Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les attaques se multiplient contre les chômeurs...
Article mis en ligne le 17 avril 2024
dernière modification le 15 avril 2024

par siksatnam

Lauréate du prix Goncourt 2014 pour Pas pleurer, l’écrivaine publie Depuis toujours nous aimons les dimanches, un joyeux manifeste qui critique l’obsession contemporaine du travail et les attaques contre les prétendus oisifs.

Publié le 11 avril 2024, dans "l’Humanité" par Sophie Joubert

Depuis Rêver debout (Seuil, 2021), une adresse par lettres à Cervantès, Lydie Salvayre met provisoirement de côté la fiction pour écrire des essais, pamphlets ou manifestes, adossés aux moralistes des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans Irréfutable essai de successologie(Seuil, 2023), elle pastichait les manuels de développement personnel pour composer une satire du monde de l’édition dans une époque superficielle obsédée par la réussite.

Paru au Seuil début mars, Depuis toujours nous aimons les dimanches est, sous couvert d’un éloge de la paresse, une puissante critique de la « valeur travail », du capitalisme et du culte de l’argent. Adressé aux « apologistes-du-travail-des-autres », ce petit livre furieusement drôle s’appuie sur les écrits d’essayistes et philosophes comme Paul Lafargue ou Nietzsche, d’écrivains comme Gontcharov, Melville ou Rabelais, pour proposer des pistes, sérieuses ou fantaisistes, permettant de penser hors du système.

Née dans une famille de républicains espagnols arrivés en France pour fuir le franquisme, l’écrivaine a fait des études de médecine et a exercé jusqu’à la retraite le métier de pédopsychiatre. Depuis la Déclaration (Seuil, 1990), son premier livre publié à l’âge de 44 ans, elle a écrit une vingtaine de romans, dont la Médaille (Seuil, 1993), qui opposait déjà un réjouissant mauvais esprit à la sacralisation du travail, la Puissance des mouches, les Belles Âmes, Hymne ou Pas pleurer, inspiré de la vie sa mère, salué par le prix Goncourt 2014. Un ouvrage collectif, sous la direction de Stéphane Bikialo, lui a été consacré en 2021 aux éditions Classiques Garnier et son travail a fait l’objet d’un colloque international à l’université de Bordeaux Montaigne, les 14 et 15 mars derniers.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les attaques se multiplient contre les chômeurs présentés comme des profiteurs et opposés à ceux qui travaillent, considérés comme méritants. Votre livre, Depuis toujours nous aimons les dimanches 1, est-il une réponse à ces attaques, au climat politique ambiant ?

Oui, j’étais frappée depuis quelque temps par cette survalorisation de la valeur travail dans les discours de ceux qui nous gouvernent, qui allait de pair avec leur mépris des chômeurs regardés comme des assistés et des profiteurs. Je me suis alors penchée plus sérieusement sur la question du travail, pour découvrir que le travail, tel qu’on le concevait aujourd’hui, était une création, une invention sociale qui datait de la révolution industrielle (je rappelle que le premier ministère du Travail n’a été créé qu’en 1894), et qu’il n’était devenu le pilier central de nos sociétés qu’à partir de la moitié du XVIIIe siècle.

Bertrand Russell, immense économiste et philosophe, a écrit que se sont créés dès lors deux types de travail : celui qui consiste à transformer de la matière et celui qui consiste à le faire faire par d’autres. Le premier, précise-t-il, est pénible et mal payé. Le deuxième est moins pénible et mieux payé.

La troisième catégorie est constituée, ajoute-t-il, par les tenants de la grande industrie qui tirent profit des uns et des autres et leur inculquent cette idée que le travail est émancipateur, qu’il nous fonde comme sujets, qu’il nous épanouit, nous réalise, donne du sens à nos vies, etc., et que la paresse, en revanche, est éminemment condamnable, conduisant inéluctablement ceux qui s’y livrent à l’ivrognerie et à la déchéance. Deux idées que les travailleurs vont intérioriser et reprendre à leur compte, aujourd’hui encore.

En écrivant sur la paresse, de quelle tradition littéraire êtes-vous l’héritière ?

Dès le début de la révolution industrielle, deux camps se dessinent : d’une part, ceux dont l’intérêt est de faire croire à tout prix à la valeur travail – les économistes libéraux, les patrons d’industrie et les classes aisées en général, ceux que j’appelle les apologistes-du-travail-des-autres.

D’autre part, ceux qui font l’éloge de la paresse afin de remettre en cause cette obsession, ce culte, cette religion du travail : les poètes (Théophile Gautier, Sully Prudhomme, Baudelaire, Rimbaud…), les écrivains (Stevenson, Melville, Gontcharov…) et les philosophes et essayistes (Paul Lafargue, Bertrand Russell, Keynes…).

Pourquoi employez-vous le « nous » pour vous adresser aux « apologistes du travail-des-autres » ?

