ d’une série d’arrestations dont furent victimes, outre MIYASHITA, NIIMURA Tadao, FURUKAWA Rikisaku et KŌTOKU Shūsui ; KANNO Sugako, quant à elle, fut interrogée dans sa prison. Cet incident fut amplifié par les autorités qui procédèrent à la mise en accusation de vingt-cinq personnes entrées en contact avec KŌTOKU après le mois d’août 1908 ; c’étaient presque toutes des socialistes ou des anarchistes. C’est ce qu’on appela l’Affaire du complot de lèse-majesté. Le jugement fut exceptionnellement rendu par la Cour de Cassation constituée en Cour suprême, de sorte qu’il ne pouvait y avoir appel ; le 18 janvier 1911, vingt-quatre des accusés, dont KŌTOKU Shūsui, furent condamnés à la peine de mort (douze d’entre eux furent graciés le lendemain par l’Empereur et leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité) ; les deux autres co-inculpés furent frappés de peines d’emprisonnement à terme. L’exécution de la peine de mort par pendaison eut lieu six jours plus tard, le 24 janvier 1911.

L’annonce de la disparition tragique du célèbre socialiste japonais suscita de vives réactions chez les militants socialistes d’Europe et d’Amérique et des mouvements de protestation furent organisés dans de nombreux pays dont les États-Unis, l’Angleterre et la France ; au Japon même, l’émotion fut à son comble et, à la suite du poète ISHIKAWA Takuboku et de l’écrivain TOKUTŌMI Roka, de nombreuses voix critiques s’élevèrent chez les intellectuels qui se rendaient compte, pour la première fois peut-être, du caractère répressif de l’État impérial. KŌTOKU Shūsui rédigea avant sa mort une lettre justificative à l’intention de son avocat dans laquelle il montrait que l’Affaire avait été montée de toutes pièces par les autorités. On publia, après son exécution, Kirisuto massatsu ron (Le Christ supprimé), ouvrage qu’il avait achevé en prison ; il y niait la réalité de l’existence du Christ et qualifiait la religion chrétienne de « superstition ». Certaines rumeurs alimentèrent la thèse selon laquelle cet essai constituait la dernière tentative de KŌTOKU pour « supprimer l’Empereur » : c’est ainsi que la pensée de KŌTOKU Shūsui connut encore un grand rayonnement même après sa mort.