« Génération : pendant des années, je m’étais juré à moi-même de ne pas prononcer ce mot ; il me répugne d’instinct. Je n’aime pas l’idée d’appartenir à ce bloc coagulé de déceptions et de copinages, qui ne se réalise et ne se ressent comme tel qu’au moment de la massive trahison de l’âge mûr. On ne devient génération que lorsqu’on se rétracte, comme l’escargot dans sa coquille, et le repenti dans sa cellule ; l’échec d’un rêve, la strate des rancœurs, le précipité qui retombe d’un soulèvement ancien se nomment « génération ».
Celle qui, aujourd’hui, va de la trentaine attardée à la cinquantaine précoce s’est déposée comme le sel amer de la désillusion. Il faut bien prononcer le mot, cerner l’adversaire puisque nul n’ose le faire. Libé et Actuel, Chéreau et Glucksmann, Coluche et Médecins du monde, les institutions que vous êtes devenus, « ex » des groupuscules, personne n’ose les attaquer. Votre pouvoir insolent s’est établi sous la gauche, mais il n’est ni de droite ni de gauche, il est d’un âge ; celui qui est parti de Mao-Mai pour arriver au Rotary et aux Rolls. Directeurs de journaux et convertis du nucléaire, capitalistes récents et stratèges de la dissuasion, vous avez à tour de bras renié vos idées mais pas vos structures mentales et vos méthodes.
Ni droite ni gauche mais le pire des deux ensemble, fidèles au plus dangereux style manipulateur des groupuscules quand vous avez renoncé à l’utopie généreuse qu’ils prétendaient servir, plus que « récupérés », portant votre crachat de renégat en sautoir, vous êtes la légion du déshonneur, les décorés de la volte-face ; et, de plus, vous prétendez donner des leçons de permanence dans la souplesse ! (…) Le monstre, l’ennemi dont je vais tracer ici l’affreux portrait, Protée aux cent visages, se caractérise par la seule énergie de son retournement, voulu et proclamé. Il a le nez de Glucksmann, le cigare de July, les lunettes rondes de Coluche, le bronzage de Lang, les cheveux longs de Bizot, la moustache de Debray, la chemise ouverte de BHL et la voix de Kouchner. C’est le néo-philistin fier de l’être, et qui pourtant semonce et sermonne les autres.
Son nom en politique est Consensus ; sous la gauche, il s’est chargé d’effacer le pôle contestataire et toute différence entre idéologies. Non en les critiquant toutes, mais en les assemblant bout à bout. Par ce livre, je vous extirpe de ma vie et je rends le printemps d’il y a dix-huit ans à son éternelle jeunesse. »
Ceux qui sont passés du Col Mao au Rotary, 1986, Guy Hocquenghem.