Le 20 décembre 2023, la cour de cassation a annulé le licenciement d’un prestataire qui avait été exclu du Technocentre par la direction de Renault pour avoir contacté les syndicats, puis licencié pour avoir dénoncé cette injustice. Une belle victoire à la veille des fêtes de fin d’année.
yancourt-Aubevoye
Le licenciement d’un prestataire du Technocentre annulé
Publié le 22 décembre 2023 à 18h07 - Mis à jour le 8 janvier 2024 à 15h16
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Liberté d’expression Répression
Le 20 décembre 2023, la cour de cassation a annulé le licenciement d’un prestataire qui avait été exclu du Technocentre par la direction de Renault pour avoir contacté les syndicats, puis licencié pour avoir dénoncé cette injustice. Une belle victoire à la veille des fêtes de fin d’année.
L’affaire remonte à 2016. En pleine mobilisation contre la Loi travail, un prestataire contacte les organisations syndicales du Technocentre « pour les encourager à poursuivre une manifestation contre la loi travail... par une occupation des lieux et la diffusion du film « Merci patron ! » ». Deux représentants du syndicat CFE-CGC s’en plaignent à la direction du Technocentre [1] qui dévalide le badge du prestataire et le dénonce à son employeur. Celui-ci le met aussitôt à pied à titre conservatoire et le convoque à un entretien disciplinaire. Son employeur lui déclare alors qu’il a « fait une grosse bêtise » et qu’il n’est « pas censé en tant qu’intervenant chez Renault discuter avec les syndicats de Renault. » Il ne se doute pas que ses propos sont enregistrés. Des extraits de cet entretien sont ensuite publiés par le site du journal Fakir où le prestataire est bénévole. Ce qui lui vaudra un licenciement pour manque de loyauté.
Au bout de 7 ans de procédure [2], la justice a définitivement annulé ce licenciement. La persévérance a fini par payer.
La Cour de cassation justifie sa décision en déclarant que :
« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. »
« Tout salarié, même s’il n’est investi d’aucun mandat, doit bénéficier de la protection accordée à l’exercice de toute activité syndicale. »
Être « licencié pour avoir relaté des agissements portant atteinte au libre exercice d’une activité syndicale... constitue le délit de discrimination syndicale. »
C’est donc un jugement important qui rappelle les droits des salariés, qu’ils soient ou pas prestataires, en matière de liberté d’expression, de protection quand ils dénoncent un délit et de droit syndical.
Que vous vous posiez juste des questions sur vos droits, que vous rencontriez des difficultés dans votre entreprise ou que vous soyez témoin de « faits constitutifs d’un délit ou d’un crime », vous êtes dans vos droits en contactant le syndicat SUD. Et en plus, vous tapez à la bonne porte.
Voici des extraits du jugement de la Cour de cassation (Arrêt no 2206 F-D) :
"2. M. B, engagé en qualité de consultant senior par la société Eurodécision, s’est vu confier une mission auprès du Technocentre Renault.
3. Lors d’un entretien du 16 mars 2016, l’employeur a indiqué au salarié avoir été averti qu’il avait envoyé un courriel à divers syndicats du Technocentre Renault, ou à leurs représentants, pour les encourager à poursuivre une manifestation contre la loi travail, fixée au 31 mars 2016, par une occupation des lieux et la diffusion du film « Merci patron ! » ainsi que cela était préconisé par un journal dont le salarié était l’un des bénévoles.
4. Le 18 mars 2016, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire puis, le 31 mars 2016, l’employeur lui a notifié un avertissement pour ces faits.
5. Le 24 mars 2016, le salarié a été convoqué à un entretien préalable puis il a été licencié par lettre du 21 avril 2016, son employeur lui reprochant un manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi pour avoir procédé à l’enregistrement de leur entretien du 16 mars 2016 à son insu et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers afin d’assurer sa diffusion le 21 mars 2016 sur le site Youtube.
L’enregistrement diffusé révélait qu’au cours de l’entretien du 16 mars 2016 l’employeur avait déclaré : « ... donc ils surveillent, et ils surveillent les mails. Et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité ? Bah les mails des syndicalistes, bien évidemment ! Je suis convaincu que tu es de bonne foi. C’est pas la question. Le problème c’est que t’as fait une grosse bêtise. C’est une grosse bêtise ; t’es pas censé en tant qu’intervenant chez Renault, discuter avec les syndicats de Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault... ».
7. Le salarié, faisant valoir que son licenciement était intervenu en violation de la protection des lanceurs d’alerte, a sollicité devant le juge des référés la cessation du trouble manifestement illicite résultant de la nullité de son licenciement et l’octroi de provisions à valoir sur la réparation de son préjudice. Les syndicats se sont joints à l’instance.
9. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Selon les deux derniers, il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail, sous peine d’une amende délictuelle de 3 750 euros.
11. Tout salarié, même s’il n’est investi d’aucun mandat, doit bénéficier de la protection accordée à l’exercice de toute activité syndicale.
12. Pour rejeter les demandes du salarié fondées sur la nullité de son licenciement, l’arrêt retient d’abord qu’il ne peut se prévaloir du statut de lanceur d’alerte, aux motifs, d’une part, que par ses propos relatifs à la surveillance dont les courriels des syndicats de la société Renault feraient l’objet, l’employeur n’émet qu’un avis personnel dont la diffusion ne peut caractériser la dénonciation d’un délit d’entrave à la liberté syndicale, d’autre part, qu’en facilitant la diffusion des réserves émises par l’employeur relativement à la libre communication du salarié avec les syndicats du Technocentre, le salarié n’en a pas dénoncé pour autant un crime ou un délit.
13. Il relève ensuite que le salarié ne justifie pas de l’exercice d’un mandat ou d’une activité syndicale et de ce que son licenciement pourrait avoir un lien avec un tel exercice ou constituerait une discrimination à cet égard.
14. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté, d’une part, que le salarié avait été sanctionné pour avoir échangé des messages avec les organisations syndicales du Technocentre Renault et, d’autre part, qu’il avait été licencié pour avoir diffusé les propos de son employeur lui reprochant ces échanges, ce dont il résultait qu’il avait été licencié pour avoir relaté des agissements portant atteinte au libre exercice d’une activité syndicale, ce qui constitue le délit de discrimination syndicale, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
17. Le salarié ayant été licencié pour avoir dénoncé un délit, ce licenciement est nul en application de l’article L. 1132-3-3 du code du travail."