Ce nous est le « nous » du manifeste. Je l’ai osé parce qu’il me semblait que nous étions nombreux, très nombreux, à tenter de reconsidérer le travail : son statut, son sens, sa centralité, sa survalorisation, les conditions de son exercice… L’immense mobilisation contre la loi sur la réforme des retraites, la multitude des témoignages écrits sur le mal travail, le grand nombre de travaux des chercheurs en sciences sociales sur la crise du travail… m’autorisaient ce « nous ».

Un nous qui s’adresse aux apologistes-du-travail-des-autres, lesquels ont tout intérêt à ce que l’on ne remette pas en cause la fameuse valeur travail grâce à laquelle ils prospèrent en toute bonne conscience.

Dans quelle mesure ce livre est-il une critique du modèle capitaliste et de la soumission à l’argent ?

Avec la naissance du capitalisme s’est produit un immense basculement. Dans les sociétés précapitalistes (agraires et artisanales), les activités diverses étaient autant de moyens destinés à répondre et satisfaire à des besoins. Dans les sociétés capitalistes (industrielles et commerçantes), le travail va devenir un moyen pour créer sans cesse de nouveaux besoins dans une course infinie à l’abondance et au profit.

« La paresse a aussi ce pouvoir réjouissant de nous incliner vers des vertus paisibles, nous suggère La Rochefoucauld, un moraliste du XVIIe siècle. »

Basculement qui va changer évidemment tout le sens du travail conçu essentiellement pour l’enrichissement de quelques-uns. C’est ce que dénonce Paul Lafargue, gendre de Marx, dans son Droit à la paresse, déplorant que les travailleurs aient repris à leur compte les idées sur le travail inculquées par ces puissants.

Pourquoi la paresse est-elle, selon vous, « le berceau de la pensée » ?

J’ai été, jusqu’à présent, dans mes réponses, d’un sérieux affligeant, mais la gravité du sujet m’y obligeait, en quelque sorte. Je tiens à dire qu’il y a dans mon livre quelque chose de très joyeux à défendre la paresse. Car, la paresse ne signifie pas « ne rien faire », comme on essaie de nous le faire croire.

La paresse signifie au contraire faire mille choses mais qui n’obéissent pas aux règles de la société marchande (la rentabilité, le profit, la performance, la concurrence, etc.) : comme lire, contempler, méditer, converser, débattre, festoyer, s’enivrer de vin et de musique, participer à des activités collectives… Et peut-être, surtout, penser. Car, comment penser quand vous êtes soumis à des cadences infernales, à des gestes répétés et vides de sens, à des pressions intimes et des obligations de toutes sortes ?

Comment penser quand vous êtes Charlie Chaplin dans les Temps modernes, même si le post-taylorisme est devenu aujourd’hui un peu plus présentable qu’il ne le fut à sa création ? C’est cette réflexion qui amène Nietzsche à affirmer que le travail est la meilleure des polices puisqu’il vous soustrait à la pensée, aux désirs, aux rêves… autant de choses éminemment dangereuses, comme on le sait.

La paresse a aussi ce pouvoir réjouissant de nous incliner vers des vertus paisibles, nous suggère La Rochefoucauld, un moraliste du XVIIe siècle. La paresse de nous battre nous rend pacifiques, la paresse d’intriguer nous rend honnêtes, la paresse de mentir nous rend sincères, la paresse de riposter aux méchants et aux imbéciles nous évite les aigreurs d’estomac, etc.

Quels arguments écologiques, philosophiques peut-on opposer à la glorification contemporaine du travail ?

Poser par exemple la question des « faux besoins », c’est-à-dire des besoins qui ne trouvent pas leurs racines dans notre physiologie intime mais qui nous sont sans cesse soufflés par la pub et les discours dominants. Poser la question de la surabondance de la production et de son gaspillage effréné qui souillent et abîment la planète (décharges gigantesques et affreusement polluantes qui gisent dans les pays pauvres).

Poser la question du travail des enfants. Je rappelle, par exemple, que des enfants, aujourd’hui, travaillent pour extraire l’or dans des mines du Burkina Faso dans des conditions épouvantables et que, au Bangladesh, des mineurs travaillent à fabriquer des vêtements que nous porterons quelques jours avant de nous en débarrasser… Poser la question des conditions de travail pour certains métiers particulièrement pénibles.

Ce livre est-il nourri de votre expérience du monde du travail ou de ce que vous avez observé autour de vous, notamment au sein des classes populaires ?

J’allais y venir, puisque, en évoquant la pénibilité de certains métiers, je pensais à mon père qui était ouvrier maçon et que j’ai vu arriver à la maison six jours sur sept, et pendant près de quarante ans, à bout de fatigue, à bout de nerfs, brisé, découragé, « mort », comme il le disait.

Alors, personne au monde ne pourra jamais me convaincre qu’un travail exercé dans les conditions qui étaient celles que subissait mon père soit le moins du monde émancipateur et tout le baratin qui va avec. Non, non et non.